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Lérins et la seconde maison d’ Anjou

Durant la guerre civile de Provence, le haut clergé choisit en général le camp de Louis Ier d’ Anjou,

frère du roi de France Charles V. Cela se vérifie pour Lérins. Son administrateur est Jean de Tournefort, qui est en même temps évêque de Nice. Or, alors que sa ville est farouchement partisane de Charles de Duras, il fait hommage à Louis II d’ Anjou le 7  décembre 1386249.

On peut donc déduire que le monastère de Lérins fait partie du camp angevin à cette époque.

En 1399, le nouvel abbé Rostaing Monge fait hommage au comte, à Arles, sa ville natale250.

L’ année suivante, la prise de la tour de Lérins par des pirates génois est un événement important à l’ échelle de la Provence251. Pour la reprendre,

le sénéchal Georges de Marlioz peut compter sur une forte mobilisation de la noblesse locale. Il confie ensuite la tour, ainsi que Cannes et Mougins, à Antoine de Villeneuve, seigneur de Flayosc, dont il est le débiteur. Pour annuler cette Les cardinaux des deux obédiences se rapprochent alors pour convoquer un concile. Alexandre V, élu lors de ce concile tenu à Pise (le 26 juin 1409), désigne le 6 septembre 1409 un nouvel abbé en la personne du cardinal Pedro Fernandez de Frias, cardinal créé par Clément VII en 1394. On ne sait dans quelle mesure le cardinal s’ intéresse à Lérins, mais la bulle de nomination est conservée246.

Dès l’ année suivante, Rostaing Monge apparaît de nouveau comme abbé247. Il le reste jusqu’ en

1420 et est remplacé par un abbé, Geoffroy de Montchoisi, nommé par le pape qui met fin au schisme, Martin V. Il s’ agit d’ un abbé originaire du Nord de la France, d’ une haute réputation intellectuelle. En 1437, il est nommé abbé de Saint- Germain-des-Prés. C’ est un abbé piémontais qui le remplace, Lodovico da Ponte, pour quelques années (1437-1440). Il est à son tour remplacé par l’ abbé du Thoronet dont la succession fut difficile. André de Plaisance devient abbé, mais doit affronter l’ opposition de Guillaume Vaissière. Ce conflit joue sans doute un rôle dans la décision du pape, en 1463, de confier l’ abbaye en commende à un puissant personnage. Isnard de Grasse présente un profil idéal pour assurer cette fonction. Il fait partie d’ une influente famille noble locale, celle des seigneurs de Bar (-sur-Loup). Il est de plus en lien avec la cour pontificale. Enfin, il est évêque de Grasse depuis 1451, et donc très expérimenté248.

décision, Rostaing Monge s’ adresse à Charles de Tarente, le frère de Louis II, qui gouverne la Provence à sa place. Il obtient de lui une lettre du 4 mars 1402 qui ordonne à Antoine de Villeneuve d’ en faire la restitution à Lérins. Cette lettre est présentée le 31 mai 1402 à Antoine de Villeneuve, dans la maison d’ Arles où habite Rostaing Monge, et il accepte de l’ appliquer252 (fig. 18).

Cependant dans les années suivantes, les comtes de Provence nomment des capitaines de la tour de Lérins. Les îles de Lérins sont devenues un enjeu militaire pour les comtes de Provence. Le roi René écrit ainsi en mars 1439 au gouverneur de la Tour, Simon Sigalesi, et au prieur du monastère pour leur demander de faire bonne garde et de ne laisser entrer personne dans la tour, même l’ abbé253.

Le roi René se distingue par un intérêt certain pour le monastère de Lérins. En 1437, il intervient alors que ses officiers de Grasse ont engagé des poursuites contre le baile de l’ abbaye à Cannes qui a employé la manière forte  : il leur interdit de mettre en cause les privilèges de l’ abbaye, qui remontent aux comtes catalans254.

Le roi René défend aussi un vieux privilège des moines : celui de prélever un setier sur chacune des barques qui transportent le sel aux greniers de la gabelle à Cannes. Mais ce privilège est battu en brèche par les gestionnaires de la gabelle qui utilisent des navires de plus en plus grands. En 1453, il est établi que les moines peuvent prélever vingt-cinq setiers de sel par an des greniers de Cannes, Grasse, Fréjus ou Hyères, au choix du monastère255. Un autre privilège fiscal est accordé

Fig. 18

Lettre du 4 mars 1402 de Charles de Tarente, frère du comte de Provence, ordonnant à Antoine de Villeneuve, seigneur de Flayosc, de restituer la tour de Lérins ainsi que les localités de Cannes et de Mougins, qui lui avaient été confiées par le sénéchal de Provence en 1400, après la récupération de la tour sur les pirates. Lettre insérée dans un acte notarié du 31 mai 1402 d’ Antoine Olivari, notaire d’ Arles. Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 405 E 26, fol. 11 ro.

à l’ abbaye en 1448 : le roi ordonne aux officiers de contraindre les débiteurs du monastère au paiement de leurs dettes, comme s’ il s’ agissait de dettes fiscales256.

Les privilèges comtaux et les lettres pontificales accumulés durant l’ époque médiévale constituent des documents précieux et importants pour le monastère. Au début du xvie siècle, les moines

présentent à la Cour des comptes d’ Aix-en- Provence les principaux privilèges pour les faire copier dans un cartulaire, qui est ensuite complété257. Quant aux bulles pontificales, elles

bénéficient d’ un inventaire spécial réalisé au xviie siècle258. Ces documents conservent toute

leur valeur juridique durant l’ Ancien Régime. GB

L

e rattachement du comté de Provence au royaume de France en 1481, après le décès de René d’ Anjou, place l’ abbaye de Lérins dans un environnement politique nouveau. Aux interventions ponctuelles des comtes de Provence et aux interférences romaines se substituent bientôt celles d’ un roi de France qui cherche à asseoir son autorité sur l’ Église du royaume au détriment du souverain pontife. De fait, l’ exigence réformatrice et les intérêts politico-financiers de la monarchie conduisent les Rois très chrétiens à intervenir à plusieurs reprises dans les affaires de l’ abbaye de Lérins. Le prestige de cette fondation antique demeure entier aux yeux de l’ État, tout particulièrement au xvie siècle, où la rhétorique gallicane vante les

origines apostoliques et antiques de l’ Église de France, le nombre et l’ excellence de ses saints259.

Les actes des Valois rappellent le caractère exceptionnel de ce couvent «  qui est l’ un des plus dévotieux de notre pays de Provence et où gît le glorieux corps dudit saint Honorat260 » et

cherchent à capter en faveur du souverain ce prestige symbolique. Aussi, c’ est naturellement que les rois se préoccupent de sa protection

2.2. LA POLITIQUE AMBIVALENTE DES ROIS

DE FRANCE À L’ ÉGARD DE LÉRINS

également par la richesse de l’ abbaye dont le roi entend tirer profit. En 1516, il obtient du pape la nomination aux bénéfices majeurs. La désignation des titulaires des abbayes devient dès lors un instrument pour récompenser les fidèles serviteurs de la monarchie sans amputer le Trésor royal.

Si ces enjeux ne sont pas propres à l’ abbaye de Lérins, sa spécificité géographique et historique rend indispensable un contrôle plus étroit de la monarchie sur la fondation. Située aux confins méridionaux du royaume depuis 1481, elle occupe une place stratégique dans le cadre des rivalités européennes, tout particulièrement de l’ affrontement franco-espagnol qui marque la majeure partie de l’ époque moderne. Ses possessions sont concentrées sur le littoral de la Provence orientale, dans une zone frontalière. Les éléments fortifiés de l’ île de Lérins en font, avec l’ île Sainte-Marguerite, un poste avancé sur la Méditerranée pour défendre le littoral cannois et le golfe Jouan. Mais l’ abbaye de Saint-Honorat se singularise également par la place qu’ elle tient au sein du monde monastique. En 1515, elle est unie à la congrégation religieuse italienne

à l’ égard d’ un chef d’ ordre étranger constitue une réalité institutionnelle incompatible avec la volonté permanente du monarque de contrôler les frontières et d’ affirmer son autorité sur le monde régulier au même titre que sur les autres corps et ordres du royaume. De cette situation

particulière résultent des conflits d’ intérêts opposant la communauté monastique au roi, conflits avec lesquels les ambitions des abbés commendataires, instruments du contrôle royal, interfèrent constamment.

L’ abbaye de Lérins face aux ambitions de François I

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