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L’ abbaye de Lérins au temps des cardinaux-ministres (1614-1661)

Le primat donné aux considérations diplo- matiques et à la consolidation de l’ autorité royale dictent les décisions prises par les cardinaux Richelieu puis Mazarin à l’ égard de l’ abbaye. Comme suite aux lettres patentes de 1597, l’ exigence du roi de France que l’ abbé soit de nationalité française n’ est pas absolue : en 1603 et 1608, deux étrangers sont élus abbés de Lérins, sans que le roi de France ne s’ y oppose. En 1614, le candidat élu par la congrégation du Mont- Cassin se heurte à l’ opposition d’ un parti de moines. Les lettres patentes du 18 février 1614 retirent à la congrégation le droit d’ élire l’ abbé et le remettent aux religieux de l’ abbaye. Ces lettres Cependant, les religieux procéduriers bénéficient des conditions fixées par la papauté à Henri IV qui, ayant abjuré en 1593, cherche à obtenir l’ absolution pontificale pour désarmer les derniers ligueurs. En 1595, l’ excommunication est levée, le roi s’ étant engagé, entre autres contreparties, à construire quatre monastères. Il est finalement dispensé, suite aux démarches du cardinal d’ Ossat, d’ en édifier un, s’ il rétablit l’ union à la congrégation de Sainte-Justine301. Le nouveau commendataire

doit abandonner ses droits moyennant une pension annuelle. Les lettres patentes du 4 décembre 1597 consacrent l’ union de l’ abbaye à la congrégation de Sainte-Justine et mettent fin à la commende302. Après quatre-vingts ans de

lutte, les religieux ont obtenu ce que ni François Ier

ni ses successeurs n’ ont voulu leur concéder : la sanction royale à la suppression de la commende souhaitée par Grimaldi et approuvée par le pape en 1515. La vigilance pérenne vis-à-vis des portes de la Provence, récemment occupées, conduit le roi de France à imposer que l’ abbé élu par le chapitre général soit français. La protection de la

frontière est a priori assurée, mais l’ abandon par le monarque d’ un système qui conforte l’ alliance entre le roi et la noblesse ne va pas de soi. Le passif est lourd : la politique d’ Henri III qui concentrait les honneurs et charges aux mains de favoris a engendré le mécontentement nobiliaire et a nourri le parti des Ligueurs comme les courants plus modérés opposés au roi. Le moment d’ affaiblissement du pouvoir monarchique que représente une régence milite également pour le maintien du système commendataire. Si Louis XIII ne revient pas tout d’ abord sur les mesures de son défunt père303, au décès de l’ abbé

régulier élu par le chapitre général, dom César Barcillon, il accorde au prince de Joinville la charge vacante en 1611304. Mais les lettres de

confirmation obtenues d’ Henri IV ont donné aux religieux le fondement juridique nécessaire à la défense de l’ union. Les lettres d’ économat accordées au prince de Joinville sont révoquées par arrêt du Conseil d’ État, le 6 juin 1612305.

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des religieux restés fidèles à la congrégation du Mont-Cassin  : celle-ci recouvre son droit d’ élection, mais désormais les officiers ou novices ne peuvent être que français306. L’ arrivée au

pouvoir de Richelieu met fin aux atermoiements de la politique monarchique. Les menaces militaires à l’ heure de la guerre de Trente Ans nécessitent de prendre des mesures fortes. Pour contrebalancer l’ influence des Habsbourg en Europe et briser l’ encerclement qui le menace, le roi de France s’ allie aux protestants. Les Espagnols, considérant la position importante de l’ île de Lérins en Méditerranée et la possibilité d’ attaquer les côtes de Provence depuis cette base, s’ emparent en septembre 1635 des îles

Fig. 21

Le Cardinal Mazarin, Philippe de Champaigne, vers 1635. Huile sur toile, 205 × 144 cm. Chantilly, Musée Condé, PE 309.

reprises par les troupes royales françaises en mai 1637307. Accusés d’ avoir favorisé les manœuvres

de l’ ennemi, les moines étrangers sont expulsés sans ménagement de l’ abbaye et la commende est rétablie en mars 1638.

Dès 1632, Richelieu est informé de désordres dans le monastère et d’ une prétendue préférence des religieux pour l’ Italie et non pour le royaume de France308. Louis XIII prononce la désunion de

l’ abbaye de Lérins et de la congrégation du Mont- Cassin. Par lettres patentes du 17 mars 1638, le monastère de Lérins est uni à la congrégation de Saint-Maur. Dans l’ évêché de Grasse, c’ est Antoine Godeau, l’ évêque récemment installé,

qui officie aux côtés de l’ intendant de justice de Provence  : ils sont chargés d’ expulser les uns, d’ établir les autres309. Un procès-verbal de

mise en possession de l’ abbaye aux moines de la congrégation de Saint-Maur et de Cluny est dressé le 24 juillet 1634. Si l’ on sait l’ affection portée par le cardinal de Richelieu aux religieux de la congrégation de Saint-Maur, tant pour raison de réforme que de travail intellectuel, unir l’ abbaye de Lérins à cette congrégation, c’ est conforter l’ organisation de l’ Église au profit de l’ État310.

La vigilance du cardinal-ministre pour l’ abbaye de Lérins s’ accroît avec Mazarin (fig. 21).

En quatre ans, les protagonistes disparaissent : en septembre 1639, le cardinal de La Valette, abbé commendataire de Lérins, en 1642, le cardinal de Richelieu et l’ année suivante le roi Louis XIII. La désunion d’ avec les Cassiniens voulue par le roi Louis XIII est contredite par un bref apostolique du pape Urbain VIII du 16 mai 1643 : le pape n’ a jamais permis la désunion de l’ abbaye et de la congrégation du Mont-Cassin, pas plus que son union à la congrégation de Saint-Maur. Au reste, les Cassiniens obtiennent un bref pontifical au printemps 1643 octroyant aux seuls Mauristes le droit de réformer les monastères bénédictins en France. De 1643 à 1645, chaque camp défend ses positions jusqu’ à un accord conclu le 7 août 1645 pour le retour des Cassiniens. Pourtant, aux yeux de l’ évêque de Grasse Godeau, acteur de l’ éviction des Cassiniens en 1638, non seulement les Mauristes vivent saintement et sont sur le point de rétablir la piété originelle de l’ abbaye, mais encore leur maintien sur l’ île offre une sécurité appréciable pour le pouvoir royal311. Godeau

n’ a pas soupçonné le changement de stratégie royale et son ralliement au choix pontifical : les Cassiniens se sont assuré le concours du cardinal Barberini à Rome. Mazarin a été au service de ce dernier. Il fait peu de doute que le cardinal ait favorisé le retour des Cassiniens à Saint- Honorat de Lérins312. Le pape Alexandre VII

approuve par bulle en 1655 la transaction entre le cardinal Jules Mazarin et le procureur de la congrégation du Mont-Cassin réunissant l’ abbaye à la congrégation moyennant une pension viagère de 9  000  livres en faveur du cardinal313. Par lettres patentes de Louis XIV,

l’ abbaye de Lérins est de nouveau unie à la congrégation du Mont-Cassin en septembre 1645. Le 9 août 1645, un accord intervient entre les congrégations du Mont-Cassin et de Saint-Maur : contre le paiement de 3 500 livres, les derniers abandonnent tout droit et toute revendication de propriété aux moines de Lérins. Cette transaction contraint l’ abbaye à emprunter 1  200  livres314. Olivier Poncet

constate que systématiquement au xviie siècle,

les arguments de politique étrangère sont plus forts que la nécessité de réforme315.

Mazarin est au nombre des plus célèbres abbés commendataires de Lérins. Nommé par le roi, il est mis en possession de l’ abbaye le 12 mars 1654 par le truchement du commissaire de la marine, procureur de Simon Mariage, économe des abbayes de Saint-Denis et de Saint-Honorat de Lérins pour le compte du cardinal316. Un peu

plus tôt, le 28 février 1654, le même commissaire a été mis en possession de la seigneurie de Mougins317. L’ attention de Mazarin à l’ égard

de son abbaye semble peu soutenue. Son souci pour la réforme est léger. En juin 1658, l’ évêque de Grasse Louis de Bernage fait une visite pastorale de l’ église paroissiale de Cannes qui dépend de l’ abbaye de Lérins. Sa visite suit celle qu’ il a faite en 1655. Lors de celle-ci, il se plaint au cardinal Mazarin que le ciboire est trop petit. Mazarin s’ engage à le remplacer. Or, trois ans plus tard, rien n’ a été fait. Bernage menace d’ excommunier les agents du cardinal. Pourtant, en octobre 1659, l’ affaire n’ a pas avancé. En septembre 1660, l’ évêque constate que l’ église manque d’ ornements et ordonne aux fermiers de Mazarin d’ en fournir. Les injonctions épiscopales à l’ égard des agents de Mazarin pour l’ église du Cannet de 1655 à 1659 restent lettre morte. C’ est à propos des ornements de l’ église de Mougins que l’ exaspération de Louis de Bernage est à son comble à l’ encontre de Mazarin. Cette fois-ci, c’ est le cardinal lui-même qui est visé. Cependant, Bernage, désabusé, constate en septembre 1660 que ses menaces n’ ont rien produit : le cardinal, abbé de Lérins, n’ a pourvu l’ église ni d’ un dais, ni d’ un calice en argent, ni d’ une platine d’ argent, ni d’ un missel, ni de nappes, ni de purificatoires, ni de corporaux, ni de devants d’ autel, ni d’ un tabernacle décent, « estant bien honteux que tout son palais soit rempli de tapisseries rehaussées d’ or, ses chambres dorées, qu’ il couche dans de litz de velours a crespin d’ or, et que le Fils de Dieu

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