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Lignac : des deux substances au moi complet

a) Une métaphysique spiritualiste et empiriste.

Lelarge de Lignac est une figure originale : à la fois disciple de Malebranche et de Locke, il défend une philosophie spiritualiste et empiriste4. La métaphysique qu’il propose est basée sur l’observation des phénomènes internes à notre âme, qui doivent en prouver la spiritualité et l’immortalité. Après les Lettres à un Américain publiées en 1751 et consacrées à la critique de l’Histoire naturelle de Buffon et la tendance au matérialisme dont elle est porteuse, Lignac écrit en 1752 les Éléments de métaphysique tirés de l’expérience, ou Lettres

à un matérialiste sur la nature de l’âme, qui sont publiés en 1753. C’est encore une fois un

traité antimatérialiste contre ceux qui voudraient réduire l’homme à une machine. La méthode employée est d’une hybridité remarquable et très intéressante pour nous : il s’agit, pour

1 « Tout châtiment suppose une méchante action, commise par un agent libre et sensible à la douleur. Sans la liberté le châtiment est injuste : sans la faculté de sentir, il est inutile ; ou plutôt ce n’est pas un châtiment », ibid., p. 337. U. Thiel remarque l’usage du sentiment pour rendre compte de l’identité morale mais n’analyse pas l’évolution du sens donné à ce terme, op. cit., pp. 368-369.

2 Mérian, op. cit., p. 341.

3 Mérian cherche ainsi à faire apparaître comme solidaires l’aperception, l’intelligence et la sensibilité, ce à quoi Lignac s’emploie aussi, comme nous allons le voir.

4 Sur la tentative de Lignac de combiner ces deux influences, voir l’article de J.-C. Bardout, « De quoi témoigne le sens intime ? », Dix-huitième siècle, 1/2007 (n°39), p. 63-76, URL : www.cairn.info/revue-dix-huitieme-siecle-2007-1-page-63.htm; DOI : 10.3917/dhs.039.0063. Il s’intéresse plus spécifiquement à la réappropriation, par le philosophe, de la notion de « témoignage », appliquée non plus aux sens mais au sens intime.

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répondre aux exigences de l’empirisme et de l’Église, de dégager un sentiment de notre substance spirituelle – objectif qui manifeste aussi l’influence de Leibniz. Ce sentiment sera reçu indépendamment de l’expérience extérieure, dans la sphère intérieure réservée au « sens interne » de Locke, qui devient, chez Lignac, le sens intime. Dans la deuxième des Lettres de 1753, Lignac recense l’ensemble des phénomènes qu’il dit avoir aperçus en lui et qui doivent suffire à prouver la nature spirituelle de l’âme. En premier lieu figure le sentiment qu’a l’être pensant d’être heureux ou malheureux selon les impressions qu’il reçoit. Toutefois, ce sentiment peut aussi être « réduit au pur sens intime de l’existence1 » :

Cela nous arrive dans cet état qu’on appelle en style familier, rêver à la Suisse : la façon d’être de l’âme est alors d’être dégagée de toute impression venue du dehors, ou relative au dehors. On ne sent ni chaud ni froid : on a les yeux ouverts, on ne voit point, on n’entend point, on est absorbé par un sentiment d’inertie, qui renferme pourtant celui de l’existence actuelle et numérique2.

Le fondement de la philosophie de Lignac est manifeste dès la deuxième Lettre : il réside dans la possibilité de sentir ou d’expérimenter l’indépendance de l’âme par rapport aux corps, que ce soit les corps extérieurs ou son propre corps. L’âme peut exister sans être affectée par des modalités déterminées par l’extérieur, quand les sens ne subissent aucune impression. L’âme ne fait alors que sentir son existence individuelle, détachée de tout ce qui n’est pas elle : « sa façon d’exister est alors de ne sentir que soi ». Ce n’est plus la pensée qui peut être conçue indépendamment de ses modifications, mais bien le sentiment d’existence. Seul ce sentiment constitue un fond d’être invariable, distinct des modifications contingentes qui l’affectent successivement. Par là même, Lignac radicalise le sentiment intérieur tel qu’il apparaissait dans les écrits de Malebranche, qui portait sur des modifications de l’âme simplement considérées en elles-mêmes3. Pour Lignac, le sens intime existe indépendamment de ces modifications et découvre ainsi une existence abstraite, lorsque l’être n’est pas affecté par les impressions du corps4.

Dans la suite de la lettre, Lignac détermine le rapport qu’ont les modifications de l’âme (comme la douleur, le plaisir et toutes les idées reçues) avec ce sentiment primitif. Dans un premier temps, ce sentiment apparaît seulement comme le point de départ d’une déduction :

1 Lelarge de Lignac, Éléments de métaphysique tirés de l’expérience, ou Lettres à un matérialiste sur la

nature de l’âme, IIe Lettre, 3e phénomène, Paris, Desaint et Saillant, 1753, p. 23.

2 Ibid. Rousseau a dû s’inspirer de ces lignes de Lignac pour décrire sa rêverie du lac de Bienne, comme le

suggère Marcel Raymond dans Rousseau, la quête de soi et la rêverie, Paris, Corti, 1962, p. 171.

3 Rappelons que Malebranche semblait parfois réserver le sentiment intérieur aux propriétés de l’âme conçues indépendamment de ses modifications empiriques.

4 Notons que l’analyse du rêve à la Suisse est expressément dirigée contre l’analyse qu’en donne Condillac dans l’Essai sur l’origine des connaissances humaines de 1746 ; c’est lui que Lignac vise lorsqu’il parle du « disciple de M. Locke » cité dans l’Observation de la lettre, op.cit., p. 24.

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ces modes dont le sens intime a permis de montrer qu’ils ne dépendaient pas de lui sont contingents ; il en conclut que « le principe qui les produit est libre1 ». Dans un deuxième temps, il écrit qu’il se « [sent] donc souverainement dépendant2 » de l’être intelligent qui produit en lui ses modifications. Ce passage préfigure une ambiguïté qui sera récurrente chez cet auteur : Lignac fera souvent porter au sentiment la révélation d’une connaissance d’ordre métaphysique qui aura en fait été dégagée par le raisonnement. Le quinzième phénomène dont il est question dans la même lettre témoigne d’un mécanisme identique :

Mais comme la toute-puissance m’est toujours présente, que j’en ressens incessamment l’action ; je puis rapporter mes modifications à leur cause. C’est la manière dont je généralise toutes les notions singulières que j’ai découvertes dans ces phénomènes. Je me sens existant par l’opération d’une cause toute puissante, dont la volonté m’est connue comme infiniment productrice. Cette seule observation suffit pour me faire reconnaître qu’une infinité d’être semblables à moi sont possibles. Ma substance propre devient sous un coup d’œil un type, un modèle, conformément auquel je ne puis douter que le Tout-puissant n’ait pu produire une infinité d’être semblables à moi, soit après moi, soit avant moi, soit en même temps que moi. Cette considération rend universelle la notion que j’ai de moi-même. Elle devient idée et comprend toutes les âmes possibles3.

Ces lignes juxtaposent le registre du sentiment et celui de l’inférence. D’un côté, Lignac ressent l’action de la cause toute puissance, il se sent existant par l’opération de cette cause, et il dit ne faire en cela qu’observer. De l’autre, il met en rapport ses modifications et leur cause, il généralise les notions singulières et connaît la volonté infinie de la première cause. Cette imbrication du sentiment et du raisonnement culmine dans l’irruption, « sous un coup d’œil », d’une notion universelle i.e. d’une idée servant de modèle pour toutes les autres âmes. Par cette observation intérieure, Lignac est ainsi conduit à généraliser la substance individuelle qu’il a d’abord découverte par abstraction des modifications, à la substance universelle des âmes. Cette élévation subite à l’essence à partir d’un sentiment qui ne livre au départ qu’une existence individuelle a de quoi surprendre – Lignac aura souvent recours à ce procédé outrepassant les prérogatives du sentiment. Si dans cette deuxième Lettre, on a l’impression que c’est le sentiment qui par lui-même fait connaître l’existence et l’essence de l’âme ainsi que celle de la cause souveraine, les lettres suivantes révèleront que, même pour Lignac, le sentiment ne juge de ces objets qu’en vertu du travail de l’analyse qui l’accompagne.

Enfin, toujours dans cette même lettre, Lignac subvertit l’application de la réflexion aux opérations de l’âme telle que l’ont pratiquée Locke, ainsi que Condillac dans l’Essai sur

l’origine des connaissances humaines de 1746 : « L’âme sent » ses différentes facultés de

1 Ibid., p. 32.

2 Ibid.

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raisonner, de comparer les idées, d’affirmer, de nier, de douter, de suspendre son jugement mais tout cela indépendamment de l’exercice de la sensation. Il affirme sans le justifier encore qu’elle « ne peut recevoir ces facultés, ni les notions de ces facultés, d’aucune sensation : elle voit qu’elles naissent d’elles-mêmes et que les objets extérieurs ne peuvent être que des occasions de les déployer1 ». Ce nouveau pouvoir de réflexion qu’est le sens intime n’est plus suspendu au cours de l’expérience : les facultés sont senties indépendamment de leur application à un contenu – peut-être cela explique-t-il d’ailleurs que Lignac n’ait pas retenu le terme d’ « opération » proposé par Condillac, trop dépendant du matériau livré par la sensation, mais reprenne celui de « faculté ». Sans aller jusqu’à dire que les facultés sont constituées dès la naissance de l’individu, Lignac envisage qu’elles s’exercent de façon spontanée, les objets extérieurs n’ayant à cet égard qu’une fonction occasionnelle. Au terme de cette deuxième Lettre, les enjeux de la philosophie de Lignac sont clairement posés : il s’agit de rendre compatibles les conditions de possibilité de la religion chrétienne et les exigences de l’empirisme hérité de Locke, de fonder la spiritualité de l’âme sur des faits. À cette fin, Lignac s’emploie à dégager un espace pour une espèce de faits non matériels désignés par le terme de « phénomènes » qui doivent surgir du sens intime, rejeton radical né de l’union du sentiment intérieur de Malebranche et du sens interne de Locke.

b) La radicalisation du sentiment intérieur.

Dans sa troisième Lettre, Lignac justifie davantage cette indépendance du sentiment de notre existence par rapport au cours de l’expérience extérieure, en réponse aux objections de son interlocuteur d’après qui ce sont nos sensations qui nous font connaître notre existence. La première limite que Lignac voit à cette hypothèse est qu’elle fait dépendre notre existence de celle du corps, alors même que l’immortalité de l’âme est pour lui un dogme révélé, autant qu’une vérité attestée par le sentiment que nous avons de l’indépendance de l’âme par rapport au corps. La seconde limite de cette conception est qu’elle empêche selon lui de garantir l’unité du sujet de la perception, que ce soit l’attribution à un individu identique de perceptions simultanées issues de sens différents2, ou celle de perceptions successives issues du même sens3 : ainsi, les préoccupations de l’oratorien concernent autant le problème de

1 Ibid., p. 37. Ces mots s’intègrent dans la validation globale, par Lignac, de la thèse des causes

occasionnelles : « Les causes occasionnelles du Père Malebranche ne sont point un système mais un fait dont nous sommes assurés », Lettre VII, p. 152.

2 « Le son ne peut m’apprendre que la personne qui le reçoit, est la même qui voit, la même qui s’afflige » ;

Ibid., Lettre III, p. 44.

3 « Si ce n’est que de ma sensation que j’apprends mon existence, comment sais-je que je suis le même qui sentais de si vives impressions du froid en 1709 ? », ibid., p. 45.

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l’identité du sujet pensant posé par l’existence matérielle, que celui de l’identité du sujet dans le temps que pose l’existence temporelle. Enfin, l’hypothèse matérialiste ne peut rendre compte des facultés comme la volonté ou le jugement qui manifestent un pouvoir de réflexion par rapport aux sensations permettant à l’âme d’accepter ou de refuser ce que ces perceptions représentent. Aussi est-il beaucoup plus satisfaisant selon Lignac de considérer que le sentiment de l’existence est connu indépendamment des sensations, par ce sens intérieur qu’est le sens intime de l’âme. Comment les hommes, malgré l’évidence qui caractérise les données du sens intime, peuvent-ils tomber dans le préjugé matérialiste ? C’est que, comme il l’explique dans la suite de cette troisième Lettre, la plupart d’entre eux est incapable de réfléchir et ainsi de prendre conscience de ce sens intime et de la perception qui y est attachée. Le propre du sentiment que délivre le sens intime par rapport aux sentiments issus des impressions des sens est qu’il suppose l’exercice de la réflexion pour se manifester ; de même, Malebranche précisait, notamment dans le Traité de morale, que seule la réflexion nous rend attentifs aux enseignements du sentiment intérieur1. Il convient donc de distinguer ce que nous sentons naturellement et ce que nous pouvons connaître lorsque nous sommes attentifs à notre sens intime, comme il l’indique dans la quatrième Lettre :

La présence de la cause toute puissante étant sentie par mon âme, c’est un terme que je puis comparer à mes sensations comme la cause à l’effet. Voyons comment se fait cette comparaison. Si je suis incapable d’attention, je le suis de saisir aucun rapport. Réduit au pur sentiment, je n’ai point d’idées universelles. Je ne sens que mon individualité. Voilà l’état d’inertie dont je vous ai parlé plusieurs fois.

Suis-je devenu capable de réflexion, mon attention n’est pas fixée au numérique de mon existence, mais au rapport entre cette existence individuelle et sa cause souveraine, entre le sentiment et la perception de mon Auteur. Or en comparant la puissance infinie avec moi qui suis un terme fini, je conçois une infinité d’autres êtres possibles semblables à moi. Idée, dans mon âme, très universelle, comme vous le voyez2.

Le sentiment naturel révèle seulement l’existence individuelle, où l’être se manifeste dans sa particularité et son isolement : l’individu affecté par ses sensations se concentre sur lui-même. La réflexion ou l’attention permet justement d’élever ce sentiment à une perception représentative. Par rapport à la conception d’Arnauld dans laquelle le sentiment me donnait, par la réflexion, une idée de mon âme, la perception, dans ce passage, porte aussi sur un objet distinct de moi-même. Le sentiment tient enveloppée la cause toute puissante et ses effets en moi ; la réflexion, en s’y appliquant, abstrait la cause toute puissante du sentiment que j’en ai, pour en faire un « terme » avec lequel je peux mettre en rapport mes sensations. Lignac élucide ainsi l’opération de généralisation qu’il avait mentionnée dans la deuxième Lettre,

1 TM, I, V, XVII, OC II, p. 469.

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dans laquelle les fonctions respectives du sentiment et de la réflexion n’étaient pas clairement exposées. C’est bien par la réflexion et l’analyse qu’elle rend possible que s’opère la mise en rapport entre le sentiment fini et une puissance infinie. Le sentiment fournit donc le matériau à un jugement1 portant sur le suprasensible : « cette unique sensation, renferme, et mon être numérique qui est un effet, et la cause qui me fait exister2 ». Ce faisant, Lignac parvient à soumettre la connaissance métaphysique aux exigences de l’analyse3 : la cause universelle de l’être n’est pas découverte dans un principe inconnu et abstrait mais dans le sentiment le plus particulier qui soit, celui de notre existence. Le sentiment apparaît comme une perception simple qui renferme en fait deux termes ; ceux-ci deviennent une idée par leur mise en rapport, qui implique une opération d’abstraction prise en charge par le jugement.

Dans la onzième Lettre, Lignac invite ainsi à développer « le riche fond de connaissances que [nous] procure [notre] sens intime4 », par lequel nous connaissons « très exactement » les propriétés de cet être simple qu’est l’âme. Grâce à la réflexion sur ce sens, nous accédons à la nature de l’âme dont les principaux caractères sont la propension à la félicité ou à la misère, ou sensibilité, l’intelligence, la volonté, la mémoire, et la connaissance universelle des âmes. Lignac outrepasse encore les limites imposées par Malebranche : l’âme peut saisir d’elle-même et en cette vie son idée. Enfin, la clarté de cette dernière l’emporte sur celle des corps, car la première « embrasse encore par-dessus cela une infinité de connaissances qui n’ont aucun rapport aux propriétés de la matière, telles que sont les notions de l’ordre, les lois de la morale, les attributs de la divinité5 ».

Lignac nous semble ainsi incarner de la façon la plus forte la défense d’une certaine conception de la connaissance par sentiment au XVIIIe siècle ; il considère d’ailleurs que si la plupart des hommes accordent peu de crédit aux connaissances issues du sens intime, c’est justement parce qu’elles ne sont pas tirées du raisonnement ou de pénibles démonstrations mais sont découvertes « sans calcul, sans effort6 ». Toutefois, pour Lignac, défendre le sens

1 Il définit le jugement dans la cinquième Lettre, comme la mise en rapport de deux perceptions.

2 Ibid., Lettre V, p. 85

3 Rappelons que les conditions de cette méthode bien conduite qu’est l’analyse sont établies par Condillac dans le Traité des systèmes de 1749. Elles prescrivent de partir de principes bien déterminés plutôt que de principes abstraits et généraux.

4 Ibid. Lettre XI, p. 243.

5 Ibid., p. 248. Lignac refuse contre Malebranche qu’avoir l’idée d’un objet signifie connaître de simple vue

toutes les propriétés de cet objet. L’idée des objets mathématiques elle-même, comme l’idée d’un cercle, ne donne pas un accès immédiat à toutes leurs propriétés mais suppose de longues méditations et de nombreuses comparaisons pour dégager les rapports existant entre les lignes.

6 Ibid., p. 248-249. Lignac ajoute : « Après cela ne devons-nous pas être surpris que le P. Malebranche ne

trouve dans notre sens intime, que des connaissances stériles et obscures, et qu’il le mette beaucoup au-dessous des avantages que nous procure l’usage de nos yeux ?» Ibid., p. 249.

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intime comme instance de connaissance ne signifie aucunement se résoudre à la relativité des connaissances ainsi acquises puisqu’il insiste en même temps sur l’universalité des quatre propriétés tirées du sens de notre existence – la sensibilité, l’intelligence, la volonté et la mémoire sont « quatre propriétés universelles » dont nous avons « quatre idées très distinctes 1 » –, ainsi que sur la clarté de la notion de l’esprit en général que nous obtenons en faisant de notre âme le type de tous les esprits. Le Témoignage du sens intime et de

l’expérience de 1760 confirmera cette prérogative théorique et métaphysique donnée au sens

intime :

Notre sens intime est la manière de connaître la plus parfaite, comme étant seule immédiate, comme saisissant son objet par l’intérieur ; au lieu que les connaissances qui viennent de nos sens, sont médiates et superficielles2.

Dans les Lettres de 1753, Lignac a souligné l’importance de la réflexion dans l’analyse du matériau livré par le sens intime et l’intervention du jugement dans la mise en rapport des termes compris dans ce sentiment. Toutefois, il semble qu’en 1760, cette concession faite à l’activité de l’esprit s’efface devant l’affirmation forte du pouvoir de connaître inhérent au sens intime, qui apparaît comme un principe autonome et suffisant pour fournir des connaissances nécessaires3. Le sens intime est donc une instance de connaissance sui generis, résultant de la purification du sentiment intérieur de Malebranche4 : Lignac en garde le caractère intérieur, qui, chez le premier, conférait déjà aux sentiments considérés de ce point de vue une valeur de certitude, tout en le coupant de tout rapport au corps. Il le dote des pouvoirs que Leibniz avait justement accordés à la réflexion pour la distinguer du sentiment,