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L’impact de l’organisation en récit auprès de jurés potentiels français : réplique de l’étude de Pennington et Hastie

1 2 Le récit détermine le verdict

Encadré 1 L’impact de l’organisation en récit auprès de jurés potentiels français : réplique de l’étude de Pennington et Hastie

(1992) – Etude préliminaire.

L’objectif de cette étude préliminaire est de répliquer les résultats obtenus par Pennington et Hastie (1992) auprès de jurés potentiel français. En effet, des facteurs, tels que l’environnement culturel, la représentation de la justice et de l’institution judiciaire ou l’organisation effective du système judiciaire, pourraient entraîner des différences entre les jurés potentiels français et nord-américains concernant une organisation privilégiée des preuves.1

Méthode L'échantillon

40 étudiants de l'Université Rennes 2, issus de diverses filières (23 femmes et 17 hommes ; âge moyen de 21.05 ans).

Procédure et matériel

Comme dans l’étude de Pennington et Hastie (1992), les sujets prenaient connaissance de quatre témoignages concernant quatre thèmes (e.g. mobile de l'accusé, le caractère de l'accusé) tendant vers soit l’innocence soit la culpabilité de l’accusé, dans deux affaires de meurtre. L’orientation des affaires vers la culpabilité ou l’innocence est déterminée par la consistance de trois témoins, supposés désintéressés, opposés à un témoin inconsistant et ayant un intérêt dans l’issue du procès. Chacune des deux affaires est déclinée en deux versions selon l’organisation des témoignages. Les dépositions se succédaient soit témoin par témoin soit thèmes par thèmes. L'ordre d'apparition des dépositions (une par page) a été contrebalancé. Les sujets réalisaient, ensuite, une tâche distractive puis répondaient à plusieurs questions. Comme dans l’étude de Pennington et Hastie (1992), les sujets devaient évaluer la culpabilité de l'accusé sur une échelle de –10 (certainement innocent) à +10 (certainement coupable). Une mesure de verdict selon un mode de réponse dichotomique a été ajoutée, accompagnée de l’évaluation de la certitude dans le verdict sur une échelle de 1 (pas du tout certain) à 10 (tout à fait certain). Un score verdict x certitude a été calculé par la combinaison de ces deux dernières mesures (Kassin & Wrightsman, 1980, 1981 ; Huntley & Costanzo, 2003). Ensuite, les sujets étaient invités à rappeler les témoignages lus dans l’ordre dans lequel ils leur reviennent en mémoire sur les lignes prévues à cet effet. La procédure est identique à celle de l’étude de Pennington et Hastie (1992). Le matériel original a été adapté au contexte temporel (i.e. dates) et français (i.e. noms des personnes et des lieux).

Résultats Les jugements

A l’instar de Pennington et Hastie (1992), les évaluations de culpabilité des sujets ont été converties en une échelle d’accord avec l’orientation des témoignages s’étalant de -10 (en désaccord avec l'orientation des preuves) à + 10 (en accord avec l'orientation des preuves). Quelle que soit l'orientation de l’affaire, les sujets qui ont lu les informations organisées par témoins sont plus en accord avec les témoignage prépondérants que les sujets qui les ont lu organisés par thèmes (F(1, 36) = 5.31, p = .02 ; M Témoins = 4.55 vs M Thèmes = -0.60).

Concernant l’affaire orientée vers l’innocence, l’organisation par témoins entraîne des évaluations de culpabilité tendant davantage vers l’innocence de l’accusé que l’organisation par thèmes, associé à une certitude plus forte (ps < .03). Concernant l’affaire orientée vers la

culpabilité, les évaluations suivent la même tendance mais de manière non significative.

Le rappel

A l'instar de Devine et Ostrom (1985) et de Pennington et Hastie (1992), le rappel a été analysé à l’aide d’un indice ARC (Adjusted Ratio Clustering). Cet indice ARC permet d’apprécier dans quelle mesure des items d'une même catégorie sont contigus dans le rappel libre, au-delà du hasard. Quelle que soit l’orientation de l’affaire, les résultats indiquent que les sujets ont rappelé les témoignages selon un ordre similaire à celui qu’ils ont lu (ps < .01).

Ces résultats sont obtenus alors que le nombre total d'items rappelés et le nombre d'items corrects rappelés ne diffèrent ni selon les versions lues, ni selon l'organisation des informations, ni selon l’interaction des deux variables (ps > .25).

Consolidation des résultats

Dans l’affaire orientée vers la culpabilité, les sujets ne se sont peut-être s’autoriser à rendre un jugement de culpabilité estimant que le contenu des témoignages est insuffisants (Schadron & Yzerbyt, 1991 ; Yzerbyt & Schadron, 1996). La nature incriminante de ces témoignages a donc été accentuée pour une nouvelle passation expérimentale (20 sujets rapprochés des 20 sujets de la condition d’affaire orientée vers l’innonce de la passation précédente). Suite à de nouvelles analyses, les résultats obtenus par Pennington et Hastie (1992) sont répliqués tant sur les jugements (excepté sur la certitude) que sur le rappel (ps <

.04). Ainsi, le seuil de décision pour les verdicts de culpabilité semble plus élevé que pour les verdicts d’innocence.

Les résultats de cette étude préliminaire confirment l’impact de l’organisation des preuves sur les jugements tel que l’avaient observé Pennington et Hastie (1992), sans différence de disponibilité des informations en mémoire (Kahneman & Tversky, 1973, 1974). Les jurés potentiels français sont donc sensibles à l’organisation des preuves comme les jurés potentiels nord-américains, au-delà de différences éventuelles de culture juridique ou de représentation de la justice.

Ces résultats mènent à questionner la contribution de l'organisation narrative des preuves comparée à celle de la force des arguments présentés par un avocat. En effet, un avocat peut-il convaincre un jury par une histoire bien « ficelée » alors que son argumentation s’appuie sur de faibles preuves? Voss et van Dyke (2001) ont croisé la manipulation de la force des preuves (forte vs faible) et de la cohérence chronologique d'une accusation (élevée

vs faible). Leurs résultats indiquent qu'une bonne narration ne rattrape pas de faibles preuves.

Quelle que soit la qualité de la narration, les jugements de culpabilité sont relativement faibles suite à la lecture d'une accusation faible et inversement élevés lorsque les preuves sont fortes. Les évaluations des preuves et de la qualité de la narration apparaissent donc indépendantes.

Par contre, les évaluations de la qualité de l’argumentation dépendent de l’interaction des deux variables. L’accusation présentant une cohérence chronologique est perçue de meilleure qualité et ce, d’autant plus si les preuves sont fortes. Les auteurs concluent que la narration joue un rôle critique plutôt lorsque les preuves laissent une part d’ambiguïté quant à l’interprétation des faits.

L’ensemble de ces résultats, validant les hypothèses du modèle du récit, suggère que les avocats ont tout intérêt à présenter leurs argumentations dans une forme narrative, notamment au début du procès. En effet, les déclarations préliminaires sont l'occasion pour les avocats de fournir une version narrative des faits et ainsi d'amorcer une structure schématique qui guiderait les jurés dans leur interprétation ultérieure des preuves. L’impact des déclarations préliminaires des avocats apparaît effectivement fournir une structure thématique directement disponibles aux jurés pour l'interprétation des preuves (Pyszczynsky & Wrightsman, 1980). Une accusation qui prend le temps de spécifier son interprétation des faits prédispose les verdicts vers la culpabilité lorsqu'elle est confrontée à une déclaration préliminaire de la défense brève, et inversement. Par contre, lorsque les deux parties fournissent la même quantité d'informations, brèves ou longues, les verdicts vont dans le sens de l'accusation. Il est donc préférable pour l'avocat, notamment de la défense, de préciser son interprétation des événements. Plus directement dans le cadre du modèle du récit, Spiecker et Worthington (2003) ont manipulé simultanément l'organisation des déclarations préliminaires et des plaidoiries de l'accusation et de la défense. Cette étude présente un caractère très écologique. Les sujets prenaient connaissance de la vidéo d'un procès d'une affaire civile de non respect de contrat. Le film reprend l'ensemble du déroulement réel d'un procès (i.e. introduction de l'affaire par le juge, déclarations préliminaires des avocats de l'accusation puis de la défense, interrogatoires et contre-interrogatoires des témoins de l'accusation et de la défense, plaidoiries des avocats de l'accusation puis de la défense et présentation des instruction légales par le juge). Les organisations de la déclaration liminaire et de la plaidoirie étaient manipulées selon trois stratégies : soit narratives toutes les deux (stratégie narrative), soit par des exposés légaux toutes les deux (stratégie légale), ou une combinaison d’une déclaration préliminaire narrative et d’une plaidoirie en argumentation légale (stratégie mixte). Ces trois stratégies étaient croisées dans une confrontation de l'accusation et de la défense. Les résultats ne font pas apparaître d'interaction significative suggérant que les stratégies de l'accusation et de la défense sont indépendantes. Pour l'accusation, la stratégie mixte est la plus effective en terme de responsabilité attribuée à l'accusé. Par contre, aucune des trois stratégies n'influence l'attribution d'indemnités à la victime. Pour la défense, la

stratégie mixte est également la plus efficace autant sur l'attribution de responsabilité à l'accusé que sur les attributions d'indemnités à la victime. Cependant, si la stratégie mixte apparaît bien plus efficace que la stratégie narrative, elle ne se différencie pas de la stratégie légale. Ces résultats suggèrent donc, qu’au début du procès, la narration fournit une structure dans laquelle organiser les preuves. Par contre, en fin de procès, plutôt que de raconter de nouveau une version des faits, une argumentation légale serait plus influente en clarifiant les définitions légales et les règles de décision en lien avec les preuves. Ainsi, avec une argumentation légale en fin de procès, l'avocat accompagne le juré vers la seconde étape du modèle du récit. Concernant l'absence de différence entre la stratégie mixte et la stratégie légale pour la défense, les auteurs suggèrent que la version des faits fournie par l'accusation (qui intervient toujours avant la défense dans l’étude et dans la réalité judiciaire) a peut-être donné suffisamment d'informations aux sujets pour dessiner une structure organisationnelle des preuves. En conséquence, les sujets sont libérés du besoin de cette structure. Fournir un récit alternatif ou attaquer le récit de l'accusation par des arguments légaux par la suite sont aussi efficaces. Cette suggestion complète celles évoquées précédemment concernant les résultats plus variables de l’impact du récit de la défense.