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Chapitre 2 – Cadre théorique

2.3 L’élaboration d’une réponse à la suite d’une lecture

2.3.2 Les quatre dimensions de la lecture et le type de réponse attendue

Au Québec, les prescriptions ministérielles, notamment dans le Cadre d’évaluation des apprentissages (MELS, 2011) et la Progression des apprentissages (MELS, 2009), permettent de mieux saisir ce qui est attendu des élèves québécois en lecture. Ces documents mettent de l’avant qu’un élève doit comprendre, interpréter, réagir et utiliser son jugement critique dont ce qui relève de l’appréciation en lecture.

Dans la prochaine partie, nous avons tenté de recenser ce que certains auteurs définissent comme étant les quatre dimensions de la lecture : la compréhension (littérale et inférentielle), l’interprétation, la réaction au texte et le jugement critique, mais plus particulièrement l’appréciation d’un texte.

Pour chaque dimension, nous faisons une brève synthèse des éléments importants et nous rappelons ce qui caractérise la réponse liée à chaque dimension.

2.3.2.1 La dimension liée à la compréhension

Falardeau (2003) et Giasson (1990) considèrent que la compréhension se distingue selon deux modes de compréhension : la compréhension littérale et la compréhension inférentielle. La compréhension littérale s’intéresse à ce qui est présent à la surface du texte, de manière explicite, tandis que la compréhension inférentielle considère plutôt les liens tissés entre les idées (le non-dit). Le lecteur doit combler des passages implicites, des vides d’informations. Par contre, une des particularités de la compréhension littérale ou de la compréhension inférentielle est qu’elle aboutit à la production d’un sens commun et peu contestable, car cette compréhension est partagée et fait consensus auprès de différents lecteurs d’un groupe socioculturel (Dufays et coll., 2009). Elle ne nécessite donc pas de mise en discours puisqu’elle est reconnue par tous (Falardeau 2003). D’après Falardeau (2003), le rappel du texte (à l’oral ou à l’écrit) est un bon moyen de vérifier la compréhension littérale et la compréhension inférentielle, car les élèves doivent réorganiser les informations explicites et implicites du texte sans avoir à répondre à un questionnaire.

Bref, une réponse liée à cette dimension aboutit à un sens commun et est peu contestable (Dufays et coll., 2009). Les élèves reprennent du texte les passages explicitement cités du texte ou reformulent dans leurs mots une réponse semblable. Il n’y a pas de divergence de point de vue, même pour les questions inférentielles. Une justification peut ne pas être nécessaire puisque tout le monde s’entend sur une réponse semblable; parfois, certains élèves peuvent aussi décider d’apporter une justification afin de préciser ou rendre recevable leur réponse.

2.3.2.2 La dimension liée à l’interprétation

Si la compréhension est la construction de sens à partir d’éléments explicites et implicites du texte, sens partagés par un ensemble de lecteurs, l’interprétation n’appartient pas au domaine du consensus. D’après Falardeau (2003), l’interprétation imposerait un mouvement de va-et- vient à l’intérieur duquel le lecteur retient des éléments polysémiques qu’il fait rayonner sur le texte en lui prêtant une signification extérieure. Il y a polysémie des points de vue d’un sujet (le lecteur) sur un objet (le texte). L’interprétation serait justement la tentative d’explication de cette pluralité des mondes. Pour ce faire, le lecteur fait appel à une multitude de références (culturelles, connaissances antérieures, etc.) afin de fonder son interprétation. Un autre aspect important est à considérer : elle implique souvent la socialisation d’un discours, car il y a présentation de différents points de vue. D’après Vandendorpe (1992), « l’interprétation apparaît comme une activité négociée dans un rapport d’égalité entre divers locuteurs. Plusieurs interprétations peuvent s’exclure mutuellement sans que l’une soit nécessairement meilleure que les autres » (p. 162-163). Turgeon (2013) décrit la distinction entre les deux dimensions de la compréhension littérale/inférentielle et l’interprétation de cette façon :

La principale différence entre les deux (compréhension et interprétation) est le nombre des sens qu’ils permettent de dégager. En effet, si la compréhension ne permet de dégager qu’un seul sens, l’interprétation se distingue par le fait qu’elle autorise plusieurs sens acceptables. On peut donc distinguer l’interprétation de la compréhension en disant qu’elle est nécessaire lorsqu’un choix s’offre au lecteur. Nous rejoignons ainsi la pensée de Barthes (1970) qui pose la distinction comprendre/interpréter en termes de singulier/pluriel (p. 114).

Elle mentionne toutefois, en citant Lebrun (1994), une condition importante pour que l’interprétation ne devienne pas une suite d’informations sans fondement :

Un lecteur qui s’éloignerait trop du texte pour justifier son interprétation serait davantage du côté de la création que de celui de l’interprétation. Pour être reconnue comme plausible, une interprétation doit pouvoir se justifier par le recours à des données objectives du texte ou à des éléments culturels (p. 118).

En somme, une réponse liée à la dimension de l’interprétation est plurielle. Plusieurs élèves peuvent répondre différentes affirmations et celles-ci peuvent être influencées par leurs connaissances antérieures, leur culture, etc. Il faut toutefois que cette interprétation soit plausible et ne soit pas en contradiction avec le texte. Une justification est habituellement nécessaire pour rendre recevable la réponse énoncée par l’élève.

2.3.2.3 La dimension liée à la réaction

Bilodeau et Gagnon (2010) définissent la réaction au texte comme « un jugement affectif sur les textes lus ou entendus et [une] position à l’égard des valeurs et des idées véhiculées dans le texte en les confrontant à ses expériences, à ses comportements, à ses habitudes et à ses valeurs » (p. 42). Turgeon (2006) indique que la réaction découle des perceptions du lecteur, de ses émotions, ses sentiments et ses sensations par rapport à l’œuvre. Giasson (2011) va également dans ce sens puisqu’elle mentionne qu’il s’agit d’une réaction personnelle du lecteur, celui-ci peut s’identifier au héros, exprimer ses sentiments sur les événements ou établir des liens avec son expérience personnelle. Elle mentionne que le lecteur peut « vivre » le texte, le comparer à lui-même ou généraliser la signification littéraire en l’appliquant à sa propre vie. André de l’Arc (2019) fait référence à la réaction au texte comme étant les « émotions suscitées par la lecture qui sont des réponses physiologiques du corps du lecteur à l’appel du sens d’un texte » (p. 35), ce qu’affirme aussi Langlade (2007) lorsqu’il définit les effets de la lecture subjective sur l’individu. Il s’agit de :

la façon dont un texte littéraire affecte les émotions, les sentiments et les jugements d’un lecteur empirique. Ce dernier s’attache plus aux retentissements individuels que suscite une œuvre sur lui-même qu’à la description analytique des catégories textuelles, génériques et stylistiques de celle-ci. La lecture subjective concerne en effet le processus interactionnel, la relation dynamique à travers lesquels le lecteur

réagit, répond et réplique aux sollicitations d’une œuvre en puisant dans sa personnalité profonde, sa culture intime, son imaginaire (p. 71).

Nous retenons qu’une réponse liée à la dimension de la réaction au texte en est une affective et émotionnelle. Les élèves font des liens entre leur vie et le texte. Les réponses peuvent également être différentes d’un élève à l’autre, selon leurs expériences, leurs valeurs, etc. Il s’agit donc d’une réaction personnelle du lecteur à l’égard de sa propre vie et du texte. Une justification est habituellement nécessaire pour rendre recevable la réponse énoncée par l’élève.

2.3.2.4 La dimension liée au jugement critique, mais plus particulièrement celle liée à l’appréciation d’un texte

D’après Giasson (2011), apprécier une œuvre littéraire consiste pour le lecteur à se faire une opinion sur le texte, à formuler des commentaires critiques et esthétiques ou à comparer ce texte à une autre œuvre. Cette appréciation repose sur la connaissance de procédés littéraires (qui n’est pas une fin en soi, mais plutôt un outil qui permet d’apprécier un texte).

Pour sa part, Turgeon (2013) nous rappelle que l’appréciation exige un certain recul par rapport à l’œuvre. Le lecteur doit prendre ainsi une position de distanciation par rapport à l’œuvre. Langer (1985) citée par Turgeon (2013) décrit cette position de distanciation :

(…) le lecteur prend une distance par rapport au texte et réfléchit à sa compréhension, à son expérience de lecture et au texte lui-même. Il porte un jugement, analyse et fait des liens avec d’autres textes lus ou d’autres expériences. C’est à ce moment qu’il peut réfléchir à l’art de l’auteur, à la structure du texte et aux éléments littéraires (p. 111)

C’est à la lumière de sa compréhension, de ses interprétations et de ses réactions que le lecteur sera en mesure de porter un jugement sur l’œuvre à partir de critères personnels et esthétiques. Turgeon (2006) définit un critère comme étant « un élément d’observation que l’on qualifie » (p. 58), par exemple, une fin inattendue, une intrigue intéressante, une introduction qui interpelle le lecteur ou des personnages crédibles. Les critères nous

permettent de juger de la qualité d’une œuvre en la comparant à une autre, ils sont donc nécessaires pour faire des comparaisons entre les œuvres.

Pour pouvoir comprendre, nommer et expliciter ces critères et ces procédés littéraires, les élèves doivent avoir une connaissance du métalangage utilisé en littératie (Daviault, 2011) tel que le vocabulaire nécessaire pour exprimer ce qu’est une intrigue ou les caractéristiques morales du personnage, par exemple.

Une réponse liée à la dimension de l’appréciation est un jugement critique à l’égard d’une ou plusieurs œuvres basé sur des critères ou des procédés littéraires. Les élèves doivent analyser l’œuvre à la lumière de ces critères et se positionner. Les réponses seront différentes selon les critères choisis et l’analyse effectuée. Une justification est habituellement nécessaire pour rendre recevable la réponse énoncée par l’élève.

En somme, nous constatons que selon les dimensions ciblées, les élèves utiliseront différentes façons de répondre aux questions ou aux tâches proposées. Certaines nécessitent une justification et d’autres non. Pour certaines catégories de questions, « il ne s’agit pas de mesurer jusqu’où un lecteur a su décrypter le texte, mais ce qu’il a su retirer de son expérience de lecture. (…) Ce n’est pas de savoir ce que le texte signifie, mais ce qu’il permet au lecteur de créer, de découvrir sur lui-même et le monde qui l’entoure » (Hébert, 2002, p. 66), ce qui rend l’évaluation des réponses à la suite d’une lecture difficile selon certains chercheurs (Hébert, 2002). Lors de l’évaluation, Hébert (2002) spécifie qu’il s’agit d’évaluer le degré d’élaboration verbale (ce qui inclut la justification). Nous y revenons un peu plus loin dans la section portant sur l’évaluation de la justification.