• Aucun résultat trouvé

Les motivations des ordonnances du corpus (comme définie plus haut) ont également été soumises à une analyse propositionnelle du discours (A.P.D.) à l’aide du logiciel d’analyse automatique TROPES. Avant d’entrer plus en avant dans la description de l’outil d’analyse, nous donnerons brièvement les bases théoriques dont il est l’opérationnalisation. L’A.P.D. s’inscrit dans le cadre théorique du contrat de communication développé par Ghiglione (1986, 1998). Selon cette approche, une situation de communication se définit par des intra-locuteurs et un enjeu. Les intra-locuteurs sont envisagés comme des individus sociaux possédant une histoire, des croyances et des représentations. Ils sont également porteurs de rôles et connaissent les règles de communication. Un enjeu est « une cause nécessaire qui permet

d’instaurer un espace d’interlocution, donc ce qui fait qu’une situation puisse être dénommée potentiellement communicative » (Ghiglione, 1986, p.212). Une fois l’enjeu accepté par les

intra-locuteurs, ainsi devenus des interlocuteurs, ils mettent en place des stratégies cognitivo- discursives activant leurs compétences en communication ainsi que leurs représentations, croyances, savoirs… A cela, s’ajoute la dimension pragmatique de cette approche pointant la nature fonctionnelle de la communication. En s’appuyant sur les travaux sur la communication persuasive en psychologie sociale, Ghiglione (1986) postule que toute production discursive est sous-tendue d’une intention de persuasion de la part du locuteur envers un (ou des) locuteur(s) en présence ou non. Trois buts seraient a minima poursuivis : « construire un univers de référence, construire les univers de relations aux autres et aux mondes mis en scène, et se situer dans ces jeux de construction » (Ghiglione, 1990, p. 224). Ces derniers s’approprient les signes du langage (verbal et non verbal) afin de répondre à ces buts. La communication est ainsi envisagée comme une situation de co-construction de la réalité par les interlocuteurs. Dans ce cadre théorique, l’objectif de l’APD est de pouvoir répondre à la question : « comment un sujet traite-il l’information qu’il la reçoive ou la

produise ? » (Ghiglione, Landré, Bromberg & Molette, 1998 p. 65). La réponse apportée est

que l’individu traite l’information « en mettant en scène un ensemble structuré et plus ou

moins cohérent de micro-univers, chacun étant constitué d’une scène peuplée a minima d’un actant qui fait l’action (placé le plus souvent en position de sujet) et de l’acte que le verbe accompli ». L’APD consiste donc à repérer ces micro-univers et les éléments centraux des

univers représentationnels des locuteurs (Ghiglione, Kekenbosch & Landré, 1995). Il pourra ainsi en être dégagé les stratégies discursives utilisées par le locuteur qu’il va choisir selon ses caractéristiques, ses buts et la situation de communication. L’A.P.D. se fonde sur la fonction de marqueurs langagiers (i.e. morphologie) et les règles grammaticales régissant la langue (i.e. la syntaxe) dans le but d’extraire la stratégie discursive et l’univers de référence qui se dégagent d’un texte (Marchand, 1998). Les éléments langagiers sont envisagés « comme

autant de traces des systèmes de représentations et des opérations cognitives sous-jacentes à toutes activité mentales » (Ghiglione, Kekenbosch & Landré , 1995, p. 83). Le repérage de

ces marques du langage permet de cerner dans un discours « qui dit quoi ? » et « comment

cela est dit ? » (Ghiglione & al., 1998).

5. 2 - Méthodologie

La particularité de l’A.P.D. est que l’unité d’enregistrement et l’unité de contexte sont confondues dans une seule unité de découpage et d’analyse. Cette dernière est la proposition telle que définie par la grammaire (Ghiglione & al., 1995). Chaque proposition d’un discours est considérée mettre en scène un micro-univers c'est-à-dire au moins « un actant qui fait

l’action et de l’acte que le verbe accomplit » (Ghiglione & al., 1990, p. 37). L’A.P.D.

fonctionne sur les propositions centrales et leur mise en scène qui organisent un corpus, sur les liens inter-propositionnels et sur les jeux de prise en charge de l’énoncé par l’énonciateur1.

Pour définir le mode des actes langagiers accomplis, TROPES repère le type de verbes articulant les éléments de la proposition. Les verbes sont distingués selon quatre classes : factifs, statifs, déclaratifs et performatifs. Ainsi, la relation entre l’objet du discours et ce qu’on en dit sera définie selon un mode du faire, de l’être ou de la réflexivité (Ghiglione & al. 1998). La conjugaison des verbes (mode et temps verbaux) et les pronoms personnels (je, tu, il(s), nous, vous, ils) sont également repérés.

1 L’ensemble de la méthodologie de l’A.P.D. et des fonctions du logiciel TROPES ne sera pas décrit ici de

Pour définir comment le locuteur dit son discours, c'est-à-dire la stratégie discursive mise en place dans le but d’influer sur autrui, l’A.P.D. se base essentiellement sur deux types d’opérateurs argumentatifs : les connecteurs et les modalisateurs (Ghiglione & al. 1998). Ces deux types de « mots-outils » de la langue (Marchand, 1998), permettent de définir les intentions du locuteur, c'est-à-dire la manifestation de ses attitudes, de ses relations avec les objets mis en scène, l’image qu’il veut donner de lui et l’influence qu’il veut exercer sur autrui, c'est-à-dire la relation du locuteur avec son discours et à travers lui avec ses interlocuteurs (Ghiglione & al. 1990).

Les connecteurs (classés en 9 catégories) permettent d’articuler les propositions entre elles et marquent ainsi une stratégie argumentative particulière au discours (Marchand, 1998). Ils assurent les enchaînements entre les énoncés, donnent à voir un certain type de logique selon les visées du locuteur, les représentations qu’il se fait de l’autre et du sujet traité (Ghiglione & al., 1998).

Les modalisateurs (classés en 7 catégories) traduisent les modalités d’intrusion de l’énonciateur dans l’énoncé. Les modalisateurs marquent comment le locuteur se situe dans son discours, l’expression de la certitude ou de la probabilité et, comme les connecteurs, les visées du locuteur (Ghiglione & al. 1998).

En s’appuyant sur leur trait fonctionnel caractéristique, Ghiglione (1995) et Landré et Friemel (1998) dégagent une classification des opérateurs selon quatre grandes fonctions (malgré leur caractère plurifonctionnel et leur visée non exclusive) reprise dans le tableau ci- après :

Fonctions Ghiglione (1995) Landré et Friemel (1998) Dénoter le réel Opérateurs de temps, but et

manière

Relations de temps, de lieu, de manière, de comparaison (identification)

Logique et cohérence d’une pensée : opérateurs de cause et conséquence et additifs

Exprimer une logique

Etat ou attitude : opérateur de condition

Relation de cause, d’addition, de condition, de but

(explication, conséquence, restriction)

Exprimer la subjectivité Relation de certitude, doute, intensité, négation, disjonction (probabilité)

A partir de l’ensemble de ces indices langagiers, TROPES dégage deux diagnostics globaux sur la stratégie discursive repérée dans le texte analysé.

TROPES extrait le type de mise en scène développé dans le discours, en s’appuyant notamment sur la classe de verbes dominante dans le discours (Marchand, 1998). Les mises en scène traduisent une intention particulière de l’auteur à travers son discours à destination de son (ou ses) interlocuteur(s). Les quatre mises en scènes suivantes sont disponibles :

- « Ancrée dans le réel » : indique la présence de verbes de la famille d'être et avoir. - « Dynamique, action » indique la présence de verbes d'action.

- « Prise en charge par le narrateur » indique la présence de verbes permettant de réaliser une déclaration sur un état, une action...

- « Prise en charge à l'aide du "je" » précise que la prise en charge du discours se caractérise par une appropriation du discours par le locuteur la présence de nombreux pronoms à la première personne du singulier (« moi », « je », « me »...).

TROPES dégage également le style argumentatif général du texte soumis. Quatre style généraux sont disponibles (sur la base des travaux de Charaudeau, 1992 ; Ghilgione & al., 1998 ; Marchand 1998,). :

- Le style plutôt argumentatif s’adresse à la partie raisonnante de l’interlocuteur, passe par l’expression d’une conviction et d’une explication transmise à l’interlocuteur pour le persuader et modifier son comportement.

Le style plutôt narratif permet de construire une succession d’actions qui s’influencent les unes les autres et se transforment dans un enchaînement progressif, en modifiant à leur tour les acteurs mis en scène.

- Le style descriptif permet de 1/ nommer, c’est-à-dire donner existence à des objets discursifs et permet de localiser, 2/ situer, déterminer la place occupée par ces objets dans l’espace et le temps, 3/ de qualifier, c'est-à-dire de donner un sens particulier à ces objets, et ce de manière plus ou moins objective.

- Le style énonciatif remplit trois fonctions : 1/ établir un rapport d’influence entre le locuteur et l’interlocuteur, soit dans un rapport de force, soit dans un rapport de demande, 2/ révéler le point de vue du locuteur sur différents modes (e.g. celui du savoir, de l’évaluation), 3/ témoigner de la parole de l’autre-tiers, soit par un propos qui s’impose de lui-même (de l’ordre de l’évidence), soit par un propos rapporté.

Concernant l’analyse du corpus d’ordonnances de renvoi, un tableau de données a pu être établi comportant les fréquences (en %) des différents marqueurs langagiers cités ci-

dessus pour chacune des ordonnances. TROPES indique également si un marqueur peut être considéré particulièrement fréquent dans le document soumis comparé à son utilisation dans la langue française. Une catégorie de mot est considérée fréquente lorsque son taux d’utilisation dans le texte analysé dépasse son usage habituel dans la langue concernée (normes intégrées au logiciel basées sur un grand nombre de textes d’origine diverses, Ghiglione & al., 1998). Sur la base de ces données, une première analyse a été réalisée afin d’observer si une structure syntaxique commune aux ordonnances se dégageait. Dans cette analyse, chaque ordonnance prend donc ici le statut d’observation (N = 44). Les interprétations des résultats s’appuient principalement sur les indications de catégories fréquentes (excepté concernant certains marqueurs langagiers pour lesquels TROPES fournit uniquement les fréquences d’apparition, comme les modes et les temps verbaux).