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2.2 L’approche du changement institutionnel

2.2.1 Les interactions entre organisations et institutions

Nous présentons ici la façon dont l’économie institutionnelle analyse la dynamique des relations entre institutions et organisations. Nous commençons par définir le concept d’institutions, avant de présenter quelques éléments des travaux qui analysent l’influence des institutions sur les organisations d’une part et celle des organisations sur les institutions d’autre part.

2.2.1.1 Les institutions dans la théorie économique

C’est en se positionnant en réaction aux hypothèses et démarches du courant de l’économie néoclassique qu’un courant institutionnel va se développer (Colin, 1990). La démarche de l’économie néoclassique est avant tout statique (étude d’équilibres) et centrée sur l’individu. Celle de l’économie institutionnelle tend au contraire à élargir le spectre de l’économie par des analyses dynamiques (étude de processus évolutifs) dans lesquelles les individus sont enchâssés dans des systèmes socioculturels historiquement constitués. Par ailleurs, l’économie néoclassique s’appuie sur des postulats d’absence d’incertitude (hypothèse environnementale) et de rationalité substantive (hypothèse comportementale) quand la plupart des auteurs de l’économie institutionnelle optent pour des hypothèses d’incertitude et de rationalité procédurale.

L’économie institutionnelle se caractérise toutefois par une variété de démarches :

- L’institutionnalisme américain se développe à la fin du dix-neuvième siècle, à partir des travaux de Veblen, Hamilton et Commons (Commons, 1936; Hamilton, 1932; Veblen, 1898). Il accorde une place centrale aux concepts d’institutions, d’évolution et

d’habitudes. Il sera rebaptisé vieille économie institutionnelle (VEI) à partir du milieu du vingtième siècle. Par les travaux de Hodgson, on assiste actuellement à un « renouveau » de la VEI (Chavance, 2007).

- La nouvelle économie institutionnelle (NEI), qui prolonge les travaux de Coase (Coase, 1937; Coase, 1960), a donné naissance à une branche micro-analytique (Williamson, 1979) et à une deuxième branche macro-analytique (North, 1990). Les concepts centraux sont ceux d’institutions, d’organisations et de coûts de transaction. Si le concept d’institution revient de façon centrale pour éclairer la question de la coordination des actions des agents économiques dans la VEI comme dans la NEI, il ne recouvre cependant pas les mêmes significations24 (DiMaggio et Powell, 1997) :

- Dans la VEI, les institutions sont définies comme un ensemble de relations entre individus qui définit les droits et les libertés de chacun et donc comme un système de contrôle collectif des actions individuelles. Commons définit ainsi une institution comme une « action collective de contrôle de l’action individuelle » (Commons, 1936, p246). Par ailleurs, le rôle de l’habitude et de la cognition sont souvent soulignés dans l’existence d’une institution : Veblen définit ainsi les institutions comme « un ensemble d’habitudes de pensée partagées par la plupart des hommes » (Veblen 1909, p626, cité par (Hodgson, 2006)) et Hamilton comme « une façon de penser ou d’agir qui est encastrée dans les habitudes et les coutumes d’un peuple » (Hamilton, 1932, p84, cité par (Hodgson, 1998). Issu de la tradition de la vieille économie institutionnelle, Hodgson opte pour une définition plus large des institutions25, comme « un ensemble de règles qui structurent les interactions sociales » (Hodgson, 2006, p2) et insiste sur le « renforcement mutuel » entre institutions et habitudes (Hodgson, 1998, p180).

- Au sein de la NEI, la plupart des auteurs optent pour une définition fonctionnelle des institutions, abordées comme un ensemble des règles qui délimitent le comportement des acteurs : il peut s’agir de façon très générale des « règles du jeu d’une société » (North 1990, p3), ou de façon plus précise des « contraintes construites par l’homme qui délimitent les interactions entre hommes » (North 1990, p3). Dans la thèse, nous nous appuyons sur cette dernière définition, car elle nous paraît doublement structurante : d’un côté les institutions fonctionnent comme des contraintes et

24 Cette incapacité à définir positivement l’institution a été reprochée aux institutionnalistes .

25 Par différents aspects, l’approche institutionnelle de cet auteur se rapproche de celle développée par North. L’auteur pointe l’existence de domaines de convergence entre la VEI et la NEI.

action

délimitent le champ des actions possibles, ce qui nous permettra de les étudier comme données exogènes par rapport aux comportements des acteurs dans la partie III ; d’un autre côté elles ont été mises en place par l’homme, ce qui nous permettra de les étudier comme données endogènes dans la partie II.

Au-delà de la diversité des manières de concevoir l’institution, les définitions avancées dans la littérature en économie institutionnelle présentent tout de même d’importantes similarités, dans le fait qu’elles intègrent les interactions entre agents et que les institutions sont appréhendées comme des règles qui régulent les comportements et ainsi réduisent l’incertitude de l’environnement.

Les interactions entre institutions et acteurs sociaux peuvent être représentées par la boucle information-action (Hodgson, 1998, p176). Nous avons choisi de traiter les organisations comme des acteurs et non comme des institutions. Dans les écrits de North, il y a ubiquité entre les concepts d’organisations et d’institutions (Hodgson, 2006), les organisations étant elles mêmes porteuses de règles par rapport auxquelles les individus coordonnent leurs actions. Considérer les organisations comme des acteurs et non comme des institutions est donc une abstraction conceptuelle, que nous justifions par le fait que nous analysons le fonctionnement en externe des organisations, que nous nous intéressons à des ensembles institutionnels larges.

Figure 2.3 : Les interactions entre organisations et institutions (d’après Hodgson, 1998)

Dans ce schéma, les institutions résultent des actions organisationnelles, mais elles conditionnent à leur tour les organisations par les informations (normes, règles, routines) qu’elles représentent : la forme de causalité pour laquelle nous optons est cumulative, dans le sens où la relation de causalité peut être définie par le retour de l’effet sur la cause.

Figure 2.4. La causalité cumulative

Cause Effet

Institutions Organisations

La prise en compte d’un schéma d’interactions entre acteurs (les organisations dans notre cas) et institutions pose le problème du « retour à l’infini » du cycle (Hodgson, 2002). Pour les besoins de l’analyse, nous interrompons ce cycle de manière arbitraire, ce qui nous permet de distinguer deux types de questions :

- Q1. Celles qui s’intéressent à la façon dont les organisations influencent la création d’institutions nouvelles, et qui endogénéisent donc les institutions.

- Q2. Celles qui analysent la façon dont les institutions, prises comme des données exogènes, influencent le comportement des organisations.

2.2.1.2 Influence des institutions sur les organisations

Les travaux portant sur les effets du changement institutionnel analysent les choix stratégiques des acteurs dans un contexte institutionnel donné : ils permettent de traiter de la question de l’adaptation des acteurs aux institutions (et au changement de ces institutions), qui sont prises en compte comme des données exogènes. L’analyse de leur effet sur le comportement des acteurs passe souvent par deux étapes : une première étape de description de l’environnement institutionnel et de son évolution ; et une deuxième étape d’analyse du jeu des acteurs en regard de cet environnement.

L’ensemble des institutions qui contraint les actions d’un individu définit son environnement institutionnel. Nous présentons ici différentes façons d’appréhender l’environnement institutionnel qui donnent lieu à différentes façons d’en analyser l’influence :

- Chez Williamson, quatre niveaux d’analyse sont distingués : l’encastrement social, composé de l’ensemble des institutions informelles ; l’environnement institutionnel qui correspond à l’ensemble des règles formelles ; la gouvernance où se déroulent les jeux et se mettent en place les arrangements institutionnels ; et le niveau propre à l’emploi et à l’allocation des ressources (Williamson, 1979). Le niveau de la gouvernance, sur lequel Williamson positionne plus particulièrement son analyse en terme de coûts de transactions, est donc situé en dessous de l’environnement institutionnel, lui-même encastré dans un ensemble de règles informelles.

- Chez North, l’environnement institutionnel est défini plus largement : il englobe notamment à la fois les institutions formelles et informelles. Les contraintes informelles sont transmises socialement, elles relèvent de la culture, des normes sociales ou encore des conventions (North, 1990, p 36-37), elles évoluent lentement et constituent un élément important de la dépendance au sentier (North 1990, p 44). Les

contraintes formelles quant à elles correspondent aux règles politiques, judiciaires, économiques (North, 1990, p 47), elles peuvent être amenées à changer rapidement, leur fonction est de faciliter les échanges politiques et économiques. Du point de vue des architectures utilisées, la principale différence entre les analyses de North et Williamson tient au fait que Williamson investit spécifiquement le niveau des arrangements institutionnels quand North s’intéresse davantage aux interactions existantes entre arrangements et environnements institutionnels, contribuant ainsi à endogénéiser l’environnement.

En économie néo-institutionnelle, la plupart des travaux qui étudient la façon dont le comportement s’adapte aux institutions sont menés par des analyses comparatives des coûts de transaction et reposent sur la notion de calcul : ils analysent l’impact d’environnements institutionnels différents26 sur les arrangements institutionnels mis en place, qui sont ceux qui réduisent au maximum les coûts de transaction (North et Thomas, 1973). Une partie plus minoritaire des travaux menés en économie institutionnelle fait reposer la relation entre comportement et institutions sur les notions de calcul et de culture : les acteurs calculent sur la base de leurs intérêts, mais sont également équipés de visions du monde différentes selon leurs positions sociétales, imprégnés de cultures qui façonnent leurs comportements (North, 2005; Ostrom, 1991; Ostrom, 2000).

2.2.1.3 Influence des organisations sur les institutions

Les travaux portant sur les mécanismes de la mise en place des institutions analysent le plus souvent les interactions entre acteurs collectifs (Nugent et Lin, 1995). North insiste sur le rôle déterminant des organisations dans la dynamique du changement institutionnel (North 1990). Selon les auteurs, le point de départ du changement institutionnel peut être une situation avérée d’inefficacité ou de conflits :

- Pour certains auteurs, le changement institutionnel permet de résoudre un problème de coordination entre acteurs (vision fonctionnelle des institutions), dès lors que les institutions s’avèrent inefficaces (North et Thomas, 1973; Williamson, 1996).

- Pour d’autres auteurs27, le changement institutionnel permet de régulariser les conflits d’intérêts et de pouvoir. Les institutions impliquent une répartition particulière du

26 Entre pays différents ou entre périodes différentes par exemple.

27 Dans les écrits de North antérieurs à 1990, on retrouve la vision fonctionnelle des institutions (le changement institutionnel est guidé par la recherche d’efficacité, par la réduction des coûts de transaction) ; l’auteur va

pouvoir et des richesses au sein d’une société (Bardhan, 2001), ce qui peut créer des conflits d’intérêts (North, 1990) et donner lieu à l’émergence de nouvelles institutions. Nous présentons ici les cinq propositions principales présentes dans l’approche du changement institutionnel proposée par North, sur lesquelles l’auteur revient fréquemment :

- Proposition 1. Le changement institutionnel résulte d’interactions permanentes entre organisations et institutions28. Ces interactions font que les organisations s’adaptent aux règles du jeu en même temps qu’elles les façonnent par leur action.

- Proposition 2. Le changement institutionnel naît dans un contexte de concurrence entre les organisations. Les organisations interagissent dans un « contexte économique de rareté et donc de concurrence» (North 1995, p23), qui les oblige à « continuellement investir dans les compétences et les connaissances pour survivre » (North 1995, p23).

- Proposition 3. L’environnement institutionnel façonne le changement institutionnel. Le cadre institutionnel « apporte les incitations qui dictent les types de compétences et de connaissances » (North 1995, p23) nécessaires au changement.

- Proposition 4. Le changement institutionnel est graduel, il se fait selon une logique de dépendance au sentier.

- Proposition 5. Le changement institutionnel dépend des perceptions mentales : il provient de la perception par les individus « d’opportunités nouvelles » (North, 1995, p23), qui va orienter leurs choix et graduellement altérer les institutions. Comme les organisations sont motrices du changement, c’est plus particulièrement les perceptions des « entrepreneurs des organisations » qui sont déterminantes (North 2005, p87). La partie suivante développement amplement les deux dernières.

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