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Contrôler l’ abbaye (1531-1547) Par lettre de don du 1 er juin 1531, François I er

rompt la concession qu’ il a faite aux religieux274. Il

octroie au cardinal Louis de Bourbon-Vendôme, qu’ il convient de récompenser en ces temps de guerre275, la jouissance des revenus qu’ Augustin

Grimaldi percevait sur ses bénéfices provençaux, notamment les revenus provenant de l’ abbaye de Lérins, de l’ évêché de Grasse, et du prieuré de Briançonnet276. Le monarque entend ainsi

le dédommager de l’ abbaye de Saint-Amand, bénéfice dont il a pourvu le cardinal, mais que l’ empereur Charles Quint fait occuper et refuse de restituer, faisant fi des négociations de Cambrai277. Le cardinal de Bourbon est simple

usufruitier des revenus, Augustin Grimaldi demeure l’ abbé en titre. La décision du roi met fin à près de sept ans de perception des revenus abbatiaux par la communauté.

Suite au décès d’ Augustin Grimaldi, le 14 avril 1532, les religieux s’ opposent aux prélèvements de Louis de Bourbon et revendiquent l’ entière jouissance de la mense abbatiale. Un procès

s’ ouvre devant le Parlement de Provence entre les deux parties. L’ institution, fidèle exécutrice des volontés royales, met fin au séquestre et ordonne le 10 juillet 1532 aux religieux de restituer aux rentiers les fruits des bénéfices qu’ ils ont prélevés depuis le décès de l’ évêque de Grasse et les condamne à payer 250 florins de pension due au cardinal sur le prieuré de La Napoule278. Pour éteindre les contestations

et affirmer sa mainmise sur l’ abbaye, François Ier

désigne un nouvel abbé commendataire en la personne du cardinal Jean du Bellay, pourvu peu après d’ une bulle de provision papale. Pour les moines, c’ est remettre en cause les termes de la bulle d’ union ainsi que les lettres de la régente de 1525. Ils refusent de laisser Jean du Bellay jouir de la mense abbatiale et, le 27 avril 1533, ils procèdent à l’ élection d’ un abbé régulier279.

Les lettres patentes du 14 juillet 1533, qui enjoignent au Parlement et juges de Provence de mettre Jean du Bellay en possession de l’ abbaye de Lérins, confirment le revirement de la politique royale280. François Ier dénie aux

religieux l’ union de la mense abbatiale à la mense conventuelle accordée par sa mère Louise de Savoie281. Il n’ entend pas que soit contesté

son droit de nomination ni que Saint-Honorat constitue une exception. Ce différend révèle l’ incompatibilité de la réforme de Sainte-Justine avec les ambitions et la souveraineté royales. Dans cet acte de 1533, le roi invoque, pour la première fois, l’ argument de la sécurité du royaume : il est nécessaire de contrôler l’ abbaye en raison de sa situation stratégique et de son rattachement à un ordre étranger. L’ affirmation de l’ autorité royale sur le monde régulier, qui suppose l’ intégration des monastères à l’ Église gallicane et la nomination des abbés par le roi, constitue le second élément qui amène le roi à rompre sa position favorable. Ces deux aspects sont invoqués jusqu’ au xviiie siècle par le pouvoir

pour justifier la mainmise sur le monastère.

Fig. 20

Description des côtes, des îles et des ports de l’ océan Atlantique et de la mer Méditerranée. Portulan fait en l’ honneur de François Ier, début xvie siècle. Paris, Bibliothèque nationale

Désormais, l’ enjeu stratégique prime. De fait, dans la rivalité qui l’ oppose à Charles Quint, le Valois accumule les revers. Surtout le sacre de celui-là comme empereur du Saint Empire germanique à Rome par le pape en 1530 sanctionne définitivement l’ échec de François Ier,

qui a essayé pendant dix ans d’ empêcher cette consécration. Il confirme l’ encerclement du royaume par la puissance habsbourgeoise et met fin au rêve du Roi très chrétien d’ endosser les habits de chef temporel de la chrétienté et de diriger une Monarchie universelle282. Il ne peut

agir désormais que sur un périmètre restreint pour contrer la puissance de son rival  : limiter l’ expansion de l’ influence de l’ empereur en Italie et verrouiller le passage terrestre et maritime vers l’ Italie. Or, l’ évolution diplomatique locale et la maîtrise des frontières provençales, notamment des îles lériniennes, deviennent plus sensibles. L’ année 1531 marque le début de la dégradation des relations entre la maison de Savoie, restée neutre jusqu’ ici dans les affrontements qui opposent les deux puissances majeures du continent. Louise de Savoie décède cette même année283. Charles Quint offre le comté d’ Asti à

Béatrix de Portugal, sa belle-sœur, qui est l’ épouse du duc de Savoie Charles III. Pour François Ier,

ce don marque la fin de la neutralité de la Savoie et son ralliement à la cause impériale. Ce changement diplomatique donne l’ avantage à l’ Espagne et facilite la liaison avec ses possessions allemandes et italiennes (royaume de Naples). D’ où l’ évolution de la position de François Ier à l’ égard

de l’ abbaye de Lérins : la frontière provençale doit être mieux contrôlée, la puissance voisine – le comté de Nice du duc de Savoie – étant passée dans la mouvance espagnole et les risques de

nouveaux affrontements sur le sol provençal sont prégnants. La conquête du duché de Savoie, auquel François Ier aspirait depuis ses entreprises italien-

nes, devient un élément clé dans la stratégie royale pour peser de nouveau à l’ échelle de la péninsule italienne. Dans ce dispositif, la commende est devenue l’ instrument indispensable du contrôle de la communauté et des possessions lériniennes

via la désignation d’ un abbé « sûr et fiable284 ».

Les considérations militaires et stratégiques ne font par ailleurs que conforter une politique de contrôle des monastères via la commende qui est générale : dans les années 1530, les réformateurs ne sont plus ménagés. À Saint-Germain-des- Prés, en 1534, à Jumièges en 1539, deux monas- tères prestigieux réformés et intégrés à la congrégation de Chezal-Benoît, le roi impose un abbé commendataire et suscite l’ opposition des moines de ces deux communautés285.

La nouvelle hiérarchie des enjeux, la reprise des hostilités en juillet 1542 (début de la quatrième guerre d’ Italie) contre les impériaux et le maintien de l’ opposition des moines à l’ abbé commendataire conduisent François Ier à aller jusqu’ au bout de sa

nouvelle logique. Aussi, après avoir supprimé la triennalité des charges dans les abbayes et prieurés bénédictins en août 1542286, il décide de résoudre

le cas lérinien en révoquant, quatre mois plus tard, l’ union à Sainte-Justine287. L’ intégration de

l’ abbaye de Lérins à la prestigieuse congrégation réformée de Sainte-Justine fait de l’ abbaye de Lérins une victime de la politique belliqueuse et gallicane de François Ier. Le souci de la réforme

Le difficile maintien de l’ équilibre entre exigence réformatrice

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