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Partie II. Participation des organisations au changement institutionnel

5 Chapitre . Trajectoires, ressources et résultats des organisations à vocation politique

5.3 Haricot : un processus politique dispersé

La participation des acteurs de la filière haricot au processus d’élaboration des mesures politiques destinées à réguler l’activité du haricot est récente. Jusqu’en 1994, les producteurs de la filière haricot bénéficiaient de nombreuses mesures d’appui politique, sans toutefois à avoir à en négocier le contenu, à l’inverse donc des situations du lait et du café que nous venons de décrire dans lesquelles les acteurs ont participé de façon proactive à la définition des principales orientations politiques. Suite au retrait en 1994 de l’Etat de l’appui direct à la production de haricot et à l’ouverture des marchés, de nombreux opérateurs privés (industriels) se mettent en place, prenant en charge les opérations de transformation, distribution et bientôt d’approvisionnement sur les marchés internationaux. Cette re-structuration économique de la filière s’accompagne d’une re-structuration politique progressive. Les seuls leviers d’action politique dont dispose aujourd’hui la filière pour se protéger sont la fixation de droits de douane à l’importation et la définition de normes de qualité. Dans cette partie, nous détaillons la structuration politique de la filière haricot, en cherchant à en souligner l’aspect dynamique. Nous présentons les organisations et analysons le déroulement du processus de négociation qui a abouti en 1995 à la fixation d’un droit de douane de 1% à l’importation du haricot.

5.3.1 Des actions dispersées

La structuration politique de la filière haricot s’organise progressivement avec du côté des industriels, une organisation professionnelle, la Chambre Nationale des Industriels de Grains (Caningra) qui voit le jour dès 1995 et du côté des producteurs, de nombreuses organisations non professionnelles qui cherchent à se faire entendre sans toutefois parvenir à une coordination satisfaisante de leurs actions.

5.3.1.1 La Chambre Nationale des Industriels de Grains (Caningra)

Les industriels nouvellement apparus sur le marché du haricot reprennent les fonctions de transformation et distribution auparavant assurées par l’Etat. La production de haricot du Costa Rica n’étant pas compétitive au regard de celle d’autres pays, ils décident assez vite de s’approvisionner sur les marchés internationaux. La Caningra naît en 1995 de la volonté de quatre industriels d’explorer de nouveaux marchés tels que l’Argentine et les Etats Unis. Les activités de la Caningra ont toujours répondu à un même objectif : pouvoir acheter un haricot de qualité à bas prix. Cet objectif a amené l’organisation à se positionner politiquement, et à militer pour la définition de normes de qualité et la suppression des droits de douane à l’importation de haricot. La définition de normes de qualité portant sur l’humidité du grain s’est faite « sans heurts », sur proposition technique de la Caningra, et en concertation avec les représentants d’organisations de producteurs, du Ministère de l’Agriculture et du Ministère de l’Economie. Par contre, la négociation des droits de douane a amené la Caningra à se mettre en position frontale par rapport aux producteurs du Costa Rica, menacés dans leur maintien par le système des importations. La trajectoire de Caningra est relativement courte mais l’organisation s’est illustrée à de nombreuses reprises par ses capacités techniques d’analyse, et a su se constituer un niveau de dotation en ressources qui lui permet de bien se positionner lors des négociations politiques :

- L’organisation dispose d’un financement propre des activités de lobbying politique, au travers des cotisations de ses membres, au nombre de douze actuellement.

- Les capacités techniques de la Caningra sont élevées, notamment en terme d’analyse du commerce international et de connaissance des processus de transformation, ce qui rend plus aisé le travail d’élaboration de propositions politiques techniquement abouties. Les représentants de l’organisation ont suivi des formations universitaires en gestion des entreprises.

- Caningra est fortement sollicitée et appuyée par ses 12 membres, qui représentent à eux seuls 95% de l’approvisionnement national en haricot. L’insertion de Caningra dans la sphère politique s’est renforcée au fil des années, et a été facilité par la reconnaissance du travail d’analyse technique fourni par Caningra sur les thèmes des normes de qualité (par le Ministère de l’Economie) et des droits de douane (par le Ministère du Commerce Extérieur69).

69 Le Ministère du Commerce Extérieur a demandé à plusieurs reprises aux représentants de l’organisation Caningra de réaliser des travaux de consultation.

5.3.1.2 Une multitude d’organisations de producteurs non professionnelles

La représentation politique des intérêts des producteurs s’est faite de manière beaucoup plus désordonnée : elle est le fait d’une quinzaine d’organisations de producteurs structurées au niveau local dont la vocation est avant tout économique (mise en marché du haricot produit au Costa Rica). Ces organisations sont apparues ou ont ré-orienté leurs activités économiques vers la recherche de marchés, suite au retrait de l’Etat de la prise en charge de la commercialisation. Du point de vue politique, elles ont d’abord cherché à mener des actions revendicatives de protestation contre le retrait de l’Etat et plus tard contre l’ouverture des marchés. Les protestations contre le retrait de l’Etat ont été relayées au niveau national par Mesa Nacional Campesina, syndicat paysan, sans toutefois donner lieu à la restauration de soutiens publics. Les actions de ces organisations de structuration locale, qui se sont faites de manière cloisonnées entre 1995 et 2002, se sont portées principalement vers le Ministère de l’Agriculture, qui a été l’unique interlocuteur des producteurs de haricot jusqu’en 1994, alors même que les instances de décision correspondaient au Ministère de l’Economie pour la définition de normes de qualité et au Ministère du Commerce Extérieur pour la négociation des droits de douane. Le « décalage » des actions menées, ajouté à leur caractère non professionnel et très revendicatif, explique partiellement les difficultés qu’ont rencontrées les organisations de producteurs à défendre leurs intérêts sur la scène politique. A partir de 2002, les actions de ces organisations vont se faire de manière plus coordonnée, grâce à la création par le Ministère de l’Agriculture d’une Commission de l’Activité du Haricot au sein de laquelle siègent des représentants des producteurs, des industriels et de l’Etat ; et donneront lieu à la renégociation d’un droit de douane plus élevé. Les organisations qui se mobilisent pour la défense des intérêts des producteurs de haricot sont récentes et leurs capacités à peser sur le contenu des soutiens politiques sont encore incertaines (mais en progrès).

- Les organisations, dont la vocation première est économique, ne disposent pas de financements spécifiques des activités de lobbying politique.

- La plupart des dirigeants des organisations n’ont pas de formation universitaire (ni même secondaire parfois) particulière. Les connaissances techniques dont disposent ces organisations sont extrêmement limitées, du fait du caractère nouveau de la situation économique et de la difficulté des producteurs à avoir accès à une information de qualité.

- Il est difficile pour ces organisations de compter sur un appui de leurs producteurs, pour lesquels les enjeux liés à la libéralisation des échanges restent obscurs. Par

ailleurs, les réseaux politiques mobilisés par les organisations ne sont pas forcément ceux où les négociations se tiennent et où les décisions se prennent.

5.3.2 Fixation d’un droit de douane faible à l’importation du haricot (1995)

Dans cette partie, nous prenons appui sur l’étude en 1995 de la négociation du droit de douane à l’importation du haricot pour décrire le comportement des organisations que nous venons de présenter. Cette négociation a abouti à une fixation de la protection tarifaire à 1%, bien en deçà du plafond spécial autorisé par l’OMC dans le cas des « produits sensibles », comme le haricot qui est un produit traditionnel destiné à l’alimentation de base.

5.3.2.1 Elaboration d’une proposition par les industriels

Les industriels, conscients des enjeux que comporte l’adhésion du Costa Rica à l’OMC, et désireux de s’approvisionner en haricot à moindre coût sur les marchés internationaux, vont chercher à ce que le droit de douane soit fixé au plus bas. Au sein de la Caningra, ils vont élaborer leur propre proposition politique, en défendant le bien fondé d’un approvisionnement sur le marché international par l’argument d’une alimentation de base à moindre coût pour le consommateur, ce qui leur permettra au passage d’obtenir le soutien de la puissante Fédération Nationale des Consommateurs. Ils envoient alors leur proposition au Ministère du Commerce Extérieur, sous la forme d’une note de recommandation qui propose la fixation du droit de douane à 1%.

5.3.2.2 Discussion avec le Ministère du Commerce Extérieur, décision

Après réception de la proposition de la Caningra, le Ministère du Commerce Extérieur, entité chargée de la tarification, lance un processus de consultation auprès de représentants des producteurs et des industriels. Les producteurs consultés n’ont pas de proposition techniquement aboutie sur le niveau souhaité de droit de douane : ils s’enlisent lors de la consultation à protester contre le retrait de l’Etat et à demander un retour des subventions aux prix agricoles. De leur côté, les industriels, représentés par la Caningra, reprennent les points principaux de leur proposition, et défendent la fixation d’un droit de douane très bas. L’argument d’une alimentation à bas prix, qui fait passer le bien être du consommateur avant celui du producteur est dans la mouvance de l’époque (il est par ailleurs révélateur du passage

à une époque où l’agriculture cesse d’être un enjeu national majeur) : le droit de douane est fixé à 1%.

Entre 1995 et 2002, ce droit de douane sera renégocié vingt et une fois, oscillant entre 1% et 49% (Salazar, 2000); avant d’être établi par un système variable en 2003, qui le fixe à 30% en période de récolte nationale, de façon à protéger les producteurs du Costa Rica, et à 5% en dehors de cette période, de façon à permettre aux industriels d’importer du haricot à bas prix (Salazar, 2003). Cette mesure politique mixte est le produit d’un processus nouveau de concertation entre producteurs et industriels, orchestré par le Ministère de l’Agriculture, qui se tient au sein de la Commission de l’Activité du Haricot et a abouti en 2002 à l’élaboration d’une proposition politique commune. Au sein de cette Commission se réunissent de façon régulière les représentants des organisations de producteurs et ceux de la Caningra ; les représentants du Ministère de l’Agriculture participent aux réunions en fournissant aux acteurs de la filière haricot une information d’ordre technico-économique sur l’état de la production nationale et des marchés internationaux. La mise en place de la Commission a beaucoup aidé les organisations de producteurs à ré-orienter leurs actions de lobbying politique.

Le processus politique propre à la filière haricot est un processus jeune, qui se caractérise donc par la présence d’organisations disposant de peu d’expérience politique. La Commission Nationale du Haricot est un espace nouveau de concertation entre producteurs, industriels et Etat qui est structurant du point de vue du déroulement du processus politique.

Figure 5.4 : Le processus politique propre à la filière haricot

Ministère du Commerce Extérieur (quotas d’importation, droits de douane) Ministère de l’Economie (normes de qualité, prix) Orga.prod Orga.prod Orga.prod Min. de l’Agriculture Chambre Nationale des Industriels

Commission Nationale du Haricot

Ind Ind Ind

Orga.prod Orga.prod Orga.prod 1. Élaboration d’une proposition politique 2. Discussion de la proposition au sein de la Commission 3. Discussion et négociation avec le gouvernement (décrets exécutifs)

Au cours de ce processus, les producteurs sont représentés par une quinzaine d’organisation non professionnelles : le positionnement de ces organisations s’est nettement amélioré entre 1995 et aujourd’hui, mais il reste essentiellement défensif. Les organisations de producteurs n’élaborent pas leurs propres propositions politiques, et réagissent aux propositions défendues par la Caningra. Au contraire, le comportement de la Caningra peut être qualifié de proactif, et s’est longtemps soldé par l’obtention de soutiens politiques importants.

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