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L’affirmation historique du devoir de travailler

Dans le document Le droit public face à la pauvreté (Page 176-183)

L’INTÉGRATION DU PAUVRE

II- L’affirmation historique du devoir de travailler

132. « Si celui qui existe a le droit de dire à la société : Faites-moi vivre, la société a également le droit de lui répondre : Donne-moi ton travail »272. L’exclamation du Comité de mendicité révolutionnaire est célèbre. Par delà son contexte politique particulier, elle répond à un souci séculaire de mise au travail des pauvres valides.

Dès la fin du Moyen Age, en effet, des réquisitions de mendiants valides et de vagabonds sont organisées pour l’entretien d’ouvrages publics. Ce souci de mettre ces marginaux au travail se systématise au XVIe siècle273. A cette époque se multiplient soit des établissements de travail forcé, soit des chantiers publics, destinés à fournir du travail aux pauvres et à les empêcher de sombrer dans le vagabondage et la mendicité274, au point que certains datent de ce moment la tentation de l’Etat de se faire « l’initiateur d’une mobilisation générale des capacités de travail du royaume »275. Turgot marque le point final de cette tentative constante de l’Ancien Régime en créant des ateliers de charité. Effort insuffisant, d’où les réclamations dans les cahiers de doléances tendant à l’ouverture d’ateliers de travail et l’organisation de travaux publics.

La doctrine intellectuelle du Comité de mendicité réitère formellement le devoir de l’indigent valide de travailler. « Nous avons admis comme un principe incontestable », s’exclame La Rochefoucauld-Liancourt, « que les pauvres valides doivent seulement être aidés par les moyens du travail »276. Conformément à la

270 Y. ROUSSEAU et B. WALLON, « Du droit pour un chômeur de refuser un emploi », Droit social, 1990, pp. 27-28 ; C. WILLMANN, précit., pp. 267 et s. ; sur l’ensemble de la question des conditions d’ouverture du droit à indemnisation : Ch. Daniel et C. TUCHZICHER, L’Etat face aux chômeurs, l’indemnisation du chômage de 1884 à nos jours, Flammarion, 1999.

271 C. WILLMANN, précit., p. 269.

272Premier rapport, précit., p. 237

273 Ph. SASSIER note que l’essor des manufactures de soie à Lyon est directement issu de cette volonté royale d’occuper les gueux de cette ville (précit., p. 106).

274 Un arrêt du Parlement de Paris du 23 février 1516 permet aux officiers de police de mettre en prison tous les « caymans, marraulx et belistres, puissans et sains de leurs membres » et, « pour iceux prisonniers d’être mis à servir et besogner à toute diligence tant à la réfection des murailles (...) curer et nettoyer les fossés, rues et égouts que en tous autres ouvrages et besognes publiques qu’il est et sera pour l’avenir nécessaire à faire pour la fortification et le profit du bien public » (cité par J. VALLEE, précit., p. 20).

275 R. CASTEL, Les métamorphoses…, précit., p. 136.

276Troisième rapport, précit., p. 38 ; V. également le Plan de travail, affirmant que, « dans les remèdes à l’indigence, le travail est le principal », id., p. 316.

philosophie libérale sous-tendant sa pensée, cette aide ne peut provenir que de la seule reconnaissance d’une liberté du travail qui, d’après les révolutionnaires, suffit à assurer l’accès au travail et donc la résorption de la pauvreté. Il n’est qu’à lire Montlinot, devenu membre du Comité de mendicité, qui déclare en 1779 : « nous établissons comme un principe incontestable qu’il n’est presque jamais de pauvre valide, quelle que soit la dureté du temps, qui ne puisse gagner quelque chose »277. Pour les révolutionnaires de 1789, il est certain que l’assistance aux valides ne peut en aucun cas résulter d’une quelconque obligation de l’Etat de fournir du travail au pauvre valide. En effet, affirme le Comité de Mendicité, « si le travail lui est offert à chaque fois qu’il se présente et dans le lieu le plus prochain et de la nature la plus facile, la société le dispense, par-là, de la nécessité de chercher lui-même à s’en procurer et lui interdit, pour ainsi dire, toute industrie ; elle tombe, en lui donnant ainsi du travail, dans l’inconvénient qu’elle voulait éviter en se refusant aux secours gratuits : elle favorise la paresse, l’incurie »278. Le rôle de l’Etat n’est pas de s’obliger à fournir du travail, mais seulement d’agir sur les moyens d’obtention d’un travail, de stimuler l’activité industrielle et d’abolir les entraves freinant l’accès au travail. La solution proposée par les révolutionnaires est formellement « élégante »279 : elle établit, en théorie, une réciprocité de devoirs : la société s’engage à assurer du travail par l’abolition des diverses limitations à la pleine liberté du travail et l’indigent valide, s’il remplit son devoir corrélatif de travailler, est « réintroduit dans le pacte politique »280 : il devient citoyen utile et vertueux. Cependant, les pouvoirs publics n’étant pas tenus de lui assurer en tous temps du travail, l’obligation pèse en réalité sur le seul pauvre valide. Il est, de fait, certain que la liberté du travail consacrée par le décret d’Allarde « n’a pas été reconnue pour libérer les hommes du travail, mais bien pour les mettre au travail »281.

Le Comité admet toutefois un bémol à sa théorie en reconnaissant, dans son quatrième rapport, qu’une intervention directe de l’Etat en faveur des indigents valides puisse exister, à condition toutefois qu’elle soit essentiellement ponctuelle (crise ou chômage saisonnier) et d’application limitée. En dehors de ces périodes exceptionnelles, le principe est catégorique : l’indigent pourra toujours se procurer sa subsistance par sa force de travail et il ne saurait, la plupart du temps, être question de lui assurer des secours282. La Constitution de 1791 traduit en droit ses principes en prévoyant la création d’un Etablissement général de secours publics afin de « procurer du travail aux pauvres valides qui n’auraient pas pu s’en procurer par eux-mêmes » mais, dès avant, des expériences avaient été tentées à travers l’ouverture d’ateliers de secours283, terme générique associant ateliers nationaux destinés à des activités de terrassement et ateliers de filature. L’expérience

277 C.A.J. de MONTLINOT, Quels sont les moyens de détruire la mendicité, de rendre les pauvres utiles et de les secourir dans la ville de Soissons, Lille, Lehoucq, 1779, p. 84.

278Premier rapport, p. 331.

279 R. CASTEL, Les métamorphoses…, précit., p. 196.

280 R. CASTEL, id., p. 197.

281 C. BLET, précit., p. 33 ; V. également J. BART, « Les sans emplois et la loi », précit., p. 18 relevant des citations de députés affirmant l’impérieux devoir de travailler.

282 Le comité préconisait toutefois une distribution gratuite de terres aux pauvres (Quatrième rapport, p. 388). Pour une analyse plus exhaustive : M. BOUCHET, L’assistance publique en France sous la Révolution, Thèse droit Paris 1908, p. 183.

est toutefois de brève durée, un décret du 16 juin 1791 fermant ces ateliers considérés comme des foyers d’agitation. Pourtant, l’idée est loin d’être abandonnée, un député soulignant à la même époque l’urgence qu’il y a d’« extirper le vagabondage et la mendicité, ce qui entraîne la nécessité d’établir des ateliers de charité pour employer ceux qui manquent d’ouvrage et qui ne demandent que du travail »284 et la question ne manque pas de se poser à nouveau en 1793.

133. Analysant le débat constitutionnel de 1793, M. Borgetto note les profondes

divergences opposant les constituants sur la question des secours à accorder aux indigents valides285. Si, à première vue, la déclaration finalement adoptée semble reconnaître une réelle obligation pesant sur la société286, les termes employés ne doivent pas induire en erreur : le travail est présenté comme une simple modalité de l’assistance et les textes pris en application de cette disposition, loin de traduire l’existence d’un réel droit au travail287, ne consacrent en fait que certaines garanties quant à la réalisation du devoir de travailler pesant sur l’indigent valide. Ceci ressort très nettement des principes régissant la loi du 24 Vendémiaire an II, où la création d’ateliers de secours par les municipalités n’est rendue possible que dans les seules saisons mortes. Encore ne s’agit-il que d’une simple faculté pour les communes qui disposent également en toute opportunité d’un pouvoir souverain quant à l’appréciation de la manière d’organiser les secours. De plus, le texte affirme que la rémunération offerte aux indigents doit nécessairement être inférieure à celle qui prévaut dans le canton288 afin de ne pas décourager l’initiative privée. Les conséquences de la loi sont donc très limitées puisque, de surcroît, les secours dépendent de crédits alloués par la Nation et son application très lacunaire réduit d’autant sa portée289.

Ce caractère aléatoire de l’assistance par le travail se retrouve tout au long du XIXe siècle, les différents régimes politiques tentant d’instaurer des secours par le travail sans pour autant dégager une réelle obligation pesant sur les pouvoirs publics. Ainsi, un arrêté ministériel du 19 juillet 1816 incite les bureaux de bienfaisance « à multiplier les secours en travail, soit en se mettant en relation avec des

284 VERNIER, Rapport sur les précautions à prendre pour distribuer les secours qui pourraient être accordés…, A.P., séance du 11 mai 1791, T. 25, p. 733.

285 M. BORGETTO, La notion de fraternité en droit public français, LGDJ, 1993, p. 173.

286 Article 21 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ».

287 Sur la question de savoir si un réel droit au travail a été reconnu en 1793, V. la différence d’analyse entre P. LAVIGNE (Les bases constitutionnelles du droit du travail, le travail dans les constitutions françaises, 1789-1945, Thèse Droit Paris, 1948, pp. 117 et s.) et G. PROCACCI (« La naissance d’une rationalité moderne de la pauvreté », L’exclusion, l’état des savoirs, précit., p. 410), lesquels réfutent la reconnaissance d’un quelconque droit de l’individu opposable à la société ; M. BORGETTO (La notion…., précit., pp. 179 et s.), qui soutient l’idée contraire et enfin P. ROSANVALLON, pour qui le droit au travail tel qu’il était conçu sous la Révolution est un « droit-limite, c’est à dire à la frontière de la notion de droit » (La nouvelle question sociale, précit., p. 146).

288 Les articles 6 et 13 du titre 1 fixent le salaire de l’indigent aux ¾ du prix moyen de la journée de travail locale.

289 V., pour une présentation des créations d’ateliers publics sous la Révolution et leur impact, A. FORREST, La Révolution française et les pauvres, précit., pp. 146 et s. ; Th. VISSOL, « Pauvreté et lois sociales sous la Révolution française 1789-1794, analyse d’un échec », Les idées économiques sous la Révolution française, PU Lyon, 1989, pp. 259 et s.

manufacturiers ou maîtres artisans auxquels ils pourront adresser des indigents sans ouvrage, soit en proposant l’établissement d’ateliers de charité » et une instruction de 1823 recommande de « s’appliquer (...) constamment, autant que les localités le permettront, à procurer du travail aux indigents valides »290. Parallèlement, la Monarchie de Juillet tente éphémèrement d’ouvrir des ateliers de charité291, sans grands résultats d’ailleurs, jusqu’à ce que l’idée resurgisse sous la forme d’ateliers nationaux, en 1848.

134. Les travaux parlementaires des constituants de 1848 montrent nettement une divergence d’acception quant à la portée du droit au travail. Ses partisans l’entendent essentiellement dans un sens restreint, loin du droit absolu d’exiger un travail correspondant à des aptitudes professionnelles et rémunéré conformément au cours des salaires dans l’industrie privée. Pour eux, le droit au travail doit intervenir seulement en période de crises, pour permettre à l’ouvrier d’exiger un secours en travail. En d’autres termes, ce qu’ils désignent sous le nom de droit au travail est en réalité le droit à l’assistance par le travail292. Au contraire, les adversaires du droit au travail le repoussent énergiquement parce qu’ils l’interprètent comme un droit absolu, permettant d’exiger dans tous les cas un travail semblable à celui que l’ouvrier fait d’habitude, rétribué par le salaire qui y correspond normalement293. Or, c’est très nettement la première acception qui a prévalu. Il n’est qu’à lire Lamartine, selon qui « il ne s’agissait pas (...) de conférer à tout citoyen un titre impératif contre le gouvernement pour en obtenir la nature de salaire et de travail qui paraîtrait convenable à sa profession individuelle » mais d’assurer « la garantie des moyens d’existence alimentaire par le travail fourni au travailleur, dans le cas de nécessité absolue, de chômage forcé, aux conditions déterminées par l’administration du pays et dans la limite de ses forces »294, ou encore Mathieu de la Drôme, affirmant ne pas vouloir « enlever à l’individu sa responsabilité et son initiative (...) L’individu doit chercher par ses efforts à se créer une position (...) indépendante » et ce n’est qu’en cas d’échec qu’il revient aux pouvoirs publics de « recueillir les individualités qui peuvent avoir été jetées en dehors du libre mouvement industriel et (d’) employer ces individualités à des travaux d’utilité publique, comme cela s’est fait (...) dans tous les temps »295. L’affirmation est explicite. La IIème République n’entend assurer qu’une assistance par le travail, dans les mêmes conditions et limites que celles antérieures296.

290 H. MAILLARD, La théorie du droit au travail en France, Thèse Droit Paris, 1912, p. 17.

291 Circulaire du 21 décembre 1846 relative à la création de travaux extraordinaires à l’effet d’occuper les ouvriers indigents ; circulaire du 31 décembre 1846 relative à l’organisation des ateliers de charité (A. de WATTEVILLE, Législation charitable, 1875, T. 1, appendice pp. 72-74).

292 En ce sens : H. MAILLARD, précit., p. 93.

293 Cette second acception, maximaliste, était également celle qui prévalait dans les milieux populaires. D’où l’impossibilité de concilier ces différentes thèses et l’ambiguïté du décret du 25 février 1848, ne précisant pas si l’Etat devait intervenir comme organisateur de la production ou au titre de l’assistance, et dans lequel P. BASTID voit l’origine du drame opposant ouvriers et bourgeois (Doctrines et Institutions politiques de la Seconde République, 1945, Hachette, T. 1, p. 130).

294 LAMARTINE, Compte rendu..., séance du 14 septembre, T. 4, p. 20.

295 MATHIEU DE LA DROME, Compte rendu..., séance du 11 septembre, T. 3, p. 945-946.

296 V. en ce sens F. HORDERN, « 1848, l’exercice du droit au travail », Les sans emploi et la loi, Calligrammes, 1988, pp. 31 et s.

Ceci ressort tout particulièrement des principes proclamés en 1848 : le devoir d’assistance par le travail reconnu par l’article VIII du Préambule au bénéfice des seuls indigents est la confirmation du devoir de travailler pesant sur ceux-ci : la dette de la société n’est conçue comme s’acquittant que dans le seul cadre d’une assistance par le travail, limitée de surcroît par la référence aux ressources de la société. L’assimilation entre droit au travail et devoir de travailler est flagrante chez les juristes de l’époque, soit que les deux se complètent, comme pour Cornemin pour qui « le droit au travail a son origine et sa légitimité dans les charges fondamentales et implicites du pacte social et son justificatif dans l’obligation naturelle de travailler (...) Le droit au travail honore le labeur par le devoir et le bénéfice de l’obligation »297 soit qu’elles s’excluent, comme pour O. Barrot qui faisait valoir que l’on ne peut pas faire un droit de ce qui est un devoir298.

L’exemple des Ateliers nationaux en est un bon révélateur. Organisés selon un « ordre semi-militaire »299, ils consistent en des chantiers de terrassement ouverts aux indigents valides ne trouvant pas à s’employer ailleurs. Ils répondent au souci séculaire de ne pas concurrencer l’initiative privée et à la croyance selon laquelle le libre marché du travail suffit à procurer un emploi aux indigents désireux de travailler300. Par ailleurs, ils ont cette finalité spécifique, caractéristique des ateliers depuis l’Ancien Régime, d’être voués aux grands travaux d’utilité publique301. En fait, la pratique éphémère des ateliers nationaux renvoie purement et simplement aux anciens ateliers de charité tels qu’ils se pratiquaient sous l’Ancien Régime ou aux ateliers de secours de la Constituante302. L’innovation introduite en ce domaine par la IIème République réside essentiellement dans la consécration constitutionnelle de la faculté d’organiser des « travaux publics propres à employer les bras inoccupés »303 et dans l’institution d’établissements publics agricoles, en Algérie notamment, ou la création à Paris, par un décret du 8 mars 1848, de bureaux gratuits de renseignements ayant pour but de lutter contre le chômage.

297 Cité par P. LAVIGNE, précit., p. 203.

298 P. LAVIGNE, précit., p. 198.

299 E. THOMAS, Histoire des Ateliers nationaux, 1848, p. 31, cité par M. BORGETTO, précit., p. 282, note 1.

300 Se reporter aux propos éclairants de MARRAST : « je ne veux pas qu’on fasse concurrence au travail individuel (...) Je veux qu’on admette à ces ateliers de l’Etat que des individus qui justifieront, par des moyens qu’il sera facile de réglementer, qu’il leur a été impossible de trouver de l’ouvrage » (Procès verbaux, séance du 24 mai 1848, 1er registre).

301 Finalité caractéristique expressément soulignée par MARRAST, pour qui « l’Etat ne doit faire que ce que les particuliers ne font pas , les grands travaux d’intérêt public, comme déboisement de montagnes, création de routes, etc. » (Procès verbaux, séance du 24 mai 1848, 1er registre).

302 M. BORGETTO voit toutefois une différence notable avec la situation de 1791, résidant dans le fait que, à s’en tenir aux débats de la Commission de Constitution, l’organisation des secours par le travail ne serait plus limitée aux périodes de temps mort ou de calamités, mais serait en théorie permanente (La notion…, précit., pp. 285-286). L’interprétation demeure hypothétique toutefois, puisque, d’une part, le texte constitutionnel finalement adopté est silencieux, et, d’autre part, les propos des parlementaires suffisamment contradictoires et elliptiques pour empêcher de dégager une idée force sur ce point. En sens inverse, pour R. CASTEL, la continuité est flagrante : « ce sont, à peu près littéralement reprises, les mesures préconisées par le comité pour l’extinction de la mendicité et inscrites dans la constitution de 1793 » (Les métamorphoses…, précit., p. 274).

303 Article 13 de la Constitution, qui n’est de surcroît qu’une vague promesse, le texte n’imposant aucune obligation mais prévoyant uniquement que « la société favorise et encourage le développement du travail » par de tels moyens.

Le Second Empire n’innove pas non plus, et sa législation est quasiment inexistante. Tout au plus peut-on relever un règlement du 20 mars 1860, qui incite les administrateurs des bureaux de bienfaisance à multiplier les secours en travail en jouant le rôle d’une sorte d’office de placement304.

135. Quant à la IIIème République, elle se maintient dans cette lignée en refusant toute reconnaissance d’une quelconque obligation des pouvoirs publics à l’égard des valides tout en procédant à une nette valorisation conceptuelle du devoir de travailler et de l’assistance par le travail. Ainsi, selon un juriste du début du siècle, « la loi du travail est la loi de l’humanité, loi à laquelle personne ne peut se soustraire »305. Or, « si dans la nature le droit à la vie importe le devoir du travail, il implique aussi (...) dans une société bien organisée, le droit au travail. (...) Du moment que tout homme est tenu de travailler, il apporte le droit à ce que (...) cette société à la fois organise bien le travail et lui assure le travail »306. Théoriquement, le devoir de l’individu recoupe donc son droit d’obtenir de la société les moyens nécessaires à l’accomplissement de son devoir. Or, son droit n’est pas le droit d’obtenir un emploi, mais bien d’obtenir une assistance par le travail. Cette dernière est assurée « chaque fois, que, en échange du secours donné à l’assisté, on lui demande et celui-ci fournit une part de travail inférieure à sa valeur d’échange » ou encore « chaque fois que l’on met en mesure de gagner sa vie par le travail une personne qui, de par son état, ne pourrait pas, sans cette aide, trouver à se suffire par son travail »307. Formellement, là encore la solution est cohérente. Le travail constitue « la pierre de touche grâce à laquelle on reconnaît l’homme qui exploite la charité publique de celui qu’une infortune imméritée a obligé à y avoir recours »308 et permet de ce fait de dresser la frontière entre assistance et répression : à ceux qui remplissent leur devoir de travailler, les bienfaits de la première, aux autres, les fainéants, mendiants et vagabonds, les foudres de la seconde309. Coexistence de deux devoirs, là encore, comme l’affirment des parlementaires de l’époque : « la même loi morale, qui prescrit à la société d’assister l’indigent dans ses souffrances et ses besoins, prescrit avec une égale force à l’indigent valide le travail, la prévoyance et l’économie qui

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