• Aucun résultat trouvé

L’effet positif de l’ordonnance : la sauvegarde des droits processuels du requérant

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 160-163)

Section I. L’objet de l’autorité de la chose jugée : l’efficacité procédurale de l’ordonnance sur requête sur requête

A. L’ordonnance fait droit à la requête

1. L’effet positif de l’ordonnance : la sauvegarde des droits processuels du requérant

212. Les effets processuels de l’ordonnance sur requête sont un reflet direct de la définition de la règle de procédure, qui se caractérise par deux aspects : elle a trait aux règles gouvernant le procès en général, et est dépourvue d’indépendance structurelle. Or, l’ordonnance faisant droit à la demande du requérant a un effet certain sur les droits processuels de celui-ci, qu’elle contribue à sauvegarder (1.). Ce côté procédural n’a, par symétrie, aucune incidence directe sur le droit substantiel dont la protection est recherchée (2.), ce qui fournit un début d’explication sur les spécificités de l’ordonnance sur requête en particulier et de la protection juridictionnelle provisoire en général.

1. L’effet positif de l’ordonnance : la sauvegarde des droits processuels du requérant

213. D’un point de vue purement procédural, au sens matériel de ce terme, l’efficacité de l’ordonnance sur requête intéresse au premier chef le déroulement du procès. Mais il faut alors distinguer entre deux procès qui n’ont rien de comparable à cet égard : la procédure sur requête elle-même et l’éventuel procès au fond qui a pour objet le droit substantiel qu’il s’agit de préserver. L’effet processuel de l’ordonnance sur requête ne peut être envisagé à l’égard de la procédure suivie devant le juge des requêtes, car elle en représente l’aboutissement ; le prononcé de l’ordonnance clôt l’instance ouverte par la requête. Cependant, le juge des requêtes, comme tout juge, est en principe susceptible de prononcer des mesures à effet procédural au sein même de cette instance, telles des mesures d’instruction, sursis à statuer, etc...1. Ces mesures sont en revanche aptes à

1 Comp. avec le juge de la mise en état, V. A.-C. Mercier, La révision des décisions juridictionnelles, thèse Bordeaux IV, 2000, p. 416.

160

influencer le cours de la procédure unilatérale, par la gestion des étapes qui la composent. Ce sont en effet les traits du débat judicaire qui sont modifiés par ces décisions que l’on peut qualifier d’avant-dire-droit : sa durée, sa loyauté, les éléments de fait et droit qui vont intégrer le débat. Techniquement, c’est au moyen de la notion d’instance que peut se décrire l’effet procédural des mesures prises au cours du procès, car elles tendent à régir soit les parties à l’instance, soit l’objet de celle-ci.

214. C’est la considération de l’ordonnance par rapport à la procédure au fond qui apporte l’éclairage nécessaire à la notion d’efficacité processuelle. En modifiant le cours du procès, toute mesure vise à la réussite de l’action, ou à son échec si l’on se place du côté du tiers visé par l’ordonnance. C’est donc bien l’issue de la procédure que les parties cherchent à influencer en demandant le prononcé de telles mesures, que ce soit pour introduire des éléments de fait propres à étayer les moyens invoqués, gagner du temps, appeler en cause un garant, etc... L’ordonnance sur requête n’a pas d’effet direct sur la procédure au principal qui aura pour objet le droit que le requérant a souhaité protéger. Mais l’effet processuel de l’ordonnance sur requête est de rendre cette action possible, et, en ce sens, d’en permettre le dénouement favorable.

En outre, si la sauvegarde d’un droit substantiel est rendue nécessaire, с’est en raison d’une menace qui pèse sur son existence ou son étendue. Or, ce péril est purement processuel : il n’est pas question de priver un individu de la jouissance d’un droit qu’il invoque, mais d’en empêcher la reconnaissance en justice. Car c’est bien, in fine, de la consécration juridictionnelle du droit substantiel qu’il s’agit ici. Le droit abstrait tel que conféré par l’ordre juridique est en soi insuffisant, il faut encore, lorsque celui-ci est contesté, que le juge en assure le respect.

Considéré ainsi, le droit menacé est nécessairement variable. Tel justiciable aura le droit de divorcer s’il prouve l’adultère de son conjoint, tel autre d’agir contre son ancien employé s’il prouve que celui-ci viole la clause de non-concurrence. La preuve, disait Ihéring, est la rançon des droits. Le premier obstacle à la réalisation des droits en justice est d’ordre probatoire : si le demandeur n’est pas en mesure de réunir les éléments de preuve nécessaires, son action est vouée à l’échec. Il importe de pouvoir obtenir ceux-ci en temps voulu, ou de les préserver si elles sont menacées de dépérissement. L’ordonnance sur requête remplit justement cet objectif, notamment au moyen des mesures de l’article 145 du Code de procédure civile1, lorsque le requérant est dans l’impossibilité d’obtenir des éléments de preuve utiles par ses propres moyens. C’est également le cas des diverses saisies

161

existant en droit de la propriété intellectuelle, qui ont un caractère essentiellement probatoire et visent à appuyer l’action en contrefaçon1.

215. Par ailleurs, le droit peut rester sans sanction parce que celle-ci, lorsqu’elle interviendra, sera dénuée d’objet. Tout créancier dispose du droit d’agir en recouvrement de sa créance, mais la décision judiciaire sera impuissante à le réaliser si le patrimoine du débiteur ne dispose d’aucun actif. De même, la nomination d’un administrateur provisoire pourra être nécessaire pour assurer la pérennité d’un bien dont on souhaite revendiquer la propriété, etc... Afin de garantir à l’action future l’effectivité nécessaire, il est vital de préserver son objet. L’ordonnance sur requête est un instrument procédural parfaitement adapté à cela : en autorisant une ingérence conservatoire sur la propriété d’autrui, le juge des requêtes assure le statut quo en attendant que le juge du fond statue sur le droit substantiel.

216. L’effet procédural peut donc se résumer à une modification de la situation procédurale des

parties tendant au succès ou à l’échec de l’action sanctionnant un droit substantiel. L’application de

toute règle de procédure produit un tel effet, mais il est nécessaire de distinguer entre les règles de procédure « internes » et « externes » au procès au cours duquel ce droit substantiel est discuté. D’une part, les jugements avant-dire-droit et les mesures d’administration judiciaire influent directement sur le lien d’instance, que la procédure implique ou non une phase de mise en état. Ces mesures font partie d’une seule procédure, débutant par un acte introductif d’instance et s’achevant par une décision qui se prononce sur l’existence et l’étendue d’un droit substantiel. Pour cela, elles doivent être qualifiées d’ « internes », car elles ne sont que le support de la procédure qu’elles intègrent et ne débouchent sur aucune décision autonome2. D’autre part, certaines décisions n’intègrent pas la même procédure et le droit substantiel n’y est pas directement discuté. Cependant, elles ont sur l’action au fond un effet certain, dans la mesure où elles en conditionnent la réussite et l’efficacité. Mais, techniquement parlant, elles relèvent d’une procédure structurellement distincte, raison pour laquelle l’appellation « externe » peut leur être attribuée. C’est le cas pour la procédure sur requête et celle des référés, qui sont techniquement indépendantes du procès au principal et aboutissent à une décision mettant fin à l’instance3.

217. Deux conclusions importantes peuvent être tirées de ce qui précède, qui permettent de mieux comprendre la notion de provisoire en procédure. En premier lieu, il apparaît que l’ordonnance sur

1 F. Pollaud-Dulian, Le droit d’auteur, Economica, 2005, pp. 757 ss.

2 D’où découle l’interdiction d’exercer immédiatement une voie de recours contre ces mesures en application de l’art. 150 CPC.

3 La fin de l’instance marque en outre le dessaisissement du juge conformément à l’adage lata sentencia… V.

162

requête n’est pas la seule voie procédurale permettant la sauvegarde d’un droit substantiel par la préservation de l’effectivité de l’action au principal. L’ordonnance de référé a, dans cette perspective, un rôle sensiblement similaire. De manière plus générale, c’est la notion de protection juridictionnelle provisoire qui s’en trouve précisée. Celle-ci se cantonne sur le plan de la pure procédure, sans effet sur les droits substantiels eux-mêmes. Le principal effet d’une telle protection est de permettre l’exercice de l’action au principal, qui seule peut aboutir à la reconnaissance du droit substantiel.

En second lieu, une telle présentation de l’ordonnance sur requête apporte un éclairage nouveau sur le « provisoire » par opposition au « fond ». Le provisoire par nature, qui regroupe en son sein l’ensemble de la protection juridictionnelle provisoire, ne serait constitué que de règles de pure procédure. Leur absence d’autorité de la chose jugée au principal pourrait alors être le résultat de la dissociation de celle-ci à l’égard du droit substantiel, ce qu’il nous appartient à présent de vérifier.

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 160-163)