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II - L’OBJET DE LA RECHERCHE

III -2- LES PRESPECTIVES THEORIQUES

2- L’approche émergente

L’approche émergente est précisément fondée sur la vulnérabilité des sociétés face aux risques et catastrophes. Selon le Dictionnaire Larousse, la vulnérabilité indique « le caractère vulnérable de quelque chose ou de quelqu’un […]

qui donne prise à une attaque »77. Cette définition courante a le mérite de faire le lien entre la situation de vulnérabilité et ses effets ; mais trop générale, elle manque de spécifier les sujets et objet de la vulnérabilité dans le domaine de la sécurité civile. La définition du terme « vulnérabilité » proposée par Ndiaye Abdoulaye n’est pas plus satisfaisante. Ce dernier définit la vulnérabilité comme « le rapport entre un risque et

la capacité à gérer ce risque »78. Cette définition a le mérite d’attirer l’attention sur la dimension « management » en évoquant la gestion du risque. Elle demeure néanmoins peu satisfaisante, dans la mesure où elle fait une impasse sur la catastrophe une fois survenue et, partant, sur les effets de la catastrophe. C’est donc à bon droit que les Nations Unies, présentent la vulnérabilité comme renvoyant aux « caractéristiques et […] circonstances d’une communauté ou d’un système qui le

rendent susceptible de subir les effets d’un danger » 79. En plus de ses effets, la définition onusienne a l’avantage de signaler les différents sujets et objet de la vulnérabilité dans le domaine de la sécurité civile que sont les communautés ou les systèmes. La définition retenue par le Dictionnaire des risques épouse cette conception onusienne. Le terme vulnérabilité y renvoie d’abord à « qualifier un état

de fragilité des sociétés face aux risques technologiques majeurs et à des

76

Claude GILBERT, Le pouvoir en situation extrême Catastrophes et politique, Paris, L’Harmattan, 1992, pp. 268. , p. 105.

77 Le Petit LAROUSSE, Paris, LAROUSSE, 2005, pp. 1926, p. 1124.

78

Ndiaye ABDOULAYE, « Sénégal : réduction de la pauvreté et réduction des risques », La

prévention des catastrophes en Afrique, S.I.P.C. information, n° 5, 2005, (spéc., p. 29).

79

Publication de l’I.S.D.R. , Terminologie pour la prévention des risques et catastrophes, op.

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changements socio-économiques qui s’accélèrent »80. Ce terme, lié à l’extension de l’incertitude à tous les domaines de la vie dans les sociétés post-industrielles, rend ensuite possible la description et l’interprétation des conditions d’un état de fragilité sociale. Selon Michel Dobré,

« la fragilité dont il est ici question renvoie à une situation de privation, qui concerne à la fois les valeurs, les normes, les capitaux, les ressources matérielles et communicationnelles que l’on peut mobiliser face aux changements. Parce qu’il touche à tous les aspects essentiels de la vie humaine, le diagnostic de carence que nous posons à travers le concept de vulnérabilité est plus adapté à la situation présente que ne pourrait être, par exemple des concepts plus anciens, tels que ceux de paupérisation ou de réification, d’anomie ou d’hypernomie, qui ne saisissent à chaque fois qu’un aspect de l’humanité touchée par le développement techno – scientifique »81.

Les crises survenues dans les Etats de la C.E.M.A.C ne sont certes pas de grandes catastrophes à l’image des tsunamis d’Asie ou de la récente catastrophe du Népal, mais elles permettent de s’interroger sur la nature de ces situations ainsi que sur les grilles d’analyse et de perception qui ont longtemps prévalu et qui ont encore cours.

C’est à partir des critiques faites par certains chercheurs au début des années quatre-vingt que la remise en cause de l’approche classique de l’analyse des situations de crise a véritablement pris corps. Examinant la découverte des vulnérabilités dans les situations de crise, Claude Gilbert82 inventorie quelques critiques majeures formulées par certains auteurs :

Le premier, Wieland Jaeger, a formellement critiqué la vision communautaire, voire familiale des collectivités confrontées à une catastrophe, ainsi que l’extériorité supposée de cette dernière. Selon lui,

“the American work is based on following assumptions: a) the existence of a classless, conflictless society which is untroubled by catastrophes, is non violent, and

80

Michel DOBRE, in : Yves DUPONT (dir.), Dictionnaire des risques, Paris, Armand Colin, 2007, pp. 533, [pp. 525-527], spéc. p.525.

81

Michel DOBRE, idem. , p. 525

82

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resembles an idyllic extended family; b) there is a consensus about the basic values in the society; and c) collective behavior is to be understood as a disturbance of a well-functioning system, externaly generated”83.

Dans la même perspective, Wolf Dombrowsky a d’abord relevé l’impact du modèle de la guerre dans l’analyse des catastrophes:

“In the face of uncertainty about how the U.S might, or should function if a war – especially a thermo-nuclear one – would be brought directly into the country, research became focused on the every- day sense of the term “disaster” as a rapidly striking agent, which interrupts or even destroys the “normality” of human institutions. Such a perspective is understandable, given a realistic concern about bombing an atomic. It is rather an ad-hoc pragmatic starting-point to answer specific questions in and hour of national danger”84.

Il fait par la suite remarquer que :

“ Even today, nearly every definition of “disaster” assumes disaster as an entity itself, i-e, as an event, an “agent” or a “force” which produces special effects on people, groups or communities, so that not alternative is given than to respond to such an “event “85,

Wolf Dombrowsky critique la notion d’agent comme catalyseur du désastre. Partant de ces critiques d’une

« approche où la cause des catastrophes se confond avec l’agent […] Wolf DOMBROWSKY substitue celle des désastres appréhendés comme "action sociale" ; c’est-à-dire comme un processus interne aux sociétés et non comme un phénomène qu’elles subissent »86.

Autrement dit, le théâtre des catastrophes se situe au cœur même des collectivités et non à l’extérieur.

83

John K. SCHORR, « Some contributions german katastrophensoziologie can make to the sociology of disaster », International Journal of Mass Emergencies and Disasters, August 1987, vol 5. Cité par Claude GILBERT,idem., p. 112.

84

Wolf R. DOMBROWSKY, Another Step toward a social theory of disaster, Preliminary Paper 70, Disaster Research Center, The Ohio State University, August 1981. Cité par Claude GILBERT,

ibid., pp. 112 et 113.

85

Wolf R. DOMBROWSKY, « Another Step toward a social theory of disaste », cité par Claude GILBERT, op. cit. note n° 74. , p. 113.

86

44 A l’opposé de ses auteurs qui, parlant de vulnérabilité aux crises et aux catastrophes, ont systématiquement entretenu une distinction entre l’agent ou l’évènement destructeur et le contexte sociologique, Carlo Pelanda attribue à la vulnérabilité des sociétés l’existence des risques et, par conséquent, la survenance des catastrophes :

“we believe in the principle of total responsability of the social organization in creating the pre-conditions of all the type of social destruction. The means that the approach in which risk and type of sociological context are both separate and independent factors (predictors) on the dependent variable social vulnerability […] does not satisfy our principle. On the contrary, we interpret the notion of social vulnerability as an independent factor (predictor) on risk”87.

Ces glissements théoriques ont été pris en compte par les chercheurs nord-américains qui ont, à l’exemple de E. L. Quarantelli88, mesuré les limites des approches fondées sur la notion d’agent. Mais, le changement de perspective reste encore timide. Aujourd’hui encore, l’observation de Claude Gilbert qui date pourtant de plus de deux décennies est d’actualité : « il apparaît difficile de faire

complètement l’économie de la notion d’agent pour rendre compte d’un désastre ou tout simplement d’une crise »89. Même Patrick Lagadec, dont les travaux sont pour l’essentiel consacrés à la dynamique interne des crises, tient compte de l’agent externe dans ses analyses90.

En toute hypothèse, les causes internes de la réalisation des risques ont été constatées depuis plusieurs décennies. Pour le dire comme Claude Gilbert,

« des ouvrages de portée très générale publiés à la fin des années 80 (BECK, 1986/ 2011, LAGADEC, 1986) ont souligné cet aspect et ont fortement contribué […] à faire

87

Carlo PELANDA, cité par Claude GILBERT, idem. p.113.

88

Il fait précisément remarquer que « les conceptions sociales de la catastrophe mettent

l’accent sur les propriétés de l’évènement social sans tenir compte des caractéristiques spécifiques des agents et de leur impacts ». Cité par Claude GILBERT, idem. p. 114.

89

Claude GILBERT, idem., pp. 114 et 115.

90

Il fait ainsi remarquer que, « [d]’une défaillance, on passe régulièrement au dérapage non

contrôlé et, rapidement aussi, à la crise […] Alors que les systèmes sont agressés par un évènement « externe », voici qu’il se fragilise de l’extérieur ». Patrick LAGADEC, Etats d’urgence, défaillance technologique et déstabilisation sociale, Paris, Seuil, 1988, pp. 405. , pp. 9 et 37.

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admettre que, désormais, les principaux risques susceptibles d’affecter les collectivités humaines, les sociétés, voire la planète, étaient d’origine humaine »91.

Ce nouveau cadrage de l’approche des risques et des crises ne va pas non plus sans difficultés sur le plan de l’analyse. Des obstacles aux changements d’approche persistent92. Pour cette raison, « malgré le développement de travaux en

sciences humaines et sociales, en ce sens, […] les approches visant à analyser ces vulnérabilités et à mettre en évidence leur dynamique sont encore émergentes »93.

Peut-on en déduire la transposition de ces approches dans la sous-région de l’Afrique Centrale considérée ?

Le moins que l’on puisse dire, dans le cadre de la C.E.M.A.C., est que les catastrophes de grande ampleur telles que les éruptions volcaniques, et autres tremblements de terre ont longtemps été considérés comme des phénomènes surnaturels directement liés à l’existence des dieux. L’on faisait valoir qu’aux phénomènes naturels, il fallait apporter des explications surnaturelles.

Dans bien des cas, les comportements et les attitudes face aux risques sont influencés par les valeurs, les croyances, la culture des populations concernées. Patrick Peretti-Watel fait pertinemment remarquer que « [c]e biais culturel rend

souvent inopérants les arguments scientifiques, car il situe le débat à un autre niveau

»94, repéré dans l’attachement à certaines valeurs, au respect de convenances et des traditions, parfois aux forces occultes et à divers présages tirés d’évènements fortuits.

Mais, l’apparition de nouveaux risques et l’impact des catastrophes sur les collectivités conduisent progressivement à une autre perception des risques et des crises. C’est ainsi qu’émergent, sous la contrainte de la nécessité, de nouvelles

91

Claude GILBERT, « Risques et crises endogènes : une approche toujours problématique»,

in : Les sciences juridiques à l’épreuve des catastrophes et des accidents collectifs. Retour sur 15 ans

d’expérience, d’expertise et de réflexion », loc.cit., p. 33.

92

Claude GILBERT écrivait à cet égard que : « Prendre en compte les vulnérabilités internes

est difficile (…) tant en matière de prévention des risques que de gestion des crises, les acteurs se tournent spontanément vers ‘’l’extérieur’’, sans donc toujours chercher à déterminer quelles vulnérabilités peuvent résulter des choix faits à propos des cadrages des problèmes publics, des modes d’organisation et des modalités d’action ». Claude GILBERT, idem. p. 34.

93

Idem.

94

Patrick PERETTI-WATEL, La société du risque, Paris, La Découverte, 2012, pp. 126. , p. 64.

46 pratiques juridiques et administratives dans les Etats de la C.E.M.A.C. ; assorties d’un appareillage législatif et règlementaire conforme aux recommandations internationales.

La modélisation de la gestion des risques et des crises est précisément impulsée par l’Organisation des Nations Unies95 et par l’Organisation Internationale de Protection Civile (ci-après : « O.I.P.C. »)96. Ainsi, les politiques nationales des Etats sont de plus en plus soumises à des impératifs internationaux touchant les concepts et outils relatifs au droit des crises. Cette réception de concepts et d’instruments internationaux dans la sous-région invite à comprendre l’origine de ces outils, la façon dont ils s’intègrent dans l’ordre juridique des Etats et la logique qui les sous-tend.

C’est à juste titre que les politiques de réduction des risques et des crises des Etats, s’inspirant de la Stratégie et du Plan d’Action de Yokohama97, du Cadre d’Action de Hyogo98, de la Stratégie Régionale Africaine, et de son Programme d’Action devraient traduire la vision de la Sous-Région Afrique centrale autour de laquelle vont s’articuler un Plan d’Action de préparation et de réponse aux catastrophes, ainsi que des plans de prévention des risques.

C’est dans ce contexte qu’il faut placer sa formulation qui s’inscrit dans la dynamique du cadre d’action de Hyogo pour 2005 - 2015 : « construire des Nations

et des communautés résilientes face aux catastrophes » et adapter la Stratégie

Régionale Afrique aux réalités de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique

95

Le 22 décembre 1989, par la résolution 44/236, l’O.N.U. décidait de célébrer chaque deuxième mercredi du mois d’octobre, la Journée Internationale de la Prévention des Catastrophes Naturelles. La période de 1990 à 1999 a également été désignée « Décennie Internationale de la

Prévention des Catastrophes Naturelles » (D.I.P.C.N.). La finalité étant de participer à l’échelon

mondial à un effort constant de prévention, de préparation des catastrophes naturelles ainsi que d’atténuer leurs effets.

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L’O.I.P.C à laquelle ont adhéré les six Etats de la C.E.M.A.C. est une organisation intergouvernementale dont l’objectif est de contribuer au développement par les Etats de systèmes propres à assurer protection et assistance aux populations, ainsi qu’à sauvegarder les biens et l’environnement face aux catastrophes naturelles et dues par l’homme.

97

La stratégie de Yokohama pour un monde plus sûr, adoptée en 1994, présente les directives pour la prévention des catastrophes naturelles, la préparation aux catastrophes et l’atténuation de leurs effets.

98

La deuxième Conférence mondiale sur la prévention des catastrophes tenue du 18 au 22 janvier 2005 à Kobe (Hyōgo, au Japon) a adopté le Cadre d’action 2005-2015 pour des nations et des collectivités résilientes face aux catastrophes.

47 Centrale (ci-après : « C.E.E.A.C. »), dont six Etats membres sur dix constituent notre champ d’étude.