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L’autorité à l’égard du requérant

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 188-191)

Section II. La portée de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance sur requête

A. L’autorité à l’égard du requérant

255. L’autorité de l’ordonnance sur requête est au cœur des débats, très controversés, sur la nature juridique de cette dernière. Son rattachement traditionnel à la matière gracieuse faisait écho au déni de toute autorité de la chose jugée aux décisions gracieuses elles-mêmes1. Priver l’ordonnance sur requête de toute autorité de chose jugée revient à offrir au requérant la possibilité de revenir indéfiniment par-devant le juge des requêtes pour réitérer sa demande2. Cette position est évidemment nuisible au service public de la justice, car il n’est pas bon de permettre aux justiciables de forcer à l’infini les portes du prétoire dans l’espoir que par lassitude ou par erreur3 le juge leur accorde le bénéfice de la mesure ainsi sollicitée. Aujourd’hui, l’opinion de la majorité des auteurs tend vers la reconnaissance d’une certaine autorité à l’ordonnance sur requête, sans toutefois que le fondement de celle-ci soit clairement précisé.

La lecture de la doctrine processualiste à ce sujet donne l’impression que l’argumentation donnée en faveur de l’autorité des ordonnances sur requête s’inspire davantage d’un sentiment que de considérations de technique juridique, peu d’affirmations doctrinales recevant l’appui d’une véritable démonstration. Ainsi peut-on lire que « pour provisoire qu’elle soit, l’ordonnance sur requête n’en est pas moins un acte dont les effets interdisent qu’ils soient subordonnés au caprice de son auteur et qu’ils puissent être remis en cause sans raison sérieuse »4. Mme AMRANI-MEKKI estime quant à elle que « si la loi ne pose aucune condition particulière pour la modification des

1 V. Supra, n°s 79 s.

2 V., pour une illustration récente, Toulouse, 14 février 2002, précité, D. 2003, p. 160, obs. crit. Y. Strickler.

3 Dans l’espèce précitée du 14 février 2002 le requérant avait profité de l’absence du juge ayant rejeté la première requête pour présenter une nouvelle demande devant le remplaçant de ce-dernier et obtenir gain de cause.

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ordonnances sur requête, il paraît logique que celle-ci ne soit possible que dans l’hypothèse de la survenance d’un fait nouveau »1.

256. Certains développements offrent néanmoins une tentative d’explication à cette forme d’autorité dont serait revêtue l’ordonnance sur requête. Henri MOTULSKY s’est par exemple fondé sur la grande proximité structurelle entre la requête et le référé pour estimer que l’autorité de chose jugée au provisoire du second s’étendait à la première2. A suivre cette analyse, il faut encore définir clairement ce qu’est, en matière de référé, l’autorité au provisoire. C’est M. STRICKLER qui, dans ses travaux sur le provisoire en matière de référé, a versé la lumière sur la portée de l’article 488 alinéa 2 du Code de procédure civile. Ce texte dispose que l’ordonnance de référé « ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles », ce qui suffit à lui conférer une autorité car sa révocation n’est pas inconditionnelle. Cependant, cette autorité doit être cantonnée « au provisoire » car l’alinéa premier du même texte énonce que « l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée ». M. STRICKLER estime que la possibilité de révision en cas d’évolution des circonstances est le résultat d’un dessaisissement limité du juge des référés suite au prononcé de l’ordonnance. « Bien qu’il semble avoir épuisé sa saisine », écrit cet auteur, « le juge des référés peut revenir en arrière. Le dessaisissement du Président se trouve ainsi limité. La notion de provisoire explique et justifie [cette] faculté »3. Le même raisonnement semble avoir été adopté en matière d’ordonnances sur requête par Mme PIERRE-MAURICE qui traite de l’exigence de circonstances nouvelles dans une sous-partie intitulée « les limites au dessaisissement du juge des requêtes »4. Or, cette démarche est critiquable. Le dessaisissement, à l’instar de l’autorité de la chose jugée, ne peut être démembré ou partiel ; il est ou il n’est pas. De deux choses l’une : soit tel acte judiciaire est doté de l’autorité de la chose jugée et le juge qui l’a rendu est dessaisi par son prononcé, soit il n’est revêtu d’aucune autorité et le juge reste saisi, avec la faculté de rétracter ou de modifier inconditionnellement sa décision. Il n’est donc pas possible de considérer l’ordonnance, de référé comme sur requête, comme juridictionnelle et d’estimer que le dessaisissement est partiel5.

257. Cependant, l’idée que recouvrent ces démonstrations est fondée, en ce sens que l’ordonnance sur requête doit en effet être revêtue d’une autorité. Mais celle-ci, comme il a déjà été vu par

1 S. Amrani-Mekki, Le temps et le procès civil, Paris, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Dalloz, 2002, p. 492.

2 H. Motulsky, «Rapport de synthèse», in Les ordonnances sur requête dans la pratique judiciaire française, Paris, Librairies Techniques, 1967, p. 55, spéc. p. 53 ; Motulsky estime que l’ordonnance sur requête sur requête ressemble à l’ordonnance de référé « au caractère unilatéral près ».

3 Y. Strickler, thèse préc., p. 467.

4 S. Pierre-Maurice, op. cit., pp. 150 s.

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ailleurs1, résulte de l’article 1351 du Code civil. C’est donc une autorité de la chose jugée au sens propre du terme, qui ne s’étend pas à l’égard du litige porté devant le juge du principal parce que la triple condition requise pour pouvoir opposer l’exception de chose jugée n’est pas réunie. Or, en ce qui concerne le requérant lui-même, cette exception a vocation à jouer, interdisant toute nouvelle requête fondée sur les mêmes faits. Il y a bien alors identité de parties, de cause et d’objet de la demande. Une telle conclusion rejoint l’ensemble des développements qui précèdent : l’ordonnance sur requête est un acte juridictionnel, porteur d’une vérification juridictionnelle et produisant une efficacité procédurale. Elle doit par conséquent être recouverte de l’autorité de la chose jugée et provoquer le dessaisissement complet du juge des requêtes. Dans cette optique, l’exigence de circonstances nouvelles2 ne peut se traduire que comme un changement de cause. Par hypothèse, la partie requérante reste la même, et l’objet ne subit aucune variation car il s’agit toujours d’obtenir la préservation de l’action en justice sanctionnant un droit substantiel menacé de péril. Ceci rejoint la conception factuelle de la cause que nous avons précédemment adoptée.

258. En conclusion, toute nouvelle requête présentée par le justiciable en l’absence d’évolution des circonstances de fait devra se heurter à la fin de non-recevoir issue de l’autorité de la chose jugée de la précédente ordonnance. Son régime doit être aligné sur celui de l’article 488 du Code de procédure civile. La très grande proximité entre la procédure des référés et sur requête favorise par ailleurs cette intégration. On verrait mal pourquoi, alors que quasiment la même palette de mesures peut être ordonnée à l’issue de ces deux voies procédurales, l’une serait dotée d’une stabilité certaine et l’autre inconditionnellement modifiable. C’est, en outre, protéger le tiers visé par la décision, ordonnée à son insu qui plus est, que de refuser au requérant la possibilité de solliciter à l’infini la mesure souhaitée. Enfin, il n’est pas concevable que le système juridictionnel puisse être encombré par des demandes à répétition sans pouvoir faire jouer la sanction processuelle de l’irrecevabilité.

259. Pour aller jusqu’au bout de la logique adoptée, la question de l’utilité même de l’article 488 au sein du Code de procédure civile pourrait être posée. Car, au final, ce texte n’ajoute rien par rapport aux enseignements de l’article 1351 du Code civil quant à l’exception de chose jugée. Toute décision, provisoire comme de fond, peut en effet être remise en cause par une demande nouvelle si la situation factuelle a changé. Cependant, il faut au moins reconnaître à l’article 488 un rôle didactique : il rappelle que l’ordonnance de référé, même provisoire, n’en est pas moins revêtue

1 V. Supré, n° 242.

2 La notion de circonstance nouvelle ayant déjà fait l’objet d’études très complètes, il convient d’y renvoyer le lecteur, V. Y. Strickler, thèse préc., p. 467 ; S. Pierre-Maurice, op. cit., n° 234 ; C. Chainais, La protection

juridictionnelle provisoire dans le procès civil en droits français et italien, Paris, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de

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d’une certaine stabilité. Pour cette raison, une précision identique dans la sous-section relative aux ordonnances sur requête aurait certainement pu éviter bien des controverses doctrinales et jurisprudentielles. Son introduction pourrait être envisagée, sous la forme de deux alinéas nouveaux à l’article 493 ainsi rédigés :

- Rédaction actuelle : « L'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non

contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ».

- Alinéas proposés :

o « L'ordonnance sur requête n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée ».

o « Elle ne peut être modifiée ou rapportée qu'en cas de circonstances nouvelles ».

Ces modifications auraient une double utilité. D’une part, elles rapprocheraient textuellement l’ordonnance sur requête de celle des référés, avec qui elle partage sa qualification de mesure provisoire par nature. D’autre part, elles lèveraient le doute sur l’autorité dont l’ordonnance doit être revêtue, ainsi que les conditions de sa modification, subordonnée à l’existence de circonstances nouvelles.

260. Outre l’autorité à l’égard du requérant, et dans la mesure où l’ordonnance sur requête crée une norme nouvelle intégrant l’ordonnancement juridique, les tiers ne sauraient lui être complètement étrangers. Il convient à présent d’exposer l’influence qu’exerce sur eux la décision du juge des requêtes.

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