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L’organisation de la prévention au niveau décentralisé

Paragraphe I- La diversité des structures de prévention

B- L’urgence d’une gouvernance locale de la sécurité civile

1. L’organisation de la prévention au niveau décentralisé

Le droit des Etats de la C.E.M.A.C consacre trois types de collectivités territoriales décentralisées : la commune le département et la région. Bien qu’ayant en tout temps des attributions en matière de prévention des catastrophes, les responsabilités du maire au titre de la police municipale peuvent être relues et interprétée différemment aujourd’hui compte tenu de la portée technique et

naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, la mise en œuvre de mesures d’urgence en matière de sécurité, d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, le recours à l’intervention du représentant de l’Etat, auquel il est rendu compte des mesures prescrites ». L’article 83 du Décret

n° 2003-20 du 6 février 2003 portant fonctionnement des circonscriptions administratives en République du Congo est presque identique : « le maire est chargé de la police municipale. Cette

fonction concerne notamment […] le soin de prévenir par des précautions convenables et la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux tels que les incendies, les inondations, les éboulements de terrain, les maladies épidémiques, ou contagieuses, les épizooties. »

84 scientifique, ainsi que de l’ampleur des phénomènes des risques majeurs. Au niveau communal, l’organisation des services de secours tend à « être mise en sommeil » (a). L’on a pourtant noté dans le domaine, un dessaisissement de l’Etat au profit des collectivités territoriales suite aux lois sur la décentralisation qui ont transféré aux élus locaux une part de responsabilité dans la prévention des risques. Malheureusement leur mise en œuvre reste attendue (b).

a) L’organisation communale des services d’incendie et de secours

L’édifice juridique de base191 des Etats de la C.E.M.A.C ne fait presque pas référence au maire en matière de sécurité civile, son rôle y est mentionné de manière secondaire. Il faut parcourir les codes communaux et d’autres textes législatifs et règlementaires pour déceler la place qu’occupent les édiles dans la prévention des risques et des crises.

Dans le domaine de la prévention précisément, en dehors de certaines dispositions législatives ou règlementaires telles que celles des installations classées qui excluent l’exercice des pouvoirs de police municipale, d’autres par contre sont clairement énoncées en ce qui concerne les obligations du maire dans le domaine192. Pourtant, la gestion des crises n’est pas uniquement du seul ressort de l’Etat. Le maire est responsable de la sécurité sur le territoire de sa commune. La réussite des opérations de premier secours est souvent liée au degré d’implication du niveau local. Des auteurs ont à juste titre relevé qu’en situation de crise, « l’efficacité est

maximale lorsque les populations locales sont associées, actrices, voire initiatrices de leur propre sécurité »193.

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A titre d’illustration, il s’agit : pour le Cameroun, de la loi N° 86/016 du 06 décembre 1986 portant réorganisation générale de la protection civile, de la loi n° 90-47 du 09 décembre 1990 relative à l’état d’urgence, du décret N° 96/054 du 12 mars 1996 fixant la composition et les attributions du Conseil National de la Protection Civile, du Décret N° 98-31 du 09 mars 1998 portant organisation des plans d’urgence et des secours en cas de catastrophes ou de risque majeur ; pour le Congo, du Décret N° 2001-249 du 26 mai 2001 portant organisation de secours en cas de catastrophes naturelles ou d’accidents majeurs. En ce qui concerne le Gabon, l’on peut citer la Loi n° 21/2004 du 2 février 2005 relative aux plans d’exposition aux risques.

192

La police municipale a précisément pour mission d’assurer, en relation avec les autorités administratives compétentes, la tranquillité, la salubrité et l’ordre public.

193

Frédéric LEONE / Nancy MESCHINET DE RICHEMOND / Freddy VINET, Aléas naturels et

85 Quoi qu’il en soit, le maire doit veiller, même en l’absence de textes précis, aux conditions de sécurité de la commune. Par exemple en amont, dans le cadre de l’examen des permis de construire, afin d’éviter précisément les risques d’inondation ou de glissement de terrain. Le maire peut aussi agir « a posteriori », lors des déclarations qui lui sont adressées par les exploitants de certains établissements. Rien ne lui interdit, si la prévention n’est pas suffisamment garantie, ou en cas de péril imminent et particulier résultant de l’inopérance des règles ordinaires, de procéder à une « légalité de rechange ». La « légalité de rechange » caractérisée par des mesures individuelles interdisant des activités à hauts risques et dangereuses d’une part, par des prescriptions détaillées pour atteindre l’objectif de prévention d’autre part. Son inertie peut être considérée ici comme une faute lourde. Il pourrait également se prévaloir du principe de précaution qui commande de subordonner l’autorisation d’une activité ou d’un produit potentiellement dangereux à la connaissance la plus complète possible du ou des risques, sans se limiter à ceux qui sont prévisibles en l’état des certitudes scientifiques.

Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que, devant l’urgence et face à une situation suffisamment grave, le maire peut poursuivre l’exécution des mesures de sécurité en cas de résistance d’un exploitant ou d’un propriétaire194. Ce qu’il importe de souligner avec force, c’est qu’en dépit de l’étatisation des problèmes de sécurité civile qui s’inscrit d’ailleurs à contre-courant de la décentralisation en cours dans l’ensemble des Etats de la C.E.M.A.C, le rôle du maire et de la commune restent entier en matière de prévention des situations d‘urgence.

Dans la pratique toutefois, force est de constater à l’issue d’une analyse de la réalité du terrain, que la plupart des projets de textes ou des initiatives pouvant servir de fondement à la prévention ou à la gestion des catastrophes sont reléguées au rang des accessoires juridiques, aussi bien au plan national qu’au plan local. Même les collectivités locales disposant de budget important n’investissent pas dans les mesures de prévention. Il en résulte une absence de visibilité et de lisibilité quand

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C’est donc à juste titre « qu’un arrêt du Conseil d’Etat du 5 mars 1971 a condamné la

S.N.C.F qui avait refusé d’exécuter les mesures à elles prescrites à bon droit par le maire pour éviter l’inondation de la commune et qui avaient dû être mises en œuvre par le Service départemental de Secours ». Voir, André-Pierre BROC, La protection civile, Paris, PUF, Coll. « Que-sais-je ? », 1977,

86 survient une crise. L’on y trouve ni plan communal de prévention et de secours, encore moins de plan communal de sauvegarde. Ces plans ne sont même pas à l’état d’esquisse dans bon nombre de communes, pourtant exposées aux risques divers. De sorte que les édiles de la quasi - totalité des collectivités territoriales décentralisées de la zone C.E.M.A.C sont des acteurs absents, ou passifs dans la lutte contre la réduction des risques de catastrophe.

Au - delà des questions de répartition des compétences qui confèrent l’essentiel des attributions de sécurité civile au représentant de l’Etat, de l’insuffisance de ressources humaines et financières, tout indique pourtant qu’une politique de prévention, de sécurité et de protection des personnes et des biens ne peut se concevoir plus longtemps en dehors des élus locaux. Si la sécurité civile continue d’être pensée comme le domaine exclusif de l’Etat, l’on ne devrait en revanche pas sombrer dans les errances du centralisme. La sécurité est un bien commun dont la mise en œuvre nécessite un renforcement de la démocratie locale. Les élus d’une municipalité, et particulièrement le maire, doivent par conséquent occuper une place centrale dans les politiques locales de sécurité civile, concertée avec leurs partenaires locaux. Il ne s’agit pas, comme l’affirme Emile Thérouin,

« de faire des maires des shérifs ou d’opter pour une décentralisation totale de sécurité [civile], mais d’orienter réellement l’action publique en fonction des attentes et des besoins des territoires et des habitants, et de s’appuyer sur les spécificités et les innovations locales. […] Il est, dans tous les cas, acquis que des marges de progrès sont à trouver dans la gouvernance locale des politiques publiques de sécurité [civile] »195.

L’un des prochains défis à relever par les Etats de la C.E.M.A.C. serait de faire des maires de la sous-région des vrais patrons de la sécurité civile. Si l’on prétend sensibiliser les populations à tous les niveaux des Etats, rapprocher les services des usagers, mener des politiques adaptées aux contextes locaux, seule la mise en œuvre d’un arsenal législatif et règlementaire « décentralisateur » pourrait donner plus de consistance à la démocratie locale. Les maires disposent déjà de

195

Emile THEROUIN, Sécurité, prévention et tranquillité publique Retour d’expérience à Amiens, Paris, Cahiers de la Sécurité, Revue de l’Institut National des Hautes études de la Sécurité et de la Justice, n° 26, La documentation Française, 2013, pp. 142, pp. 20-28, spéc. p. 28.

87 réels pouvoirs en matière d’aménagement urbain, seulement, il faut tout mettre en œuvre afin que ceux-ci soient en capacité d’exercer les attributions qui les sont confiées. Emile Thérouin écrivait dans ce sens que

« la sécurité est un bien commun. Sa mise en œuvre demande un renforcement de la démocratie locale, son développement exige des méthodes novatrices, mobilisant des savoir- faire multiples et reposant sur des nouveaux partenariats entre des acteurs qu’aucun lien hiérarchique ni habitude de travail n’obligent à collaborer »196.

Pour ce faire, il conviendrait de soutenir davantage et reconnaître indispensable d’associer les élus locaux au pilotage des politiques de sécurité civile. La mise en œuvre des départements et des régions dans le cadre de la décentralisation serait donc d’un réel apport.

b) Parachever le processus de décentralisation par la mise en œuvre des départements et des régions

Le processus de décentralisation en cours dans les Etats de la C.E.M.A.C a consacré de nouvelles collectivités territoriales décentralisées, accompagné de quelques dispositions relatives à la prévention des risques. L’on pourrait croire que les manquements observés dans la gestion locale des crises aient incité les législateurs de la sous-région à entrevoir de nouveaux cadres décentralisés de prévention et de gestion des catastrophes, ce qui traduirait ainsi une volonté de tenir compte du constat de la difficulté à gérer des crises d’ampleur significative dans le cadre strict d’une commune ou d’un département.

Outre les communes, l’on distingue deux autres collectivités territoriales décentralisées : le département et la région.

Le législateur gabonais consacre le département comme le deuxième niveau de décentralisation. Selon l’article 27, « le département est une collectivité territoriale

de droit public dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Il est

196

Idem. L’auteur fait référence aux travaux du F.F.S.U et du Forum européen pour la sécurité urbaine, notamment Sécurité, démocratie et villes- Manifeste d’Aubervillers et Saint-Denis, décembre 2012.

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administré par un organe délibéré élu, le conseil département »197. Les législateurs congolais et tchadiens s’inscrivent dans le même sens ; pour le Congo en effet, « l’administration décentralisée se réalise dans le cadre du département […] »198 ; par contre, le Tchad se singularise en introduisant dans son processus de décentralisation un niveau supplémentaire : la région. L’article 1 de la loi organique de ce pays dispose que « […] les collectivités territoriales décentralisées de la

République du Tchad sont […] les départements [et] les régions »199. Alors que le département est une collectivité décentralisée qui constitue l’échelon de relais entre les communes et la région, celle-ci est un échelon de conception et de planification régionale de l’action économique et sociale de l’Etat. Ce niveau supplémentaire se rapproche de la conception Camerounaise de la décentralisation.

Au Cameroun en effet, la région constitue la seconde collectivité territoriale décentralisée200. Elle est définie comme étant « une collectivité territoriale

décentralisée constituée de plusieurs départements »201. Ce modèle se distingue

ainsi de ceux des autres Etats de la C.E.M.A.C, ainsi que du modèle français de la décentralisation, avec un seul échelon intermédiaire entre l’Etat et la commune, là où la France en institue deux, le département et la région202. La solution camerounaise semble être dictée selon Jean-Claude Eko’o Akouafane « par des réalités

économiques, physiques, démographiques, financières et la prise en compte des

197

Article 27 de la Loi n°14/96 du 15 avril 1995 portant réorganisation territoriale de la République gabonaise.

198

Article 40 de la loi n° 3-2003 du 17 janvier 2003 fixant l’organisation administrative du territoire.

199

Article 1 de la loi organique n° 02/PR/2000 du 16 février 2000 portant statut des collectivités territoriales décentralisées.

200

L’article 3(1) de la Loi [Camerounaise] n° 2004/017 du 22 juillet 2004 d’orientation de la décentralisation dispose que « les collectivités territoriale de la Républiques sont les régions et les

communes ». L’on note qu’au Cameroun, le département n’a pas été érigé en collectivité territoriale

décentralisée.

201

Article 2 (1) de la Loi [Camerounaise] n° 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions.

202

Jean-Claude EKO’O AKOUAFANE notait à cet égard que « de nombreuses voix s’élèvent

en France […] pour décrier cette structure du système administratif à cinq étages, avec l’Etat, les communes, les départements, les régions et la Communauté européenne, en ce qu’elle complique notamment la répartition des compétences et des moyens entre les différents niveaux et brouille la visibilité en matière administrative. » Voir de cet auteur : La décentralisation administrative au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 308, spéc. p. 171. Dans ce sens, il relève que la

Commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques ATTALI en 2008 préconisait déjà la disparition de l’échelon départemental dans un horizon de dix ans.

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contraintes en ressources humaines, d’autant plus que chaque niveau de décentralisation assure une couverture intégrale du territoire national »203.

La création de la région en tant que collectivité territoriale préfigure en tout cas, l’établissement de rapports nouveaux entre l’Etat et ces entités périphériques.

En effet, la gravité de certains risques contemporains rend nécessaire une gestion supra-départementale des crises. Une telle nécessité se justifie également au regard de l’émergence dans la sous-région de la notion de bassins de risques liés aux grandes infrastructures de transport (autoroutes), aux risques technologiques (sites pétroliers) ou naturels (façade maritime). Aussi, l’intérêt du niveau régional devrait- il imposer sa mise en œuvre, même s’il est encore trop tôt pour affirmer qu’il doit être la pierre angulaire de la sécurité civile de demain204. C’est cette perspective qui aurait sans doute motivée les législateurs Camerounais et Tchadien. Le texte de 2004 fixant les règles applicables aux régions d’une part, et la loi organique de 2000 d’autre part, apparaissent comme devant permettre un bon niveau opérationnel des actions de sécurité civile au niveau régional, sans pour autant occulter les responsabilités du maire dans sa commune, et celles du préfet dans le département. La région se présente ainsi à la fois comme une collectivité territoriale permettant un redéploiement territorial de l’administration qui favorise le rapprochement de celle- ci des administrés et des entités de caractère politique en ce qu’elle est dotée d’organes dirigeants élus avec le pouvoir de gérer les affaires locales. Instituée au Cameroun il y a presque deux décennies, sa mise en œuvre tarde à voir le jour.

Pourtant, de par ses attributions, il est possible d’envisager qu’elle apporte une impulsion nouvelle aux questions de sécurité civile. L’originalité du modèle camerounais est à cet égard illustrative. Le fait que la région, reconnue à la fois comme circonscription administrative et érigée en collectivité territoriale, regroupant dans ses limites territoriales plusieurs départements, des communautés urbaines et un nombre élevé de communes, est sans conteste, de nature à favoriser son ancrage sociologique et l’émergence d’une véritable dynamique régionale. Sa vertu

203

Idem.

204

Joël LEBESCHU, « A propos des risques collectifs majeurs », in : Jean-Jacques GLEIZAL (dir.), Le retour des préfets ? loc. cit. , note n° 177, spéc. pp.194-203.

90 première réside dans son échelle territoriale située entre la commune jugée parfois trop petite et l’Etat jugé trop grand.

En attendant la mise en œuvre de cette réforme, il y a d’ores et déjà lieu d’envisager le renforcement des moyens régionaux. Le gouverneur devrait de la sorte, disposer de moyens propres lui permettant de gérer une crise d’ampleur, même de longue durée. Ce niveau devrait également être en capacité de favoriser la mutualisation des moyens et la formation d’un personnel propre de sécurité civile. La région pourrait par conséquent s’imposer comme le cadre « pertinent pour opérer

une intégration des moyens disponibles au profit de la défense non militaire, ouvrant ainsi au [gouverneur] la perspective de voir mieux consacrée sa fonction essentielle : celle d’être en définitive, l’autorité déconcentrée qui a la charge de la permanence de l’Etat »205.

Dans l’attente d’un soutien plus marqué, d’une reconnaissance indispensable d’associer les élus locaux au pilotage des politiques locales de sécurité civile, et la mise en œuvre souhaitée de cette seconde instance de décentralisation, les sapeurs - pompiers apparaissent dans ces conditions, comme une alternative à l’organisation décentralisée des services d’incendie et de secours.

2. Les sapeurs - pompiers comme alternative à l’organisation