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Les aliénations ou la gestion raisonnable du patrimoine Si les aliénations ecclésiastiques sont interdites,

on peut y déroger avec de solides arguments. Les biens ecclésiastiques ont pour finalité l’ entretien et la restauration du bâtiment cultuel, l’ acquisition des objets nécessaires au culte, la subsistance des hommes d’ Église. L’ inaliénabilité des biens ecclésiastiques se fonde sur le droit canonique (interdiction de principe) et sur le droit séculier (l’ Église jouit de son droit sur le patrimoine dont elle dispose). L’ appel à la sauvegarde royale en cas de menace sur ces biens tend à confondre les prérogatives du protecteur et du propriétaire. À partir du xvie siècle, dans

le royaume de France, les biens ecclésiastiques sont inaliénables, sauf dans certains cas légitimes et moyennant le respect d’ une procédure stricte. Sur la procédure d’ aliénation, droits canonique et séculier convergent : une enquête de commodo et

incommodo doit justifier l’ intention d’ aliéner. La

communauté ensuite délibère ; l’ approbation de la hiérarchie religieuse, et tout particulièrement l’ autorisation pontificale, est requise. Toutefois, l’ article 28 des Libertés de l’ Église gallicane dispose que l’ aliénation ne peut être faite du seul consentement du pape. Les biens de moindre valeur – par exemple les baux emphytéotiques – peuvent être aliénés de droit et sans une telle contrainte procédurale, mais à partir de 1692, l’ inscription doit se faire au greffe des gens de mainmorte44.

L’ aliénation de l’ île Sainte-Marguerite présente un cas particulier de cession, où souci de rentabilité financière et intérêt politique sont étroitement mêlés. En droit canon, les causes légitimes d’ aliénation sont l’ utilité (où est l’ avantage de l’ Église  : la conservation ou l’ aliénation  ?), la nécessité (il n’ y a pas d’ alternative ; c’ est le motif le plus souvent invoqué), la piété (la protection des chrétiens), voire l’ utilité publique (primauté du bien public sur la sacralité des biens45). C’ est pour

la double raison d’ utilité, et potentiellement de piété, qu’ est engagée officiellement la procédure d’ aliénation de l’ île Sainte-Marguerite. Le 23 janvier 1612, les procureurs du monastère de Lérins et Claude de Lorraine, prince de Joinville, abbé commendataire de Lérins depuis 1611, concluent au châtelet de Paris l’ accord de remise de l’ île à ce dernier pour la mettre sous sa protection. Les motifs invoqués sont qu’ il ne peut y avoir aucun habitant pour deux raisons : «  Elle est exposée aux incursions des Turques et des pirates lesquelz se cachent sur aulcunes costes de ladite isle les plus couvertes pour surprendre ceulx qui passent aupres de ladite isle, les emmener et les rendre leurs esclaves » ; d’ autre part, «  faulte de cultiver le territoire d’ icelle, il est du tout vaste et la plupart rempli de broussailles et bestes venimeuses  ». L’ île de Sainte-Marguerite est d’ un rapport médiocre (300 écus). Du fait de cet environnement défavorable et contraignant, les religieux décident de céder ce site géographiquement stratégique à l’ abbé commendataire Charles de Lorraine, moyennant sa renonciation au titre abbatial46.

L’ île devient ainsi un précieux instrument de négociation permettant le retour de l’ abbaye sous la seule autorité des abbés réguliers élus par la congrégation de Sainte-Justine. Le chapitre de l’ abbaye approuve la disposition, se réservant les dîmes en cas d’ habitation et le service divin. La délibération capitulaire est transmise au général de l’ Ordre qui en décide avec les religieux de son abbaye. Le transfert est ensuite soumis au roi de France et les conclusions de l’ enquête qu’ il diligente sont déférées au général supérieur, qui fait prendre une nouvelle délibération par son chapitre permettant à l’ abbé et aux religieux de Lérins d’ aliéner l’ île de Sainte-Marguerite au prix de 300 écus. Le pape n’ est plus convoqué que pour approuver un transfert ficelé47.

Peu après son approbation (bref du 4  janvier 1617), Claude de Lorraine abandonne à son tour l’ île Sainte-Marguerite à son fils Charles de Lorraine, duc de Guise, prince de Joinville, pair de France, gouverneur et lieutenant général du roi en Provence et amiral des mers du Levant, le 6 juin 161848. Aussitôt, Charles de Lorraine cède

l’ île à bail à Jean de Bellon, écuyer de la ville de Brignoles, moyennant 4 500 livres d’ or, le paiement de la dîme aux moines de Lérins et le paiement d’ une somme due à la communauté de Cannes par le monastère lorsqu’ il avait acquis l’ île. Les actes du 6 juin 1618 sont passés à Paris. La somme due à la communauté de Cannes est arrêtée le 6 avril 1619 à la somme de 210 écus d’ or49. Au

cas particulier de Sainte-Marguerite, succèdent de nombreuses transactions passées par les moines dans une perspective plus nettement financière. L’ aliénation d’ une maison à Grasse, près de l’ église des Oratoriens, constitue à ce titre un bon exemple de l’ évolution de la gestion des biens. Faute d’ archives complètes, c’ est peut-être pour un motif de nécessité que l’ abbaye de Lérins cède en 1640 à la congrégation de l’ Oratoire son église Saint-Honorat à Grasse  ; la vente peu après d’ une maison mitoyenne relève, elle,

a priori de l’ utilité50. Par acte du 22 février 1640

passé en l’ abbaye de Saint-Germain à Paris, les religieux de l’ abbaye de Lérins ont «  délaissé, vuidé et désemparé aux reverantz peres de la congregration de l’ oratoire de Jesus establi en la ville de Grace en ce pays de Prouvance l’ eglize Saint Honnoré situee en ladite ville de Grace pour y faire le service divin ». II reste aux moines de Lérins «  une maison, batimans et ediffice ausquelz lesdits peres de la congregation de l’ oratoire auront déclairé n’ y rien pretendre  ». Cette maison est mitoyenne de l’ église des Oratoriens. Ils n’ en retirent que 40 à 45  livres de rente. Dom Antoine Espinasse, procureur du chapitre de Saint-Honorat de Lérins, vend à la congrégation de l’ Oratoire de Jésus installée à Grasse, la maison, le clos et son jardin le 15 octobre 1640. Six ans après l’ acquisition,

constatant l’ état de délabrement de l’ église et de la maison, les Oratoriens obtiennent l’ autorisation de les démolir pour construire une nouvelle église. Le transfert de l’ église et l’ acquisition de la maison permettent à l’ Oratoire de s’ implanter durablement à Grasse51.

À côté d’ opérations immobilières d’ envergure relativement modeste, le xviiie  siècle est

marqué par une aliénation capitale : celle de la principauté de Seborga. Bourg peu peuplé, au début du xviie siècle Seborga ne rapporte guère

au monastère. Pour les années 1600-1601, les revenus s’ élèvent seulement à 26 lires d’ amendes, 40  lires pour les pâturages, 110  lires pour les lods et treizains, 356  lires pour les céréales, légumes et vin, 167  lires pour l’ arrentement des terres. Des recettes qui de surcroît vont en diminuant  : uniquement 640  lires en 1632, alors que les dépenses représentent 1 386 lires52.

Profitant de l’ éloignement du souverain français, les moines s’ octroient le droit régalien de faire battre monnaie, à partir de l’ année 1666 pour augmenter les revenus de l’ abbaye53. Ils afferment

le droit de monnayage à Bernardin Baresto, de Mougins le 24 décembre 166654. Or, en 1686, un

arrêt du Conseil d’ État du roi de France annule le bail, la liberté dont le monastère se prévaut n’ étant pas du goût de Louis XIV55. Privé de cette

ressource, le fief – qui en 1697 rapporte tout juste 500 lires – n’ intéresse plus les moines qui songent à le vendre au duc de Savoie56. Mais à cause de

la guerre de Succession d’ Espagne, le projet est ajourné. En octobre 1723, l’ abbé de Ballon souhaite à nouveau se défaire de cette seigneurie éloignée. Le roi de Sardaigne présente une offre dès 1727, mais doit négocier longuement face aux prétentions génoises. La seigneurie, enclavée au sein de la République de Gênes et située à quelques kilomètres des côtes ligures, occupe en effet une situation stratégique. Les moines tirent parti des offres rivales et obtiennent, le 30 janvier 1729, la somme considérable de 165 500 livres de Victor Amédée pour la cession de Seborga57.

Investir pour l’ entretien des bâtiments, le culte et les hommes d’ Église

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