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L’autorité de l’ordonnance sur requête à l’égard du juge des requêtes lui même

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 181-184)

Section II. La portée de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance sur requête

B. L’autorité à l’égard du juge du provisoire

1. L’autorité de l’ordonnance sur requête à l’égard du juge des requêtes lui même

246. L’application à l’ordonnance sur requête de l’article 1351 du Code civil a pour conséquence, à l’égard du juge des requêtes, son dessaisissement. En application de l’adage lata sentencia, judex

dessinit esse judex, aussitôt l’ordonnance rendue, le juge ne peut la rétracter ni la modifier1. Raisonner ainsi n’est rien de plus qu’aligner le régime de l’ordonnance sur requête sur celui du droit commun de l’autorité de la chose jugée. Il n’est pas possible de ranger celle-ci dans la catégorie des actes juridictionnels, l’opposant aux mesures d’administration judiciaires et aux jugements avant-dire-droit2, et prétendre autoriser le juge à revenir librement sur sa décision.

1 V, en matière de référé, Y. Strickler, op. cit., p. 463.

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Pourtant, les termes de l’article 496 introduisent un doute sur le dessaisissement consécutif au prononcé de l’ordonnance. Ce texte dispose qu’en cas d’appel formé contre l’ordonnance, celui-ci sera « formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse ». Or, en application des articles 950 et 952 relatifs à la procédure d’appel en matière gracieuse, celui-ci est formé par déclaration d’appel faite au greffe de la juridiction qui a rendu la décision et non à celui de la cour. Cela permet au juge de pouvoir réexaminer sa décision, qui dispose d’un mois pour rétracter ou modifier cette dernière, ou, dans le cas contraire, la transmettre aux juges d’appel. Cette faculté particulière est un emprunt au pourvoi de droit local ayant cours en Alsace-Moselle1. Sa justification traditionnelle était l’absence d’autorité de la chose jugée des décisions gracieuses ; à défaut d’autorité, pas de dessaisissement, le juge étant alors libre de revenir sur sa décision pour éviter que celle-ci ne fasse l’objet d’un appel2. Cette conception n’étant plus de mise aujourd’hui, car l’autorité de la chose jugée doit être reconnue aux décisions gracieuses3. Une autre explication doit donc être apportée à ce mécanisme.

247. L’usage, en matière d’ordonnances sur requête, de la procédure d’appel propre à la matière gracieuse ne peut être considéré comme un aveu, de la part du législateur, de l’appartenance de la première à la seconde. L’usage, par l’article 496, de l’adverbe « comme », témoigne plutôt d’un emprunt. Celui-ci est certainement dû au rattachement traditionnel des ordonnances sur requête au domaine de la juridiction gracieuse, dont il est une survivance. Mais il relève surtout d’une question d’opportunité : l’appel des décisions gracieuses a été forgé de toutes pièces pour permettre de réexaminer une décision unilatérale. L’ordonnance sur requête étant la seule autre décision de ce type au sein de notre système procédural, il est beaucoup plus simple et raisonnable de se référer à un système déjà existant plutôt que d’en créer un nouveau. Il reste qu’il est difficile de concilier cette possibilité de rétractation avec le dessaisissement du juge des requêtes. Corrélativement, se pose la question de savoir s’il convient ou non d’exiger la survenance de faits nouveaux préalablement à la rétractation de la décision par ce biais.

Deux justifications sont possibles pour le mécanisme instauré par l’article 952. Soit on considère que le juge est effectivement dessaisi au moment du prononcé de l’ordonnance et que l’exercice de cette faculté est en réalité une voie de recours portée devant le juge des requêtes lui-même. Soit, inversement, on admet que le dessaisissement est reporté, suspendu, jusqu’à l’exercice de l’appel ou jusqu’à l’écoulement du délai de 15 jours prévu pour son exercice. Il est aisé de constater que la

1 V, sur les origines de l’introduction de ce mécanisme dans ce qu’était encore le nouveau Code de procédure civile, G. Cornu, «L'élaboration du Nouveau Code de procédure civile», in Beigner (dir.), La codification, Paris, Dalloz, 1996, p. 71 ; sur le droit local positif, V. Dalloz Action Droit et pratique de la procédure civile, sous la direction de S. Guinchard, éd. 2011/2012, n° 721.21.

2 V J. Barrère, « La rétractation du juge civil », préc., spéc. pp. 21-22.

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première branche de l’alternative ne trouve aucun fondement solide au sein du Code, car il est impossible de qualifier cette prétendue voie de recours. Il ne peut s’agir de l’opposition car celle-ci ne peut par hypothèse être ouverte qu’alternativement à la voie d’appel, jamais concomitamment à lui. Il ne peut pas non plus s’agir du recours en révision car cette voie de recours est ouverte en matière gracieuse1 et il semble n’y avoir nul besoin de l’insérer au sein même de la procédure d’appel. Enfin, il ne peut s’agir de la tierce opposition car l’appel n’est ouvert qu’au requérant lui-même.

Par suite, la solution la plus logique est de considérer que le dessaisissement n’opère qu’à l’expiration du délai d’appel, ou lorsque, celui-ci ayant été exercé, le juge des requêtes prend la décision de maintenir l’ordonnance en l’état et de la transmettre à la cour. Dans ce dernier cas, le délai durant lequel le juge reste saisi est nécessairement plus long, car aux 15 jours dans lesquels est enfermé l’exercice de l’appel2 s’ajoute une période pouvant durer jusqu’à un mois en application de l’article 952 précité.

On peut exprimer des doutes sur l’utilité de différer ainsi le dessaisissement. Sans doute il y a-t-il des raisons propres à la matière gracieuse qui ont poussé le législateur à adopter un tel système, et qui ne se retrouvent pas en matière d’ordonnances sur requête pour lesquels l’article 496 constitue un emprunt procédural. On peut penser notamment que le juge gracieux ne traitant majoritairement que des changements d’état et des homologations d’actes privés, il peut avoir été autorisé à revenir sur sa décision sur demande du requérant, même si on l’imagine mal changer d’avis si la situation n’évolue pas dans l’intervalle3. Néanmoins, en l’absence de dessaisissement, aucun fait nouveau n’est nécessaire pour que le juge rétracte ou modifie l’ordonnance ; s’il change d’opinion, sa décision ne pourra encourir aucun reproche.

248. L’ordonnance sur requête n’étant pas seul instrument de la protection juridictionnelle provisoire, il convient de s’interroger sur son éventuelle autorité vis-à-vis de l’ordonnance de référé. Cette recherche n’est pas inutile dans la mesure où, fondamentalement, l’objet des deux procédures est le même : sauvegarder l’action du justiciable sanctionnant un droit substantiel. Le référé et l’ordonnance sur requête ne sont distingués que par l’application du principe du contradictoire : complète dans le premier cas, mise en sommeil dans le second. Il convient de voir si cette différence justifie une approche radicalement différente des deux procédures ou si leur appartenance commune au genre de la protection juridictionnelle provisoire peut avoir des incidences sur l’autorité de la chose jugée.

1 V, pour un jugement d’adoption, Versailles, 22 novembre 2001, RTD Civ. 2002 p. 282 obs. J. Hauser.

2 Art. 496 CPC.

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