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Les applications jurisprudentielles

Dans le document Le droit public face à la pauvreté (Page 154-161)

LE DEVOIR D’INTÉGRATION DU PAUVRE

SECTION 1 LE REJET DU MENDIANT

B- Les applications jurisprudentielles

Le Code pénal distinguait le délit de vagabondage (articles 269 à 273) de celui de mendicité (articles 274 à 276). Pourtant, les deux délits étant intrinsèquement liés, il est préférable de présenter leurs définitions (1) avant d’étudier l’évolution ayant caractérisé le régime commun de leurs sanctions (2) durant les deux siècles d’incrimination.

1- Les éléments constitutifs de l’incrimination

118. Le vagabond était défini par l’article 270 du Code pénal comme l’individu

qui n’a ni domicile certain, ni moyen de subsistance et qui n’exerce habituellement ni métier, ni profession. En un mot, « le dépouillement complet »88. L’incrimination reposait donc sur l’existence de trois éléments constitutifs du délit de vagabondage,

85 CA Riom, 15 avril 1863, DP 1863.II.90 ; A. VITU confirme cette analyse, en notant que « n’est pas une aumône la somme d’argent (...) donnée à un chanteur ou à un joueur d’instrument qui, après s’être produit dans la rue, un couloir de métro ou un café, fait la quête », précit., p. 175.

86 CA Rennes, 29 février 1988, M.P. c/ K, D. 1989, II, 29, note D. MAYER

87 Une telle analyse rejoint l’hypothèse formulée par P. COUVRAT en 1967 : pour cet auteur, l’explication selon laquelle le vagabondage serait un état dangereux de pré-délinquance conduisant son auteur à commettre des infractions est historiquement datée. La raison explicative du maintien de ces textes se trouverait alors dans leur seul refus de travailler : « serait sanctionnée l’obligation d’avoir une activité au même titre que peut l’être celle d’effectuer un service militaire ou de payer des impôts » (« Le vagabondage », RTDSS, 1967, p. 5).

dont la réunion était nécessaire pour que l’infraction soit réalisée89. La pauvreté, entendue comme l’absence de moyens de subsistance, constituait un élément essentiel de l’incrimination90, même si l’appréciation du caractère suffisant des ressources a donné lieu à une jurisprudence contradictoire91 et si l’incidence de l’origine des ressources92, ou de leur absence93, a été un élément essentiel. Cependant, dès le début du XXe siècle, la jurisprudence s’est attachée à écarter des poursuites certains individus tombés dans l’errance et la misère en raison de causes indépendantes de leur volonté94.

L’incrimination de la mendicité distinguait, quant à elle, selon le lieu où l’acte a été commis. L’article 274 punissait toute personne mendiant dans un lieu où il existe un établissement public organisé afin d’obvier à la mendicité. Les éléments constitutifs de l’infraction étaient donc, outre l’existence d’un dépôt de mendicité au lieu où l’individu avait été trouvé mendiant95, un acte matériel et un acte intentionnel.

La Cour de Cassation a spécifié que ce délit consiste à s’adresser à la charité ou à la bienfaisance dans le but d’en obtenir des secours gratuits sans offrir en échange une contre-valeur appréciable, soit que la demande ait été faite directement, soit qu’elle se soit dissimulée sous l’apparence d’un acte de commerce qui n’a rien de sérieux ou de réel96. Il fallait donc que l’aumône soit demandée ou sollicitée97, cette distinction donnant lieu à une jurisprudence spécieuse relaxant l’indigent se présentant pour profiter d’une distribution de secours offerte à tous98 ou se présentant au domicile d’un philanthrope connu pour ses distributions d’aumônes

89 Cass. crim. 19 juillet 1812, Jur. Gen., V° Vagabondage - mendicité, n°52 ; 11 mars 1887, DP

1889.1.128 ; S., 1890.1.288 ; 8 août 1936, Gaz. Pal. 1936.2.730 ; sur l’ensemble de la question, V. A.-M. PASCHOUD, précit.

90 « Celui qui dispose de ressources pour vivre n’est pas en état de vagabondage jusqu’à épuisement de ses ressources ». CA Caen, 3 juin 1874, DP. 1875.2.185 : le droit à une pension militaire constitue un moyen de subsistance et est exclusif du délit de vagabondage alors même que le titulaire, sans domicile ni profession, a l’habitude de dissiper immédiatement le trimestre qu’il touche. De même, n’est pas vagabond un individu disposant d’un travail, même pour peu de jours (CA Lyon, 21 mars 1898, Gaz. Trib. 1898.2.343).

91 N’ont pas été reconnus comme tels des secours alloués par une corporation ouvrière à un de ses membres en état de chômage afin de lui permettre de rechercher du travail (TC Annecy, 8 octobre 1892,

DP 1893.2.398) ou reçus de personnes charitables (CA Nancy, 24 octobre 1901, DP 1903.5.771) ou encore un pécule remis à un condamné sortant de prison (TC Romorantin, 22 février 1901, GP

1901.1.497).

92 Ainsi ne peuvent être prises en compte au titre de ressources les sommes provenant d’un délit tel que la mendicité (Cass. crim., 23 août 1883, S. 1885.1.513 ; CA Poitiers, 3 septembre 1987, Juris-Data

n°44400).

93 Pour une analyse de la jurisprudence pénale tendant à distinguer le chômeur involontaire du vagabond et mendiant : C. WILLMANN, L’identité juridique du chômeur, LGDJ, bibl. de droit privé, 1998, pp. 56 à 59, l’auteur soulignant l’incertitude sémantique régnant et démontrant que la distinction s’est opérée autour des notions de « travail » et de « défaut de revenu du travail » telles qu’elles étaient souverainement perçues par les juges, c’est-à-dire en fonction de critères plus sociaux que juridiques.

94 En ce sens, n’ont pas été incriminés l’ouvrier victime du chômage (Cass. crim. 1887 précit.) ou le détenu libéré en période de crise économique (TC Loudéac, 20 mai 1932, GP 1932.2.22).

95 CA Riom, 7 décembre 1887, Journal parq., 1888.2.126.

96 Cass. Crim., 17 septembre 1874, Bull. crim. n° 281.

97 A. PASCHOUD, précit., § 27-28.

charitables99 mais incriminant l’individu ouvrant les portières de voiture pour aider les personnes qui en descendent, l’acte de mendicité se manifestant par l’attitude et le geste de l’individu qui s’y livre100

Le second élément de l’infraction reposait sur l’existence d’une intention délictueuse. L’intention se confondait ici avec le fait matériel, mais la jurisprudence exigeait que le prévenu ait été réduit à mendier de sa propre faute. Echappait ainsi à la condamnation l’individu qui, trouvant habituellement dans l’exercice d’une profession régulière des ressources suffisantes à son existence, ne recourait à la générosité publique qu’accidentellement et dans le cas d’une nécessité pressante au moyen de quêtes faites à domicile sans publicité101, ou celui qui, affamé et sans

ressources, demandait un morceau de pain dans une boulangerie102. De même, dans

une identité de fondement remarquable à un siècle d’écart, la Cour d’Appel de Rennes a considéré que, eu égard au contexte économique et aux difficultés rencontrées dans la recherche d’un emploi, il n’est pas établi qu’un chômeur en fin de droit ait délibérément choisi ce mode d’assistance103. Une telle interprétation, dans la pure orthodoxie juridique, est tout à fait contestable. En effet, en droit pénal, l’intention est démontrée quand l’auteur a conscience d’exécuter un acte pénalement interdit. Elle « se résume à l’agissement matériel », note D. Mayer104. Or, de tels arrêts assimilent l’absence d’intention de mendier à l’absence de choix délibéré, procédant de la sorte à une distorsion des principes juridiques105. En fait, la stricte logique juridique aurait dû commander le recours à la notion de causes de non-imputabilité, telles que la contrainte ou la force majeure, ou encore de faits justificatifs, tel que l’état de nécessité. En ce sens, la demande d’aumône peut être considérée comme un cas de force majeure, auquel l’article 64 du Code Pénal enlève son caractère délictueux106. Mais un tel fondement de la relaxe présente un inconvénient pour les magistrats soucieux de clémence ou de souligner la responsabilité sociale : elle conduit à reconnaître l’existence du délit, même si son auteur en est excusé.

Enfin, l’existence d’un dépôt de mendicité était le dernier élément constitutif du délit, l’article 274 du Code pénal n’étant applicable à défaut que pour les

99 TC Pont-audemer, 8 juin 1900, DP 1900.2.481.

100 CA Paris, 15 avril 1905, DP 1906.5.13. Les juges allaient jusqu'à établir une distinction entre celui qui sonne à une porte, même avec l’intention avouée de réclamer un secours, sans l’avoir formulée (Cass. Crim., 15 avril 1899, Bull. n° 87 –relaxe-) et celui qui sonne à une porte pour solliciter une aumône déterminée (CA Bourges, 30 avril 1896, D.1896.2.455 –condamnation-) ou à considérer que demander un abri pour coucher ne constitue pas le délit de mendicité, lequel suppose essentiellement une sollicitation d’aumône ou de secours (TC Apt, 14 février 1906, DP 1906.5.61) …

101 CA Dijon, 9 juin 1875, DP 1878.5.316 ; CA Rennes, 8 mars 1882, S. 1882.2.117.

102 TC Provins, 19 mai 1909, DP 1910.5.13.

103 CA Rennes, 29 février 1988, D. 1989.2.29 note D. Mayer, sur appel TC Lorient, 24 septembre 1987.

104 Note précitée, D. 1989.2.31.

105 Cette distorsion, commandée par un souci de clémence, ne peut même pas se rattacher à la volonté du législateur de ne réprimer que ceux qui avaient d’eux-mêmes choisi de vivre de la mendicité et d’exclure de l’incrimination les indigents contraints à la mendicité pour des raisons indépendantes de leur volonté. Le souci napoléonien était bel et bien d’éradiquer toute forme de mendicité, en y obviant par l’existence de dépôts de mendicité… Pour un autre exemple de distorsion de la règle pénale par le juge, V. nos remarques sur l’état de nécessité, infra, chapitre suivant, § 164-166.

106 TC. Château-Thierry, 20 janvier 1899, réformé par CA Amiens, 3 maris 1899, DP 1899.2.169, constatant qu’en l’espèce la force majeure n’existe pas.

mendiants valides107, ce qui obligeait les juges à examiner la validité du mendiant et excluait des poursuites un homme amputé d’une jambe108 ou de l’avant-bras109, un vieillard110, une personne âgée presque aveugle111 ou un individu souffrant de mélancolie et d’anémie physique et morale du fait de nombreuses années passées en prison112. Plus récemment, la jurisprudence a donné à la notion de validité un aspect socio-économique, en énonçant que « le prévenu n’a pas choisi de se maintenir dans un état de mendicité, mais qu’au contraire il n’a pas été tenu comme valide par la collectivité, que deux millions et demi d’individus en France ne sont pas reconnus comme valides au travail, la Nation étant dans l’impossibilité de leur trouver un emploi, que plus d’un tiers de ceux-ci sont désormais sans droit à indemnité de chômage et survivent par conséquent de mendicité, qu’elle soit organisée ou non et que le délit reproché ne peut être considéré que comme corollaire du droit constitutionnel au travail, lequel n’est pas assuré à l’heure actuelle par la société française »113. Vivement approuvée par certains auteurs (« il y a peu de jugements aussi courageux, et que c’est beau quand le droit dit le juste », s’exclame A. Olive114), cette extension a été critiquée, en droit, par d’autres. Ainsi, D. Mayer remarque que le sens donné par le tribunal au qualificatif “valide” est contestable115, en passant de l’idée d’“aptitude à exercer un travail rémunéré” à celle de “possibilité de trouver un travail rémunéré”. Extension contestable, donc, mais tout à fait « significative de la volonté du tribunal de mettre en lumière la responsabilité de l’extension du fait social de mendicité »116. La conséquence d’une telle interprétation de cette notion de validité est logique, selon cet auteur : elle appelle « la nécessaire mise en sommeil de l’infraction de mendicité en période de chômage »117.

L’évolution du contenu donné aux qualifications de délit de vagabondage et de mendicité est significative. Un semblable adoucissement se retrouve également dans le régime des sanctions qui leur ont été accolées durant deux siècles.

2- De la sévérité initiale à la dépénalisation progressive

119. Le Code pénal prévoyait initialement des peines de 3 à 6 mois

d’emprisonnement pour les actes de mendicité commis dans les lieux où existe un dépôt, le mendiant devant être, à l’expiration de sa peine, conduit au dépôt de mendicité. Pour les infractions commises dans les lieux où n’existait pas de dépôt, le mendiant valide, s’il était arrêté dans le canton de sa résidence, encourrait une peine d’un à trois mois de prison ; en revanche, celui arrêté dans un autre canton risquait un emprisonnement de 6 mois à 2 ans, différence de traitement permettant de mesurer la sévérité du Code pénal napoléonien à l’égard des vagabonds. Celle-ci ressortait notamment de l’article 271 qui mettait ces derniers, au terme d’un

107 Cass. crim. 11 avril et 23 mai 1846, DP 1846.1.222.

108 CA Bourges, 3 février 1831, Jur. gén., V° Vagabondage, n° 58.

109 CA Pau, 21 janvier 1899, DP 1899.2.184.

110 Cass. crim. 28 août 1845, DP 1845.1.352.

111 TC. Montbelliard, 26 novembre 1903, DP 1904.2.437.

112 TC Château-Thierry, 20 janvier 1899, précit.

113 TC Lorient, 20 sept. 1987, sous CA Rennes, 29 février 1988, précit.

114 Précit., p. 74.

115 Note sous CA Rennes, 29 février 1988, D., 1989.2.31.

116 Id., p. 31.

emprisonnement pouvant aller de trois à six mois, à la disposition du Gouvernement

« pendant le temps qu’il déterminera en regard de leur conduite »118.

L’administration disposait ainsi d’un « pouvoir absolu »119 puisque aucune durée n’était prévue par les textes. La mise à disposition du Gouvernement fut remplacée ultérieurement par la surveillance de haute police120. Types de mesures qui, on le voit, aboutissaient à instaurer durablement une répression associant emprisonnement et contrôle social.

Ce quadrillage répressif121 correspond à l’affirmation d’un ordre moral caractéristique du XIXe siècle122 et trouve son paroxysme dans les débats parlementaires relatifs à la loi du 27 mai 1885 instaurant la relégation. Certes, l’idée de relégation des mendiants et vagabonds n’est pas, en cette fin de siècle, foncièrement nouvelle. Waldeck Rousseau la rattache explicitement au patrimoine républicain issu de l’héritage de la Révolution123 : comme en 1791, il s’agit de protéger la société contre les traîtres à la patrie124. La relégation est une mesure de « salubrité sociale », une loi « d’assainissement social » destinée à lutter contre un mal « contagieux » et « épidémique »125. La loi adoptée comporte deux peines accessoires. Tout d’abord, elle supprime la surveillance de haute police et la remplace par l’interdiction de séjour, interdisant aux condamnés de paraître dans un certain nombre de localités énumérées par voies de circulaires. Ensuite, elle instaure la peine de relégation perpétuelle pour les mendiants et vagabonds récidivistes126. Estimée initialement comme concernant une dizaine de milliers de mendiants et vagabonds, la loi ne s’appliquera en fait qu’à une centaine d’individus par an127 et force est de constater l’échec de la politique répressive du XIXe siècle, qui ouvre lieu à la dépénalisation que connaît le XXe siècle.

118 Curiosité juridique, l’article 273 du Code Pénal prévoyait que les vagabonds nés en France pouvaient, après jugement, être réclamés par délibération du conseil municipal de la commune d’où ils étaient natifs, ou cautionnés par un citoyen solvable. Si le gouvernement accueillait la réclamation ou agréait la caution, les individus réclamés ou cautionnés étaient conduits dans la commune qui les avaient réclamés, ou dans celle qui leur était assignée pour résidence sur la demande de la caution. Mesure témoignant bien du souci moral du XIXe siècle : l’individu réclamé prouvant ainsi avoir des attaches sociales, et par-là, ne pas être en rupture totale avec la société.

119 A.-M. PASCHOUD, précit., § 20.

120 L. 28 avril 1832, S. 1831-1848 125. La surveillance devait durer de 5 à 10 ans après la libération du détenu.

121 Quadrillage répressif particulièrement mis en lumière par J.F. WAGNIART, précit., pp. 24 et s.

122 V. supra, 1ère partie, titre 1, chapitre 1, § 48-49, 53.

123 WALDECK ROUSSEAU, Rapport à la commission chargée d’examiner la proposition de loi (...)

relative à la transportation des récidivistes, Ch. Députés, 1882, JO Doc. Parl., annexe n° 1332, p. 4.

124 L’idée de leur traîtrise à l’égard de la société est récurrente tant dans le discours parlementaire (V. le rapport précité de WALDECK ROUSSEAU) que dans les écrits politiques (V. par ex. T. HOMBERG,

Etude sur le vagabondage, Forestier, 1880, pp. 187-188, dénonçant les « êtres qui ne veulent pas se soumettre à ses lois », et qui n’apportent que « le trouble et le désordre ».) ; sur tous ces points, V. J.-F. WAGNIART, précit., pp. 125 et s.

125 F. DREYFUS, Ch. Députés, séance du 21 avril 1883, annales, pp. 27-32. Les débats à la Chambre des Députés lors des séances des 21 et 26 avril 1883 sont particulièrement instructifs : ainsi, F. Dreyfus met en parallèle les lois d’instruction, celle d’assistance et de prévoyance et les lois pénitentiaires qui « sont des moyens d’assainissement et d’hygiène morale » (JODéb., 22 avril 1883, p. 703).

126 Assimilés aux grands criminels, voleurs, escrocs, ce qui témoigne nettement d’un réel et violent rejet des mendiants et vagabonds.

Ce processus de dépénalisation progressive de la mendicité et du vagabondage se traduit tout d’abord par un assouplissement des textes les réprimant. Le décret-loi du 30 octobre 1935 abroge le délit de vagabondage des mineurs, et lui substitue, par l’ordonnance du 23 décembre 1958, des mesures d’assistance dans le cadre de l’enfance en danger ; la loi du 18 mars 1955128 supprime l’interdiction de séjour ; la relégation, peu appliquée, devient facultative en 1954129 puis est finalement supprimée en 1970130 et remplacée par la tutelle pénale, elle même supprimée en 1981131. Mais ce processus de dépénalisation se marque également dans les faits. Si les poursuites persistent, elles sont en nette et constante décroissance : de 1901 à 1910, plus de 20 000 condamnations par an ont été prononcées. Après une diminution sensible dans les années 1910-1920, la moyenne annuelle dans les années vingt à quarante se situe aux alentours de 15 000 condamnations. Comme pendant la Première Guerre mondiale, le nombre des condamnations chute durant le second conflit. Ces dernières années, les infractions poursuivies étaient en constante diminution132 et l’on ne trouvait guère en 1992, au sein de l’ensemble de la population incarcérée, que 3 personnes condamnées pour infraction à la législation sur le vagabondage et la mendicité133.

Il faut donc souligner le « relatif désintérêt du XXe siècle pour les questions du vagabondage et de la mendicité »134. La “grande peur” n’est plus de mise, et les préoccupations sociales l’emportent désormais sur celles sociétales135. La loi du 22 juillet 1992 a abrogé les anciens délits de vagabondage et mendicité, tout en laissant subsister deux incriminations : la première, d’inspiration nouvelle, tend à protéger non plus la société mais des individus vulnérables, en créant le délit d’incitation de mineurs à la mendicité136 ; la seconde, traditionnelle, maintient à la mendicité son caractère de contravention à la police des chemins de fer137, les justifications

128 Loi n° 55-304 ; D. 1955.121, comm. 483.

129 Loi n° 54-706 du 3 juillet 1954, (D. 1954. 258).

130 Loi n° 70-643 du 17 juillet 1970 (D. 1970. 199).

131 Loi n° 81-82 du 2 février 1981 (D. 1981. 85).

132 5 967 en 1972, 3 491 en 1978, 2 597 en 1984, 2 153 en 1987. En 1993, ce chiffre était en hausse de 2,14% à 1 431 infractions poursuivies (Sources : Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, Aspects de la criminalité et de la délinquance constatée en France en 1993, La DF., 1994).

133 Ministère de la Justice, Rapport annuel de l’administration pénitentiaire, 1992, La DF., 1993.

134 J. DAMON, Des hommes en trop..., précit., p. 24.

135 Même si les deux sont quelques fois difficiles à démêler : ainsi les décrets des 29 novembre 1953 et du 7 janvier 1959 fixant les conditions d’accueil des vagabonds « estimés aptes à un reclassement » dans les centres d’hébergement dans un but de réinsertion sociale, l’aptitude au reclassement étant constatée par le Procureur de la République. V. sur ce point, P. COUVRAT, « Le vagabondage », RTDSS, 1967, pp. 1-8 ; C. GUITTON, thèse précit., p. 120.

136 Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 créant l’article L. 261-3 du Code du Travail, lequel punit le fait d’employer des mineurs à la mendicité habituelle, soit ouvertement, soit sous les apparences d’une profession, des peines prévues par les articles 227-20 et 227-29 du Nouveau Code pénal (jusqu'à trois ans d’emprisonnement et 500 000 francs d’amende).

137 L’article 85 alinéa 4 du décret du 22 mars 1942 dispose que la mendicité est interdite dans toutes les dépendances du chemin de fer et sanctionne cette infraction d’une contravention de 4ème classe (punie d’une amende de 5000 francs, article 80-2 du même décret) avec possibilité d’application des mécanismes d’indemnité forfaitaire. La même situation prévaut pour l’enceinte du métropolitain parisien (article 15 de l’arrêté préfectoral du 9 décembre 1968 interdisant « de se livrer à la mendicité, de troubler la tranquillité des voyageurs de quelque manière que ce soit et de quêter »). V. sur ce point, J. DAMON, Les indésirables dans les espaces de transport ; les exemples de la RATP et de la SNCF, rapport de stage Ecole Supérieure de Commerce de Paris, septembre 1993.

avancées étant le souci d’assurer la tranquillité des voyageurs138. Or, à l’époque même où le Code pénal était dépoussiéré devant le renouveau de la question et de la fracture sociales, resurgit l’image d’un mendiant errant fauteur de troubles. Le terrain change, il ne s’agit plus du droit pénal mais de police administrative ; les termes évoluent, on parle désormais de « sans-domicile-fixe » (SDF), mais mutatis mutandis, les clivages sont les mêmes ; le débat juridique et politique autour des arrêtés municipaux « anti-mendicité »139 en témoigne.

§2 - Les arrêtés municipaux anti-mendicité,

une résurgence contemporaine

120. « Les simples particuliers et même les maires sont toujours enclins à trouver qu’on ne les débarrasse pas suffisamment des mendiants et des vagabonds,

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