• Aucun résultat trouvé

La détermination des tiers à la mesure ordonnée sur requête

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 196-200)

Section II. La portée de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance sur requête

B. L’autorité à l’égard des tiers

2. La détermination des tiers à la mesure ordonnée sur requête

270. Etablir un critère permettant de discriminer les tiers des parties (a.) est un préalable nécessaire à la détermination des personnes qui sont, au sein de la procédure unilatérale, soumises à l’effet obligatoire et celles qui peuvent uniquement se voir opposer l’ordonnance sur requête (b.).

a. La recherche d’un critère discriminant les tiers

271. Dans le cercle des acteurs de la scène judiciaire, il est des personnes pour lesquelles le doute ne semble pas permis. Il en est ainsi du juge qui, incontestablement, n’est ni tiers, ni partie. Par ailleurs, l’auteur de l’acte introductif de l’instance et son destinataire doivent naturellement recevoir la qualification de parties5. Ce sont bien elles qui ont, à l’occasion de l’instance, la faculté de conclure et

1 V. A. Leborgne, Voies d’exécution, Précis Dalloz, 1ère édition, 2009, p. 100 n° 208.

2 Pour une étude plus détaillée sur le rôle des tiers dans l’exécution de l’ordonnance sur requête et sur les obstacles pouvant surgir lors de cette exécution, V. Infra, n°s 636 s.

3 V. Cass. Com. 23 janvier 2007, RTD Civ. 2007, p. 383, obs. R. Perrot.

4 V. D. Caron, Autorité de chose jugée au pénal sur le civil, J.-Cl. Proc. Civ., fasc. 556.

5 Sous réserve de ce qui sera dit au regard du tiers visé par la mesure, qui n’acquiert la qualité de partie que lorsque l’ordonnance lui est signifiée, V. Infra, n° 272.

196

d’alimenter le débat contradictoire pour orienter la religion du juge en leur faveur. Mais au-delà de ces évidences subsiste une vaste zone d’ombre au sein de laquelle il est parfois délicat de dire si tel individu doit être rangé dans la catégorie des parties ou écarté au rang des penitus extranei.

Une première proposition pourrait être de cibler ceux qui subissent un préjudice du fait de la décision. Serait partie celui à qui la décision rendue fait grief. Cependant, outre la difficulté de définir avec précision la notion de grief1, celui-ci est l’une des conditions d’ouverture de la tierce opposition2, rejoignant l’exigence plus générale de l’intérêt à agir3. S’il parait difficilement contestable que la décision porte préjudice aux parties, en tout cas au perdant, les tiers peuvent également en subir les conséquences. La proposition aboutit donc à une distinction incertaine voire fluctuante et doit être rejetée.

La recherche d’un critère efficace peut également prendre pour point de départ deux mécanismes inscrits dans le Code de procédure civile : l’intervention et la tierce opposition. Si ces deux concepts sont de nature différente, l’un étant un incident de l’instance et l’autre une voie de recours, ils se rejoignent en ce qu’elles ne concernent que les tiers. L’étude de leur domaine d’application est donc susceptible de fournir de précieux indices en la matière. Si l’intervention est ouverte plus largement que la tierce opposition4, il reste que le tiers qu’elle désigne est celui qui n’a été ni partie ni représenté à l’instance5. Même si la jurisprudence a étiré parfois à l’excès la notion de représentation6, il n’est pas faux de proposer que soit qualifié de tiers celui qui n’a pas été physiquement7 présent à l’instance et n’a pas été en mesure de défendre ses intérêts. Autrement dit, ce critère résiderait dans la participation à la procédure, ou, plus techniquement, dans le lien d’instance. Celui-ci ne lie que les parties et, inversement, tous ceux qui en sont exclus doivent être qualifiés de tiers8. Un auteur a proposé de compléter ce premier critère formel par un second, de nature matérielle : serait partie celui qui est auteur ou destinataire d’une prétention9. A notre sens, cette précision est superflue car redondante : l’instance étant formée par un acte introductif, celui-ci

1 V., à titre d’illustration, G. Wiederkehr, «La notion de grief et les nullités de forme en procédure civile», D. 1984, chron., p. 165.

2 Cass. Com., 13 décembre 1983, Bull. civ. 1983, IV, n° 351 ; Cass. 2e Civ., 3 mai 1990, Bull. civ. 1990, II, n° 91 ; Cass. 3e Civ., 26 juin 2002, JurisData n° 2002-014974 ; JCP G 2002, IV, 2435.

3 Art. 31 CPC.

4 G. Wiederkehr et D. D’Ambra, Intervention, Rép. Proc. Civ. Dalloz, n° 13.

5 V., pour la tierce opposition, l’article 583 Code de procédure civile ; pour l’intervention : Cass. 2e Civ., 18 décembre 1958, Bull. Civ. II, n° 872 et Paris, 7 juin 1969, JCP G 1969, II, 15954 note D. Ruzié.

6 En ce sens, L. Boyer, préc. ; D. Veaux et P. Veaux-Fournerie, «Les surprises de la tierce opposition», in Mélanges Cosnard, Paris, Economica, 1990, p. 409.

7 Ou par le biais de son conseil.

8 En ce sens F. Bussy, «La notion de partie à l'instance en procédure civile», D. 2003, p. 1376.

197

contient nécessairement une prétention, de même que des conclusions en défense comporteront des contre-arguments, voire des demandes reconventionnelles.

On pourrait objecter à cela que le fait que le défendeur défaillant à un jugement par défaut garde la qualité de partie démontre la fausseté du critère proposé. Or, selon le juste mot de Mme BUSSY, « à partir du moment où le juge constate que le lien d'instance est régulièrement formé, peu importe que le défendeur accomplisse ou non des diligences procédurales ; sa qualité de partie est acquise »1. La participation au lien d’instance est donc un critère pertinent permettant de discriminer de manière suffisamment sûre les tiers des parties. Il convient à présent de l’appliquer à l’ordonnance sur requête à proprement parler.

b. L’application du critère à l’ordonnance sur requête

272. La difficulté première, s’agissant d’une procédure unilatérale, est évidemment de pouvoir qualifier avec certitude le tiers visé par la requête. D’un côté, le requérant introduit effectivement l’instance et ne peut qu’être rangé dans la catégorie des parties. De l’autre, les tiers non visés par la mesure sollicitée sont étrangers à la procédure, sinon à l’exécution de l’ordonnance. Cette dernière leur est alors pleinement opposable.

Le tiers concerné par la mesure est en revanche entre ces deux extrêmes : ne participant pas à l’élaboration de la décision, il n’en subit pas moins les effets. Comment faut-il le situer par rapport à la distinction précédemment établie ? La stricte application du critère du lien d’instance ne donne pas a priori de résultats satisfaisants, car si c’est bien à son encontre que la mesure est demandée, aucun acte ne lui est notifié dès l’introduction de l’instance par le requérant. Il ne prend connaissance de la procédure qu’au moment de l’exécution de l’ordonnance, et jusque-là, il doit donc être considéré comme tiers. Or, l’article 495 du Code de procédure civile prévoit, à peine d’irrégularité de l’ordonnance rendue2, que celle-ci doit être signifiée accompagnée de la requête. Il s’agit d’une formalité exorbitante de droit commun puisqu’il n’est pas normalement nécessaire de faire accompagner la décision signifiée de l’acte introductif d’instance. Cette obligation à la charge de l’huissier vise à faire connaître au potentiel défendeur les moyens de requérant utilisés à l’appui de sa demande, ainsi que, plus important encore, la liste des pièces invoquées, fournie en annexe3. C’est, en quelque sorte, la formalité de l’assignation exécutée à retardement. Elle tend en effet aux

1 F. Bussy, op. cit., spéc. n° 13.

2 V. par exemple Cass. 2e Civ. 18 novembre 2004, Bull. Civ. II, n° 499, D. 2004 IR 3195.

198

mêmes fins, c'est-à-dire permettre une préparation effective de la défense par la discussion des moyens et éléments de preuve fournis. Le lien d’instance se forme alors, intégrant le tiers destinataire de la mesure à la procédure. De tiers, il se mue en partie. Ceci est, somme toute, logique : il n’est pas possible de suivre le cheminement normal de l’instance contradictoire sous peine de ruiner l’efficacité pour laquelle la procédure unilatérale a été conçue. Mais il n’est pas possible non plus de maintenir ce tiers particulier en cette qualité après que la mesure soit exécutée contre lui. Il ne peut alors être question d’opposabilité, mais bien d’efficacité de la décision, procédurale en l’occurrence.

273. En conclusion, l’ordonnance sur requête produit à l’égard des tiers deux catégories d’effets. Pour les tiers non visés dans la requête, seule joue l’opposabilité. L’ordonnance, élément normatif, ne peut être ignorée par eux. Ces tiers doivent respecter la situation qui en est issue et s’abstenir de nuire à son exécution. Toute autre est en revanche la condition du tiers qui est visé par le requérant, à l’encontre duquel la mesure sera exécutée. Envers celui-ci, deux phases sont à distinguer. Lors de l’introduction de la procédure et de l’instruction de la demande, il reste tiers puisque le lien d’instance ne s’étend pas à lui. La signification de la requête lors de l’exécution de l’ordonnance par l’huissier instrumentaire change la donne, et de tiers il devient partie. La remise de la requête qui est opérée à ce moment joue le rôle de l’acte introductif d’instance dans la procédure contradictoire, retardé pour préserver l’efficacité de la décision. Dès lors, toutes les conséquences de la qualité de parties trouvent à s’appliquer. La plus importante d’entre elles est la possibilité d’exciper à l’encontre de ce nouveau venu de la chose jugée, les conditions de l’article 1351 étant réunies. Pour cette raison précise, il ne lui est pas possible de présenter une nouvelle requête pour contester l’ordonnance et seule la voie du référé-rétractation lui est ouverte.

199

Dans le document Le juge des requêtes, juge du provisoire (Page 196-200)