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L’autorité de l’ordonnance sur requête à l’égard du juge des référés

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 184-188)

Section II. La portée de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance sur requête

B. L’autorité à l’égard du juge du provisoire

2. L’autorité de l’ordonnance sur requête à l’égard du juge des référés

249. La problématique de l’autorité de l’ordonnance sur requête vis-à-vis de l’ordonnance de référé pose en réalité la question de l’unité ou de la diversité, au sein du schéma procédural, de ces deux types de décisions. Avant de poursuivre, une précision terminologique est toutefois nécessaire : le juge des référés dont il s’agit ici n’est pas le juge de la rétractation saisi, à l’encontre d’une ordonnance sur requête, d’un référé-rétractation en application de l’article 496. Est ici envisagée l’hypothèse où le même justiciable saisit consécutivement le juge des requêtes puis, dans le cadre d’une instance différente sans lien avec la première, le juge des référés. Les termes du débat sont les suivants : soit il convient de considérer que l’intervention du juge des requêtes est radicalement différente de celle du juge des référés et qu’il il n’y a rien de commun entre elles qui justifierait une éventuelle autorité de la chose jugée ; soit, inversement, on reconnait à ces deux procédures une parenté proche, avec pour seule cloison le principe du contradictoire. Il serait dans ce dernier cas important de considérer leur articulation aux yeux du justiciable qui est susceptible de faire feu de tout bois et d’user à sa guise de ces deux voies pour obtenir ce qu’il désire, sans égard aucun pour ses précédentes demandes.

250. Plusieurs raisons amènent à prendre parti pour la seconde branche de l’alternative. Premièrement, l’objectif de ces deux types de mesures est le même, à savoir la sauvegarde du droit processuel du justiciable, obstacle à la justice privée. Deuxièmement, on peut observer une similarité de structure de la règle de droit appliquée, car, dans les deux cas, un ensemble de chefs de saisine aux contours larges donnent au juge le pouvoir d’ordonner une grande variété de mesures. Troisièmement enfin, tant l’ordonnance sur requête que l’ordonnance de référé produisent une efficacité procédurale et sont qualifiées provisoires par la loi. Un rapprochement est donc permis entre ces deux types de décisions. Il faut cependant en préciser le domaine, car « la concurrence entre requête et référé est d’appréhension inégale »1. Il y a certaines matières au sein desquelles il n’y a pas lieu de s’attarder sur l’articulation des procédures simplement parce qu’il n’existe pas, pour telle ordonnance sur requête, d’équivalent en référé, et inversement. Par exemple, seule la voie contradictoire est possible lorsque le justiciable désire obtenir une provision sur sa créance non sérieusement contestable ou encore voir ordonnée une injonction de faire sur le fondement de l’article 809 alinéa 2. C’est encore le cas pour toutes les dispositions particulières dispersés au sein

1 S. Pierre-Maurice, Ordonnance sur requête et matière gracieuse, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Dalloz, 2003, p. 281.

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du droit positif et qui prévoient spécifiquement le recours à une procédure donnée et notamment, en ce qui concerne la procédure sur requête, l’ensemble des ordonnances nommées. Dans ces hypothèses, le justiciable n’aura pas le choix, la procédure à emprunter étant imposée par le législateur et aucune concurrence n’est permise.

251. A l’autre extrême, le référé peut expressément concurrencer la requête, comme c’est le cas en matière de mesures d’instruction in futurum, pour lesquelles l’article 145 dispose qu’elles peuvent ordonnées « sur requête ou en référé ». Dans ce cas, et la solution est constante1, le recours à la voie unilatérale est strictement subsidiaire et subordonné à la preuve de la nécessité d’évincer le contradictoire. La question de l’autorité de la chose jugée se pose ici avec âpreté : peut-on imaginer qu’un plaideur dont la requête a été rejetée puisse se tourner vers le juge des référés pour tenter à nouveau sa chance ? Il semble quelque peu incohérent de le considérer, à moins de voir dans le caractère contradictoire de la procédure une variation de la nature profonde de la décision qui en découle. De plus, si l’on examine la réponse judiciaire sous l’angle de l’écriture structurale, c’est bien la même règle qui est appliquée, et qui peut alors s’écrire A (« motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ») i B (« les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées »). Enfin, avec une première ordonnance, qu’elle soit rendue sur requête ou en référé, la règle générale et abstraite sera devenue individuelle et concrète. La situation du plaideur sera alors régie par cette nouvelle norme qu’est la décision judiciaire et il ne devrait pas être admis, à moins de rapporter une évolution des faits, de solliciter une nouvelle fois l’application de l’article 145.

252. Entre l’hypothèse de l’exclusion totale du concours et celle de la concurrence manifeste, existe une vaste zone d’ombre au sein de laquelle le référé et la requête peuvent coexister. Ainsi, estime Mme PIERRE-MAURICE, « lorsque l’ordonnance sur requête n’est prévue par aucun texte et qu’elle résulte de l’urgence et de la nécessité, elle recouvre nécessairement une situation où la saisine du juge des référés était théoriquement possible. En ce sens, le recours concurrent entre référé et requête est implicite »2. C’est alors les articles 8083 et 809 alinéa premier4 qui sont visés par le concours, et se pose la question de l’autorité de l’un type de décisions sur l’autre.

1 V. Cass. 2e Civ., 5 juin 1985, Bull. civ. I, n° 111, p. 74, D. 1986, IR, 52, obs. R. Lindon, RTD Civ. 1986 p. 404, obs. J. Normand ; contra M. Jeantin, préc.

2 S. Pierre-Maurice, op. cit., p. 281.

3 « Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ».

4 « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

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Si une telle autorité devait être caractérisée, elle impliquerait la possibilité pour le juge des référés d’opposer au demandeur l’exception de chose jugée issue d’une précédente ordonnance sur requête, et inversement. Techniquement, ceci n’est possible qu’à condition qu’existe la triple identité issue de l’article 1351 du Code civil. Il faut, en application de ce texte, que soient identiques les parties, l’objet et la cause de la demande. L’identité de parties, tout d’abord, n’est pas contestable en soi car si le requérant est bien seul lorsqu’il se présente devant le juge des requêtes, son adversaire, le potentiel défendeur en référé, n’est pas loin la qualité de partie à l’instance lui est conférée dès la signification de l’ordonnance1. De plus, c’est bien contre lui que la mesure sollicitée est dirigée, qu’elle soit ordonnée sur requête ou en référé. En revanche, c’est sur les notions de cause et d’objet, plus délicates à cerner, que l’on doit davantage s’attarder.

Si on définit l’objet de la demande comme le « résultat économique et social recherché »2, il y a bien identité d’objet entre une demande fondée sur l’article 808 et celle qui s’appuie sur l’article 812 du Code de procédure civile. Dans les deux cas, ce que recherche le demandeur – ou le requérant, c’est bien la sauvegarde de son droit d’action au principal. On constate également que le juge des requêtes et le juge des référés ont même un chef de saisine en commun : l’urgence3. Les notions de trouble manifestement illicite et de dommage imminent, qui figurent à l’article 809 alinéa 1, impliquent elles aussi une intervention judiciaire rapide même s’ils n’exigent pas formellement l’urgence. En ce sens, l’objet des demandes formées en référé et par requête est identique : le justiciable requiert une réponse judiciaire à bref délai à peine de disparition du droit d’agir sanctionnant un droit substantiel dont il est titulaire.

En ce qui concerne la notion de cause de la demande, il a déjà été vu qu’au lendemain de la jurisprudence Césaréo deux conceptions étaient possibles4. Soit on considère qu’à la suite de cet arrêt la Cour de cassation fusionne purement l’objet et la cause, assimilant la seconde au premier5. Dans ce cas de figure, la cause de la demande est identique entre requête et référé et l’exception de chose jugée peut être opposée à la seconde demande. Soit on estime que cette décision consacre une définition purement factuelle de la cause, ce qui est notre opinion6. Mais dans ce cas encore, il y aura entre la procédure unilatérale et contradictoire une identité de cause. Ceci bien sûr sous réserve d’un changement des circonstances de fait, mais alors il n’y a aucune raison de priver le justiciable d’un second recours aux tribunaux car la cause de la demande aura elle aussi changé.

1 V. Infra, n°s 272 s.

2 S. Guinchard, Ferrand, F., Chainais C., op. cit., p. 265.

3 Même si cette condition n’est pas exigée par l’art. 809 al. 1 ; sur l’urgence et son déclin en droit positif, Renvoi

4 Cass. Ass. plén. 6 juillet 2006, Césaréo, JCP G 2007, 10070, obs. G. Wiederkehr, D. 2006, p. 2135 note L. Weiller, RTD Civ. 2006 p. 825, note R. Perrot V, pour une analyse extensive de cette jurisprudence, Renvoi

5 En ce sens L. Weiller, note préc.

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253. En somme, l’interaction du référé avec la procédure sur requête a un domaine relativement limité. D’un côté, un grand nombre de textes prévoit spécifiquement le recours à l’une de ces deux voies à l’exclusion de l’autre. Dans cette hypothèse, où aucun concours n’est possible, il n’y a pas lieu à autorité de la chose jugée. De l’autre côté, lorsque les chefs de saisine prévus pour l’intervention de l’un ou l’autre des juges du provisoire se recoupent, le concours est implicitement rendu possible. En ce cas, le concours est en principe résolu au profit de la voie contradictoire, la voie sur requête étant subsidiaire et réservée aux seuls cas où les circonstances exigent que la mesure « ne soit pas rendue contradictoirement »1. La Cour de cassation exerce un contrôle constant et rigoureux de cette exigence dans le but d’éviter un détournement en opportunité de la procédure unilatérale2. Cependant, l’existence d’un principe de subsidiarité ne peut en pratique empêcher le justiciable de réitérer sa demande devant un autre juge du provisoire, car celui qui peut le plus peut toujours le moins. Rien n’interdit au requérant dont la demande a été rejetée par le juge des requêtes de se tourner ensuite vers le juge des référés, combien même les circonstances exigeraient que la mesure ne soit pas rendue contradictoirement. Il ne serait pas cohérent d’estimer, par exemple, qu’il n’y a pas urgence au cours de la première instance, et décider l’inverse lors de la seconde. La protection juridictionnelle doit être un tout harmonieux, avec pour deux faces d’une même médaille la voie contradictoire et la voie unilatérale. Il est donc nécessaire de reconnaitre à l’ordonnance sur requête innommée, véritablement provisoire parmi toutes les autres décisions relevant de cette appellation3, une autorité de la chose jugée à l’égard de l’ordonnance de référé relevant des articles 808 et 809 alinéa 1 du Code de procédure civile. Une telle autorité est parfaitement justifiée sur le plan technique par le recours à l’exception de chose jugée issue de l’article 1351 du Code civil. Il en résulte également que si l’ordonnance sur requête doit s’imposer au juge, du principal ou du provisoire, elle doit également lier le requérant qui doit en respecter le caractère normatif.

1 Art. 812 CPC.

2 V Cass. 2e Civ., 13 mai 1987, Bull. Civ. II, n° 112 ; Cass. Com., 26 janvier 1999, Bull. Civ. IV, n° 28, RTD Civ. 1999 p. 463, obs. R. Perrot.

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§2. L’autorité de l’ordonnance sur requête à l’égard des personnes privées

254. Présentée ainsi, l’ordonnance rendue s’impose incontestablement aux justiciables concernés pas la mesure. Créant une norme nouvelle qui s’insère dans l’ordonnancement juridique, elle doit être respectée tant par le requérant lui-même (A.) que par les tiers (B.).

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