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Partie II. Participation des organisations au changement institutionnel

6 Chapitre . Les modèles mentaux des organisations à vocation politique

6.3 Discussion : modèles mentaux et dépendance au sentier

Nous terminons ce sixième chapitre par une réflexion sur les modèles mentaux et la dépendance au sentier.

6.3.1 Le rôle des modèles mentaux

6.3.1.1 Les modèles mentaux comme déterminants des comportements stratégiques Prendre en compte la façon dont les organisations perçoivent et interprètent leurs environnement permet de mieux comprendre les orientations stratégiques des organisations. Les résultats obtenus avec l’approche Alceste, combinés à ceux obtenus avec l’approche PLS, nous permettent de valider la proposition théorique portant sur le rôle des modèles mentaux : les modèles mentaux des organisations influencent les comportements stratégiques et les résultats80.

6.3.1.2 Les modèles mentaux comme facteurs de dépendance au sentier

Par ailleurs, nous avons montré que les modèles mentaux dépendaient de la trajectoire des organisations : leur évolution dépend de processus d’apprentissages. Dans le cas des filières café, lait, et ananas, les organisations se caractérisent par des trajectoires longues (individuelles ou organisationnelles) et leurs représentants perçoivent le processus politique

80 En retour, les modèles mentaux sont également influencés par les résultats des organisations (cette relation a partiellement été prise en compte dans la construction de la variable latente « Trajectoire »).

comme une opportunité de défendre leurs intérêts, ce qui les prédispose à une attitude proactive en regard du processus de négociation et à des résultats fructueux. En revanche, dans le cas de la filière haricot, les organisations se caractérisent par des trajectoires relativement courtes et les représentants tendent à percevoir le processus politique d’une manière qui les désavantage. Dans tous les cas, les modèles mentaux des organisations, hérités du passé, évoluent lentement, ce qui inscrit les comportements des organisations dans un certain sentier. Ces résultats sont consistants avec la littérature qui considère l’évolution lente des modèles mentaux comme une composante importante de la dépendance au sentier (Egidi et Narduzzo, 1997; North, 2005).

6.3.2 La dépendance au sentier

Nous avons souhaité clôturer ce chapitre en allant plus loin dans notre réflexion sur les modèles mentaux et la dépendance au sentier : d’abord en identifiant les facteurs, autres que les modèles mentaux, susceptibles de conduire à la création de sentiers de dépendance; ensuite en réfléchissant à ce qui conduit à la création de nouveaux sentiers, de façon à sortir d’une vision figée de la dépendance au sentier.

6.3.2.1 Facteurs propres au processus de négociation politique conduisant à la création de sentiers de dépendance

Nous nous appuyons principalement dans cette réflexion sur les organisations des filières café, lait et ananas, qui présentent des trajectoires particulièrement longues81 et continues, caractérisées par des « succès corrélés en série » (Levinthal et March, 1981). Certains facteurs, spécifiquement liés aux processus de négociation des politiques publiques, contribuent à la création de sentiers de dépendance. Ils renvoient à des considérations en terme de pouvoir et à la nature du processus politique : leur prise en compte permet de mieux comprendre les continuités institutionnelles observées dans les filières café, lait et ananas.

6.3.2.1.1 Asymétries de pouvoir

L’existence d’institutions implique une distribution particulière du pouvoir et des richesses (Bardhan, 2001) et tend ainsi à favoriser certains groupes, qui ont alors intérêt à maintenir les

81 Les trajectoires des organisations des filières café et lait sont particulièrement longues ; dans la filière ananas, les trajectoires des organisations ont plus courtes mais les représentants des organisations ont des trajectoires individuelles longues et connaissent particulièrement bien les rouages des processus politiques de négociation.

institutions en place (Mahoney, 2001). De solides imbrications interpersonnelles existent entre les membres du gouvernement et les représentants des organisations professionnelles agricoles des filières lait, café et ananas. Ces imbrications ont des racines historiques profondes dans la filière café (années 1930) ; elles sont plus récentes dans les filières lait (années 1960) et ananas (années 1980). L’accession au pouvoir est par ailleurs facilitée par des positions d’acteurs économiques dominants, ces positions tendant à maintenir les asymétries de pouvoir, comme c’est le cas de la coopérative DosPinos dans la filière lait et des firmes multinationales d’exportation dans la filière ananas.

6.3.2.1.2 Nature collective du processus politique

La plupart des biens obtenus par le lobbying politique sont de type « biens publics », ce qui pose le problème de « free riding » (Olson, 1968) et implique, pour une organisation désireuse de participer aux processus de négociation politique, des coûts importants de démarrage (besoin d’un soutien fort des bases). Cet argument éclaire le maintien des organisations observé dans le cas des filières café et lait, mais également en creux la difficulté des organisations de producteurs de haricot à se positionner de manière proactive dans les négociations politiques, du fait d’une quasi-absence de soutien des bases productives.

6.3.2.1.3 Densité institutionnelle

Les filières café et lait ont bénéficié et bénéficient encore de nombreuses mesures publiques de régulation : ces mesures ont été obtenues par la construction d’espaces d’échanges entre les représentants des filières et du gouvernement. Ces espaces, nombreux, sont systématiquement mobilisés par les acteurs. Ce sont des institutions, qui ont été renforcées au cours des ans, et qui guident en partie le comportement des organisations professionnelles agricoles intervenant dans le processus politique comme celui des membres du gouvernement.

6.3.2.2 Continuité versus rupture institutionnelle

Les éléments que nous venons d’évoquer permettent de mieux comprendre une certaine continuité dans les phénomènes observés ; notre étude fournit également des éléments qui éclairent l’existence de rupture dans ces phénomènes. Nous nous appuyons dans cette réflexion sur l’exemple de la filière haricot, dans lequel les organisations de producteurs agricoles sont passées d’une position défensive au regard du processus politique à une position plus proactive, par la mise en place de mécanismes institutionnels nouveaux, et

notamment par la création d’un espace de concertation et négociation avec les représentants du gouvernement et des industriels.

Ici encore, la réflexion en terme de modèles mentaux permet de mieux comprendre les changements à l’œuvre : la perception, par les représentants des organisations, de l’existence d’un décalage entre leurs attentes « obtenir une protection de l’Etat » et leurs résultats « absence de protection » peut être conceptualisée comme point de départ de la mise en place d’un apprentissage complexe. Le délai d’ajustement que nous avons observé, entre 1995 et 2003, est alors lié au temps nécessaire pour percevoir clairement ce décalage et pour acquérir de meilleures capacités techniques et humaines. La modification des modèles mentaux constitue donc en quelque sorte la première phase d’un processus complexe d’apprentissage, qui passe par la constitution de ressources plus adaptées à la participation des organisations au processus de négociation politique et inaugure des orientations stratégiques davantage proactives. Au final, ces comportements ont abouti à la fixation d’un nouveau système de droit de douane, et à une modification de l’environnement institutionnel méso, propre à la filière haricot.

En résumé, l’évolution des modèles mentaux peut donner lieu à la fois à :

- La dépendance de sentier, par la génération d’apprentissages simples. Le changement des modèles mentaux, des ressources, et des comportements des organisations a lieu mais il est graduel. L’organisation s’adapte progressivement aux évolutions de son environnement institutionnel, sans remise en cause profonde de son mode de fonctionnement (logique d’exploitation), et en continuant à mobiliser les institutions existantes : il y a reproduction institutionnelle.

- La création de nouveaux sentiers, par la mise en place d’apprentissages complexes. Le changement des modèles mentaux, des ressources et des comportements des organisations est plus radical. L’organisation s’adapte aux évolutions de son environnement institutionnel par un revirement de ses stratégies (logique d’exploration), ce qui contribue à la création d’institutions nouvelles : il y a innovation institutionnelle.

Ces résultats sont consistants avec une littérature qui considère l’apprentissage comme l’acquisition de nouveaux modes de cognition (Hodgson, 1998). Dans les deux configurations, reproduction ou innovation institutionnelle, l’apprentissage peut être considéré comme un processus cognitif, par lequel les organisations adaptent leurs attentes aux évolutions de leurs environnements institutionnels (Cyert et March, 1963; Levinthal et March, 1981) et par leurs comportements contribuent à modifier ces environnements. Dans le cas des

filières café, lait et ananas, le décalage entre les attentes des organisations et leurs résultats est faible, ce qui pousse les organisations à continuer dans leurs comportements à mobiliser les institutions existantes, contribuant par là même à les renforcer. Dans le cas de la filière haricot au contraire, c’est un décalage important entre les attentes des organisations et leurs résultats qui a poussé les organisations à créer de nouveaux mécanismes institutionnels d’interaction, en modifiant de manière importante leurs comportements.

Cette réflexion, basée sur l’observation de nos éléments empiriques, nous permet de compléter le schéma conceptuel présenté lors du chapitre 2 (Interactions entre modèles mentaux, apprentissage et dépendance au sentier), en en proposant une vision plus processuelle (voir ci-dessous) dans laquelle les modèles mentaux des organisations évoluent graduellement (passage de mm1 à mm1’, de mm2 à mm2’) ou radicalement (passage de mm1’ à mm2), induisant des phases d’apprentissages simples ou complexes, et se traduisant par des phénomènes de reproduction ou innovation institutionnelles.

Figure 6.12. Modèles mentaux, apprentissages, reproduction et innovation institutionnelles

L’acquisition de capacités chez une organisation peut ainsi se faire par le passage d’un type d’apprentissage à l’autre.

mm1 mm1’

mm2

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