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Les acteurs du procès sont les parties, c'est à dire l'accusé et la victime accompagnés de leur avocat et les juges professionnels ou citoyens. Les caractéristiques des acteurs renvoient à des variables extralégales qui ne devraient pas entrer dans la construction du

1Plusieurs variables d'une même catégorie ou de plusieurs catégories peuvent être présentes au sein d'une même

publication, ainsi les totaux des fréquences peuvent excéder 100 %. L’unité considérée au niveau général des catégories est l’article. Ensuite, à l'intérieur de chacune des catégories, l’unité considérée est la variable étudiée. Comme précédemment, les pourcentages ont été arrondis à 0.5 près, pour une lecture simplifiée des proportions.

jugement judiciaire. Les études se penchant sur leur influence tentent donc de déterminer quelle est leur contribution dans le jugement et dans quelle mesure elles altèrent l'impartialité des jurés.

5.1. 1 – L’influence des caractéristiques des jurés

Les caractéristiques des jurés ont fait l'objet de nombreuses études. Afin de prédire précisément les réactions individuelles aux caractéristiques d'une affaire, le juré a été disséqué sous tous les angles. Pourtant, dans les revues de littérature, il y a un fort consensus concernant la faible valeur prédictive de ces facteurs des jugements judiciaires (Devine & al., 2001 ; Ellsworth & Mauro, 1998 ; Greene & al., 2002 ; Köhnken & al., 2004 ; Nietzel & al., 2002). Les résultats des études mènent plutôt à envisager les différences inter individuelles en interaction avec d'autres variables et comme étant donc dépendantes de la particularité de chaque situation judiciaire. Par exemple, l'influence du sexe des jurés semble dépendre du crime pris en considération. Les femmes rendent des jugements de culpabilité plus forts lors de crimes sexuels envers les femmes et les enfants (Crowley, O'Callaghan & Ball, 1994 ; Gabora, Spanos & Joab, 1993 ; Schutte & Hosch, 1997). Par ailleurs, l'autoritarisme est l’un des traits de personnalité les plus influents sur les jugements (avec la croyance en un monde juste, Schuller, Smith & Olson, 1994). La méta-analyse de Narby, Cutler et Moran (1993) fait apparaître quatre variables modulatrices de l'influence de l'autoritarisme sur les verdicts : le type de crime, la force des preuves et deux variables liées à la méthodologie des études (i.e. la représentativité des sujets et le caractère réaliste du stimulus).

Les études sur l'influence des attitudes des jurés ont donné lieu à davantage de résultats significatifs mais les interactions avec d'autres variables sont également à prendre en compte. Les attitudes envers la peine de mort ont particulièrement retenu l'attention. La méta- analyse de Nietzel et al. (1999) fait ressortir un lien cohérent entre ces attitudes et les attributions de peines (r = .24). En revanche, le lien avec le verdict est plus ténu (r = .11), indiquant que la majeure part de variance des verdicts n'est pas dictée uniquement par ces attitudes. La relation entre les attitudes envers la peine de mort et les autres attitudes envers la justice criminelle est également non négligeable (r = .18). Selon Ellsworth (1993), l’influence des attitudes envers la peine de mort sur le verdict est médiatisé par trois processus : l'évaluation de la crédibilité du témoin, les inférences crées à partir des preuves et la valeur personnelle du seuil de doute raisonnable. Ainsi, plutôt que d'envisager un lien direct entre les attitudes prises isolément et les jugements, les relations d'influence seraient à considérer

comme des réseaux complexes (Ellsworth, 1993). Les attitudes envers la peine de mort renvoient à de multiples dimensions réunies par O'neil, Patry et Penrod (2005) en cinq facteurs dans une échelle de mesure. Leurs résultats indiquent que les réponses à cette échelle ont un effet direct sur les verdicts, plus important que la manipulation des preuves (e.g. état mental de l’accusé) ou des évaluations des circonstances aggravantes ou atténuantes (i.e. gravité de l’infraction, casier judiciaire de l’accusé). Dans cette perspective, Giner-Sorolla, Chaiken et Lutz (2002) différencient le niveau des attitudes ou des croyances du niveau plus général de l'« idéologie », définie par les auteurs comme une vision du monde étroitement reliée à l'identité personnelle1. Dans un contexte de discrimination sexuelle à l'embauche, les

auteurs constatent que les croyances ont une influence directe sur le jugement uniquement dans un contexte de traitement heuristique de l'information (i.e. sous pression temporelle) et, notamment, lorsque les preuves à charge sont fortes. Par contre, l'idéologie influence les jugements via des pensées biaisées, quel que soit le contexte cognitif et l'ambiguïté des preuves. Globalement, Vidmar (2002) identifie quatre types de biais susceptibles d’intervenir dans le jugement des jurés : le préjudice par intérêt (i.e. le juré a un intérêt particulier dans l'issue du procès), le préjudice spécifique (i.e. les attitudes ou croyances du juré interfèrent avec sa capacité à être impartial dans un cas particulier), le préjudice générique (i.e. concerne les attitudes plus générales comme le racisme ou le sexisme) et le préjudice normatif (i.e. le juré favorise une partie sur la base des normes de sa communauté plutôt que sur la base des preuves). Chacun de ces biais se situe à des niveaux impliquant différentes caractéristiques des jurés en interaction avec d’autres variables définissant la situation judiciaire. Des interactions entre les quatre niveaux sont également possibles.

5.1. 2 – L’influence des caractéristiques de l'accusé et de la victime

Concernant l'influence des caractéristiques de l'accusé et de la victime, les patterns de résultats sont similaires aux précédents (Ellsworth & Mauro, 1998 ; Devine & al, 2001 ; Kapardis, 2005). D’une part, la contribution de ces variables dans la formation du jugement des jurés est difficile à établir. Si dans les quelques recherches d’archives, elles ont peu d’impact sur les jugements, dans les simulations expérimentales elles rendent compte d’une part de variance non négligeable (Nemeth, 1981 ; Dane & Wrightsman, 1982). Toutefois, dans ces dernières, les autres facteurs susceptibles d’affecter le jugement des jurés sont

1 « Ideology, or a worldview closely linked to personal identity, […] » (Giner-Sorolla, Chaiken & Lutz, 2002,

contrôlés, notamment la force des preuves. Ainsi, sans négliger leur influence, les résultats sont à considérer avec précaution. D’autre part, les caractéristiques de l’accusé et de la victime telles que le sexe, l'origine ethnique, le statut socio-économique et l'attractivité dépendent de leur propre interaction ainsi que d'autres variables, notamment le crime en considération et les caractéristiques du juré (Mazzela & Feingold, 1994). Par exemple, l’impact de l’origine ethnique de l’accusé a donné lieu à trois méta-analyses. La méta-analyse de Sweeney et Haney (1992) inclue uniquement les études dont les sujets sont blancs et ne porte que sur les attributions de peines. Les résultats indiquent une tendance faible mais stable des jurés blancs à attribuer une peine plus forte à un accusé noir. Cette tendance est d’autant plus forte lorsque les études présentent une rigueur méthodologique (i.e. contrôle de la nature réaliste du stimulus, de l'origine ethnique de l'accusé et de la victime). Contrairement aux attentes, ni le lieu géographique de l'étude (Nord vs Sud des Etats-Unis), ni le type de crime n’apparaissent comme des variables modulatrices. La méta-analyse de Mazzella et Feingold (1994), contrairement à celle Sweeney et Haney, inclue les études impliquant des sujets noirs et blancs et portant également sur les verdicts. Les résultats contredisent les précédents en ne faisant pas ressortir de biais ethnique significatif, que ce soit sur les jugements de culpabilité ou sur les attributions de peine, malgré une hétérogénéité des tailles d’effet. En effet, le type de crime en considération apparaît intervenir dans les jugements puisque les accusés noirs reçoivent une peine plus longue pour les homicides par négligence et les accusés blancs pour les escroqueries. Face à ces résultats contradictoires et ces différents critères considérés, Mitchell, Haw, Pfeifer et Meissner (2005) conduisent une nouvelle méta-analyse afin de résoudre ces inconsistances. Un biais ethnique faible mais significatif ressort de leur analyse, autant sur les verdicts que sur les attributions de peine, indiquant que les sujets sont plus sévères envers les accusés du groupe ethnique opposé au leur. De plus, cet effet apparaît plus prononcé de la part des sujets noirs que blancs, et lorsque les instructions légales sont absentes. Par ailleurs, Abwender et Hough (2001) observent que les jurés blancs basent leur évaluation de la culpabilité plutôt sur leur perception de la responsabilité de l'accusé, alors que les jurés noirs et hispaniques tendent davantage vers un biais de clémence envers l'accusé de leur groupe d'appartenance. Jones et Kaplan (2003), quant à eux, observent que lorsque l'origine ethnique de l'accusé est congruente avec le stéréotype lié au crime, les verdicts sont plus sévères du fait de l'activation d'attributions dispositionnelles. Dans ce sens, Rector, Bagby et Nicholson (1993) observent que les jugements de culpabilité varient selon la perception de l’attractivité de l’accusé (en terme de trait de personnalité), indépendamment de

son origine ethnique. Si l’évaluation de l’attractivité d’un accusé varie effectivement selon l’origine ethnique, la première apparaît un meilleur prédicteur des évaluations de culpabilité.

Thème prisé très tôt dans les recherches, l’influence de l'attractivité de l'accusé a donné lieu à de nombreuses études (Monahan & Loftus, 1982 ; Nemeth, 1981). L’attractivité renvoie à la manipulation de plusieurs dimensions comme par exemple la célébrité (Knight, Giuliano & Sanchez-Ross, 2001), la vie sociale (Barnett & Feild, 1978 ; Landy & Aronson, 1969 ; Reynolds & Sanders, 1975), le sourire (Abel & Watters, 2005) ou encore l'attractivité physique. Concernant cette dernière, il a été observé qu'un accusé au visage attractif recevait des jugements plus favorables qu'un accusé au visage non attractif (Efran, 1974 ; Leventhal & Krate, 1977 ; Stewart, 1980, 1985 ; Zebrowitz & McDonald, 1991). Cependant, si l'accusé a pu jouer de son attractivité pour commettre l'infraction dont il est accusé, comme lors d'une escroquerie, ce biais de clémence est annulé (Sigall & Ostrove, 1975). La méta-analyse de Mazzela et Feingold (1994) précise que l'attractivité entraîne des attributions de peine plus faibles dans les affaires de crime, de vol et de tricherie ou, à l'inverse, des attributions de peines plus fortes dans les affaires d'homicides par négligence, ou encore, pas d'effet dans les affaires d'escroquerie. De plus, l'effet de l’attractivité semble dépendre du sexe des jurés. Dans le contexte d’un meurtre par négligence, face à une accusée attractive, si les femmes montrent effectivement un biais de clémence, les hommes recommandent des peines plus sévères et l'estiment davantage responsable que l'accusée non attractive (Abwender & Hough, 2001). La maturité perçue du visage de l'accusé a également une influence sur les jugements selon le crime en considération (Berry & Zebrowitz-McArthur, 1988 ; Zebrowitz & McDonald, 1991). Par exemple, une personne au visage enfantin sera estimée moins susceptible de commettre une infraction intentionnelle et, en revanche, plus susceptible de commettre une infraction par négligence qu'une personne au visage mature. Concernant la victime, lorsqu’elle possède un visage enfantin, la sévérité du jugement de culpabilité est d’autant plus importante que l’accusé a un visage mature. Par ailleurs, l'existence de stéréotypes de visages a également été mise en évidence, selon un étiquetage criminel/non criminel et selon le type de crime (Yarmey, 1993). La congruence entre le visage et l'infraction provoque un effet dit « tête du crime » entraînant des jugements de culpabilité plus élevés que lorsque le visage et le crime ne sont pas congruents (Dumas & Testé, 2006 ; Macrae & Shepherd, 1989 ; Shoemaker, South & Lowe, 1973). Le mécanisme d'influence reposerait sur la mise en correspondance des théories implicites de la personnalité sous- jacentes aux visages d'une part et aux crimes d'autre part (Hivert & Testé, 2004).

5.1. 3 – La part accordée au caractéristiques des acteurs du procès dans les recherches récentes

Parmi l’ensemble des publications du corpus, les jurés (89/263 soit 34 %) et l’accusé (60/263 soit 23 %) sont les acteurs judiciaires qui suscitent de loin le plus d'intérêt. La victime (32/263 soit 12 %) et les professionnels de justice (17/263 soit 6,5 %) sont plus rarement l'objet d'études (Graphique 6).

16,73 4,56 20,15 17,11 11,79 2,66 1,90 0,38 0 5 10 15 20 25 30 35 40

Avocat/Juge Accusé Juré Victime

Exp. Non-exp.

Graphique 6 - Fréquences (%) des variables étudiées dans la catégorie

« Acteurs du procès » dans les études expérimentales et non expérimentales

Concernant les jurés, leurs caractéristiques socio-démographiques et leurs attitudes sont largement les dimensions les plus étudiées, représentant à elles deux près des deux tiers des variables étudiées (Tableau 6).

Tableau 6 – Fréquences (en %)des caractéristiques des jurés

étudiées (N = 132)

Caractéristiques des jurés n Fréquences

Attitudes et valeurs 40 30

Caractéristiques socio-démo. 37 28 Connaissances et représentations 23 17,5 Caractéristiques cognitives 15 11,5 Perceptions du système judiciaire 7 5

Le sexe et l’origine ethnique sont les caractéristiques socio-démographiques les plus fréquemment retrouvées alors que l'âge, le statut social, le niveau d'éducation apparaissent dans une moindre mesure. De multiples attitudes et valeurs sont mesurées référant à diverses problématiques judiciaires (e.g. l'attitude envers le suicide, l'aliénation mentale et la défense s'appuyant sur l'aliénation mentale, la peine de mort, le racisme, les circonstances aggravantes et atténuantes, les méthodes des experts, l'abus sexuel, l'intervention d'un expert). Certaines études adoptent une perspective plus globale à l’occasion de la validation d'échelles de biais des jurés (e.g. De La Fuente, De La Fuente & Garcia, 2003). Les connaissances et représentations naïves (e.g. de la mémoire, de la peine de mort, sur le témoignage oculaire, le témoignage d'enfants, les crimes, les instructions légales) ainsi que les caractéristiques cognitives des sujets (e.g. le besoin de cognition, les justifications des verdicts, la formation d'impression, les préconceptions de verdicts) sont également étudiées de manière non négligeable (e.g. Leippe, Eisenstadt, Rauch & Seib, 2004 ; Shestowsky & Horowitz, 2004).

Concernant l’accusé (Tableau 7), les caractéristiques socio-démographiques sont les variables dominantes des publications (47/67), notamment le sexe (e.g. Cheyne & Dennison, 2004 ; Bornstein & Muller, 2001) et l’origine ethnique (e.g. Bottoms, Davis & Epstein, 2004 ; Braden-Maguire, Sigal & Perrino, 2005).

Tableau 7 – Effectifs des caractéristiques de l'accusé

étudiées (N = 67)

Caractéristiques de l'accusé n

Caractéristiques socio-démo. 47 Comportements lors du procès 6

Apparence physique 5

Santé mentale 3

Typicalité 3

Casier judiciaire 2

Caractère 1 Concernant la victime (Tableau 8), la prédominance de l’étude des caractéristiques socio-démographiques est encore plus accentuée (32/40). Parmi celles-ci, le sexe (e.g. Golding, Yozwiak, Kinstle & Marsil, 2005) et l'origine ethnique (e.g. Foley & Pigott, 2002) sont de nouveau les plus étudiés.

Tableau 8 - Effectifs des caractéristiques de la victime

étudiées (N = 40)

Caractéristiques de la victime n

Caractéristiques socio-démo. 32 Santé mentale et physique 3

Apparence physique 2

Nombre de victimes 2

Comportement lors du procès 1

Par contre, peu d’études interrogent l’influence des avocats et des juges (17/263 ou 6,5 %). Ces quelques études (e.g. Burnett & Badzinski, 2005 ; Kovera & McAuliff, 2000 ; Wheatcroft, Wagstaff & Kebbell, 2004) sont centrées sur le style des interrogatoires et contre- interrogatoire, sur le contenu des plaidoiries (e.g. préconceptions, interprétation des preuves, arguments utilisés) et l’organisation de ces dernières (notamment narrative) ou sur l'influence du comportement non verbal et de l’expérience professionnelle du juge.