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L’ administration des églises : enjeux juridictionnels et financiers

En règle générale, un prieur est en charge de plusieurs églises. Cela remonte souvent aux donations faites au monastère qui concernent un groupe d’ églises. À cela s’ ajoutent les choix de regroupement des prieurés effectués pour soutenir le train de vie des moines. En 1305, Notre- Dame de Clars est ainsi unie à Notre-Dame de Gratemoine, dans le territoire de Séranon97.

Saint-Honorat de Grasse reçoit en 1344 les chapelles rurales, sans cure des âmes, de Saint- Pierre d’ Aspres (Roquefort) et de Saint-Florent de Canaux (Andon), ainsi que le prieuré Saint- Pierre de Sartoux, avec la cure des âmes98. Les

prieurs perçoivent les dîmes de ces diverses églises, et doivent assurer un service liturgique qui varie selon le statut de l’ église. Tantôt l’ église lérinienne est l’ église paroissiale comme à La Napoule, Puget- Théniers, Angles ou Vergons, tantôt il s’ agit d’ une église secondaire comme Saint-Honorat dans la ville de Grasse, tantôt d’ une simple chapelle rurale avec une liturgie intermittente.

Cette hiérarchie des églises peut donner lieu à des litiges, notamment entre le monastère de Lérins et les évêques locaux. Ainsi, à la fin du xiie  siècle, les évêques d’ Antibes cherchent à

diminuer l’ influence à Grasse du prieuré Saint- Honorat. Il y a des violences condamnées par

réglemente la liturgie de cette église afin qu’ elle ne concurrence pas l’ église paroissiale. Les moines ne sont pas autorisés à faire de processions sans la permission de l’ évêque, ni à sonner les cloches avant l’ église paroissiale ; ils doivent reverser un tiers des oblations reçues lors des grandes fêtes religieuses et ne pas accueillir d’ excommuniés99.

La dîme est aussi au centre de plusieurs types de conflits. Le prieur peut entrer en contentieux avec d’ autres pouvoirs au sujet de sa perception. C’ est le cas à La Napoule : le prieur lérinien affronte le prévôt du chapitre de Grasse, coseigneur d’ une partie du territoire et qui renâcle à y payer la dîme. Une transaction de 1338 tranche le litige100.

À Callian, le prieur s’ oppose aux habitants avant qu’ un arbitrage de 1299 ne clarifie le montant de la dîme  : elle était du 1/13e pour le blé, du

1/18e pour le raisin, du 1/15e pour les nadons

(agneaux et chevreaux) et du 1/10e pour le

chanvre mâle, sans compter des prélèvements en porcelets et poulets101.

Ces litiges perdurent à l’ époque moderne, notam- ment avec les évêques. Au printemps et à l’ été 1617, le monastère de Lérins interjette appel comme d’ abus au Parlement de Provence pour se soustraire à la volonté de l’ évêque de Grasse

payer les frais de sa visite. Si ces dîmes ont été arrentées, la recette n’ est pas indifférente pour le monastère de l’ abbaye. Au xviie siècle, le rapport

annuel des dîmes de Sartoux s’ élève à 450 livres environ102. Or, au milieu du xviiie siècle, les dîmes

constituent 28  % des revenus du monastère et celles de ce prieuré représentent 12 % des dîmes perçues au profit de la mense conventuelle103.

Plus généralement les visites pastorales des évêques de Grasse heurtent ponctuellement la susceptibilité des moines, selon la nature des relations du moment entre le monastère et l’ évêché,  comme en témoigne la venue de Louis de Bernage, évêque de Grasse, au prieuré de Vallauris ou à celui de Valbonne en juillet 1659104. De fait, l’ abbé de

Lérins peut assumer lui-même la visite pastorale. En septembre 1646, l’ abbé Louis de Maynier visite des églises lériniennes du diocèse de Glandèves : Notre-Dame des Ferres, Saint-Jean-Baptiste de Rosquestéron, Saint-Martin et Saint-Saturnin de La Rochette dans le Val de Chanan. Un notaire consigne la visite. Les questions financières ou institutionnelles sont souvent absentes, mais l’ affermage des dîmes a un écho immédiat. À l’ égal d’ une visite pastorale, l’ abbé contrôle les effets liturgiques. Pourtant, les consuls des communautés traversées sont convoqués et doivent répondre des objets du culte. Le cérémonial est récurrent : l’ abbé s’ agenouille devant l’ autel en entrant dans l’ église ou la chapelle  ; il prononce une prière. Dans la chapelle Saint-Martin de La Rochette, si l’ abbé se félicite que les murs intérieurs et extérieurs ont été blanchis, il constate l’ absence d’ un retable et s’ en inquiète auprès d’ un syndic. Celui-ci a commandé un tableau de saint Martin à un peintre de Draguignan, Martini. Pourtant à la chapelle Notre-Dame des Ferres, les échanges entre l’ abbé de Lérins et les consuls des Ferres, fermiers des dîmes de la chapelle, portent sur les terres et la valeur des dîmes105.

La dimension religieuse des conflits se retrouve néanmoins dans plusieurs cas. En 1468, les habitants de Saorge sont particulièrement mécontents de la gestion du prieuré lérinien. Le

prieur Honorat Saurin est trop souvent absent, ce qui complique les obsèques dans l’ église comme ils en ont coutume. L’ église Notre-Dame-de-Poggio souffre de cette absence ; de l’ eau coule de la voûte lors des pluies, la cloche est fendue, le clocher commence à se détériorer. Quant au prieuré, il est en ruine et une partie est convertie en étable106.

De tels cas de prieurs peu investis de leur charge doivent se retrouver de temps à autre. Jacques Arnaud, prieur du Mousteiret dans les années 1370, est accusé d’ avoir précipité la ruine de son prieuré, en vendant les portes et la chaîne qui les fermaient. Il est par ailleurs excommunié pour dette fiscale et poursuivi pour des violences107.

Le riche prieuré de Valbonne produit au début du xviie  siècle un revenu annuel de plus de

1 000 écus selon les syndics de la communauté des habitants. Aussi exigent-ils dès le xvie siècle

que l’ économe du monastère de Lérins assume le service divin dans l’ église paroissiale, comme il a été condamné à le faire par trois sentences entre 1582 et 1588. À tout le moins, la communauté des habitants demande que le monastère finance le service et le logement d’ un prêtre secondaire. Or, le monastère n’ est que seigneur temporel de Valbonne et interjette régulièrement appel pour ne pas assumer une charge dont il n’ est pas redevable. Lors de la visite pastorale de Scipion de Villeneuve, évêque de Grasse, en mai 1634, dom Louis de Maynier, économe de l’ abbaye de Lérins, proteste de son droit : s’ il est prêt à établir un curé secondaire palliant l’ absence d’ un moine de l’ abbaye, qui célébrerait la messe trois fois par semaine, la communauté des habitants assumerait les réparations de l’ église et la pourvoirait en habits et ornements sacerdotaux. Invoquant la nécessité d’ obtenir l’ accord de son chapitre, l’ économe diffère encore la réponse. L’ affaire s’ enlise. L’ abbaye de Lérins cherche tous les moyens pour ne pas s’ acquitter du salaire du prêtre secondaire de Valbonne jusqu’ à être condamné à s’ exécuter en 1666108.

L

a bulle de 1259 qui confirme les biens du monastère explicite que Lérins ne contrôle pas seulement des églises, mais aussi des villages (castra). Cela signifie qu’ en plus des droits fonciers qu’ elle exerce sur les terres attachées aux églises, elle détient des droits de nature seigneuriale, et notamment des droits de justice, dans un certain

1.3. UNE PUISSANCE SEIGNEURIALE

nombre de localités. Cela concerne en premier lieu la bande côtière en face des îles de Lérins pour laquelle les moines parviennent à s’ imposer comme les uniques seigneurs, vassaux des comtes de Provence. Il y a ensuite les villages où les prieurs sont également seigneurs, ou plutôt coseigneurs. Ce pouvoir sur les hommes est remarquablement durable.

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