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L’autorité à l’égard du juge du principal

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 176-181)

Section II. La portée de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance sur requête

A. L’autorité à l’égard du juge du principal

237. Le premier aspect auquel fait immédiatement penser l’adjectif provisoire, en matière de procédure, est le lien entre la décision ainsi qualifiée et le jugement définitif, c’est-à-dire le jugement rendu au principal. Par analogie avec l’ordonnance de référé, on est amené à considérer que, même si l’ordonnance sur requête doit se voir accordée une certaine autorité, elle ne peut interférer avec l’autorité reconnue au principal ; l’autorité de la chose jugée proprement dite, en quelque sorte. Cette dernière trouve son siège dans l’article 1351 du Code civil, qui range la chose jugée parmi les présomptions légales. Pour mieux cerner l’autorité de l’ordonnance sur requête au regard du juge du

1 « L'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée. Elle ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles ».

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principal, il faut donc préalablement la confronter à ce texte (1.), avant de voir quel peut être son lien avec la procédure menée devant le juge du principal (2.).

1. L’autorité de l’ordonnance sur requête au regard de l’article 1351 du Code civil

238. Lorsqu’on examine les textes de droit positif relatifs à l’autorité de la chose jugée, un constat s’impose : aucun d’entre eux ne mentionne formellement le terme « autorité au provisoire ». Ce vocable a été forgé par la doctrine pour exprimer une idée directrice en la matière, selon laquelle la décision prise par le juge du provisoire ne lie pas le juge du principal1. Cependant, il reste difficile de se départir de l’absence de distinction dans les termes de la loi, car ubi lex non distinguit… Cela ne signifie pas pour autant que l’idée d’introduire dans le lexique procédural le terme d’autorité au provisoire soit faux, bien au contraire. Cette notion peut simplement être traduite techniquement pour correspondre au vocabulaire utilisé par les articles 1351 du Code civil et 480 du Code de procédure civile, qui définissent l’autorité de la chose jugée. Le premier de ces deux articles a trait à l’exception de la chose jugée qui exige, pour sa mise en œuvre, la réunion de la triple condition de communauté de parties, d’objet et de cause. La seule indication fournie quant au domaine de l’autorité conférée est le membre de phrase selon lequel « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ». Ceci renvoie aux termes de l’article 480 du Code de procédure civile qui dispose qu’est revêtu d’une telle autorité « le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal », le principal étant alors entendu comme « l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4 ». Ce qui, à son tour, renvoie aux « prétentions respectives des parties »2, telles qu’elles résultent de l’acte introductif d’instance. En somme, ces dispositions fournissent à l’analyste une triple grille de lecture : quant au domaine de la chose jugée (ie les jugements qui tranchent tout ou partie du principal), quant à son objet (les prétentions respectives des parties, c’est-à-dire ce qui a fait l’objet de la vérification juridictionnelle et sera source d’effectivité procédurale ou substantielle) et, enfin, quant aux moyens de sa mise en œuvre (l’exception de chose jugée). Il en résulte que l’autorité de la chose jugée, en tant que telle, est insusceptible de degrés. Elle est ou elle n’est pas, mais elle ne saurait être qu’à moitié. Si la décision considérée rentre dans le domaine de cette autorité (première étape), alors cette dernière

1 Y. Strickler, op. cit., pp. 427 s.

2 Art. 4 CPC ; comp., en matière d’application de l’article 544 relatif aux jugements mixtes, qui utilise également le terme de « principal », Cass. Com. 15 décembre 2009, Procédures 2010/3, comm. 69, obs. R. Perrot.

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s’appliquera à ce que le juge aura tranché (deuxième étape), sanctionnant toute nouvelle action tendant au même résultat par une fin de non-recevoir (troisième étape).

239. Quant au domaine de la chose jugée tout d’abord, l’ordonnance sur requête mérite incontestablement d’y figurer. Tant sa qualification d’acte juridictionnel que l’efficacité qu’elle produit ne permettent pas de lui dénier toute autorité, ce qui l’assimilerait à une mesure d’administration judiciaire. En outre, l’ordonnance a bien un objet, une efficacité procédurale, qui résulte de la question posée par le requérant quant à l’application à son profit de la protection juridictionnelle provisoire unilatérale. C’est bien de prétention, au sens de l’article 4 du code, dont il s’agit alors. C’est la troisième étape du raisonnement qui pose traditionnellement problème, car la jurisprudence refuse de manière constante de faire jouer la fin de non-recevoir issue de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance sur requête1. Si on suit la logique précédemment exposée jusqu’au bout, il ne parait pas possible de dénier à l’ordonnance rendue le bénéfice de cette fin de non-recevoir et d’admettre la recevabilité d’une nouvelle requête aux mêmes fins, sous réserve toutefois d’un changement de circonstances. Il convient donc de considérer, à titre de conclusion logique, que la troisième et dernière étape du raisonnement relatif à l’autorité de la chose jugée trouve bien application en manière d’ordonnances sur requête. Cette autorité doit être par conséquent leur être reconnue.

240. L’autorité de la chose jugée étant insusceptible de degrés mais ayant seulement vocation à s’appliquer ou ne pas s’appliquer, l’ordonnance sur requête se voit appliquer les articles 1351 et 480 précités. Il peut paraitre choquant d’affirmer, au regard de la théorie classique des décisions provisoires, que l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance sur requête est pleine et entière. Cela ne veut cependant pas dire que cette autorité ne se limite pas au provisoire et qu’elle lie le juge du principal. En effet, dans la mesure où le provisoire s’assimile à la règle de procédure, les deux affirmations sont parfaitement compatibles, comme il nous appartient de le montrer à présent.

1 V. Cass. 2e Civ. 19 décembre 1998, RTD Civ. 1999, p. 464, obs R. Perrot ; Toulouse 14 février 2002, D. 2003, p. 160, obs. crit. Y. Strickler.

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2. L’autorité de l’ordonnance sur requête au regard du droit substantiel discuté devant le juge du principal

241. A considérer les effets de l’ordonnance unilatérale quant au juge du fond saisi du droit substantiel qu’elle sauvegarde, les deux aspects de l’autorité de la chose jugée doivent être pris en compte, tant l’autorité positive que l’autorité négative.

242. Du point de vue de l’autorité négative, toute la question est de savoir si le juge du principal, statuant après que le juge des requêtes a ordonné une mesure, peut opposer au demandeur la fin de non-recevoir issue de l’autorité de la chose jugée. Il est constant que, pas plus qu’en matière de référé, une telle solution ne saurait être admise, car, dit-on, ces ordonnances sont dépourvues de l’autorité de chose jugée au principal. Mais l’impossibilité d’opposer cette fin de non-recevoir peut techniquement recevoir une explication différente : il ne peut être fait obstacle à l’exercice de l’action devant le juge du principal parce que la triple condition de l’article 1351 du Code civil n’est pas remplie. Certes, les parties à l’instance au fond sont susceptibles d’être les mêmes que devant le juge des requêtes, le tiers visé recevant la qualité de partie dès la signification de l’ordonnance rendue à son encontre1. La cause de la demande, si on en retient une conception purement factuelle2, peut encore être identique, bien que cette situation n’apparaît pas devoir être systématique ; les mêmes faits qui auront motivé la saisine du juge des requêtes pourront pousser le requérant à saisir le juge du fond. Cependant, la troisième condition de l’ article 1351, l’objet de la

demande, diffère toujours entre l’instance au provisoire et l’instance au fond. Ce qui est demandé au

juge des requêtes, c’est de prendre une mesure, simple aménagement factuel de la situation des parties, leur permettant d’agir ultérieurement au fond si elles le souhaitent. Au contraire, le juge du principal ne statue pas sur une mesure mais décide de l’existence, de la validité ou de l’étendue d’un droit substantiel dont l’une des parties se réclame bénéficiaire. Ainsi, ordonner une saisie conservatoire n’est pas la même chose que décider de l’existence du droit de créance correspondant à la somme saisie. Pour cette raison, aucune fin de non-recevoir ne pourra être opposée au demandeur au fond : l’exception de chose jugée n’aura simplement pas vocation à jouer.

243. Sur un autre plan, l’ordonnance sur requête ne peut avoir, au regard du principal, d’autorité positive de chose jugée3. Cette autorité consiste pour le juge à prendre pour acquis un fait ou une situation juridique qui a antérieurement fait l’objet d’une décision judiciaire distincte. La première

1 V. Infra, n°s 272 s.

2 Sur cette question, V. Infra, n°s 252 s.

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décision, à laquelle cette autorité est reconnue, ne peut porter sur le même droit que la procédure pendante, faute de quoi l’exception de chose jugée devrait jouer. Seule subsiste l’identité des parties, entre lesquelles une contestation a déjà été tranchée, sur laquelle le juge saisi n’a pas à revenir et qui est influe sur la solution du litige en cours. Pour reprendre les mots de M. LE BARS, « il n’est plus question ici de faire obstacle au renouvellement d’un procès [ ;] il est question d’imposer la prise en compte au cours d’une instance B de ce qui a été jugé lors d’une instance A »1. Le Code ne consacre expressément qu’un seul cas d’autorité positive, à l’article 95 : « lorsque le juge, en se prononçant sur la compétence, tranche la question de fond dont dépend cette compétence, sa décision a autorité de chose jugée sur cette question de fond ».

L’existence même d’une telle autorité implique que quelque chose ait été tranché, qu’un juge ait préalablement réalisé une vérification juridictionnelle et aménagé la situation des parties. Or, le juge des requêtes ne prend pas position sur le droit substantiel du requérant. Il effectue certes une vérification juridictionnelle quant à l’existence des conditions de sa saisine, ordonne une mesure et aménage la situation factuelle des parties en conséquence. Mais sa décision reste sur un plan purement procédural et n’affecte pas les droits substantiels des parties. Il n’y alors aucun renseignement à tirer de l’ordonnance sur requête pour le juge du principal : aucune question de droit relative au litige qui lui est soumis n’a été tranchée.

Cette absence d’autorité positive de l’ordonnance à l’égard du fond doit cependant être tempérée. Dans la mesure où le juge des requêtes a déjà aménagé la situation de fait des parties, parfois même de façon irréversible, le juge du principal saisi doit en tenir compte, mais sur le plan des faits

seulement. Il ne peut ignorer, lorsqu’il aménage concrètement les droits des parties après en avoir

proclamé l’existence, la situation qui préexiste à sa décision2. Par exemple, Primus, qui se prétend titulaire d’une créance à l’égard de Secundus, obtient en référé une provision pour le tout. Ultérieurement, il voit sa demande rejetée par le juge du fond qui nie l’existence de la dette de

Secundus, et ordonne la restitution des sommes versées. Cette décision ne constitue pas la censure

de l’ordonnance de référé, elle n’est qu’un aménagement de la situation de fait des parties : à défaut de dette, aucune somme ne doit être versée, et ce qui a été versé indument doit être restitué. Inversement, lorsque c’est le juge des référés qui refuse le versement d’une provision et le juge du fond qui reconnait l’existence d’une créance, la décision de ce dernier affecte le fait et non le droit. La créance est fondée, et aucun versement n’est intervenu : il convient d’ordonner le paiement des sommes dues.

1 Ibid., n° 10

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244. En somme, cette démonstration ne vise qu’à apporter un éclairage technique nouveau à une idée préexistante et parfaitement justifiée : l’ordonnance sur requête n’a pas autorité de la chose jugée au fond. Il n’est en réalité nul besoin de distinguer entre divers degrés d’autorité de la chose jugée qui, par ailleurs, n’existent pas. Le fait que l’ordonnance sur requête reste sans effet sur la saisine du juge du fond s’explique parfaitement par le recours à l’article 1351 du Code civil et à l’exception de chose jugée qu’il établit. De même, si le juge du principal tiendra compte de la situation issue de l’exécution de la mesure ordonnée par le juge des requêtes, ce sera sur un plan purement factuel. En revanche, il n’en sera pas de même sur le plan de l’instance au provisoire, au cours de laquelle l’autorité de la chose jugée trouvera pleinement à s’appliquer, sous tous ses aspects.

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