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De la collation des prieurs à la gestion des prieurés

La désignation des prieurs est du ressort de l’ abbé. On peut penser qu’ au début, ces décisions se font à l’ occasion du chapitre, de façon orale. À partir du milieu du xiiie siècle pour le moins, le recours à

l’ écrit est attesté. Un parchemin de 1258 conserve ainsi la copie d’ une lettre de collation de l’ abbé Bernard concernant Saint-Pierre de Roumoules65.

Quelques années plus tard, la lettre de collation comporte plus d’ éléments, et notamment le nom du prieur précédent et les motifs d’ une nouvelle collation (décès, résignation ou mutation). Ainsi l’ abbé de Lérins, avec l’ accord du chapitre, nomme le 20 avril 1285 Hugues Penne prieur de Saint- Pierre d’ Albiosc, église vacante depuis la mort de Raymond Guilhem. Sa lettre de collation est adressée à l’ évêque de Riez66. Quand l’ abbé est

absent, la collation a lieu à l’ occasion d’ un chapitre. Tel est le cas en 1400 dans des circonstances exceptionnelles (fig. 9). Pour nommer le nouveau prieur de Sainte-Marie de Verx (territoire de Sospel), les moines se réunissent le 21 mai 1400 dans la forteresse de Cannes67. En effet, la tour

fortifiée où se concentre la vie monastique depuis la fin du xive  siècle a été prise par des pirates

génois, qui la détiennent encore. Mais on prépare la contre-attaque : trois nobles de Provence figurent parmi les témoins du chapitre, avant de participer à la reprise de la tour sous la direction du sénéchal de Provence. Même hors de ce cas particulier, la mention du chapitre est fréquente, car le prieur claustral le réunit quand il remplace l’ abbé. Ainsi

le 3 mai 1502, le prieur claustral et treize moines se réunissent en chapitre dans la chapelle Sainte- Croix de la tour et désignent le nouveau prieur de Roumoules, qui doit être nommé du fait de la mort de son prédécesseur68.

L’ étape suivante est la reconnaissance du nouveau prieur par l’ évêque dont dépend le prieuré. Cela se traduit par une lettre épiscopale qui confirme la collation abbatiale et le crée effectivement prieur. Dans l’ exemple cité précédemment, l’ évêque de Riez Mathieu institue Hugues Penne, recteur de l’ église Saint-Pierre d’ Albiosc et lui confère son administration spirituelle dès le 25 avril 1285, alors que la collation monastique date du 20 avril69.

Il arrive cependant que le délai soit beaucoup plus long. Après la résignation de frère Tarion, l’ abbé de Lérins nomme Rostaing de Cornet prieur de Saint-Antoine de Gênes le 29 novembre 1306 ; mais ce n’ est que le 26 octobre 1310 que l’ archevêque de Gênes l’ investit de sa charge70.

La prise de possession (immissio possessionis) du prieuré peut alors avoir lieu. Elle se fait avec des gestes rituels. Le nouveau prieur ouvre et ferme avec les clefs les portes de l’ église ; il y entre, baise l’ autel, le fait couvrir et découvrir ; puis, il entre dans les bâtiments claustraux et ses annexes71.

Normalement, un inventaire du prieuré est dressé juste après cette prise de possession. Il mentionne le mobilier liturgique (livres, nappes d’ autel,

calices, candélabres, reliquaires…) ainsi que les biens immobiliers (maisons, terres, vignes, prés, jardins…) et les cens perçus par le prieur. Dans les faits, ces inventaires sont d’ une longueur assez variable ; ils peuvent être synthétiques en ce qui concerne les terres72 ou à l’ inverse énumérer toutes

les possessions73.

Ces inventaires sont de précieux documents de gestion, mais ne suffisent pas aux prieurs. Le plus souvent ceux-ci exigent que leurs paysans

Fig. 9

Collation de Sainte-Marie de Verx en faveur de dom Jean Conte, 21 mai 1400. Arch. dép. Alpes-Maritimes, H 989.

qu’ ils tiennent du prieuré. Cela peut avoir lieu de façon individuelle et prendre la forme d’ un acte notarié sur parchemin. Le 26 février 1328, les frères Hugues et Jacques Girard, de Grasse, reconnaissent tenir en emphytéose de frère Jacques Bossier, prieur de Saint-Honorat de Grasse et du procureur du monastère, une maison située au Puy de la Foux, moyennant le cens annuel de 2  deniers coronats à verser à Noël74. Une autre solution est de faire un

prieur de Puget-Théniers les fait consigner sur un rouleau de parchemin75 (fig.  10).

En 1450, Jacques Sénéquier, prieur de Callian, préfère faire compiler un registre papier : entre le 15 mars et le 12 mai 1450, trente-neuf villageois lui font reconnaissance en présence du notaire Jacques Honorat, de Fayence76.

En décembre 1637, on procède au dénombrement des biens dépendant de Saint-Martin et Saint-Saturnin de La Rochette, situé dans le Val de Chanan et appartenant au monastère de Saint-Honorat de Lérins. Consignés sur quatre pages de papier, les biens sont modestes. Le dénombrement indique la localisation du bien et sa contenance. Parfois la qualité est mentionnée (« terre inculte quy ne porte aulcungz bledz ny fruictz, fortz quelques chastagniers »). La perception de la dîme au quartier de Saint- Saturnin figure dans l’ acte. Le dénombrement est réalisé par les syndics de La Rochette, fermiers des biens, et consigné par un notaire77.

Au Moyen Âge comme à l’ époque moderne, le notaire tient en permanence une place centrale dans « la construction et la transmission d’ une mémoire du territoire78 ».

La gestion du patrimoine foncier du prieuré se traduit par plusieurs types d’ actes juridiques. Les plus ordinaires sont les baux à accapte, c’ est-à-dire les concessions en emphytéose qui permettent de tirer un cens des maisons ou des terres. Plus rarement, les baux donnent lieu à l’ établissement de documents figuratifs. Ainsi dans le cadre d’ un contentieux ouvert en 1623 contre des emphytéotes récalcitrants, le monastère fait figurer sur un plan les onze parcelles relevant du prieuré de Saint-Maymes du Revest avec la mention des censitaires et du montant des redevances qu’ ils doivent. L’ ensemble de ces terres est soumis à deux patacs de cens à la Saint- Michel, au treizain en cas de vente, ainsi qu’ au droit de tasque prélevé sur le vin et les figues à raison du 1/20e, sur l’ huile, le safran, le blé et les

légumes à raison du 1/12e (fig. 11).

Fig. 10

Reconnaissances foncières du prieuré de Puget-Théniers. Rouleau de parchemin de 1346. Arch. dép. des Alpes- Maritimes, H 445.

Le patrimoine monastique n’ est pas immunable. On peut l’ augmenter par des achats. C’ est ce que font par exemple les prieurs de Briançonnet au xive  siècle dans les environs de l’ église Saint-

Saturnin79. À l’ inverse, des terres peuvent être

cédées ou échangées par le prieur, mais ces décisions doivent être confirmées par le monastère. On voit d’ ailleurs le chapitre intervenir en 1318 pour autoriser simplement des baux en accapte concernant le prieuré de Callian80.

Fig. 11

Plan des terres du prieuré de Saint-Maymes du Revest portant mention des redevances dues par les emphytéotes, 1677. Arch. dép. Alpes-Maritimes, H 684.

Certaines charges pèsent sur les prieurs. Il s’ agit notamment de leurs contributions aux travaux de fortification qui se généralisent à la fin du Moyen Âge. En dépit d’ une législation pontificale qui encourage les clercs à payer leur part, les litiges sont nombreux sur cette question. Ainsi Jean de

Castello, prieur de Saint-Étienne de Bargemon,

s’ oppose aux habitants avant d’ accepter, le 2 janvier 1422, de payer 22 florins pour la réparation des remparts et 3 florins pour les frais de procès81. En 1428, ce même prieur obtient

une quittance de la part de la communauté villageoise pour sa contribution aux réparations des « ornements » de l’ église82.

Couramment, les prieurs cherchent à se dispenser de toutes les tâches administratives liées à la

ce faire, la solution, bien attestée dès le xive siècle,

est d’ affermer le prieuré, ou du moins une partie de ses revenus, à des laïcs. Le prieuré de Valbonne est par exemple affermé en 1419 pendant trois ans pour le prix de 120  florins  ; l’ arrentement qui concerne les années 1441-1444 est nettement plus élevé : 480 florins, soit 160 florins par an83.

À titre de comparaison, en octobre 1448, l’ affermage en bloc des droits seigneuriaux et de la dîme de Cannes est concédé à un marchand de Nice contre 425 florins par an84. De tels contrats

d’ arrentement sont extrêmement fréquents au sein des institutions ecclésiastiques85 et perdurent

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