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2 L’espérance oubliée : provocations

2.3 Définir l’espérance ?

Du point de vue de la stricte théologie, continue le professeur bordelais, le discours sur l’espérance a été établi de manière impeccable par Jürgen Moltmann3. De son côté, affirme-t-il,

1 Ibid., p. 163.

2 Ibid., p. 165.

3 Jürgen Moltmann, Théologie de l’espérance : études sur les fondements et les conséquences d’une eschatologie

47 même ne vise qu’à une réflexion plus ponctuelle et contextualisée1, ce qui correspond d’ailleurs à ses convictions de principe, à savoir qu’il n’est pas possible de figer un thème comme celui de l’espérance dans un système théologique ni éthique. Ceci explique peut-être la vague nuance ironique qu’on peut ressentir dans certaines affirmations. Cependant, il lui est possible de proposer quatre définitions de ce qu’il appelle « espérance », toutes présentes dans le contexte vide de la déréliction.

a. Présence « des réalités dernières » aussi bien que de la promesse de Dieu. La première définition d’espérance a une nuance de paradoxe : quoique plongés dans le silence et dans l’abandon de la part de Dieu, restent aux hommes la promesse et les perspectives eschatologiques. « Nous vivons d’une promesse qui doit s’accomplir … et d’une irruption bouleversante, inattendue des choses dernières dans notre vécu »2.

b. Réponse de l’homme au silence de Dieu. L’espérance assume toute son importance et sa force lorsque Dieu ne parle plus. Dans les temps de Parole de la part de Dieu, la foi et l’amour ont leur place : ce sont des temps de plénitude, dans lesquels « ce n’est pas dans l’espérance que l’homme est situé, mais dans l’assurance, dans l’esprit de force et d’audace, dans le mouvement joyeux de martyr inébranlable »3. Inversement, quand Dieu se tait, les temps deviennent secs, stériles, « alors on se trouve rejeté vers l’eschaton, et la théologie de l’espérance devient essentielle … l’homme va parler son espérance que le silence de Dieu n’est ni dernier, ni final ». Plus fort que cela, l’espérance devient alors une action qui vise à « forcer Dieu à parler »4.

c. Provocation adressée à Dieu. Par conséquent, parmi les réactions possibles au silence il y a la provocation. A partir de la promesse, de ce que Dieu lui-même a dit aux hommes, lorsqu’il se retrouve dans le silence de l’abandon l’être humain est légitimé à procéder à l’« attestation d’un inaccomplissement d’une promesse et la revendication que Dieu tienne sa parole »5. Esaïe, Job et Daniel avec ses compagnons dans la fournaise sont parmi les figures bibliques de référence. Ellul nous met ici devant la violence de l’espérance : la

1 « Je n’aurai pas la prétention d’élaborer une théologie de l’espérance. Je me tiendrai à un niveau beaucoup plus humble (celui de l’homme qui a vécu sa foi sans espérance et à qui un jour elle a été donnée), à un moment plus fragile (celui où naît l’espérance) et dans une perspective moins totale : quelle est la signification de cette espérance quand elle est née ». Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 167.

2 Ibid., p. 170.

3 Ibid., p. 173.

4 Ibid., p. 174.

48 provocation contre le silence peut devenir tout à fait violente, brutale. A ces niveaux, « l’espérance c’est protester, devant ce Dieu qui nous laisse sans miracles et sans conversions, qu’il ne tient pas sa parole »1. Rien de soumis ni de doux, donc : « C’est une véritable mise en accusation de Dieu au nom de la parole de Dieu », une attitude qui arrive souvent très proche du blasphématoire. A l’extrême, «l’espérance c’est prendre le risque d’être en effet foudroyé par la colère de Dieu que nous risquons de rencontrer, plutôt que moisir dans le silence »2.

d. En conclusion, nous pouvons donc dire que la quatrième définition de l’espérance est « le contraire de la résignation ». Par la connaissance des promesses de la part de Dieu, le croyant peut trouver la force de ne pas se rendre. Force qui l’amène à la certitude que si un changement est à faire, « c’est Dieu qui doit changer »3, comme en témoignent plusieurs passages de l’Ancien Testament : « Et Dieu se repentit… ». L’espérance est donc aussi « l’inébranlable volonté de faire changer Dieu »4. Elle naît devant la discordance profonde entre la conscience de ce qui a été promis – et révélé – à l’humanité et la réalité du temps du silence de la déréliction. « Comment accepterions-nous que les portes soient fermées, en ce moment ? »5. Finalement, l’espérance est le refus de laisser que le point final soit mis suite au choix de la part de Dieu de se détourner : la relation entre Dieu et l’être humain ne peut pas se terminer en une simple acceptation de la faillite. Il n’est pas possible que l’histoire se termine par un « à quoi bon ? » demandé des deux côtés.

Tout ceci nous dit aussi des choses assez importantes par rapport aux rôles de Dieu et de l’être humain dans les temps de la déréliction : tout d’abord, la liberté de Dieu est confirmée et affirmée : le fait qu’il y ait des promesses de sa part envers l’humanité n’enlève rien au caractère tout à fait aléatoire de la promesse. Bibliquement, affirme Ellul, la promesse est une sorte de moteur : « Il y a dans la promesse une sorte de force intrinsèque l’amenant nécessairement à son accomplissement »6, et pourtant « elle ne se réalise jamais ». Dieu « accomplit » ses promesses, mais elles ne deviennent réalités que partiellement, de façon inattendue par rapport à ce que les hommes espéraient. 1 Ibid., p. 177. 2 Ibid., p. 178. 3 Ibid., p. 179. 4 Ibid. 5 Ibid., p. 180.

49 De son côté, l’être humain vivant le silence de la part de Dieu est bien sûr libre, lui aussi. Libre de se positionner vis-à-vis de cet abandon. Il peut « meubler le silence », car son espérance demeure fixée sur Dieu lui-même. Il lui est possible de réfléchir et de bâtir une « éthique de l’espérance », en donnant par cela du concret à sa propre espérance, personnelle et contextualisée. Tout cela sans oublier que « lorsque l’homme reprend la parole pour contraindre Dieu à parler, lorsqu’il ne se lasse pas de heurter le silence de Dieu, lorsqu’il ne tolère pas que le Dieu de la Parole trahisse, et qu’il fait éclater son espérance, c’est alors qu’il obéit à la Parole de Dieu adressée à Abraham et que Neher traduit ‘Va devant moi’ (Genèse XVII, 1). Marche devant, avance et montre le chemin ‘il est en avance sur Dieu’. C’est l’espérance contestant le silence de Dieu qui ouvre le chemin de la Parole de Dieu »1.