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LA CONGRÉGATION LÉRINIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE

OU LE GRAND RENFERMEMENT MONASTIQUE DE LA FIN DU MOYEN ÂGE

2.5. LA CONGRÉGATION LÉRINIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE

de Bertrand de Blieux, préchantre, d’ Hugues Artaud, camérier, de Truand d’ Esclapon, de Jacques de Vérignon, de Louis Serre, de Raphaël Barel, de Jean Comte, de Mainfroy Comte, d’ Honorat Ayraud, de Monet Bregaynol, d’ Honorat Viorni, d’ Ambroise Grimaldi et de Paul Jean, qui désignent prieur claustral Arnaud de Brives, prieur de Saint-Pierre de Roumoules, représenté par Jean de Girone98 (fig. 13).

Dans le cas d’ Honorat Ayraud, nous disposons du parchemin qui officialise ses vœux monastiques : il date du 3 mai 1380, et comme le nouveau moine ne sait pas écrire, il a recours à l’ un de ses collègues. Il se contente de signer d’ une croix99 (fig. 14).

L’ origine de ces moines non nobles est difficile à déterminer. Sans surprise, certains sont originaires de localités où Lérins était implantée. Ainsi le 15 mars 1450, le prieur de Callian Jacques Sénéquier reçoit les reconnaissances foncières d’ un habitant, qui est son homonyme, et sans doute son parent100.

Mais pour reconstituer les carrières monastiques, il faudrait conduire une étude systématique de la documentation, étudier les collations aux prieurés et aux offices monastiques, compiler les noms mentionnés à l’ occasion des chapitres. Cela permettrait de savoir s’ il y avait une hiérarchie des prieurés, et de quelle façon se faisaient les échanges entre la communauté conventuelle et les prieurés. On peut penser que les offices monastiques sont réservés aux moines expérimentés. Ces offices sont assez nombreux. Le prieur claustral remplace l’ abbé en son absence et centralise l’ argent provenant des messes. Le doyen est tenu de résider continuellement dans l’ île et d’ assister à tous les offices. Le préchantre (ou capiscol) est responsable de l’ enseignement aux novices et de la bibliothèque.

Fig. 13

Compte rendu d’ un chapitre monastique réuni le 30 avril 1382 pour élire un prieur claustral. Acte notarié d’ Antoine Arnaud. Arch. dép. Alpes-Maritimes, H 579.

Le camérier a la garde des meubles du monastère et de la tour tandis que le sacristain s’ occupe du mobilier liturgique. L’ ouvrier est en charge de l’ entretien des bâtiments et des nouvelles constructions. L’ infirmier s’ occupe des malades. Ces différents offices ont tendance à se renforcer à la fin du Moyen Âge grâce à l’ octroi de revenus ou de prieurés. Cela diminue l’ autorité de l’ abbé

sur la communauté. En 1415, l’ ouvrier Jacques Castol remporte un procès contre l’ abbé Rostaing Monge et est reconnu comme possesseur du quart du territoire de Clausonne101.

Par ailleurs, sans avoir développé une stratégie réformatrice aussi active que celle d’ autres monastères bénédictins, tel Saint-Victor de

Marseille, le réseau lérinien, à l’ invitation répétée des papes à partir d’ Innocent III, adopte certains outils de contrôle et de gouvernement visant à tempérer la toute-puissance de l’ abbé de la maison-mère. Il s’ agit principalement du chapitre général – autrement dit, de la réunion au monastère, à intervalles plus ou moins réguliers, des officiers de Lérins et des représentants des dépendances – préparé par des visites pastorales périodiques et dont les décisions sont inscrites dans les statuts102.

Le chapitre général est mentionné dès 1226, mais on ne conserve aucune trace des délibé- rations avant le xive siècle, lorsque sont transmis

– parfois grâce à des copies modernes – d’ abord quelques fragments (1310 concernant l’ office d’ infirmier, 1338 et 1353), puis des collections plus complètes de décisions capitulaires103 (1441

et 1453). Le chapitre général se tient alors de six ans en six ans104. Quant aux visites, elles sont

sans doute mises en place en même temps que les premiers chapitres généraux, mais ne sont pas documentées avant le xve siècle, précisément

dans les statuts de 1441 qui établissent que les prieurés seront visités tous les trois ans par l’ abbé, accompagné du prieur de Roumoules, d’ un notaire ou secrétaire et de deux serviteurs105.

Ces visites sont l’ occasion de faire dresser un inventaire des biens comme le spécifient les statuts de 1441 et 1453106.

Les statuts sont par définition des textes susceptibles d’ être non seulement modifiés, mais aussi répétés et précisés. Certains documents portent les marques de ces révisions, comme les statuts du 17 février 1338 dont la première ligne est annotée de corrections visant à modifier, entre autres, la date. La nouvelle date (11 mars 1351) coïncide avec la réunion d’ un chapitre général dont les capitulants élaborent les statuts, sur la base de ceux de 1338. Une fois promulgués, les statuts ont un caractère d’ obligation absolue et ils font office de loi dans toutes les maisons du réseau. Le prologue des statuts de 1453 déclare, selon l’ usage, confirmer les anciens statuts pour autant qu’ ils soient conformes aux présents et, en revanche, casser et annuler ceux qui seraient

Fig. 14

Profession monastique d’ Honorat Ayraud, 3 mai 1380. Parchemin original validé par une croix dessinée par le nouveau moine. Arch. dép. Alpes-Maritimes, H 118.

contraires  : une formule très traditionnelle qui renvoie à l’ inflation et à la stratification de l’ écriture statutaire, qui rend régulièrement nécessaire un travail de mise en ordre attesté dans la plupart des ordres. Il est d’ ailleurs probable qu’ à Lérins aussi, il faille distinguer ce qui relève du simple procès-verbal de délibération capitulaire de ce qui semble relever de véritables compilations juridiques comme les statuts de 1441 ou surtout ceux de 1453 rédigés sous l’ abbé André de Plaisance, très articulés quant au contenu et publiés par un notaire public du Luc. Sans innover, les statuts de Lérins attestent l’ adoption de certaines pratiques administratives expérimentées ailleurs, comme la création de l’ office du définiteur destiné à accélérer et faciliter la préparation et la rédaction des statuts, qui apparaît en 1453 avec la mention de quatre définiteurs élus parmi les capitulants. Certains usages sont clairement imposés par la papauté afin de soumettre Lérins et son réseau à une forme d’ ordo plus accomplie. En 1199, Innocent III s’ y était essayé sans succès à la demande de l’ abbé cistercien du Thoronet107. En 1368, le pape

Urbain V, ancien abbé de Saint-Victor, décide de soumettre Lérins à l’ abbaye marseillaise108, mais

la mesure est immédiatement contestée et vite annulée. Reste que le modèle victorin exerce une influence notable sur les pratiques lériniennes, en raison de la précocité en Provence de sa production normative109. Les statuts du chapitre

général de 1441 renvoient ainsi à ceux de Saint- Victor quant à la collation des offices, bénéfices et chapellenies par le chapitre110, ainsi que pour

la tarification de peines111 et quelques usages

liturgiques, et ils prévoient d’ envoyer un moine en mission à Marseille pour faire copier les statuts concernés112.

Les réunions capitulaires sanctionnent la primauté de l’ abbaye insulaire de Lérins sur son réseau  : l’ abbé convoque et promulgue les statuts, tandis que les prieurs des dépendances, dont les noms sont rappelés à la suite de ceux

des officiers, se rendent sur l’ île pour manifester leur soumission également matérialisée par le versement d’ une taxe. En 1453, les capitulants se réunissent dans la tour, devenue le cœur du complexe abbatial113. Et c’ est à Lérins, comme

le rappellent les statuts de 1441, que sont centralisées les archives du réseau et qu’ il est possible d’ emprunter les documents pour faire valoir localement ses droits114, ou encore qu’ est

conservée la caisse commune alimentée par les contributions des prieurés115.

Les chapitres des statuts passent très tradition- nellement en revue les différents aspects de la vie quotidienne du monastère principal et de l’ ensemble des dépendances. Ils embrassent d’ une série à l’ autre quatre grands domaines récurrents  : la célébration de l’ office divin  ; l’ organisation interne de la communauté, c’ est- à-dire la réglementation de plus en plus détaillée du cadre de vie matériel des moines, mais aussi la hiérarchie et le statut des offices claustraux (dont certains – prieur claustral, sacriste, doyen, camérier – deviennent perpétuels en 1453), et les devoirs et obligations qui leur sont associés116 ; le

système des peines, sanctions et amendes ; enfin, le fonctionnement du réseau (à commencer par le nombre de moines pouvant être accueillis sur l’ île et dans chaque dépendance).

Parfaitement conformes aux grandes lignes des statuts monastiques connus par ailleurs, les statuts de Lérins s’ en distinguent par certains détails concrets qui soulignent les spécificités de son environnement  : l’ obsession pour la défense de la tour ou l’ importance accordée à tout ce qui a trait à la situation insulaire et notamment à la pêche, tant pour ce qui relève des droits seigneuriaux que du ravitaillement ou de la décence monastique. Ainsi les statuts de 1441 soumettent-ils à l’ autorisation de l’ abbé la possibilité des moines de se baigner dans la mer pour pêcher ou nager117 !

3. UNE ÎLE ASSIÉGÉE PAR LES

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