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Les caractères de l’intervention judiciaire

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 56-62)

Section I. La qualification gracieuse ou contentieuse des ordonnances sur requête

A. L’absence de litige

2. Les caractères de l’intervention judiciaire

43. Indépendamment du cadre dans lequel elle s’insère, l’intervention judiciaire en ordonnance sur requête, semble différer par ses caractères de celle observée en matière gracieuse, à la fois parce qu’elle est générale et a vocation à s’exercer uniquement dans des cas expressément prévus par la loi (a.), mais aussi parce qu’elle ne représente pas l’unique mode de résorption du différend qui oppose les parties (b.).

1 Même si il est vrai, la rectification d’un acte d’état civil ne peut s’apparenter à un changement de statut, une analogie reste possible en ce qu’elle touche un droit de la personnalité du requérant.

56 a. Une intervention spéciale

44. L’énoncé même du critère de l’obligation légale de recourir au juge est très significatif quant à la spécialité de l’intervention du juge gracieux, qui ne peut avoir lieu que si elle est spécialement prévue par un texte. Autrement dit, le législateur, dans le cadre d’une politique juridique ponctuelle, prive d’efficacité la volonté privée dans des domaines jugés sensibles, au gré de dispositions sporadiques et dispersées. Chaque fois que le contrôle d’un magistrat est estimé nécessaire, il est institué par un texte au domaine généralement précis et aux conditions limitativement énumérées. Il ne saurait en être autrement, car la liberté des individus ne doit pas être restreinte à l’excès par des dispositions trop générales1. Selon le mot de M. LE NINIVIN, « deux corollaires en découlent : l’exigence légale doit être formulée clairement […] mais, en cas de formulation équivoque, le doute doit bénéficier à la liberté »2. Ce critère semble être suffisamment discriminant, puisqu’ « en dehors de la matière gracieuse, la réalisation des règles de droit n’appelle pas de façon nécessaire l’intervention du juge »3.

45. Or, une telle spécialité du recours au juge est évidemment incompatible avec l’idée de protection juridictionnelle provisoire qui gouverne l’ordonnance sur requête. Cette dernière est, au contraire, ouverte aux plaideurs de la manière le plus large possible par le biais de l’existence des ordonnances innommées. Leur domaine est en effet très étendu puisque l’accès au juge des requêtes n’est alors subordonné qu’à la démonstration du l’urgence et de circonstances exigeant l’éviction du contradictoire. Une fois les portes du prétoire franchies, le juge peut ordonner toutes les mesures qu’il estime utiles, sans être astreint à accorder ou refuser son aval en l’absence du pouvoir d’apporter de modifications à la demande des parties, comme c’est le cas en matière gracieuse4. Certes, l’argument inverse peut être opposé en ce qui concerne les ordonnances nommées, comme cela a été fait par MM. CADIET et JEULAND. Ils estiment en effet que « les hypothèses de juridiction gracieuse pourraient bien être des cas « spécifiés par la loi » que visent les dispositions particulières du code en matière d’ordonnances sur requête »5, ce qui, au premier abord, peut sembler cohérent. Mais, à l’analyse, cette opinion ne convainc pas en raison de la très grande proximité qui existe entre les ordonnances nommées et innommées. Ainsi, « les ordonnances sur requête innommées sont fortement inspirées des ordonnances prévues par la loi [et] visent alors à compléter, élargir la

1 La raison d’une telle restriction doit être « exceptionnelle », V. P. Hébraud, préc.

2 D. Le Ninivin, op. cit., p. 60.

3 J. Héron, «Eléments de typologie des jugements à partir de l'idée de réalisation du droit», RRJ 1992, p. 961.

4 V. J. Normand, «Le juge du provisoire face au principe dispositif et au principe de la contradiction», in G. Tarzia et J. Van Compernolle (dir.), Les mesures provisoires en droit belge, français et italien, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 137.

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protection juridique accordée au requérant »1 ; d’après le mot d’un auteur éminent, elles ne sont, en réalité, « que l’expression d’un principe général »2. Réciproquement, on peut dire que les ordonnances nommées sont complémentaires aux ordonnances innommées car le requérant y est dispensé de la preuve de l’urgence et des circonstances nécessitant l’éviction du contradictoire. En ce sens, ce sont des cas d’ordonnance sur requête privilégiés par le législateur, qui facilite l’accès du juge des requêtes pour le requérant. Il semble donc qu’en la matière, le principe soit celui de la généralité de l’intervention judiciaire, le tempérament étant la création ponctuelle d’ordonnances nommées.

b. Une intervention exclusive

46. Enfin, au regard du critère légal de l’obligation de recourir au juge, l’intervention du juge gracieux peut être qualifiée d’exclusive, en un double sens. En premier lieu, le requérant, en matière gracieuse, n’a pas d’autre choix que de solliciter le concours judiciaire pour exercer de manière efficiente le droit dont il entend se prévaloir. La porte du prétoire est alors la seule issue dont il dispose, sans aucune alternative possible. La loi a prévu un contrôle, et celui-ci ne saurait être autre que celui d’un juge. En revanche, en matière d’ordonnance sur requête, le requérant qui se voit opposer une prétention contraire peut encore trouver une solution amiable et transiger avec son adversaire potentiel. Son litige ne se règlera pas toujours, loin de là, par une décision de justice. Seuls les différends les plus aigus donneront lieu à une saisine du juge des requêtes. Dans les autres hypothèses, une solution consensuelle au litige pourra être trouvée. Néanmoins, ce schéma ne s’observe pas dans toutes les ordonnances sur requête. Il est des cas où, à l’instar du modèle gracieux, le requérant ne pourra trouver un accord extrajudiciaire avec son opposant, puisqu’il ne rencontre pas de contestation. Il en est ainsi pour les articles 99 et 1008 du Code civil, ainsi que de l’article L. 144-4 du Code de commerce.

47. En un second sens, l’exclusivité du recours au juge peut s’entendre de la seule compétence du juge étatique. On n’imagine pas qu’un requérant puisse, en matière gracieuse, saisir un tribunal arbitral, pour homologuer un changement de régime matrimonial ou encore déclarer l’absence d’un individu. Dès lors que l’ordre public est en jeu et que le contrôle exigé par le législateur porte sur des

1 S. Pierre-Maurice, op. cit., n° 85.

2 H. Motulsky, «Rapport de synthèse», in Les ordonnances sur requête dans la pratique judiciaire française, Paris, Librairies Techniques, 1967, p. 55, spéc. p. 57.

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droits dont les parties n’ont pas la libre disposition, seul un magistrat de l’ordre judiciaire1 est à même de l’exercer. Sur ce point en revanche, le rôle du juge des requêtes converge avec celui du juge gracieux, car l’accès à la procédure unilatérale est soumis à la nécessité d’évincer le contradictoire. Or, le caractère unilatéral de la procédure est évidemment exclu en matière d’arbitrage. Par ailleurs, les mesures ordonnées sont susceptibles de porter atteinte au patrimoine et aux droits de l’individu qui en est la cible, et, en tant que telles sont revêtues de la formule exécutoire et doivent être exécutées avec le concours d’un huissier de justice. L’ordonnance porte la marque de l’imperium du juge des requêtes, dont l’arbitre est dépourvu. Par conséquent, si la situation du requérant est telle qu’il peut emprunter la procédure sur requête, seul le juge des requêtes sera compétent, à l’exclusion de l’arbitre, mais aussi de tout autre juge.

48. Il faut en conclure que le critère de l’obligation légale de saisir le juge est lui aussi inapte à appréhender l’ensemble des ordonnances sur requête. En tant que tel, il ne permet pas d’opérer une qualification sûre et non équivoque de celles-ci. Pas plus que le litige, l’obligation légale de recourir au juge ne permet de dégager une unité parmi les éléments considérés. Si la matière gracieuse rejoint parfois l’institution de l’ordonnance sur requête dans certains de ses aspects, ce n’est que pour mieux s’en éloigner sur d’autres, démontrant l’incapacité de la première à englober complètement la seconde.

Dans la difficile recherche d’un critère de qualification de l’ordonnance sur requête, il est intéressant de se référer aux propos de M. SALHI, dans sa recherche d’un classement cohérent des voies de recours. Cet auteur énonce ainsi trois exigences auxquelles doit répondre un critère de qualification pour pouvoir être retenu : il doit être unique et ne pas résulter d’une combinaison de plusieurs critères ; il doit être applicable à l’ensemble des éléments à qualifier ; enfin, le choix doit porter sur le critère le plus aisé à mettre en œuvre2. Ces éléments permettent de souligner l’incohérence des critères de la matière gracieuse lorsqu’ils sont appliqués à l’ordonnance sur requête. Non seulement les termes de l’article 25 sont susceptibles d’interprétations divergentes3, ce qui rend incertain le critère lui-même, mais son utilisation génère des résultats variables et parfois aléatoires4. Ce texte se révèle impuissant à fournir une qualification fiable à l’ordonnance sur requête.

1 Dont on sait qu’il est le gardien des libertés individuelles en application de l’article 66 de la Constitution.

2 K. Salhi, Contribution à une théorie générale des voies de recours en droit judiciaire privé, thèse Caen, 2004, p. 553 ; adde C. Eisenmann, «Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique, La logique du droit», Annales de philosophie du droit 1966, n° 11, p. 25.

3 L’exemple le plus parlant est le débat sur l’actualité ou l’éventualité du litige, V. Supra, n°s 29 s.

4 Au sens entendu précédemment, c'est-à-dire la possibilité pour un élément d’être rattaché à l’une ou l’autre des catégories en présence en fonction de simples circonstances, . Supra, n° 28 s.

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49. Etant donné qu’on ne peut se résoudre à renoncer à une qualification certaine et rigoureuse au prétexte de l’inadaptation d’un critère à l’objet à qualifier, la recherche d’un critère nouveau doit être poursuivie. C’est aussi l’opinion de Mme PIERRE-MAURICE, pour laquelle le classement de l’ordonnance sur requête dans l’une ou l’autre des catégories doit reposer sur un critère autre que celui de l’article 25, qui se révèle inadapté. Cet auteur en propose un autre, de caractère hybride, mi-formel, mi-matériel : le critère du non-contradictoire structurel1. Ce critère nouveau conduit à qualifier l’ensemble des ordonnances sur requête de gracieuses, aboutissant à l’homogénéité recherchée. Nonobstant l’intérêt évident de la réflexion menée, une telle opération n’en souffre pas moins une sérieuse objection. Si le travail doctrinal comprend de toute évidence une faculté de proposition tendant à l’amélioration du droit positif, le critère de la matière gracieuse demeure, de

lege lata, celui énoncé par l’article 25. La recherche d’un critère nouveau ne doit donc pas heurter les

concepts de litige et d’obligation légale de recourir au juge et une autre solution doit être envisagée. 50. Celle-ci pourrait être trouvée en adoptant la démarche inverse de celle suivie jusqu’à présent et qui a consisté à choisir un modèle, en l’espèce la matière gracieuse, et de la confronter à une série d’éléments isolés pour vérifier la conformité de ceux-là à celle-ci. Une méthode alternative pourrait amener à rechercher, dans l’ordonnance sur requête, un trait caractéristique qui lui est propre pour ensuite le confronter aux catégories juridiques en présence pour déterminer celle qui pourrait l’accueillir en son sein2. Or, à l’examen du régime autonome dont le nouveau Code a doté l’ordonnance sur requête, il apparait que le caractère unilatéral n’est pas sa seule spécificité. La nature provisoire de l’ordonnance sur requête est un autre trait distinctif. Ce dernier n’est pas propre à l’ordonnance sur requête, car il affecte également l’ordonnance de référé3. De même, le caractère unilatéral n’est pas un trait unique des ordonnances de l’article 493, qu’elles partagent avec la matière gracieuse et avec la procédure de défaut, ce qui est à l’origine de toutes les difficultés de qualification. En revanche, seule l’ordonnance sur requête combine ces deux caractéristiques.

51. Bien sûr, il pourrait être objecté à cela que la juridiction gracieuse, à l’instar de la juridiction contentieuse, pourrait être dotée de décisions provisoires et de décisions définitives4. Le caractère provisoire serait dès lors indiffèrent à la qualification, même s’il reste propre à l’ordonnance sur

1 S. Pierre-Maurice, op. cit., pp. 205 s.

2 Pour reprendre le mot du Doyen Héron, la difficulté, en matière de qualification, « n’est pas tant de trouver les réponses que les questions, les réponses étant implicitement contenues dans l’énoncé des questions », V. J. Héron, «Eléments de typologie des jugements à partir de l'idée de réalisation du droit» préc. ; adde ––, «La qualification», Droits 1993, p. 34.

3 Art. 484 CPC : « L'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n'est pas saisi du principal le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires ».

4 G. Wiederkehr, «L'évolution de la justice gracieuse», in Le juge entre deux millénaires, Mélanges Drai, Paris, Dalloz, 2000, p. 483, spéc. p. 489.

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requête. Attrayante au premier abord, cette proposition n’est cependant justifiée par aucun argument de fond et prend souvent les allures d’un postulat. En effet, en l’absence de toute théorie générale de la décision provisoire, il est impossible de dire si elle peut être contentieuse ou gracieuse. Or, non seulement les études récentes consacrées au provisoire n’abordent que très partiellement la question1, mais les nombreux auteurs qui se sont penchés sur la qualification des ordonnances sur requête ont complètement négligé ce problème, se focalisant exclusivement sur les critères consacrés par l’article 252. De ce point de vue, si la nature provisoire de l’ordonnance sur requête se révélait être un facteur discriminant et non indiffèrent pour la qualification, celle-ci pourrait être opérée de manière certaine. Par conséquent, l’étude de la nature des ordonnances sur requête sous l’angle de la notion de provisoire mérite d’être menée.

§2. La possible qualification des ordonnances sur requête au regard de la notion de provisoire

52. Définir le provisoire n’est pas une tâche aisée, d’autant moins lorsqu’il s’agit d’en faire un véritable critère de qualification. La difficulté est accrue du fait qu’il n’existe aucune théorie de la décision provisoire3, dont la construction serait un véritable « défi »4. Or, conceptualiser le provisoire est d’autant plus important qu’il affecte sensiblement le régime des ordonnances sur requête. Le provisoire influe également sur les décisions gracieuses, dont l’autorité est à ce jour discutée5. La

1 L’ouvrage de Mme Merland, (Recherches sur le provisoire en droit privé, op. cit.), aborde, comme son nom l’indique, l’ensemble du droit privé, et ne se focalise qu’incidemment sur le droit judiciaire privé ; la thèse de Mme Chainais sur la protection juridictionnelle provisoire (C. Chainais, La protection juridictionnelle provisoire

dans le procès civil en droits français et italien, Paris, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, 2007) ne traite en

majorité que des ordonnances de référé, laissant de côté l’ordonnance sur requête ; il en est de même de la thèse de M. le Professeur Strickler, consacrée à ce sujet (Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse Strasbourg, 1993) ; enfin, le travail de Mme Nioche (M. Nioche, La décision provisoire - Nature juridique

et régime dans l'espace judiciaire européen, thèse Paris I, 2007), traitant du droit international privé, n’apporte

pas d’éclairage sur les questions qui nous intéressent ; de manière plus générale, les travaux cités ne se rapportent qu’aux décisions rendues par les juges du provisoire, sans traiter des décisions provisoires par objet ; sur cette notion, V° Infra, n° 59.

2 V. notamment, parmi les études les plus récentes : Juridiction gracieuse et matière contentieuse, préc; J.-L. Bergel, « La juridiction gracieuse en droit français », préc. ; G. Wiederkehr, «De la distinction entre décision gracieuse et décision contentieuse», Justices 1996, p. 26 ; « L'évolution de la justice gracieuse », préc. ; D. Le Ninivin, La juridiction gracieuse dans le nouveau Code de procédure civile, op. cit.

3 V. cependant, pour une étude plus générale du provisoire dans l’ensemble du droit privé, L. Merland,

Recherches sur le provisoire en droit privé, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 2001.

4 R. Perrot, «Les mesures provisoires en droit français», in Tarzia (dir.), Les mesures provisoires en procédure

civile, actes du colloque des 12-13 octobre 1984, Milan, Guiffrè, 1985, Milan, p. 140.

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notion de provisoire doit donc être clarifiée et érigée en critère de qualification (A.) avant de pouvoir être appliqué aux décisions gracieuses et aux ordonnances sur requête (B.)

A. La mise en évidence d’une summa divisio du provisoire : la distinction entre les

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