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Chapitre 2 – Cadre théorique

2.2 Le réinvestissement des composantes liées à la compréhension dans la réponse du

2.2.4 Des recherches portant sur les stratégies de compréhension

Les recherches sur l’enseignement des stratégies de compréhension ont surtout émergé vers les années 1970-1980, d’abord avec les travaux de Durkin (1978) qui révèlent que, à l’époque, « les élèves ne reçoivent que peu d’enseignement sur la façon de comprendre les textes » (cité dans Croisetière, p. 26). Ensuite, les travaux de Pearson et de Pressley (Pressley 2002; Pressley et coll., 1997) ont permis de mieux comprendre la pertinence d’enseigner explicitement des stratégies de compréhension.

Plusieurs expériences ont été menées auprès d’élèves afin de leur enseigner une ou plusieurs stratégies et les résultats se sont avérés bénéfiques pour les groupes ayant bénéficié de ces enseignements (Pearson et Dole, 1987; Pearson et Fielding, 1991). Les stratégies enseignées dans ces études consistaient à faire des liens avec leurs connaissances antérieures (sur le sujet du texte), à faire une image mentale des informations représentées dans le texte, à se poser des questions en cours de lecture, à faire le rappel du texte en sélectionnant les informations importantes. Ces recherches ont mis en évidence qu’un « bon » lecteur utilise une variété de stratégies.

De ce courant ont émergé les travaux de Brown et Palincsar (1984), qui ont mis en place l’approche par l’enseignement réciproque qui consiste à enseigner en petits groupes un répertoire de stratégies (se poser des questions, faire des prédictions, clarifier sa compréhension et résumer). Même si l’adulte guide et assiste le petit groupe, l’objectif est de familiariser les élèves avec ces stratégies afin qu’ils développent et intériorisent les stratégies enseignées et les utilisent de façon autonome. Il semblerait que 20 sessions d’enseignement seraient nécessaires pour avoir un effet sur la compréhension (Brown et Palincsar, 1989).

Lorsque cette approche est entrée dans les salles de classe, Pressley (2002) a observé que les enseignants enseignaient des stratégies de compréhension, mais que la gestion de classe ne ressemblait pas à ce qui était attendu de l’enseignement réciproque.

Pressley (2002) a donc modifié la façon de faire pour mieux prendre en compte la réalité de la salle de classe. Il a nommé cette approche Transactional Strategies Instruction. Les stratégies enseignées étaient sensiblement les mêmes (se poser des questions, faire des prédictions, visualiser le texte, clarifier sa compréhension et résumer), mais des changements ont été apportés pour assurer un enseignement encore plus efficace :

- L’enseignant modélise et verbalise la stratégie à de petits groupes. Ensuite, les élèves pratiquent la stratégie et l’expliquent ou la modélisent pour leurs pairs;

- Le but d’apprendre ces stratégies est clairement explicité aux élèves : les stratégies sont un véhicule à l’interprétation et leur permettent de dépasser la compréhension explicite du texte;

- Les élèves apprennent à orchestrer leurs stratégies selon leurs difficultés ou leurs lectures. Par exemple, il n’y a pas de moment obligatoire où les élèves doivent utiliser la stratégie (ex. : au début de la lecture, à la fin de la lecture, tu dois…), ils apprennent plutôt à réguler leur compréhension;

- Les stratégies sont également réinvesties à travers les lectures en grand groupe et lors des entretiens individuels (Brown, Pressley, Van Meter, et Schuder, 1996).

Pressley (2002) mentionne que ses recherches qualitatives ont démontré des avantages. D’ailleurs, une recension de 19 études expérimentales sur cette approche a conclu qu’il est plus bénéfique que les quatre stratégies soient d’abord enseignées de façon explicite par l’enseignant (Rosenshine et Meister, 1993, cités par Turcotte et collaboratrices, 2015)

.

D’après ces études, il apparaît important qu’une combinaison de stratégies soit enseignée pour éviter que le lecteur acquière des habiletés isolées ou décontextualisées (Croisetière, 2011; National Reading Panel, 2018).

Alors, est-ce qu’enseigner des stratégies de compréhension avantage l’élève? Il semble y avoir un consensus scientifique sur l’importance d’enseigner les stratégies de compréhension selon plusieurs méta-analyses (Bissonnette et collaborateurs, 2010; Dignath et Büttner, 2008; Gajria et collaborateurs, 2007). Tout comme ces études l’affirment, il faut toutefois prendre en compte la méthodologie utilisée afin d’enseigner ces stratégies. Bissonnette et ses collaborateurs (2010) ont effectué une méga-analyse synthétisant 11 méta-analyses qui ont examiné 362 recherches publiées entre 1963 et 2006, ces dernières impliquant plus de 30 000 élèves. Leurs résultats réitèrent l’importance d’un enseignement structuré, directif et explicite. Turcotte et collaboratrices (2015) décrivent bien ce que l’on entend par enseignement structuré, directif et explicite :

Cet enseignement explicite vise l’introduction d’une stratégie à la fois, et ce, de façon structurée. Chaque stratégie est enseignée d’abord en expliquant pourquoi, comment et quand l’utiliser. Ensuite, cette stratégie fait l’objet d’une modélisation par l’enseignant sous forme de pensée à voix haute afin de rendre son application claire pour les élèves et fournir un modèle adéquat. La troisième étape consiste à guider les élèves dans l’utilisation de cette stratégie à l’intérieur d’une tâche et de leur offrir des rétroactions immédiates. Enfin, l’enseignant les amène à exercer de façon autonome leur stratégie dans des contextes variés (Archer et Hugues, 2011). Cette approche permet aux élèves plus forts de passer plus rapidement à l’étape du travail autonome alors que les autres élèves peuvent bénéficier de soutien supplémentaire (Juel et Minden-Cup, 2000). Cet enseignement direct et structuré visant l’apprentissage de stratégies de compréhension se révèle donc plus efficace qu’un enseignement plus occasionnel ou moins structuré, surtout auprès des élèves plus faibles (Ritchey, Silverman, Montanaro, Speece et Schatschneider, 2012) (p. 109).

En plus des méta-analyses, plusieurs recherches réitèrent l’importance d’enseigner des stratégies de compréhension (Croisetière, 2011; Hilden et Pressley, 2007), dont la recherche de Brown, Pressley, Van Meter et Schuder (1996).

Nous détaillons, dans la prochaine partie, l’étude de Brown, Pressley, Van Meter et Schuder (1996), car la méthodologie utilisée par les auteurs et les résultats de leur étude nous ont beaucoup fait réfléchir à propos de l’enseignement des stratégies de compréhension et de l’impact sur l’élaboration de la réponse des élèves. Nous croyons que les résultats de cette étude décrivent, à leur façon, les stratégies de justification utilisées par les élèves.

Brown, Pressley, Van Meter et Schuder (1996) ont appelé cette méthode SAIL (Student Achieving Independent Learning), qui est fortement inspirée de l’approche Transactional Strategy Instruction. Cinq enseignants de deuxième année ont été choisis pour leur expertise en enseignement de la lecture, ceux-ci ayant été formés à la méthode pour l’enseignement des stratégies (SAIL).

Cinq autres enseignants non SAIL ont été choisis par les directions d’école et devaient être considérés comme de bons enseignants selon plusieurs critères préétablis : les tâches sont appropriées pour les élèves, les activités sont motivantes, les élèves sont engagés, la lecture a une place importante dans la classe, les enseignants font le suivi des progrès des élèves et les activités favorisent l’estime de soi.

Tous les enseignants choisis ont dû passer un test déterminant leur profil d’enseignant (Theoretical Orientation To Reading Profile) et un test à propos de leurs croyances envers l’enseignement de la lecture. Chaque enseignant devait enseigner la lecture à leur classe pour une année entière. Un groupe de six élèves a été sélectionné à l’intérieur de chaque classe afin de participer au projet de recherche, selon les résultats à un test standardisé et le milieu démographique (la composition ethnique des groupes a été considérée lorsque cela était possible), chaque groupe d’élèves SAIL a été jumelé à un groupe contrôle non SAIL.

Un entretien avec tous les élèves a eu lieu en octobre-novembre et un autre en mars-avril afin de déterminer le degré de connaissance des élèves des stratégies de compréhension. En mars et avril, deux histoires ont été lues par les participants et les discussions autour de ces textes ont été analysées afin de vérifier les différences observées entre les groupes SAIL et non SAIL. Les élèves devaient ensuite raconter l’histoire dans leurs mots à un évaluateur dans le cadre d’un entretien. Des images étaient aussi offertes comme soutien au récit. Ensuite, ils devaient faire une lecture et ils étaient arrêtés à quatre moments du récit pour expliciter ce qu’ils pensaient. En mai-juin, les élèves ont tous fait le test Stanford Achievement Test Subtests afin de vérifier leur performance en lecture.

Deux types de résultats ont découlé de cette recherche : ceux portant sur la qualité de l’enseignement et ceux à propos de la qualité des réponses des élèves. Premièrement, les

résultats ont démontré que les enseignants SAIL donnaient plus d’explications explicites, verbalisaient leurs réflexions et élaboraient leurs commentaires à partir des réactions ou réponses des élèves. Les enseignants non SAIL donnaient davantage de consignes à leurs élèves sans en expliciter le but, donnaient des réponses, valorisaient et évaluaient davantage la performance de leurs élèves.

Deuxièmement, les résultats portant sur les élèves indiquent que ceux des groupes SAIL verbalisent mieux leurs processus de compréhension et les moyens qu’ils utilisent pour comprendre les textes. À court terme, les élèves des groupes SAIL retiennent davantage de détails lorsqu’ils racontent une histoire et développent une compréhension plus riche et plus personnalisée du récit. Nous trouvons intéressant que les auteurs de cette recherche indiquent que les élèves développent une compréhension plus riche et personnalisée à la suite de l’enseignement de stratégies de compréhension. Nous nous demandons si la variété des stratégies justificatives utilisées par les élèves des groupes SAIL pour verbaliser leurs réponses peut avoir influencé ce commentaire émis par l’équipe de recherche.

Les effets à long terme constatés sont que les élèves verbalisent davantage les processus impliqués dans leur compréhension et que leurs résultats à l’épreuve standardisée étaient supérieurs aux groupes contrôles. Les auteurs mentionnent aussi l’importance d’avoir des tâches où les élèves doivent répondre à l’oral puisque cela donne des indications sur les processus qu’ils utilisent. Nous estimons que les auteurs de cette étude décrivent les traces des stratégies de compréhension laissées lors de l’utilisation des stratégies de justification.