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Les preuves constituent le facteur le plus déterminant dans la formation du jugement (Visher, 1987). Différents types de preuves sont présentés aux jurés pour décider de la culpabilité de l'accusé. Elles se distinguent à plusieurs niveaux : selon leur source (e.g. témoins dits ordinaires, experts, policiers), leur contenu (e.g. matérielle, circonstancielle, témoignage oculaire, preuves statistiques) et leur qualité (e.g. force, complexité, quantité). Ces niveaux ne sont pas exclusifs, une même preuve pouvant réunir plusieurs de ces critères. Ainsi, une preuve peut correspondre à des variables légales et extra-légales (cf. l’exemple du témoignage de l’expert au début de ce chapitre). Un des objectifs des études est donc de déterminer dans quelle mesure les jurés basent leur jugement sur les éléments pertinents des preuves. Deux témoignages jouent un rôle important dans de nombreuses affaires : le témoignage oculaire et le témoignage de l'expert. Rarement remis en cause l'un et l'autre, leur impact persuasif est d'autant plus fort lorsqu'ils revêtent un caractère réaliste, vivant (« vivid », Bell & Loftus, 1985). Suite à la présentation de résultats sur ces deux types de témoignages, le traitement de preuves complexe puis l'influence des médias seront abordés.

5.2. 1 - Le témoignage oculaire

Une accusation appuyée d’un témoignage oculaire engendre considérablement plus de verdicts de culpabilité comparée à la même accusation sans le témoignage oculaire (les verdicts de culpabilité passent de 18 % à 68 % ; Loftus, 1996). Cette influence persiste même si le témoin oculaire est discrédité par un autre témoin attestant de sa mauvaise vue et qu’il ne portait pas ses lunettes le jour du crime (68 % de verdicts de culpabilité). De plus, l’ajout de détails apparemment triviaux (i.e. insignifiants et non pertinents pour les faits à juger) à la déposition renforce l'influence du témoin oculaire, notamment si le témoin de la partie opposée ne peut rappeler les mêmes détails (Bell & Loftus, 1989). En fait, les jurés sont particulièrement sensibles à la confiance affichée par le témoin oculaire, malgré le faible lien entre l'exactitude de l'identification et la confiance du témoin (Beauvois, Bertone, Py & Somat, 1995 ; Bertone, Mélen, Py & Somat, 1995 ; Sporer, Penrod, Read & Cutler, 1995 ; Arce, Farina & Egido, 1996). La précision des mauvaises conditions dans lesquelles le témoin se trouvait lors des faits (i.e. présence d'une arme, d'un déguisement) ou des biais dans la procédure d'identification policière par l'intermédiaire des instructions du juge ne réduit pas l'influence de la confiance du témoin. Parmi dix facteurs manipulés, concernant autant les conditions du témoignage que celles de l’identification, seule la confiance exprimée par le témoin influence les verdicts (Cutler, Penrod & Dexter, 1990 ; Cutler, Penrod & Struve, 1988 ; Penrod & Cutler, 1992). Même si les jurés connaissent les effets négatifs de ces facteurs sur le témoignage oculaire et l’identification, leurs inférences et leurs décisions n’en seront pas affectées comme s’ils ne percevaient pas leur influence. La présence d'un expert, informant les jurés du faible lien exactitude/confiance et des facteurs qui peuvent altérer le témoignage, les sensibilisent sur ces points mais dans une ampleur modérée (Penrod & Cutler, 1995).

5.2. 2 - L'expert psychologue

La méta-analyse de Nietzel et al. (1999) indique une influence faible du témoignage de l’expert mais stable sur les jugements. Une explication de cette influence (au moins dans le contexte judiciaire français) est le statut de preuve qui lui est conféré par les jurés, alors que la mission de l'expert n'est pas de démontrer la culpabilité de l'accusé mais d’apporter un éclairage sur les faits ou la personnalité de l’accusé à la cour (Bordel, Vernier, Dumas, Somat & Guingouain, 2004). Dans ce sens, son témoignage a d'autant plus d'influence s'il est conclusif et que ses conclusions sont explicitement mises en lien avec l'affaire en

considération (Brekke & Borgida, 1988 ; Gélinas & Alain, 1993). Par contre, lorsque les preuves sont fortes, un rapport favorable à l'accusé ne suffit pas à l’acquitter (Marcoux & Alain, 1992), même si un rapport se centrant sur l'individualité de l'accusé induit de l'empathie envers celui-ci (Charest & Alain, 1995). L’apport du témoignage de l'expert se situe plutôt dans le rôle éducatif qu’il peut jouer auprès des jurés. L’expert fournit un cadre interprétatif objectif des faits aux jurés les écartant de leur préconceptions et de leurs croyances, par exemple envers des enfants victimes d'agression sexuelle (Crowley , O'Callaghan & Ball, 1994 ; Gabora & Spanos, 1993 ; Kovera, Gresham, Borgida, Gray & Regan, 1997) ou envers des femmes battues ayant tué leur agresseur (Schuller, 1992 ; Schuller, Smith & Olson, 1994).

5.2. 3 - La complexité du procès

La complexité d'un procès renvoie à deux dimensions (Horowitz, ForsterLee & Brolly, 1996). Une première dimension renvoie aux preuves en terme de poids de l'information (incluant le nombre de témoins, le nombre d'accusés et de victimes, le nombre de charges contre l'accusé et la similarité des blessures des victimes), d’ambiguïté et d’accessibilité (i.e. la technicité, la subtilité et la spécialisation du langage, la clarté des conclusions à tirer des preuves). La deuxième dimension implique la subtilité des principes légaux et la compétence des jurés à appliquer ces principes. Cette dernière sera abordée dans le prochain paragraphe concernant les caractéristiques de la procédure légale.

Les différents types de complexité des preuves ont un impact spécifique sur les jugements (Heuer & Penrod, 1994). Concernant le nombre d’accusations envers l’accusé, de multiples chefs d'accusation ont un effet négatif sur les évaluations de culpabilité. Selon un modèle de schéma criminel, cet effet est médiatisé par des inférences des jurés d’une prédisposition criminelle de l’accusé (Tanford & Penrod, 1982). Des accusations jointes entraîneraient une impression négative de la personnalité de l’accusé ayant des conséquences sur le rappel des preuves et donc sur le verdict. Cependant, cette influence est plus complexe impliquant les inférences générées sur les accusations (Bordens et Horowitz, 1986). De multiples charges entraînent des pensées négatives envers l’accusé et, par conséquent, augmentent les cognitions à valeur incriminante. Il en résulte une perception négative de l’accusé et donc des verdicts de culpabilité plus élevés. Concernant les victimes, plus elles sont nombreuses, plus les évaluations de responsabilité de l’accusé augmentent. Par contre, les attributions d’indemnités semblent suivre une courbe en U-inversé, atteignant leur niveau

maximum lorsque les victimes sont quatre à six. Les auteurs suggèrent que lorsque le groupe est plus important, un ou deux plaignants servent de point d’ancrage pour l’ensemble des victimes. Par ailleurs, lorsque les victimes sont nombreuses, les sujets jugent les preuves de manière holistique, leur capacité à évaluer les preuves étant altérée ainsi que leur compréhension du témoignage de l’expert (Horowitz & Bordens, 2000). Concernant la quantité et la qualité des preuves, le poids de l'information apparaît effectivement jouer un rôle important dans l'attribution de responsabilité à l'accusé, tandis que la complexité des témoignages d'experts influence les attributions d'indemnités aux victimes (Horowitz, ForsterLee & Brolly, 1996). Une étude de Horowitz, Bordens, Victor, Bourgeois et ForsterLee (2001) éclaircit un peu les processus en jeu. Dans cette étude sont manipulés l'ambiguïté des preuves (forte vs faible), la charge d'information (forte vs faible) et la technicité du langage d'experts (forte vs faible) pour en observer les effets sur les verdicts. Deux autres types de données sont également recueillis : les preuves estimées déterminantes par les sujets pour rendre leur verdict, ainsi que celles repérées dans leurs inférences (à la suite d'une tâche de listage), et les évaluations de crédibilité des experts. Les résultats indiquent que l'ambiguïté des preuves a un effet direct sur le verdict, mais également par l'intermédiaire de l'évaluation de la crédibilité des experts, des preuves et des inférences. La charge cognitive a aussi un effet direct sur le verdict et par l'intermédiaire des preuves et des inférences. Enfin, la technicité du langage des experts a un effet sur le verdict uniquement par l'intermédiaire des preuves et des évaluations de crédibilité des experts. Ces résultats apportent certes des éléments sur les différents processus d’influence en jeu selon le type de complexité des preuves concerné. Toutefois, comme le font remarquer Bordens et Horowitz (1986), les interactions de multiples variables sont à considérer dans les études afin de saisir pleinement les processus en jeu dans les situations réelles de procès (e.g. le casier judiciaire de l’accusé, le statut de l’accusé, la gravité des accusations, la force des preuves).

5.2. 4 - Les médias

Facteur d'influence participant à la construction des croyances et des attitudes, les médias ont également un impact sur les jugements judiciaires. Les études de terrain et expérimentales ont montré l'influence des médias, télévisuels ou écrits, sur les verdicts de culpabilité avant, pendant et après le procès et à l'insu des jurés potentiels (Kramer, Kerr & Caroll, 1990 ; Moran & Cutler, 1991 ; Otto, Penrod & Dexter, 1994 ; Arbuthnot, Myers & Leach, 2002). Dans une étude de terrain, Costantini et King (1980) observent que si l'attitude

conservatisme/libéralisme et les caractéristiques démographiques des individus sont liées aux préjugements d'une affaire, le niveau d'information et l'usage des médias rendent compte de la part de variance la plus importante des préjugements. La méta-analyse de Steblay, Besirevic, Fulero et Jimenez-Lorente (1999) confirme cet effet qui, même s’il est faible, est constant. Les auteurs l'expliquent par l'intervention de modérateurs issus de la méthodologie des études (e.g. représentativité des sujets, matériel expérimental, délai entre l'exposition et le jugement). Le contenu informatif des médias contribuerait à créer, par exemple, une impression négative envers l'accusé et augmenterait la saillance d'informations préjudiciables à l'accusé (Otto & al., 1994 ; Steblay & al., 1999). Une analyse de contenu de la publicité pré-procès montre le lien entre les jugements et la connaissance des faits ainsi que des émotions évoquées par ces faits (Studebaker, Robbennolt, Pathak-Sharma & Penrod, 2000). Dans une expérience, Kramer, Kerr et Carroll (1990) montrent plus précisément que la publicité émotionnelle entraîne des évaluations de culpabilité supérieure de 20 % en comparaison à la publicité factuelle. De plus, les arguments basés sur cette information émotionnelle augmentent la force persuasive des jurés qui argumentent en faveur de la condamnation de l’accusé (Honess, Charman & Levi, 2003). A un niveau plus implicite, le style d’écriture des articles de journaux intégrerait également le mécanisme d’influence (Lepastourel et Testé, 2004). Otto, Penrod et Dexter (1994) montrent, quant à eux, les liens entre le rappel de la publicité pré- procès, les biais dans le rappel, les attitudes pré-procès et les évaluations de culpabilité. Des effets similaires sont observés concernant les procès au civil, la publicité pré-procès ayant un impact sur l’évaluation des parties, la mémoire des preuves et les inférences sur les preuves (Moran & Cutler, 1991). L’influence de la publicité pré-procès demeure malgré la présentation des preuves lors du procès et les différentes garanties légales mises en place, comme la sélection du jury ou les instructions du juge (Studebaker & Penrod, 1997, 2005).

5.2. 5 – La part accordée aux caractéristiques des affaires dans les recherches récentes

Parmi les caractéristiques des affaires, les preuves sont les variables les plus présentes dans les publications (73/263 soit 28 %), suivies du témoignage de l'expert (30/263 soit 11,5 %). Par contre, l’impact du mode de transmission des preuves (19/263 soit 7 %), des preuves scientifiques (6/263 soit 2,5 %), des médias (8/263 soit 3%) et du type d’infraction (7/263 soit 2,5 %) est peu interrogé (Graphique 7).

1,90 2,28 2,66 7,22 25,48 2,28 0,76 10,65 1,14 0 5 10 15 20 25 30

Expert Infraction Médias Mode Preuves Preuves scient.

Exp. Non-exp.

Graphique 7 – Fréquences (en %) des variables étudiées de la catégorie

« Caractéristiques des affaires » dans les études expérimentales et non expérimentales1

Concernant les preuves (Tableau 9), trois catégories de variables sont particulièrement étudiées rendant compte chacune du quart des variables relevées : le témoignage oculaire, la force des preuves et la responsabilité des parties impliquées.

Tableau 9 – Effectifs des caractéristiques des

preuves étudiées (N = 82)

Caractéristiques des preuves n

Force des preuves 20

Témoin oculaire 20

Responsabilité accusé/victime 18

Autres témoins2 12

Eveil émotionnel 9

Conséquences pour la victime 3

Le témoignage oculaire est étudié par la manipulation de la confiance affichée par le témoin, de sa consistance ou de son origine ethnique (e.g. Myers, Rosol & Boelter, 2003 ; Smith, Stinson & Prosser, 2004). La manipulation de la présence d’information sur la procédure policière d’identification permet aussi d’observer l'influence de la qualité de l'identification sur la prise en compte du témoignage (e.g. Lampinen, Judges, Odegard & Hamilton, 2005).

1 Preuves scient. : preuves scientifiques ; Mode : Mode de transmission des preuves.

2 La catégorie « Autres témoins » renvoie aux caractéristiques des témoins hors témoins oculaires et expert (e.g.

La force des preuves est principalement manipulée par le degré d'incrimination des preuves, c'est-à-dire la présence d'ambiguïté, de circonstances atténuantes ou aggravantes (e.g. Barnett, Brodsky & Davis, 2004 ; Heath, Grannemann & Peacock, 2004). Les responsabilités de l'accusé et de la victime sont manipulées en terme de préméditation de l'infraction et de leurs comportements pendant l'infraction et vis-à-vis de cette dernière (e.g. délai entre la provocation et l'infraction : Cheyne & Dennison, 2005 ; l'émotion ressentie ou le degré de consommation de drogue lors de la commission de l'infraction : Spackman, Belcher & Hansen, 2002 ; délai et intention du dépôt de plainte : Balogh, Kite, Pickel, Canel, & Schroeder, 2003).

Concernant l’expert (Tableau 10), les variables les plus étudiées sont de nouveau les caractéristiques socio-démograhiques, notamment le sexe et le statut (e.g. Boccaccini & Brodsky, 2002 ; Schuller, Terry & McKimmie, 2005). Ensuite, l'intervention de l'expert est interrogée selon le contenu de son témoignage (e.g. méthode employée pour réaliser l'expertise, diagnostic posé, complexité, qualité) et la confrontation des approches clinique, générale et actuarielle (e.g. Krauss, Lieberman, & Olson, 2004 ; Rainis, Alain & Denève, 2004)

Tableau 10 – Effactifs des caractéristiques de

l’expert étudiées (N = 37) Caractéristiques de l’expert n Contenu 10 Caractéristiques socio-démo. 8 Type d'expertise 8 Présence/absence 7 Partie défendue 4

Peu d’études sont consacrées aux preuves scientifiques, comme les preuves ADN ou des évaluations de risques (n = 6 ; e.g. Koehler & Macchi, 2004). La même constatation concerne le mode de présentation des preuves, même si leur nombre est sensiblement plus élevé (n = 19 ; Tableau 11). Cette dernière est principalement manipulée pour opérationnaliser le traitement cognitif des preuves, comme l’induction vers un traitement particulier de l'information (e.g. empathie, rationnel vs expérientiel ; e.g. Lieberman, 2002), l'ordre des preuves (effets de récence et de primauté, de l'organisation narrative ; e.g. Costabile & Klein, 2005 ; effets de la pression temporelle ; e.g. Giner-Sorolla, Chaiken & Lutz, 2002).

Tableau 11 – Effectifs des caractéristiques de la

présentation des preuves étudiées (N = 19)

La présentation des preuves N

Manipulation traitement cog. 9 Support de communication 7

Ouï-dire 3 Le support de communication (e.g. présence du témoin, par lien vidéo, retransmission audio ou vidéo ; e.g. Landström, Granhag, & Hartwig, 2005) et le témoignage par « ouï-dire »

1 (hearsay evidence ; e.g. Buck, Warren & Brigham, 2005), ancrés dans des problématiques

judiciaires, sont moins étudiés. Le contexte du jugement judiciaire est également peu interrogé que ce soit par l’intermédiaire du crime en considération (n = 7 ; e.g. Brimacombe, Jung, Garrioch & Allison, 2003) ou de l’influence médiatique (n = 8 ; e.g. Hope, Memon & McGeorge, 2004).