• Aucun résultat trouvé

La mainmise de l’Etat à travers les structures étatiques déconcentrées de sécurité civile

Paragraphe I- La diversité des structures de prévention

A- La prééminence de l’Etat dans l’organisation de la prévention

2. La mainmise de l’Etat à travers les structures étatiques déconcentrées de sécurité civile

Les structures étatiques déconcentrées sont des services extérieurs constitués par les autorités et les agents qui dépendent d’un ministère et répartis sur le territoire avec des pouvoirs de décision plus ou moins importants. Ces organes non centraux et généralement spécialisés sont des relais nécessaires de l’administration centrale et sont soumis au pouvoir hiérarchique. Leur action s’inscrit dans le cadre d’une circonscription administrative et l’ensemble de ces ressorts territoriaux définit la géographie administrative de l’Etat. Lorsque de telles autorités sont créées, l’on parle de déconcentration175.

La déconcentration conduit au transfert de pouvoirs détenus par les autorités centrales de l’Etat en direction d’autres autorités qui lui sont hiérarchiquement subordonnées. Elle atténue les effets de la centralisation en permettant aux citoyens de bénéficier des services de proximité.

L’on peut s’en tenir à deux principaux niveaux dans le cadre des Etats de la C.E.M.A.C : le département et la région, à la tête desquels se trouvent respectivement les Préfets et les Gouverneurs. Ce sont des fonctionnaires polyvalents ayant des tâches administratives très larges et variées176, et dont les

175

Selon Georges BURDEAU, « La déconcentration s’analyse en la remise à des agents

locaux de l’Etat (Préfets , Gouverneurs) ou à des agents des services d’Etat spécialisés […] du pouvoir d’utiliser spontanément des prérogatives de puissances publiques en prenant des décisions et en les faisant exécuter. […] Elle s’oppose à la décentralisation en ce que les autorités investies du pouvoir de décision deviennent les représentants du gouvernement central, sont nommées et révoquées par lui, mettent en œuvre sa puissance et reçoivent de lui des instructions et des directives. Selon l’expression d’Odilon Barret, ‘’c’est toujours le même marteau qui frappe, seulement, on a raccourci le manche’’. Ce qui a parfois favorisé la confusion entre décentralisation et déconcentration c’est l’existence d’un cadre local de compétence. Mais la ressemblance est superficielle car, tandis que les agents ‘’déconcentrés’’ commandent au nom de l’Etat, les organes décentralisés statuent au nom de la collectivité secondaire dont ils procèdent. » Voir de cet auteur, Traité de sciences politiques,

tome II, L’Etat, Paris, L.G.D.J, 1949, pp. 577, spéc. p. 326.

176

Dans les Etats de la C.E.M.A.C, les préfets et les gouverneurs représentent l’autorité de l’Etat dans les départements et les régions respectivement. Ils assurent de nombreuses missions dont entre autres la mise en œuvre des politiques nationales ; ils assurent un rôle d’information en expliquant les mesures prises par l’Etat, et, à l’inverse, rendent compte de la réalité du terrain. Ils

78 missions dans le domaine du traitement des risques et crises collectifs se sont significativement élargies.

Claude Gilbert relève que ce champ de compétences,

« qui correspond grosso modo aux questions de ‘’ sécurité civile ‘’, est l’un de ceux où le pouvoir préfectoral s’est nettement affirmé […]. Le préfet, en tant que représentant de l’Etat, n’a cessé d’être conforté dans son rôle de garant de la sécurité collective, habituellement considéré comme relevant de la responsabilité suprême de l’Etat »177.

Jean Viret abonde dans le même sens, lorsqu’il souligne que « [t]out le

dispositif étatique, au niveau du département, est construit autour du préfet qualifié par les textes d’unique représentant de l’Etat dans le département »178. Il est évident que la réforme française de 1982 sur la décentralisation a porté atteinte à certains pouvoirs des préfets en limitant leur tutelle sur les collectivités locales et en supprimant leurs attributions d’exécutif du département. Néanmoins, comme le remarque Jean-Jacques Gleizal,

« tandis que le corps [préfectoral] arrivait à enrayer un déclin en occupant des positions stratégiques dans les nouvelles administrations décentralisées, l’institution parvenait peu à peu à redéfinir ses missions et à retrouver un rôle que la politique de déconcentration de 1992 allait confirmer »179.

Telle est la configuration générale des structures déconcentrées de prévention des catastrophes appliquée en zone C.E.M.A.C. Il y a lieu d’explorer leur ossature au regard des interrogations que cette prépondérance étatique peut susciter. Claude Gilbert se demandait justement si les préfets et les autres responsables impliqués180 ont la possibilité d’assumer pleinement les compétences et les responsabilités qui leur sont formellement reconnues dans un domaine de plus en plus exposé, et de la

coordonnent l’ensemble des services déconcentrés de l’Etat. Disposent de pouvoir de police

notamment celui de substitution du maire en cas de carence de celui-ci.

177

Claude GILBERT, « Traitement des risques collectifs et action des Préfets : entre

procédures formelles et pratiques », in : Jean-Jacques GLEIZAL (dir.), Le Retour des Préfets,

Grenoble, Centre d’Etudes et de recherche sur le droit et l’administration publique (C.E.R.D.A.P), P.U.G, 1995, pp. 249, spéc. p. 129.

178

Jean VIRET/Jean-Luc QUEYLA, op. cit., note n° 36, p. 96.

179

Jean-Jacques GLEIZAL (dir.), Le retour des préfets, ibid. , p.5 .

180

79 façon dont est appréhendée aujourd’hui la responsabilité de l’Etat dans le traitement de ces risques.

Ainsi, comme l’énonce le rapport administratif élaboré au terme des investigations consécutives à la catastrophe de Nsam au Cameroun 181, « [l]e

principe de prévention est fondamental et présent dans tous les textes légaux et règlementaires qui gèrent le maintien de l’ordre public au Cameroun. C’est l’exercice de la police administrative, dont le renseignement est un aspect cardinal, qui permettra de prévenir les désastres »182.

Les gouverneurs et les Préfets sont, dans les régions et les départements respectivement, représentants du Président de la République, du Gouvernement et de chacun des ministres. Ils sont investis pour le compte du Gouvernement d’une mission d’information et de coordination en matière sécuritaire, économique, sociale et culturelle. Outre les forces de police, de la gendarmerie et de l’armée mises à leur disposition pour emploi, ils disposent généralement d’un service ou d’un bureau chargé des questions de sécurité civile. Au Cameroun par exemple, les services du gouverneur comprennent une division de la police et de l’organisation administrative chargée, notamment de la protection civile. A la préfecture existe un service des affaires sociales et culturelles dont l’une des missions est relative à la prévention et à la R.R.C.

Dans le cadre de leurs missions de coordination des services déconcentrés de l’Etat183, les autorités administratives disposent d’autres instances statutaires ou ponctuelles de mise en œuvre en matière de prévention des catastrophes. Au Cameroun, les deux principales instances de réflexion, d’analyse et de traitement des affaires de telles questions sont le Comité de Coordination Opérationnel

181

La catastrophe de Nsam survenue à Yaoundé le 14 février 1998 a causé 200 morts suite à l’explosion de deux wagons citerne transportant de l’essence sur une voie ferrée à l’entrée d’un dépôt pétrolier.

182

Jean-Pierre NANA, Cours d’initiation à la protection civile, Université de Yaoundé II, décembre 2005, pp. 107. , spéc. p. 56.

183

La coordination des activités de l’Etat dans une unité administrative conduit l’autorité administrative à présider régulièrement plusieurs réunions ou séances de travail. Elles sont statutaires ou ponctuellement organisées d’initiative, d’ordre de la hiérarchie ou sur indication des chefs de services techniques qui sollicitent l’autorité administrative dans le cadre de la collaboration horizontale.

80 après : « C.C.O. ») et la Réunion de Coordination Administrative (ci-après : « R.C.A. »).

Le C.C.O.184 est une instance formelle, créée dans chaque circonscription administrative et composée pour l’essentiel des responsables en charge des questions de sécurité. Il s’agit d’une véritable tour de contrôle et d’un observatoire chargé de veiller, d’analyser et de conseiller l’autorité administrative à qui incombe la responsabilité du maintien de l’ordre dont la sécurité civile est l’une des composantes.

La R.C.A quant à elle, regroupe autour de l’autorité administrative, les chefs de services déconcentrés de l’Etat, à l’effet d’examiner les problèmes administratifs et socio-économiques de la circonscription.

Le schéma est, à quelques variables prêt, le même dans les autres Etats de la C.E.M.A.C.

Au Congo, selon les termes de la loi du 17 janvier 2003185, l’organisation administrative divise le territoire en départements, communes, arrondissements, districts, communautés urbaines, et les communautés rurales. Le département et la commune sont à la fois des circonscriptions administratives et des collectivités locales. L’arrondissement, le district, la communauté urbaine, la communauté rurale, le quartier et les villages sont des circonscriptions administratives.

Le département, placé sous l’autorité d’un préfet, « constitue l’échelon de

conception, de programmation, d’harmonisation, de soutien, de coordination et de contrôle des actions et des opérations de développement économique, social et culturel qui s’y réalisent grâce à l’intervention de l’ensemble des services des administrations civiles de l’Etat […] »186.

184

Au Cameroun, le C.C.O. est organisé par l’Instruction présidentielle n° 22/PRF du 22 novembre 1969, modifiée par celle n° 16/CAB/PR du 21 mars 1978.

185

Articles 2 et 3 de la loi n° 3 - 2003 du 17 janvier 2003 fixant l’organisation administrative territoriale.

186

81 Dans le cadre du renforcement des capacités structurelles de ce pays, il existe des Directions régionales de la Protection Civile chargées, entre autres, d’apporter aux Préfets l’expertise nécessaire dans le domaine.

L’organisation déconcentrée de la République du Gabon divise l’administration du territoire en six unités dont trois, la province, le département et le district sont des circonscriptions administratives à la tête desquelles se trouvent respectivement les Gouverneurs, les Préfets et les Sous-Préfets.

En plus de leurs attributions traditionnelles, il est institué auprès de chaque Gouverneur de province un Comité Provincial pour la prévention et la réduction des risques de catastrophe187 comprenant, outre le Gouverneur qui en assure la présidence, les services de la santé, l’équipement, les forces de défense et de sécurité, la Croix- Rouge locale, l’éducation nationale, le budget, l’agriculture, l’environnement ainsi que l’urbanisme.

Ce Comité est notamment chargé de la collecte et de l’analyse de données relatives aux risques et aux catastrophes ainsi que de la mise en œuvre des programmes de prévention et de réduction des risques et de catastrophe.

Le Tchad, pays sahélien éprouvé par plusieurs années de guerre a, dès les années 1980, mis sous agenda des actions visant à prévenir la sècheresse et la désertification.

Ainsi, « il est créé dans chaque chef-lieu de département des Comités

Régionaux d’Action chargé d’identifier les programmes susceptibles de recevoir une aide alimentaire en Food For Work (nourriture pour le travail) en appui au développement »188 et des Equipes Mobiles Régionales chargées d’identifier les zones à risques, d’évaluer l’état médico - nutritionnel et les besoins des populations sinistrées, de contrôler et de veiller à la bonne utilisation des aides. De plus, le

187

Article 16 du décret n° 0672/PR/MISPID du 13 mai 2001 portant création, attributions et fonctionnement de la Plate - Forme Nationale pour la Prévention et la Réduction des Risques de Catastrophe.

188

Article 16 de l’Arrêté n° 083/MSAPS/DG/86 portant création du Comité d’Action pour la sécurité Alimentaire et l’appui au développement. L’article 20 du même texte crée des structures similaires au niveau de chaque sous-préfecture (Comité Sous-Préfectoral).

82 Décret n° 83.127 en son article 4 créé « dans chaque chef-lieu de préfecture […] un

sous-comité de lutte contre l’incendie, les feux de brousse […] ».

En définitive, les autorités administratives de la sous-région, en l’occurrence les préfets et les gouverneurs, disposent sur le plan territorial d’une panoplie d’instruments aussi large qui peut leur permettre d’imprimer une unité d’action et de donner un sens à l’activité administrative en matière de prévention et de gestion des catastrophes.

Parallèlement à cette mainmise écrasante des structures de l’Etat, il importe d’avoir à l’esprit que la gestion des risques et des crises pose inéluctablement le problème de l’articulation des pouvoirs locaux et du pouvoir central. Point n’est besoin de rappeler que les risques interpellent d’abord les pouvoirs locaux et les politiques locales car, lorsque survient la catastrophe, même si elle présente des conséquences d’envergure nationales, elle est toujours fondamentalement locale. Il est par conséquent normal, comme le souligne Philippe Roqueplo, « que les

populations locales se considèrent comme les premières concernées et que la gestion du risque relève pour une grande part des instances politiques locales »189. L’urgence d’assumer une gouvernance plus locale de la sécurité civile dans l’organisation de la prévention au niveau décentralisé est ainsi posée.