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Lérins au temps des souverains de la première maison d’ Anjou (1246-1382) et des papes d’ Avignon (1309-1378)

Durant le règne de Charles d’ Anjou, frère de Louis IX de France, devenu comte de Provence par mariage, et roi de Sicile par conquête, il ne semble pas y avoir eu de privilèges en faveur de Lérins. Mais il ne fait pas de doute que le souverain tient compte des privilèges accordés par ses prédécesseurs. En juillet 1273, il ordonne au sénéchal de Provence de faire respecter la juridiction temporelle de l’ abbaye sur Cannes, alors que des officiers de Grasse y ont acheté une maison sans autorisation du monastère215.

Bientôt le zèle de l’ administration comtale représente une menace plus prégnante que les

Charles  II réside beaucoup plus souvent en Provence que son père. En mai 1292, de Brignoles, le prince confirme les actes de ses prédécesseurs concernant l’ espace seigneurial de l’ abbaye216. Le 7 juin suivant, Pierre, abbé de

Lérins, associe le comte, son épouse et ses enfants, aux prières des moines ; il s’ engage à prier pour eux à chaque messe conventuelle et à consacrer un office particulier après la mort du comte. Le parchemin est validé par le sceau de l’ abbé et le sceau du monastère217. Ce lien particulier entre

le souverain et le monastère explique peut-être la concession de 1298 : le comte innove en précisant

Fig. 16

Concession par Alphonse Ier d’ Aragon de l’ albergue (hospicium) de Mougins à l’ abbaye de Lérins. Charte originale de

Saint-Honorat et Sainte-Marguerite et sur la mer entre les îles et le littoral cannois. Il retient toutefois le naufrage sur les navires de plus de seize rames218. Au temps de Robert (1309-1343)

en revanche, le monastère de Lérins ne paraît pas avoir été spécialement dans les faveurs du roi. Celui-ci se contente en 1341 de confirmer l’ acte de 1298219. Le roi n’ a pas de dévotion spéciale

pour Lérins, absent de son testament, alors que les cathédrales et tous les couvents mendiants de Provence bénéficient de fondations pieuses220.

L’ installation de la papauté à Avignon crée une nouvelle situation pour le monastère. À la mort d’ un abbé, les moines n’ élisent plus seuls son successeur. Leur choix doit être confirmé par le pape. Ainsi Hugues Caroli, ancien prieur de Moustiers, est élu abbé par les moines. Il se rend à la cour du pape Clément V et y décède prématurément. Le monastère de Lérins est dès lors soumis à la réserve pontificale : Clément V nomme en juillet 1313 Nicolas, ancien prieur de Salettes (diocèse de Riez), comme abbé de Lérins221. Le choix du pape est désormais

prépondérant  : l’ élection par les moines peut tout simplement être cassée. C’ est le cas à la mort de l’ abbé Rostaing quand les moines élisent Raymond Clari  : leur choix est annulé, car contraire au droit de réserve apostolique, et Jean XXII crée Géraud de Suse abbé de Lérins par une bulle du 20 mai 1332222. Les papes

disposent des charges abbatiales comme des sièges épiscopaux. L’ abbé de Lérins Elzéar est transféré sur le siège épiscopal de Glandèves en janvier 1366. Il est remplacé le même jour par Jean de Tournefort, abbé de Saint-Pons de Nice223.

La gestion des prieurés échappe aussi, en partie, à l’ abbé et au chapitre des moines. Certains prieurs sont désignés directement par le pape. En avril 1317, une bulle de Jean  XXII nomme ainsi le moine Mathieu de Roumoules prieur de Saint- Pierre d’ Albiosc. À sa mort, en 1338, Benoît XII choisit le moine Audebert de Troins pour lui succéder224. Les collations pontificales s’ imposent

pour certains prieurés, comme celui de Moustiers

qui est confié à des cardinaux à partir de 1313 : ce sont Raymond Pierre de 1313 à 1317, Arnaud de Via de 1317 à 1335, Pierre des Prés de 1336 à 1361225. Innocent VI nomme ensuite, en novembre

1362, un moine de Moissac, Astorg de Cayrac, qui reste en place jusqu’ en 1368, date à laquelle il est remplacé par son parent Hugues de Cayrac226

(1368 à 1371). Puis les cardinaux Raymond de Canillac (1371-1373) et Bertrand Lagier (1373- 1392) se succèdent227. Il arrive aussi que des

moines soient transférés d’ un monastère à un autre. En octobre 1371, Raymond Alfand, moine de Lérins, est désigné prieur de Saint-Pierre de Simiane (dépendant de l’ abbaye Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon). Il libère ainsi le prieuré Saint-Honorat de Clumanc, qui est conféré à Guillaume Rovat, lequel passe à l’ inverse du monastère de Saint-André à celui de Lérins228

Les papes ont en fait toute latitude pour gérer les bénéfices monastiques, sans tenir compte des droits de collation ordinaire. Ils peuvent faire des carrières monastiques selon leur bon vouloir. En 1363, Raymond Chabaud, bachelier en décret, prêtre et étudiant en théologie, dispose du prieuré lérinien de Saint-Jean de Roquestéron. Urbain V le transfère au prieuré de Carluc, une dépendance de Montmajour. En décembre 1371, il reçoit le prieuré de Saint-Michel de Cluse, dans le diocèse de Turin229. Pons de Nayme est pour sa part

moine de Saint-Victor et étudiant en droit canon à Montpellier depuis quatre ans, quand en 1372, Grégoire  XI le nomme prieur de Notre-Dame de Spéluque230 (Ampus).

Avec Urbain V, l’ emprise de la papauté prend une nouvelle ampleur. Le pape place en effet en juillet 1366 Lérins, ainsi que d’ autres monastères, sous la tutelle de l’ abbaye Saint-Victor de Marseille, dont il a été abbé. L’ abbaye de Lérins est soustraite à son ordinaire, l’ évêque de Grasse, et placée sous l’ entière juridiction de Saint-Victor, dont elle doit suivre les coutumes231. Le pape désigne les prévôts

de Nîmes et de Maguelone ainsi que l’ official de Marseille pour appliquer cette mesure232.

L’ abbé de Lérins Jean de Tournefort se plaint aussitôt auprès d’ Urbain  V en arguant du fait

que le monastère de Lérins dépend directement du pape et non de l’ évêque de Grasse. Cela n’ empêche pas le prévôt de Nîmes de promulguer des excommunications et des interdits contre les moines, avant que le changement de pontife ne soulage Lérins. En 1372, Grégoire XI approuve les décisions déjà prises en faveur de Lérins par le cardinal Pierre de Bagnac (mort en octobre 1369) et annule la bulle de 1366233. Quand il se

rend en Italie en 1376, il fait une halte à Saint- Honorat où il est chaleureusement accueilli. En remerciement, dès qu’ il rejoint Villefranche, le 9 octobre, il donne une nouvelle bulle pour confirmer l’ indépendance du monastère vis-à-vis de Saint-Victor : il est soumis au Saint-Siège et exempt de la juridiction de l’ évêque de Grasse et de l’ archevêque d’ Embrun234.

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