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3 L’espérance oubliée : réactions et silences

3.3 La déréliction : pierre d’achoppement

3.3.1 Les controverses

Un périodique lié aux réalités d’Eglise, Réforme, et un journal national, Le Monde, suscitent des débats entre Ellul et les auteurs des recensions du livre1, respectivement André Dumas et Jean Onimus. A l’avis d’Ellul les deux recenseurs sont « coupables » de ne pas avoir saisi le message central de son livre. Les malentendus se situent notamment sous l’aspect de l’analyse des temps de la déréliction.

André Dumas, au seuil du décanat de l’Institut Protestant de Théologie de Paris, qu’il assume en 1973, publie dans Réforme la recension de deux livres : L’espérance oubliée et L’alternative2. Les deux œuvres, quoiqu’elles « parlent toutes deux de l’espérance, cet explosif dont nos sociétés développées manquent le plus », viennent « de penseurs brûlants et solitaires », sont tout à fait critiques vis-à-vis des Eglises, en leur adressant « une dure agressivité », et naissent après Mai 1968 dont elles partagent le sens d’urgence par lequel « il fallait changer le monde et la vie »3, mais prennent deux chemins tout à fait opposés. Quoique les sources soient souvent les mêmes, Garaudy y puise son « optimisme socialiste » et en même temps Ellul n’en nourrit que son « pessimisme apocalyptique »4.

Dumas donne un résumé très clair de la première partie de L’espérance oubliée, et met en évidence le nœud central de l’œuvre : « Dieu n’est certes pas mort… mais [il] s’est retiré dans son silence. C’est exactement ici que le livre bondit, comme un cheval qui se plaît aux barricades. … Parce que l’époque est désespérée, parce que Dieu a décidé sa déréliction, son abandon, c’est justement l’espérance qui est le centre de tout, le pessimisme dans l’espérance qui est la réponse de l’homme au silence de Dieu »5. Il manque, par contre, un résumé et une opinion sur la deuxième partie. La recension présente trois point critiques, dont le premier est en forme de question autour, justement, de la déréliction : « Quelle preuve, outre que vaguement sociologique, magique et subjective, Ellul a-t-il que Dieu a décidé d’abandonner notre civilisation ? ». La thèse de Jacques Ellul

1 André Dumas, « Deux essais sur l’espérance : Jacques Ellul – Roger Garaudy », Réforme, n°1454, 27 janvier 1973, pp. 10-11 ; Jean Onimus, « L’espérance crispée de Jacques Ellul », Le Monde des Livres, 8 février 1973, p. 19. A chacun des deux arrivera une réponse : Jacques Ellul, « Jacques Ellul répond à André Dumas », Réforme, n°1469, 12 mai 1973, p. 10 ; Jacques Ellul, « L’espérance déformée » [réponse à Jean Onimus], Le Monde, 5 juillet 1973, p. 7.

2 Roger Garaudy, L’alternative. Changer le monde et la vie, Paris, Laffont, 1972.

3 André Dumas, « Deux essais sur l’espérance : Jacques Ellul – Roger Garaudy », art. cit., p. 10.

4 Ibid., p. 11.

63 a, donc, un fondement sociologique très bricolé. Et, pire, Dumas « ose » rapprocher l’auteur des théologiens de la mort de Dieu, qu’Ellul déteste : « Lui comme eux s’imaginent avoir une révélation particulière sur le dessein actuel de Dieu. Cette révélation m’apparaît d’autant plus suspecte qu’elle corrobore exactement le jugement qu’ils portent par ailleurs, en tant que sociologues, sur le monde moderne … je récuse dans les deux cas une théologie qui se laisse fasciner par une sociologie personnelle ».

La deuxième critique est un résumé partiel de la suite du livre. André Dumas affirme, tout en reconnaissant que Jacques Ellul est tout à fait en bonne compagnie (Bloch, Moltmann, Ricoeur, Neher), ne pas être si sûr de la centralité de l’espérance en dépit de la foi. Et il rajoute un commentaire destiné, lui aussi, à bousculer notre auteur : « Cette célébration abusive de l’espérance seule aboutit à mon avis, si on a le tempérament pessimiste actif d’Ellul (il sera furieux que je le réduise à une analyse de tempérament !) à l’éloge de l’Apocalypse ». Plus encore que la question du tempérament, on peut penser que ce qui a pu le rendre furieux est l’étiquette de « pessimiste actif », le ramenant sous les ailes de Denis de Rougemont !

La troisième critique est liée à la facilité par laquelle, dans son écriture, Ellul atteint les limites de la polémique. Deux exemples sont présentés : en parlant de la torture Ellul affirme très génériquement que l’« on dit » que la torture est, d’une certaine façon, une sorte de « respect » de la personne, et on associe la Chine populaire à l’Allemagne nazie1. De telles affirmations ne sont pas simplement polémiques, mais elles portent, selon Dumas, une « déroutante assurance » au lecteur.

Quant au discours de la relation à la Transcendance de Dieu, très important et intéressant dans la deuxième partie de L’espérance oubliée aussi bien que dans l’ensemble de l’œuvre de Jacques Ellul, André Dumas n’en dit qu’un petit mot lorsqu’il critique l’œuvre de Garaudy : « Si l’on parle de transcendance, que veut dire le mot, en perspective exclusivement humaniste ? »2.

Jacques Ellul prend du temps avant de répondre3. A la mi-mai de la même année il reprend les trois critiques que Dumas lui avait adressées et réagit. Les mots d’Ellul, sagaces et aux tons définitifs, veulent être en même temps une clarification de choses déjà dites et répétées et l’affirmation que L’espérance oubliée est « un livre qui n’est pas du tout un plaidoyer pour Dieu, mais un appel à vivre, dans une situation très dure, mais dont la difficulté même doit être l’épreuve de l’authenticité de l’homme d’une part, de celui qui ose se dire chrétien de l’autre »4. Une sorte de

1 Ibid. : Dumas cite les pp. 35 et 60 de la première édition de L’espérance oubliée.

2 Ibid., p. 11.

3 Jacques Ellul, « Jacques Ellul répond à André Dumas », art. cit., p. 10.

64 manifeste du croyant aux temps de la déréliction. Car il est question, ici, d’une déréliction constatée : Ellul utilise ce mot plusieurs fois dans sa réponse. Je ne fais, affirme-t-il, que des constatations – nous connaissons déjà cet argument. Il explique cela sous deux perspectives : d’abord avec un ton fortement polémique, ne touchant pas seulement Dumas, mais l’Eglise entière. « Par exemple, il nous a été promis que la foi en Dieu soulève des montagnes. Or, je constate que, dans l’Eglise, il faut des accumulations incroyables d’énergie, d’intelligence, de temps, de moyens pour soulever un fêtu de paille. Alors, ou il n’y a plus du tout de foi, ou Dieu n’existe pas, ou Dieu s’est détourné »1.

Par la suite, avec douleur, il soutient que « Dumas n’a pas saisi l’articulation de mon livre ; je n’ai jamais prétendu apporter une preuve sociologique au silence de Dieu »2. Ceci dit, après avoir donné ses réponses aux trois critiques portées pas Dumas, Ellul rebondit sur la question de la méthode sociologique : ce qui est écrit dans ses œuvres n’est pas une simple « idée », une « opinion » : c’est « le résultat de rigoureuses analyses menées avec une méthode scientifique, que je n’ai pas encore exposée mais qui est tout aussi ‘exacte’ que celles des sciences humaines classiquement décrites ». Il parle presque sûrement des Nouveaux possédés3, publié au cours de la même année. La plaidoirie se poursuit : « La seule expérimentation possible de l’exactitude de la méthode c’est la concordance entre ses résultats et ce que révèle progressivement l’évolution du corps social»4, et – hélas- parmi tout ce qu’il avait prévu « depuis 1945 », beaucoup de prévisions se sont vérifiées. Ceci est une triste confirmation de l’exactitude de la méthode par laquelle il analyse les dynamiques de la société moderne, affirme-t-il. S’il n’avait aucune intention de donner une explication sociologique à la déréliction de Dieu – au choix du Transcendant de se détourner des humains et de leurs vicissitudes, notre auteur refuse par contre avec obstination la critique portée à sa méthode d’analyse.

Un point ultérieur qui rend important cet article est l’illustration par Jacques Ellul d’une explication très claire et schématique de la démarche suivie, non pas simplement dans L’espérance oubliée mais dans toute son analyse des « temps de la déréliction ». Il s’agit d’un parcours en trois pas : le constat ; le questionnement et l’identification d’une réponse dans la Bible5. Par cela l’auteur clarifie

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Jacques Ellul, Les nouveaux possédés, op. cit.

4 Jacques Ellul, « Jacques Ellul répond à André Dumas », art. cit.

5 « Voici ma démarche : je constate sociologiquement certains traits de notre temps (par exemple le mépris, le soupçon, la dérision) : Je constate que cela ruine, chez l’homme moderne, le goût de vivre et la passion d’ouvrir un chemin ; je constate que, dans tous les domaines, l’homme moderne est désespéré. Et je me demande d’où peut venir un si complet désespoir, qui n’est pas seulement un produit sociologique : alors je trouve dans la Bible qu’effectivement le grand désespoir, c’est quand Dieu se détourne. Et, considérant l’Eglise, j’ai la même certitude que Dieu se détourne ». Ibid.

65 l’importance, dans sa pensée et dans sa méthode, du texte biblique, et les liens entre celui-ci et les autres données scientifiques. La Bible, texte révélé, doit être mise en dialogue avec l’observation de la réalité, et elle peut fonctionner comme clé de lecture. Autrement dit, seul le Transcendant peut interpeller l’être humain dans une lecture « libre » de l’influence toute-puissante et omniprésente de la Technique, et fournir par cela une possibilité de briser les chaînes de la « nécessité ».

Jacques Ellul saisit l’occasion de cette réponse pour affirmer une fois de plus ne pas être pessimiste ni apocalyptique du tout, bien au contraire. Il arrive à affirmer ne pas être l’inventeur de la « déréliction », préférant en passer la responsabilité à d’autres : à savoir, à la philosophie de son temps et à « la Sainte Trinité Marx-Nietzsche-Freud ». La différence entre lui et les autres auteurs réside dans le fait que, si d’un côté « on s’en délecte tant que ce sont de belles formules littéraires et des savantes réflexions philosophiques …par contre, on taxe de pessimisme celui qui en montre les conséquences de fait et les témoignages concrets ! »1. Contrairement à ce qu’on lui attribue, Jacques Ellul affirme être celui qui propose justement une sortie du pessimisme, de l’apocalyptique « avec un ‘a’ minuscule » et de la résignation : « Il s’agit de redonner à l’homme l’attestation qu’il y a encore une histoire possible »2. Tels sont la tâche et le but de l’espérance. Là où les « maîtres du soupçon » et leurs courtisans se régalent avec des constructions de mots et de fantaisies plus ou moins sombres à l’égard du présent et du futur, Jacques Ellul prétend être parmi les rares auteurs capables d’entrevoir un chemin possible d’espérance vraie et concrète, basée sur la réalité - et donc sur le constat de la tristesse de son propre temps. Une histoire est encore possible, non pas simplement un ‘futur’ : il est encore possible que les temps modernes s’inscrivent dans un enchaînement de temps et d’événements porteurs de sens. Il est encore possible de voir ce qu’il se passe aujourd’hui comme étant lié à ce qui a été et à ce qui peut encore être, quoiqu’aujourd’hui Dieu se taise et ait décidé de se détourner. Une « raison d’être » peut encore être reconnue.

Mais il n’y a pas que les milieux d’Eglises qui sont attentifs à l’œuvre de Jacques Ellul. Le 8 février 1973, une dizaine de jours à peine après la recension d’André Dumas, Jean Onimus publie une recension de L’espérance oubliée dans Le Monde3. Disciple de Teilhard de Chardin et spécialiste de Charles Péguy, le professeur marseillais n’hésite pas à qualifier de « crispée » l’espérance dont parle son collègue bordelais. Mais d’ailleurs, affirme-t-il, que pourrait-on attendre d’un tel

1 Ibid.

2 Ibid.

66 « abrupt », de son « noir radicalisme », de son habituel « réquisitoire contre le monde où nous vivons » ? Rien de plus qu’un « impitoyable » et « lucide » pessimisme, fort du fait que les auteurs comme lui « par une déplorable connivence de leurs lecteurs, ont toujours l’air plus profonds et plus sincères que les autres »1. De « la même famille d’esprits » que Kierkegaard et Barth, donc, Ellul ne peut que proposer une analyse pessimiste et effrayante de la société, visant simplement à arracher un « cri de désespoir » à ses lecteurs, car d’ici seulement il est possible de les conduire à sa version d’espérance. Une espérance qui est révolte, lutte, réservée à l’élite des chrétiens contradictoires qui ont la Révélation mais ne s’engagent pas pour que la Bonne Nouvelle puisse vraiment être partagée. Bref, L’espérance oubliée est un désastre : un livre farouche et agressif, qui présente l’une des vertus cardinales crispée, justement, par la haine qui habite son auteur.

Les flèches de Jean Onimus ont, par contre, un effet inattendu : la réaction de Jacques Ellul arrive, mais pas avant le 5 juillet suivant2. Dans la même page du Monde, l’article est accompagné de deux textes rédigés par Gilbert Comte : la recension des Nouveaux possédés et une présentation de son auteur3. C’est la première occasion pour une rencontre entre les deux hommes sur les pages du journal national : cela aboutira à un important entretien, publié en deux épisodes à l’automne 1977, dans lequel Gilbert Comte aura moyen de dialoguer avec Ellul d’une façon plus approfondie et très intéressante4. La réponse de Jacques Ellul à la critique d’Onimus semble, dans ce cadre, presque laconique. Loin de répondre avec la véhémence à laquelle on aurait pu s’attendre à la dure critique reçue, Ellul se borne à répéter deux argumentations que nous connaissons bien. D’abord, il ne fait que reporter ce qu’il entend et voit dans la vie de chaque jour. Deuxièmement, ce n’est pas vrai qu’il invite le chrétien à ne pas s’engager. Bien au contraire, il ne fait que répéter ce qu’il avait déjà écrit dans Présence au monde moderne, « qui impliquait l’engagement à fond »5 : la contestation nécessaire et l’incognito, dont L’espérance oubliée parle amplement, sont bien des formes très concrètes d’engagement. Un troisième élément de la réponse est par contre « nouveau » : il s’agit de la réaction à la critique par laquelle Onimus affirme qu’il n’y aurait pas, dans le livre d’Ellul, une possibilité offerte à l’homme de faire l’histoire. Voici la réponse : « Or, tout mon livre est un appel à faire l’histoire, je décris explicitement l’espérance comme l’ouverture sur l’histoire ; p. 176, par

1 Ibid.

2 Jacques Ellul, « L’espérance déformée », art. cit.

3 Gilbert Comte, « Diagnostic de Jacques Ellul » et « Les religions du XXe siècle », Le Monde, 5 juillet 1973, p. 7.

4 Gilbert Comte, « Entretien avec Jacques Ellul : ʺJe crois que nous sommes dans une période de silence de Dieuʺ », Le

Monde, 8 novembre 1977, p. 1-2, et « Entretien avec Jacques Ellul (2) : ʺC’est au moment où il n’y a plus d’espoir qu’il

faut commencer à espérerʺ », Le Monde, 9 novembre 1977, p. 2.

67 exemple – et p. 220 : ‘Rien n’est fait d’avance, aucun événement passé ne détermine de façon nécessaire ce que nous pouvons vivre’. Je pourrais accumuler les citations : il faudrait citer presque tout pour montrer que le problème-clé de cet essai est le risque de fermeture de l’histoire contre lequel je dresse l’espérance1 »2. Cette ouverture sur l’histoire est basée sur un constat : « Jean Onimus fait découler tout mon travail ‘de la chute originelle : l’homme est fondamentalement impuissant et mauvais’. Or, non seulement il n’est pas question de péché ou de chute originelle, mais je n’ai nulle part insisté sur le fait du Mal dans l’homme : je pars uniquement du constat que l’homme moderne est malheureux et sans espérance. Et, bien loin d’affirmer l’impuissance de l’homme, je consacre un chapitre entier (« Le socle humain de l’espérance ») à avancer la décision (c’est le titre d’un autre paragraphe) que l’homme peut prendre pour faire naître l’espérance, même si Dieu se tait et n’agit pas. Je ne cesse de lancer un appel à l’énergie de l’homme »3. Nous le soulignons une fois de plus : l’attention au Temps et à l’histoire est, en effet, un trait très important de L’espérance oubliée : la « mort de l’espérance » dans le temps de la déréliction tue la perspective sur le futur et amène à l’oubli du passé. La lutte pour se la réapproprier et la revitaliser peut, entre autre, réinsérer les êtres humains dans le Temps et dans l’histoire. Une fois de plus, donc, Jacques Ellul essaye de se dégager du drap pessimiste dans lequel on essaye de l’enrouler.

Essayer de comprendre l’enchaînement des réflexions et des interprétations faites par Ellul est, justement, le but principal de Gilbert Comte. Le portrait qu’il en fait – qu’il appelle de façon très provocatrice aussi bien qu’intelligente « Diagnostic de Jacques Ellul», en s’appropriant un des concepts de L’espérance oubliée4 - nous décrit un homme tout à fait conscient de son rôle de provocateur : un auteur qui n’hésite pas à utiliser « sa hauteur ironique envers les dogmatismes conservateurs ou révolutionnaires » pour défier tout cliché, à partir du centralisme parisien selon lequel un intellectuel important serait supposé vivre sur la Rive Gauche. Certes, Jacques Ellul « déroute, irrite aussi par des polémiques trop nerveuses, des persiflages inutiles contre les demeurés, les naïfs qu’à tort ou à raison il suppose dans l’erreur ». En même temps, Comte ne manque pas de souligner l’importance et la visibilité de la foi chrétienne vécue par Jacques Ellul : on peut la reconnaître dans ses analyses de la société technique qu’Ellul « enrichit par une vision

1 Cette affirmation (je souligne) nous est très utile pour cadrer davantage les différents rappels à Enrico Castelli, Le

temps invertebré, Paris, Aubier-Montaigne, 1970, dans L’espérance oubliée.

2 Jacques Ellul, « L’espérance déformée », art. cit.

3 Ibid.

4 Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., on l’a vu, dans la première partie du livre pointe le doigt contre deux « erreurs de diagnostic » aux conséquences radicales dans le milieu de la société moderne : un erreur concernant Dieu (l’affirmation selon laquelle il serait mort) et un erreur concernant l’être humain et son « adultité » prétendue.

68 chrétienne de l’histoire, jointe au rationalisme saisissant de ses analyses » et par la « tendresse évangélique et généreuse » qu’il offre aux « ignorants » là où les « détenteurs du savoir » sont apostrophés. Le personnage ainsi que la lecture des Nouveaux possédés dont il écrit une recension très positive semblent être à l’origine de la volonté de rencontrer Ellul et de s’entretenir un peu plus longtemps avec lui. Cela arrivera seulement trois ans plus tard : le professeur bordelais sera interpellé pour la série d’entretiens « Les grilles des temps » dans le quotidien Le Monde1.

Les questions préparées par Comte ont un parcours assez clair : le départ est situé dans l’analyse des temps modernes, notamment de la crise que l’Occident est en train de vivre. Telle crise est répandue à toute la planète – comme d’ailleurs « nous avons exporté tout le reste ». De l’analyse de la crise globale on passe à celle du système technicien, qu’on suppose être à l’origine de la crise elle-même. Par la suite, c’est sur « les deux crises majeures » que l’attention est posée : celles du christianisme et du marxisme. A ce moment-là on peut finalement poser la question de la révolution. Est-ce qu’une révolution est possible ? Dans la deuxième partie de l’entretien, le discours recommence par l’analyse de la crise des institutions et de ses effets : le lecteur d’aujourd’hui restera peut-être étonné de lire une partie de ce dialogue concernant le fait que « Nous sommes dans un monde fluant ». Formule signée Jacques Ellul, mais si proche, pour nous, de celles de Zygmunt Bauman2 !

Quant à notre discours sur la déréliction, cet entretien nous confirme ce que nous avons remarqué :