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Chapitre 2 – Cadre théorique

2.3 L’élaboration d’une réponse à la suite d’une lecture

2.3.4. La justification à la suite d’une lecture

2.3.4.2 Les processus cognitifs impliqués dans l’élaboration d’une justification

Nous avons vu que plusieurs processus de compréhension sont nécessaires pour comprendre un texte, mais qu’en est-il des processus utilisés par les élèves lors de la production d’une réponse où il y a élaboration d’une justification?

La recherche exploratoire de Forget (2014) effectuée auprès d’élèves plurilingues décrit plusieurs processus liés à la justification. Cette recherche a été menée auprès de trois classes du premier cycle du secondaire d’une école de Montréal. La chercheuse a observé quatre situations d’apprentissage différentes de justification écrite, totalisant 21 leçons de 75 minutes. Les situations ont été conçues par chacun des enseignants sans l’aide de la chercheuse. Seule une des quatre situations d’apprentissage consistait à répondre à des questions de compréhension, d’interprétation et de réaction à la suite d’une lecture. Voici un exemple d’une question de cette situation d’apprentissage : À la suite de la lecture du roman (L’homme qui plantait des arbres), si tu devais adopter une seule des valeurs attribuées à Elzéard Bouffier, laquelle choisirais-tu? Pourquoi? Comment se transposerait-elle dans ton quotidien? Réponds dans un texte d’environ 75 à 100 mots. Pour les autres tâches observées, il y avait la rédaction d’un texte à teneur justificative, la production d’un dépliant promotionnel et un texte pour la mise en candidature d’une personne.

La chercheuse a recueilli le matériel didactique et les productions écrites de quinze élèves, soit cinq élèves par classe. Ces quinze élèves ont été sélectionnés par les enseignants selon les critères suivants : élèves fréquentant la classe ordinaire de français depuis au moins deux ans, élèves pouvant atteindre les exigences du cours, élèves se disant volontaires pour participer aux entretiens. Il y avait une proportion équivalente de garçons et de filles.

Forget s’intéresse donc à l’apprentissage de l’écriture de justifications (pas seulement à la suite d’une lecture) et vérifie ce que les élèves connaissent quant aux conduites justificatives acquises à l’école ou ailleurs et comment celles-ci entrent en jeu lors de l’apprentissage de

l’écriture. Pour collecter ses données, elle a utilisé la méthode d’entretien individuel du Think Aloud. Il s’agit d’un entretien d’environ une heure qui encourage les élèves à verbaliser leurs processus cognitifs. Elle a ensuite retranscrit les entretiens afin de retracer la trame chronologique et hiérarchique des actions mentales et matérielles effectuées par les élèves lors de l’élaboration de leurs justifications écrites.

Dans ses résultats, elle décrit spécifiquement les processus cognitifs utilisés lors de la planification et la « production » d’une justification écrite chez les élèves du premier cycle du secondaire. C’est-à-dire qu’elle s’est intéressée aux actions mentales déployées lorsqu’un élève produit sa justification à l’écrit. Le tableau suivant résume les processus utilisés par les élèves d’après Forget (2014) (voir aussi le tableau 4 au chapitre 1).

Tableau 12. Les tactiques (stratégies) d’élaboration de justifications écrites dans le cadre de situations didactiques chez les élèves plurilingues selon Forget (2014)

Plusieurs des processus retenus par Forget (2014) sont non observables, car il s’agit d’actions mentales effectuées pour réussir à écrire une justification, par exemple valider par concordance (l’élève valide le choix de ses informations en concordance avec la question posée). Par contre, d’autres processus sont directement observables dans la justification élaborée par l’élève (ex. : comparer des options, l’élève compare les pour et les contre de diverses options).

Pour déterminer sa position, l’élève :

s’identifie à autrui compare des options

appelle à son expérience

Si l’élève connaît déjà sa position, il :

s’autoquestionne

Repère des informations Se remémore Fait référence à autrui Valide par concordance Valide en référence aux réactions d’autrui Valide en référence à l’autorité ou à la popularité Met en contraste

Il est pertinent de comparer les similarités et les différences entre les processus de compréhension cités précédemment (liés à la deuxième sphère de la lecture) et ceux spécifiquement liés à la production de conduites justificatives identifiées par Forget (2014) (liés à la troisième sphère de la lecture). Le prochain tableau compare les similarités et les différences.

Tableau 13. La comparaison entre les processus de compréhension et les processus de production d’une justification

Processus liés à la compréhension Processus liés à la production d’une

réponse à teneur justificative

(adapté de Forget, 2014)13

Ce qui est réinvesti de façon observable directement dans la

réponse de l’élève (à l’oral ou à

l’écrit)

L’élève fait des liens avec ses connaissances/expériences

L’élève puise dans ses

connaissances et ses expériences pour comprendre le texte.

L’élève fait appel à son expérience

(remémoration)

L’élève fait appel à son expérience et se remémore des événements du passé pour produire sa justification.

L’élève appuie sa réponse en faisant appel à son expérience.

L’élève se pose des questions à propos du contenu du texte

L’élève anticipe le texte et se pose des questions tout au long de sa lecture.

L‘élève fait appel à l’autoquestionnement

L’élève se pose la question à laquelle il doit répondre et justifier. Il se

demande : pourquoi dis-je…

Processus non observable dans la production de la réponse.

L’élève survole le texte

L’élève prend le temps de regarder le titre, les sous-titres, les images, etc. pour connaître les sujets ou les thèmes abordés.

Processus non observable dans la production de la réponse.

L’élève identifie la structure du texte

L’élève définit le genre de texte et anticipe les types d’informations présentés.

Processus non observable dans la production de la réponse.

L’élève résume dans ses mots OU définit l’idée principale et les idées secondaires

L’élève relève les idées importantes, il utilise des macrorègles de suppression, de généralisation et de construction pour comprendre le récit.

L’élève fait appel à des passages, des extraits, des citations tirés du texte

(Repérer l’information du texte) L’élève recherche et utilise des informations, des parties du texte pour appuyer sa réponse. Il utilise également les macrorègles pour produire sa réponse.

L’élève fait appel à des extraits, des citations, des parties du texte dans sa réponse. Il paraphrase certaines parties du texte.

13 Ce tableau est inspiré des catégories de processus utilisés selon Forget (2014). Nous avons mis en gras les termes retenus

pour notre projet de recherche, mais s’il y a des différences avec la terminologie utilisée par Forget (2014), nous les avons nommées entre parenthèses.

Processus liés à la compréhension Processus liés à la production d’une

réponse à teneur justificative

(adapté de Forget, 2014)13

Ce qui est réinvesti de façon observable directement dans la

réponse de l’élève (à l’oral ou à

l’écrit)

L’élève comprend les mots et les expressions

L’élève utilise le contexte, des indices morphologiques, les images, etc. pour comprendre le sens des mots.

L’élève fait appel à des mots précis

Forget (2014) ne mentionne pas ce volet.

Nous voulons approfondir notre compréhension des processus de production liés à l’utilisation du vocabulaire.

L’élève utilise des mots précis pour exprimer sa réponse.

L’élève fait des inférences

L’élève fait des inférences anaphoriques, lexicales, causales, prédictives et pragmatiques pour combler le non-dit de l’auteur.

L’élève fait appel à des informations implicites ou fait des inférences

Forget (2014) ne mentionne pas ce volet.

Nous voulons approfondir notre compréhension des processus de production liés à l’utilisation de l’inférence.

L’élève émet des inférences causales, prédictives et pragmatiques lors de la production de sa réponse. L’élève a recours à la visualisation14 (imagerie mentale)

L’élève se fait des images dans la tête, imagine, schématise sa compréhension, ressent les émotions vécues par les personnages.

L’élève s’identifie à autrui ou aux personnages

L’élève saisit le vécu fictif des protagonistes impliqués et prend position afin de générer les raisons qui appuient cette position en s’imaginant à la place des protagonistes.

L’élève peut imaginer et décrire ce qu’il imagine de la scène d’un passage du livre. Il peut

s’identifier et ressentir les émotions des personnages.

L’élève gère sa compréhension

L’élève prend conscience de ses bris de compréhension et utilise des moyens pour la rétablir.

L’élève valide la recevabilité de sa réponse

L’élève prend conscience qu’il doit valider la recevabilité de sa réponse. - Valider par concordance

L’élève valide le choix de ses informations tirées des sources et destinées à appuyer sa position en vérifiant leur concordance avec la question posée, les critères fournis, les informations consultées. -Valider par référence au(x) destinataire(s)

L’élève s’imagine dans la peau de son destinataire afin de vérifier la recevabilité de ses arguments.

Processus non observable dans la production de la réponse : Valider par concordance, valider par référence au destinataire.

14 Le recours à la visualisation implique de pouvoir imaginer une scène, mais également de pouvoir imaginer les

Processus liés à la compréhension Processus liés à la production d’une

réponse à teneur justificative

(adapté de Forget, 2014)13

Ce qui est réinvesti de façon observable directement dans la

réponse de l’élève (à l’oral ou à

l’écrit)

L’élève fait appel aux propos des pairs, de l’enseignante ou de l’autorité (Valider par appel à

l’autorité ou à la popularité) L’élève valide ses raisons ou ses exemples qui appuient sa position sur le fait qu’ils proviennent d’une personne en autorité ou d’une masse de personnes.

Pour le processus Appel aux

propos des pairs, de l’enseignant ou de l’autorité, il est possible de

voir dans l’élaboration des réponses des élèves des arguments qui reprennent les propos d’un autre élève, de l’enseignant ou de l’autorité.

L’élève évalue ou porte un jugement sur le texte

L’élève compare les pour et les contre de diverses options.

L’élève génère des exemples

contrastes en élaborant une situation hypothétique à l’opposé de la situation réelle.

L’élève émet une

évaluation/jugement sur des éléments du texte. Il donne son opinion, compare certains éléments et peut aussi les mettre en contraste.

Ce tableau montre que certains processus de compréhension sont similaires aux processus de production d’une réponse à teneur justificative à la suite d’une lecture tels que faire appel à son expérience, faire appel à un questionnement, faire appel à des passages, des extraits, des citations tirés du texte, avoir recours à la visualisation (s’identifier à autrui). Cette liste de processus similaires pourrait expliquer les résultats des études (Bissonnette et collaborateurs, 2010; Dignath et Büttner, 2008; Gajria et collaborateurs, 2007; National Reading Panel, 2018) qui mentionnent que la performance en lecture des élèves s’améliore lorsqu’il y a enseignement de ces stratégies de compréhension, car, dans une large mesure ce sont les mêmes processus utilisés pour la compréhension du texte et lors de la rédaction d’une réponse à la suite d’une lecture.

De plus, nous croyons que les processus d’inférence et de compréhension des mots jouent également un rôle dans l’élaboration d’une réponse et qu’il serait pertinent d’analyser davantage ce rôle dans la production d’une réponse à la suite d’une lecture. Cela pourrait compléter deux aspects non étudiés par Forget (2014) qui ont pourtant un impact sur l’élaboration d’une justification.

Il est important de considérer que certains processus ne sont pas les mêmes et sont spécifiques à la troisième sphère de la lecture pour la production d’une réponse à teneur justificative : valider la recevabilité de sa réponse et faire appel à évaluer ou porter un jugement en comparant ou en mettant en contraste certains éléments.

En somme, bien que notre recherche s’intéresse aux processus cognitifs impliqués dans la rédaction d’une réponse, la mise en place d’une étude qui vise à cerner les stratégies justificatives observables (qui peuvent être enseignées) utilisées par les élèves lors de la construction de leurs réponses (à l’oral et à l’écrit) est pertinente pour combler ce vide empirique.

Cela nous amène également à nous questionner par rapport à la maturité cognitive et aux capacités justificatives des élèves du primaire. Sachant qu’il y a des différences entre les élèves plus jeunes et plus âgés en ce qui concerne leur capacité inférentielle (Barnes et coll., 1996; Dupin de Saint-André, 2011; Fayol, 2017), l’utilisation de leurs stratégies de compréhension (Israel, 2007) et l’étendue de leur vocabulaire (Biemiller, 2005, 2007, 2012; Boudreault et collaborateurs, 2007; Sutton et Trudeau, 2007), nous posons l’hypothèse qu’il y a également des différences entre les capacités justificatives des jeunes élèves et celles des plus âgés. Est-ce que les élèves plus jeunes ont recours à un seul point de vue (ou raison) pour justifier leur réponse tandis que les élèves du primaire plus âgés utilisent davantage de raisons pour justifier leur réponse et se rapprochent plus d’un discours argumentatif? Est-ce que certaines stratégies justificatives sont davantage utilisées par les élèves plus âgés? Est-ce que leurs stratégies justificatives sont plus diversifiées?

Rappelons que pour plusieurs spécialistes en didactique (Auriac-Peyronnet, 2001; Forget, 2017; Garcia-Debanc, 1994; Golder, 1996), la justification correspond à une opération de base de l’argumentation. Dans le Programme de formation de l’école québécoise du secondaire au premier cycle, la justification « constitue une sensibilisation à l’argumentation » (p. 109). Forget (2012) l’exprime de cette façon :

Ils (les élèves) apprennent à mettre en place des habiletés cognitives, discursives et stratégiques de type argumentatif puisque, en tout état de cause, que ce soit pour

persuader, convaincre, négocier ou construire ses connaissances, encore faut-il d’abord et avant tout justifier la légitimité de son propos (p. 62).

Golder (1992) mentionne qu’il est difficile pour un jeune enfant de considérer une autre position que la sienne, même à l’oral. Cette capacité de considérer son interlocuteur est essentielle au fonctionnement d’un dialogue argumentatif. Elle nous rappelle qu’argumenter demande une capacité minimale à coopérer. Deux niveaux de coopérativité seraient requis : la coopérativité dialogale (respect des règles conversationnelles) et la coopérativité argumentative, qui apparaîtrait vers 8 ou 9 ans et qui permet à l’enfant de percevoir la position de son interlocuteur et de s’y adapter. Nous croyons important d’observer les débuts des apprentissages liés à la justification. Est-ce que ces niveaux de coopérativité ont un impact sur les réponses émises par les élèves? Quelles stratégies justificatives utilisent-ils? Nous voulons mieux comprendre la construction de leurs réponses à teneur justificative et mieux cerner les difficultés liées à l’évaluation de ce type de réponse. Nous reviendrons sur l’évaluation après avoir abordé l’influence du contexte d’enseignement.

2.3.5 Le contexte d’enseignement qui influe sur l’élaboration de la