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Deux dialogues prioritaires : Enrico Castelli et Paul Ricœur

Après avoir esquissé un tableau panoramique du contexte dans lequel L’espérance oubliée – et plus généralement le discours ellulien sur l’espérance – a eu ses origines, nous commençons à rentrer dans les détails. Il y a des interlocuteurs de notre auteur dont l’œuvre a été sans doute fondamentale. Les deux premiers sont Enrico Castelli et Paul Ricœur. Le but de ce paragraphe n’est pas de donner des résumés des deux principaux textes de référence, à savoir Le temps invertébré

1 Frédéric Rognon, « L’identité théologique de Jacques Ellul », dans Bernard Rordorf et al., Jacques Ellul. Une théologie

au présent, Le-Mont-sur-Lausanne, Editions Ouverture, 2016, pp. 7-36, dédie un paragraphe à la relation entre Ellul et

le Christianisme Social (pp. 14-18), et des notes supplémentaires dans « Critique des théologies techniciennes », Ibid., pp. 95-112, pp. 102-105 notamment. Il nous paraît aussi important de nommer Paul Ricœur, en son rôle de président du mouvement du Christianisme Social à partir de 1957. Sur ce mouvement, incontournables sont les œuvres de Klauspeter Blaser, Le christianisme social : une approche théologique et historique, Paris, Van Dieren, 2003, et de Raoul Crespin, Le Christianisme Social : des protestants engagés, 1945-1970, Paris, Les Bergers et les Mages, 2010, ainsi que l’article de Laurent Gagnebin, « Le christianisme social », Evangile et liberté, 197, mars 2006 (

https://www.evangile-et-liberte.net/elements/numeros/197/article3.html ).

25 de Castelli et La liberté selon l’espérance de Ricœur1, mais plutôt de souligner en quoi ces deux auteurs peuvent être vus comme interlocuteurs prioritaires de L’espérance oubliée. Nous soulignons deux thèmes particulièrement intéressants : la question du temps et de l’histoire, et celle du lien entre liberté et espérance. A côté de cela il faut souligner le fait que c’est par la médiation de Castelli et de Ricœur qu’Ellul se met en effet en dialogue avec deux autres sources fondamentales : Martin Buber et Jürgen Moltmann.

Du 5 au 11 janvier 1971 nous rencontrons notre auteur dans la capitale italienne, parmi les intervenants à la onzième journée du cycle sur la démythisation des colloques organisés par le centre international d’études humanistes et par l’institut d’études philosophiques de Rome. Les actes du colloque, convoqué sous le titre « La théologie de l’histoire », ont été publiés en deux volumes. Il est important de souligner, lors de ce colloque en particulier, la présence de Gabriel Vahanian et de Paul Ricœur2. C’était la première fois que notre auteur participait à ces rencontres, et à partir de là il s’y rendra huit autres fois3. Quoique le professeur Capelle-Dumont n’en parle pas, il nous paraît que la présence d’Ellul lors du premier colloque de la « seconde vague », qui propose une évolution de la question de la « démythisation » en direction d’une « théologie de l’histoire », ait été pour notre auteur aussi une rencontre apportant des contributions assez importantes dans ses propres réflexions4. En effet, en cette occasion, notre auteur a très probablement reçu de l’inspiration pour la rédaction de L’espérance oubliée, publiée l’année suivante.

1 Enrico Castelli, Le temps invertébré, Paris, Aubier-Montaigne, 1970 (original italien, Il Tempo invertebrato, Padova, CEDAM, 1969) et Paul Ricœur, « La liberté selon l’espérance », Essais d’herméneutique I. Le conflit des interprétations, Paris, Seuil, 1969, pp. 393-415.

2 Enrico Castelli (éd.) La théologie de l’histoire (I). Herméneutique et eschatologie, Paris, Aubier-Montaigne, 1971. Ce Volume est aussi connu avec le sous-titre Herméneutique et Kairos. Le recueil continue par La théologie de l’histoire (II).

Révélation et histoire, Paris, Aubier-Montaigne, 1971. Pour information, le texte de Vahanian, (vol. I) est intitulé

« Historie et révélation ou le salut et les avatars de l’Ecriture », et celui de Ricœur (vol II) « Evénement es Sens ». La conférence d’Ellul, dans le vol. II aussi, porte sur « L’irréductibilité du droit à une théologie de l’histoire » : ceci nous fait supposer que notre auteur avait été contacté tout d’abord pour sa formation de juriste chrétien engagé. Deux articles très intéressants sur l’histoire des Colloques Castelli sont les suivants : Stefano Semplici, «Cinquant’anni di Colloqui Castelli», Archivio di Filosofia, Vol. 79, No. 2, 2011, pp. 23-31, et Philippe Capelle-Dumont, « Cinquante ans de philosophie française aux Colloques Castelli », Transversalités, avril-juin 2012, n° 122, pp. 113-124.

3 Philippe Capelle-Dumont, en présentant les cinquante ans de présence de la philosophie française aux Colloques, met en évidence trois générations. La première, présente dès le début en 1961, porte la discussion surtout sur la question de la « démythisation ». La présence de Paul Ricœur étant sans doute « la plus manifeste, la plus fidèle et la plus significative » (p. 114). Néanmoins, Gabriel Vahanian et d’autres ne manqueront pas à l’appel. Par la suite, affirme-t-il, « il est permis d’entrevoir une seconde génération de participants à partir de 1971, année qui marque en effet un tournant thématique dans les colloques Castelli et qui voit notamment l’arrivée de Jacques Ellul lors des travaux consacrés à la ‘théologie de l’histoire’, qui assurera lui-même pas moins de 9 présences effectives presque consécutives » (p. 116).

4 Le Professeur Capelle-Dumont propose une lecture croisée de l’histoire des colloques et du sens qu’ils ont pu avoir. “Pour en opérer une lecture utile, deux angles de vue différents peuvent être adoptés que je tenterai de conjuguer : le premier consiste à mesurer l’effet de participation française dans le cadre des thèmes choisis et définis par E. Castelli

26 Dans les ‘considérations préliminaires’, en présentant la thématique de la rencontre, Enrico Castelli fait un petit rappel de son livre Le temps invertébré, cité par Ellul dans L’espérance oubliée. Le discours, lors du colloque et dans le livre, porte justement sur l’essai de donner un sens et une lecture à l’histoire. Nous savons que pour Castelli la question du temps, du sens et de l’histoire était prioritaire. Conduit par des notes de voyage en Allemagne, en Espagne et à Jérusalem, le philosophe italien propose des « remarques sur le temps qui va à la dérive et le temps de la récupération »1. De même, en présentant la session de 1971, il souligne la distinction entre le « temps dû » et « indû » et le lien avec la tâche de la théologie de l’histoire : « En un certain sens, une théologie de l’histoire paraît enfoncer ses racines dans la dramatique recherche de la signification absconse du temps dû et de l’indû »2. Le point de rencontre de ces deux temps représente, en d’autres termes, le kairos de la rencontre possible avec Dieu.

Nous nous approchons de l’importance de cet interlocuteur pour le livre d’Ellul sur l’espérance. Dans son ouvrage, notre auteur cite Castelli ici et là. Le discours qui nous intéresse notamment est aux pp. 197-200. Nous sommes à un passage assez crucial de l’ensemble de l’œuvre, et c’est ici que le dialogue avec Castelli et celui avec Ricœur, comme nous le verrons de suite, se croisent. Dans le paragraphe sur « L’espérance au temps de la déréliction », une réflexion sur le fait que l’espérance soit tout particulièrement importante et interpellée porte Ellul à affirmer ce qui suit : « C’est lorsque l’individu ne trouve plus de sens à sa vie, lorsqu’une collectivité n’a plus de sens commun, c’est alors que l’espérance a force, valeur et signification. Elle est proprement l’acte de médiation entre le délire et le sens. Elle se situe à la charnière, elle est la puissance qui provoque le passage… »3. Et il rajoute, en commentaire de cette affirmation, que « c’est ici qu’il nous faut rattacher l’espérance à la promesse … parce qu’il y a promesse, il y a histoire, il y a une possibilité d’histoire … donc une possibilité d’action. … Il y a donc engagement à faire cette histoire, à l’ouvrir, à l’‘instrumentaliser’, à tout prix ». Dans une situation d’absence de sens, donc, le rôle de l’espérance est celui de rappeler qu’il y a la possibilité d’avancer, de continuer le récit et de le changer. Cette possibilité, fondée sur la Promesse, est la brèche sur laquelle l’espérance porte l’attention des désespérés. Ricœur, nous le verrons tout à l’heure, utilise le mot « hiatus ». Castelli, quant à lui, en parle en termes de temps, comme du moment où, dans l’invertébré du temps, une possibilité de faire l’histoire devienne à

lui-même puis par son successeur; le second, dans une opération inverse, consiste à indiquer comment les trajectoires des œuvres personnelles alors en pleine élaboration, ont agi sur la tenue des colloques, voire sur le choix de leurs thèmes” (ibid.).

1 Ainsi Castelli définit-il Le temps invertébré, op. cit., dans les « Considérations préliminaires », p. 11.

2 Ibid.

27 nouveau possible. La technique est obligée et oblige les êtres humains à calculer le temps, à le quantifier et de lui donner une valeur : cela conduit à une marchandisation du temps et « constitue l’attentat le plus dangereux contre le temps juste ». Par cela Castelli argumente son choix d’appeler « technique du jour » le temps de la technique (« mathématiquement déterminable »), auquel s’opposerait un « temps perdu », celui du sommeil et de la non-activité technique. Seul est bon, pourrions-nous dire, aux yeux du rationalisme technicien, le temps de la veille adulte et productive : l’enfance, la vieillesse, la folie et le sommeil sont classifiés comme faisant partie d’un « status deviationis » que la philosophie a choisi d’ignorer1. Or, il est évident que, par contre, la pensée s’exerce dans le temps de non-activité : « Le temps anormal est celui qui pousse l’enquête philosophique vers de nouveaux horizons »2. C’est justement dans le créneau ouvert par la non-normalité du temps de la pensée que l’espérance peut s’insérer, sous la forme du doute. Ellul reprend alors une « admirable formule » de Castelli, selon lequel « le mythe de l’Eden est le paradis de l’espace vital. Le paradis des essences, des formes pures, est l’enfer. Le doute qu’il le soit (l’enfer) est la possibilité de décider contre, de reconquérir l’être à travers, un contact existentiel dans lequel la ‘discursivité’ devient un instrument de communication (non la communication). Le doute est l’espérance »3. L’espérance, donc, a une fonction émancipatrice par rapport à la norme, à la perfection et à ce qu’Ellul appelle « nécessité ». Elle agit en posant le point de question à la fin des affirmations, insérant par cela le doute. Deuxièmement, l’espérance naît d’un choix : le choix de transformer le définitif en doute. Nous sommes là devant l’un des aspects les plus intéressants du discours ellulien sur l’espérance, comme nous le verrons de plus en plus.

Voici, dans le spécifique, l’importance de la confrontation avec Castelli, avec lequel Ellul partage aussi l’attention sur l’enjeu plus ample de la question du sens de l’histoire et du temps, et la critique que nous venons de rapporter concernant la manière dont la société technique utilise le temps. Mais il y a plus. L’autre passage de L’espérance oubliée dans lequel l’accord avec le philosophe italien est explicite se trouve plus loin, dans un paragraphe sur l’espérance et le temps, au début de la partie « constructive » de l’œuvre4. La même partie du livre est rappelée, et Ellul arrive à affirmer que « Dans ce temps invertébré il est impossible qu’il y ait une espérance, car l’espérance est constructive de temps vrai … L’espérance implique déjà une relation extra-temporelle, car elle est

1 Enrico Castelli, Le temps invertébré, op. cit., p. 174. L’ensemble de ces réflexions est repérable aux pp. 171-187 de l’œuvre.

2 Ibid., p. 177.

3 Ibid., p. 184 (cité par Ellul à la p. 200 de L’espérance oubliée).

28 jonction du futur et de l’éternité »1. Cette partie de la réflexion, profondément enracinée à la fois dans le dialogue entre Bloch et Moltmann d’un côté et dans le chemin tracé par la théologie de l’Ancien Testament, situe le discours ellulien sur l’espérance au plein cœur de la discussion de son temps. Nous y retrouvons le vocabulaire du « rêve éveillé » de Bloch, de la distinction héritée de Moltmann et Buber entre promesse et présence de Dieu, l’engagement dans la réflexion sur l’idée de temps, ainsi qu’une ouverture éthique et l’identification de quelques enjeux prioritaires pour la présence au monde du christianisme, à savoir le questionnement concernant la liberté de la personne croyante et son positionnement vis-à-vis de la post-modernité et de ses principes.

Il n’y a que des fragments de citations d’écrits de Paul Ricœur auxquels Ellul fait référence dans L’espérance oubliée. Néanmoins, il nous est possible d’affirmer qu’au moins dans les deux premiers paragraphes du chapitre III, « L’espérance au temps de la déréliction », Ricœur est, avec Moltmann, l’interlocuteur prioritaire d’Ellul. Le texte de référence est sans doute « La liberté selon l’espérance », paru dans Essais d’herméneutique en 19692. Ellul en reprend des concepts spécifiques : nous nous référons à la citation d’une synthèse ricœurienne de la thèse de Martin Buber selon laquelle « la religion du Nom engendre une histoire »3, à l’origine de l’affirmation conséquente que « l’histoire est une espérance d’histoire »4. Un jugement esquissé sur le fait qu’ « il est excellent que Moltmann ait écrit ce qu’il a écrit et que Ricœur le suive »5 nous confirme l’intérêt d’Ellul pour cet essai, et son accord avec Paul Ricœur : la Théologie de l’espérance est citée par le philosophe dans son texte, lorsqu’il se dit « conquis par l’interprétation eschatologique que Jürgen Moltmann donne du kérygme chrétien »6. Troisièmement, une plus longue citation de l’essai

1 Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 244.

2 Paul Ricœur, « La liberté selon l’espérance », art. cit.

3 Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 170, cite Ricœur, « La liberté selon l’espérance », art. cit., p. 395 : « Cette révision des concepts théologiques à partir d’une exégèse du Nouveau Testament, inspirée de Martin Buber, lequel insiste sur l’opposition massive entre le Dieu de la promesse – Dieu du désert, de la pérégrination - et les dieux des religions ‘épiphaniques’. Cette opposition systématisée va très loin. La religion du ‘nom’ s’opposerait à celle de l’‘idole’ comme la religion du Dieu qui vient à la religion de la manifestation présente. La première engendre une histoire, tandis que la seconde consacre une nature pleine de Dieux ». Le discours se situe ici dans la lignée d’une tradition qui, passant par la tradition barthienne touche aussi Levinas et Derrida.

4 Ibid. p. 170, cite Ricœur p. 395 : « Quant à cette histoire, elle est moins l’expérience du changement de toutes choses créée par l’attente d’un accomplissement ; l’histoire est elle-même espérance d’histoire ; car chaque accomplissement est perçu comme confirmation, gage et relance de la promesse ; celle-ci propose un surcroît, un « pas encore » qui entretient la tension de l’histoire ».

5 Ibid., p. 172.

6 Ibid. Le philosophe connaissait l’œuvre de Moltmann déjà en 1967, lorsqu’il la cita dans le cadre de trois conférences sur « Sens et fonction d’une communauté ecclésiale ». Ces textes ont été publiés grâce à Olivier Abel et Alberto Romele : Paul Ricœur, Plaidoyer pour l’utopie ecclésiale, Genève, Labor et Fides, 2016 (la citation de Moltmann se trouve, dans une note concernant l’idée moltmannienne d’envoi, à la p. 62 du livre).

29 de Ricœur est proposée lorsque notre auteur dit rejoindre pleinement le philosophe : Ellul partage tout à fait l’idée que l’espérance représente une rupture, un « en dépit de.. »1. Nous sommes là devant le point du plus profond partage entre les deux auteurs dans le discours sur l’espérance. Pour le professeur bordelais, « l’espérance est la contestation d’une situation concrète tenue pour évidente et certaine, et affirme une issue en dépit de toutes les fermetures »2. Elle est, dans un milieu et un moment précis, « démenti » du statu quo, lorsque celui-ci n’offre aucune ouverture. Sur ce niveau, « individuel et collectif », Ricœur et Ellul se rencontrent tout à fait : pour le philosophe, le « noyau de sens », le « centre kérygmatique de la liberté » se trouve dans le « en dépit de… » dont Ellul parle aussi. L’espérance chrétienne plonge ses racines dans le scandale de la croix et de la résurrection : dans ce binôme de discontinuité le « hiatus » ne sépare pas mais unit. Voici comment Ricœur verbalise cela : « Si la résurrection est résurrection d’entre les morts, toute espérance et toute liberté sont en dépit de la mort. C’est là le hiatus qui fait de la nouvelle création une creatio ex nihilo. … comment raconter la résurrection ? Eh bien ! à proprement parler, on ne la raconte pas ; la discontinuité dans le récit est la même que dans la prédication ; pour le récit aussi, il y a hiatus entre la croix et les apparitions du Ressuscité : le tombeau vide est l’énoncé de ce hiatus »3. Loin d’être une constatation de la séparation radicale entre un « ici » et un « au-delà », entre immanence et transcendance, entre histoire et éternité, cette affirmation reconnaît dans le hiatus de l’impossible proclamé et confessé la brèche dans laquelle l’espérance peut s’enraciner et fleurir. Le discours est davantage concret car, de plus, par cela Ricœur met l’espérance en lien avec la liberté, ouvrant par conséquent le discours sur l’éthique. « Qu’en résulte-t-il pour la liberté ? Toute espérance portera désormais le même signe de discontinuité, entre ce qui va à la mort et ce qui nie la mort. C’est pourquoi elle contredit la réalité actuelle. L’espérance, en tant qu’espérance de résurrection, est la contradiction vivante de cela même d’où elle procède et qui est placé sous le signe de la croix et de la mort »4. L’espérance représente donc le noyau de la rupture avec le « destin » et les automatismes. Comme Ellul le dit : « à quelque niveau qu’elle se situe, elle est toujours ce démenti, à une évidence que l’homme tient pour irrécusable, à une fatalité devant

1 « Et maintenant je rejoins pleinement Ricœur avec le ‘en dépit de…’ L’espérance est la contestation d’une situation concrète tenue pour évidente et certaine, et affirme une issue en dépit de toutes les fermetures » - Jacques Ellul,

L’espérance oubliée, op. cit., p. 199. Il cite Ricœur, ibid., p. 400 : « Si le lien de la croix et de la résurrection est de l’ordre

du paradoxe et non de la médiation logique, la liberté selon l’espérance n’est plus seulement liberté pour le possible, mais plus fondamentalement encore, liberté pour le démenti de la mort, liberté pour déchiffrer les signes de la résurrection sous l’apparence contraire de la mort ».

2 Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 199.

3 Paul Ricœur, « La liberté selon l’espérance », art. cit., p. 400.

30 laquelle l’homme se courbe, et elle provoque l’homme à passer au-delà. C’est bien pourquoi elle n’a de lieu que dans une situation désespérée »1. N’oublions pas, pour en finir sur ce thème pour le moment, que L’éthique de la liberté, dans le projet de notre auteur, est présentée comme le livre dans lequel il aurait illustré sa pensée concernant la dimension éthique de l’espérance.

Nous remarquons maintenant qu’il y a un autre niveau sur lequel Ellul se dit proche de Ricœur, dans notre texte : il s’agit de ce que les deux auteurs soulignent de la pensée de Moltmann. Ce dernier, avec Kierkegaard et les écrits pauliniens, l’Epître aux Romains notamment, est sans doute l’un des points de repère communs aux deux auteurs. Nous nous bornons, pour le moment, à souligner le fait qu’Ellul comme Ricœur se situent sur la même perspective eschatologique que Moltmann avait relancée avec la Théologie de l’espérance. Pour les trois auteurs, l’espérance représente une rupture vis-à-vis d’un présent clos, ouvrant par contraste à la perspective d’un futur « autre ». Nous nous penchons ici sur le vocabulaire de l’eschaton, mais aussi de l’utopie et de l’annonce prophétique