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La notion de litige

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 43-46)

Section I. La qualification gracieuse ou contentieuse des ordonnances sur requête

A. L’absence de litige

1. La notion de litige

24. Proposer une définition cohérente et adéquate du terme litige, tel qu’il doit être entendu pour distinguer les décisions gracieuses des décisions contentieuses, est complexe en raison du caractère fuyant de cette notion. Souvent, une opposition d’intérêts n’est pas une situation statique, mais plutôt un processus évolutif, dynamique. Cette difficulté a été mise en avant par M. LE NINIVIN dans son étude de la juridiction gracieuse, lorsqu’il dit que « la notion de litige est difficile à cerner parce

1 G. Cornu et J. Foyer, op. cit., p. 36.

2 A. Jeammaud, «Conflit, Différend, Litige», Droits 2001/34, 15.

3 S. Pierre-Maurice, op. cit., n° 59.

4 Art. 1008 C. Civ.

5 Art. L. 511-1 CPCE.

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qu’il s’agit d’un phénomène essentiellement dynamique dont l’image se modifie perpétuellement […] et son histoire ne s’arrête pas lorsque le jugement intervient » 1.

Par ailleurs, il est toujours difficile de savoir à quel moment des volontés contraires s’opposent avec assez de force pour former un litige. En ce sens, « entre les limites idéalement opposées d’une paix juridique parfaite et d’un conflit juridique bien établi, s’étend, en effet, une vaste zone où l’intervention du juge n’a pas pour objet de résoudre mais tire souvent son sens d’un litige : né et actuel ou simplement probable, passé ou à venir, souhaité ou redouté, authentique ou artificiel… »2. Le conflit est par essence susceptible de degrés, à tel point qu’un auteur a estimé que seul le « recours au sentiment juridique de l’interprète » 3 peut permettre de caractériser un litige. Un antagonisme ne pourrait être qualifié de litige que s’il est suffisamment grave : « le conflit d’intérêt n’appelle un juge que lorsqu’il est poussé à un certain degré d’acuité »4. Cette absence de formalisme contrarie d’autant plus les opérations de qualification, que le litige est, d’après une partie dominante de la doctrine5, antérieur au procès. Or, « tant que les personnes concernées ne se font pas un procès, l’on n’est jamais sûr de la réalité du litige »6.

Néanmoins, il est possible de dégager certaines constantes qui, à défaut de décrire précisément ce qu’est le litige, permettront de poser les limites du concept. Elles sont au nombre de deux : le litige, qui s’inscrit toujours dans l’ordonnancement juridique (a.), implique un heurt de volontés contraires, une résistance à une prétention (b.).

a. Le litige, phénomène juridique

25. Aux origines de tout litige, il y a la prétention d’un sujet de droit au bénéfice d’un droit subjectif, dont il pense, à tort ou à raison, être titulaire. Mais le litige, tel qu’il doit être entendu ici, se distingue des désaccords et mésententes du quotidien par sa capacité à intégrer la vie juridique et à

1 D. Le Ninivin, La juridiction gracieuse dans le nouveau Code de procédure civile, LGDJ, 1983 p. 44.

2 Ibid., p. 45.

3 P. Hébraud, «Commentaire de la loi du 15 juillet 1944 sur la chambre du conseil», D. 1946, L., 333, spéc. p. 336, 1ère col.

4 M. Hauriou, «Les éléments du contentieux», Rec. Acad. Lég. Toulouse 1905, p. 1, spéc. pp. 41-42.

5 D. D'Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, Paris, LGDJ, 1994p. 268 ; G. Cornu et J. Foyer, op. cit., p. 36 ; R. Merle, Essai de contribution à la théorie générale de l'acte déclaratif, thèse Paris, 1948, p. 98 ; R. Martin, Théorie générale du procès (droit processuel), Ed. Juridiques et Techniques, 1984p. 5 ; V° Contra, A. Jeammaud, préc. spéc. p. 17 ; notons encore que le langage commun assimile le plus souvent « litige » et « procès », comme en témoigne cette définition litige donnée par le Larousse : « contestation donnant lieu à procès ou à arbitrage ».

6 G. Wiederkehr, «Le rôle de la volonté dans la qualification des actes judiciaires», in Le rôle de la volonté dans les actes juridiques, Mélanges Rieg, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 883, spéc. p. 893.

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être résolu par le droit. « Parmi les sujets de querelle qui divisent les hommes, seuls nous retiendrons et seuls, à la vérité, méritent le nom de litige, ceux qui peuvent être qualifiés de phénomènes juridiques, […] parce qu’ils naissent de la vie du droit, troublant l’ordonnancement juridique, [et] parce qu’ils naissent à la vie du droit, se manifestant pour se résoudre dans l’ordre juridique. Le droit en est la source et l’aboutissement »1. En ce sens, la prétention que le requérant adresse au juge des requêtes s’inscrit dans l’interdiction de se faire justice à soi-même et dans la recherche de la protection juridictionnelle. Ainsi, selon M. JEAMMAUD, qui se réfère aux MM. OST et VAN DE KERCHOVE, « si un litige naît, c’est que les parties ont accepté de placer leur conflit sur le seul terrain du droit et qu’elles ont été amenées, à la fois, à radicaliser l’opposition de leurs prétentions respectives et à réduire l’ampleur du conflit à ses seules dimensions juridiques plutôt que de le maintenir dans toute sa complexité psychologique et sociale »2. Sollicitant l’intervention judiciaire en se plaçant sur le terrain du Droit, le requérant adresse une prétention au juge. Mais pour qu’un litige se forme, il faut encore que cette prétention rencontre une résistance, une opposition.

b. Le litige, heurt de volontés antagonistes

26. Le litige, comme tout conflit3, relève de l’idée de désaccord, de rivalité. Notion juridique, le litige porte sur un bien ou sur un droit, réclamé par l’un, dénié par l’autre. De la même manière qu’un contrat est un accord de volontés, le litige, par symétrie, implique leur désaccord4. Deux éléments se rencontrent : une prétention et une résistance à cette prétention. En d’autres termes, « il y a litige quand le prétendu sujet passif d’un droit refuse de reconnaître l’existence du droit qu’on lui oppose »5. Cette résistance, comme la prétention, peuvent avoir pour origine un doute sur le droit, la mauvaise foi ou la malice. Comme le disent MM. CORNU et FOYER, « la malignité suscite, seule, la querelle, soit que l’un émette une prétention téméraire, qu’il sait pertinemment mal fondée, par esprit de chicane ou pour obtenir un avantage sans droit, soit que l’autre oppose à une prétention qu’il sait légitime, une résistance purement dilatoire, tactique ou malveillante »6.

1 G. Cornu et J. Foyer, op. cit., p. 37.

2 A. Jeammaud, préc., spéc. p. 17.

3 Le terme « conflit » est en effet plus large que celui de litige ; il peut être entendu comme « une relation antagonique que réalise ou révèle une opposition de prétentions ou aspirations souvent complexes, plus ou moins clairement formulées, entre deux ou plusieurs groupes ou individus, et qui peut connaître une succession d’épisodes, d’actions, d’affrontements », V. Ibid., spé. p. 17.

4 V° G. Cornu et J. Foyer, op. cit., pp. 41-43.

5 R. Merle, op. cit., p. 99.

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La résistance peut ne pas être active, se manifestant alors par le silence ou l’inertie. « Celui que la prétention concerne au premier chef peut, en effet, sans s’incliner nullement, ne pas formuler de contestation» 1 , se contentant de rester passif.

27. En matière d’ordonnances sur requête, les manifestations de la résistance diffèrent des formes décrites, car le défendeur potentiel, visé par la mesure sollicitée du juge, ignore tout de la demande, et l’on ne peut prétendre qu’il oppose au requérant sa force d’inertie, pas plus qu’il ne manifeste activement son désaccord. Le conflit de prétentions qui permet de caractériser un litige est contredit par le caractère unilatéral de la procédure. En conséquence, « l’existence d’un litige né et actuel véhiculé par l’ordonnance sur requête semble, en principe, catégoriquement exclue »2.

28. Il reste possible d’objecter à ce point de vue que le litige peut être antérieur à l’intervention judiciaire. Si le créancier sollicite l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire, c’est bien parce que le débiteur refuse de s’exécuter ou qu’il est très probable qu’il en soit ainsi. Mme PIERRE-MAURICE estime qu’en ce cas, « l’ordonnance sur requête se présente alors comme le moyen de faire taire le litige »3, qui non seulement existe, mais est d’ores et déjà déclaré. Une première scission s’introduit alors dans la catégorie des ordonnances sur requête, qui amène à distinguer selon qu’un premier refus extrajudiciaire a ou non été opposé au requérant. Dans le premier cas, le litige, né et actuel, conduit à classer l’ordonnance sur requête au sein de la juridiction contentieuse, tandis que dans le second, il oblige à examiner l’existence d’un litige éventuel4 pour opérer la qualification. Outre qu’il fait appel, pour permettre la qualification, à l’examen de circonstances extérieures et non à la nature profonde de l’ordonnance sur requête, le critère du litige ne permet de ranger dans la même catégorie l’ensemble des éléments considérés. En somme il montre, déjà à ce stade, des insuffisances.

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