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Le comportement des mendiants attentatoire à l’ordre public

Dans le document Le droit public face à la pauvreté (Page 161-167)

LE DEVOIR D’INTÉGRATION DU PAUVRE

SECTION 1 LE REJET DU MENDIANT

A- Le comportement des mendiants attentatoire à l’ordre public

Un certain nombre d’arrêtés sont fondés sur des arguments tirés des risques d’atteinte à l’ordre public et se réfèrent plus ou moins expressément aux dispositions législatives conférant au maire un pouvoir de police afin d’assurer le bon ordre, la sécurité et la salubrité publiques (1). Les autres justifications avancées s’avèrent plus problématiques (2).

1- Des interdictions rattachées à la trilogie traditionnelle

122. La première et principale justification avancée par les différent arrêtés réside expressément dans les risques d’atteinte à la sécurité des personnes et des biens. Si le maire de Nice affirme que l’arrêté qu’il entend prendre ne vise que « la nouvelle mendicité », c’est parce que celle-ci est exercée par des « mendiants

142 A. JUPPE, Le Monde, 19 juillet 1995.

143 X. EMMANUELLI, Gazette des communes, 7 août 1995, n° 1320/30, p. 7.

144 « L’escalade antimendicité gagne Valence », Libération, 18 juillet 1995.

145 Ph. DOUSTE BLAZY, Le Journal du Dimanche, 6 août 1995.

146 Nous remercions les communes qui ont répondu à nos différents courriers et ont accepté de nous communiquer les copies des arrêtés qu’elles ont pris, ainsi que de nous apporter des précisions sur les procédures pendantes devant les juridictions administratives ou sur le contexte dans lequel elles ont été amenées à édicter de telles mesures.

professionnels, parfois organisés en bande, et qui, par la pression morale ou la violence physique, exigent (...) le salaire de leur incivisme et de leur inactivité »148. Le même argument est avancé dans les arrêtés de La Rochelle et de Toulon, en dépit de l’éloignement géographique et politique de ces communes : la présence de certains SDF « crée une situation constante de crainte au sein de la population »149. A Béziers, c’est l’attitude des SDF qui est stigmatisée, car « susceptible d’engendrer

un sentiment de peur ou de panique de la part de la population »150. Sur le même

terrain fantasmatique151, le maire d’Angoulême vise « les risques d’atteinte à la sécurité des biens et des personnes, les nombreuses plaintes exprimées par la population (...) l’exaspération grandissante de la population et les conséquences dramatiques qui pourraient en résulter »152. Cette exaspération s’explique, selon le maire de Sète, par l’agressivité « de groupes d’individus, accompagnés ou non d’animaux » imputable « à la consommation abusive d’alcool »153. Dans le même sens, l’arrêté de Bagnères-de-Bigorre154 souligne « le danger que constitue le regroupement de chiens, même accompagnés de leurs maîtres, en agglomération, et les doléances reçues en Mairie, certaines faisant état de morsures » et celui de Gap155 interdit « le regroupement prolongé de plus de deux chiens (...) en raison de l’excitation réciproque souvent constatée qu’une telle promiscuité provoque entre eux et des dangers que de ce fait ils font courir à la population » ainsi que les stations assises ou allongées à même le sol « afin de préserver toute personne des chocs éventuels avec les cyclistes ou de garantir (...) la sécurité des piétons »156. Au total, la comparaison des différents arrêtés est éclairante : la présence de SDF est de nature à nuire à la sécurité publique soit parce que leur mode de vie les incite nécessairement au vol ou à l’agressivité157, soit parce que les chiens qui les accompagnent sont perçus comme dangereux, soit, enfin, parce qu’encombrant les rues, ils favorisent les accidents de circulation… Ce dernier argument rejoint une autre justification fréquemment avancée : celle de la nécessité d’assurer une commodité de passage sur la voie publique.

Ce souci de garantir une liberté de circulation est omniprésent, et se retrouve tant à Toulon158 (où l’on « note une multiplication des actions de mendicité qui sont de nature à entraver la libre circulation des personnes, le libre accès aux commerces ») qu’à Béziers, qui interdit la mendicité et le vagabondage « dans les

148 Lettre du maire de Nice appelant ses administrés à participer à un référendum communal sur la reconduction de l’arrêté municipal du 5 juin 1996 réglementant certaines formes de quêtes.

149 Arrêté municipal de La Rochelle du 8 août 1995, de Toulon du 28 août 1995.

150 Arrêté municipal du 14 juin 1996.

151 « N’est on pas en présence d’un avatar moderne des fantasmes qui ont toujours opposé nomades et sédentaires ? » s’interroge le commissaire du gouvernement J.-Y. MADEC, dans ses conclusions sur TA Pau, 22 novembre 1995, Couveinhes et Association « sortir du fond », 22 novembre 1995, RFDA, 1996, p. 376.

152 Arrêté municipal du 10 août 1995.

153 Arrêté municipal du 21 juin 1996.

154 Arrêté municipal du 7 mai 1996.

155 Arrêté municipal du 8 août 1997.

156 Arrêté municipal du 8 août 1997.

157 L’arrêté de Millau du 25 juin 1996 vise expressément le nouveau Code Pénal et ses dispositions tendant à réprimer le vol et la menace.

rues piétonnes où elles (sic) sont une gêne pour la circulation »159. L’arrêté d’Auxerre160 préfère parler de « fluidité de circulation » et considère qu’« il y a lieu de prendre (...) des mesures qui permettront d’assurer » celle-ci. Aussi interdit-il, dans un secteur délimité, « de s’installer sans autorisation, de déposer des effets personnels tels que vêtements, sacs de voyage et de couchage ». Certaines communes invoquent la commodité du passage dans les rues, telle Carpentras161, soulignant « qu’il appartient à l’autorité municipale (...) d’assurer la sûreté et la commodité du passage sur les voies publiques ». Ces communes semblent se référer à l’article L.2212-2-1° du Code Général des Collectivités Locales, lequel, pourtant, ne prévoit qu’une mesure susceptible de se rattacher à de telles interdictions : l’enlèvement des encombrements… Une conception pour le moins extensive de cette notion d’encombrement semble avoir joué… L’arrêté de Millau162 confirme cette lecture, lorsqu’il considère que « le fait de se coucher, de s’asseoir, de stationner sur la voie publique est susceptible de rendre incommode la circulation des piétons et est de nature à encombrer le passage », tout comme « le jet et l’abandon de détritus ».

123. Sur ce dernier point, l’arrêté de Millau semble également se placer sur le terrain de la salubrité publique, cet argument étant fréquemment avancé dans différents arrêtés qui visent le règlement sanitaire départemental163. De nombreuses communes font état de motivations relatives à l’hygiène publique, telles Gap164, Sait-Brieuc165, Perpignan166 et Banyuls sur mer167, qui interdisent de ce fait la mendicité. Angoulême168 vise, sans en mentionner la teneur, « des problèmes

159 Arrêté municipal du 14 juin 1996 ; de même, Gap interdit le stationnement assis ou allongé à même le sol afin « de garantir la libre circulation » (arrêté du 8 août 1997), Toulouse « toute occupation prolongée des rues, squares, quais, places et voies publiques (...) de nature à entraver la libre circulation des personnes » (arrêté municipal du 1er juillet 1994), La Rochelle va dans le même sens en rappelant qu’il « il appartient au Maire de garantir la liberté d’aller et venir de ses administrés, piétons et autres usagers, et de veiller à l’usage normal des voies publiques » (arrêté municipal du 8 août 1995); V. dans le même sens l’arrêté de Mende du 10 juillet 1997 : « considérant l’obligation faite au Maire de Mende d’assurer la commodité du passage dans les rues, places ».

160 Arrêté municipal du 20 juin 1997 ; même interdiction dans différents arrêtés du 19 juillet 1994.

161 Arrêté municipal du 23 mai 1997 ; même considérant dans l’arrêté de Cannes du 30 septembre 1993 ou Pau, 29 mai 1996 ; Avignon, 29 mai 1997.

162 Arrêté municipal du 25 juin 1996.

163 Ex. : celui de Valence, en date du 13 juillet 1995, Toulon, 28 août 1995 ou Pau, 11 juillet 1995, Angoulême, 10 août 1995.

164 Arrêté municipal du 8 août 1997 : « afin de préserver (...) la salubrité des espaces publics, il est interdit de jeter ou d’abandonner des bouteilles, effets de repas ou tout autre élément revêtant le caractère de déchet sur la voie publique ». Dans le même sens, l’arrêté d’Auxerre du 20 juin 1997, qui ne vise pas expressément la mendicité mais se réfère, dans ses visas, à la circulaire du Ministre de l’Intérieur du 20 juillet 1995, considère comme des « atteintes à la salubrité publique (...) les dépôts et jets d’immondices, d’excréments ou d’objets polluants » et les interdit sur ce fondement.

165 Arrêté municipal du 17 juin 1997 : « considérant l’existence d’un problème d’hygiène (...) induit par l’abandon sur le domaine public de bouteilles vides ou cassées ».

166 Arrêté municipal du 31 mai 1995 ; même considérant dans, par ex., les arrêtés municipaux de Carpentras des 12 juin 1996 et 23 mai 1997 ou dans l’arrêté de Pau du 29 mai 1996 ou de Tarbes du 17 juillet 1995.

167 Arrêté municipal du 7 juillet 1995 : « considérant qu’il appartient à l’autorité municipale de prévenir et de faire cesser les comportements qui entraînent la dégradation des conditions d’hygiène des espaces publics ».

d’hygiène et de salubrité constatés » dans certains endroits de la ville et l’arrêté de Toulon169 affirme que les personnes amenées à mendier contreviennent « aux règles les plus élémentaires de l’hygiène ». Tarbes170, en revanche, lie les atteintes à la salubrité publique à « la divagation de (...) chiens » appartenant aux personnes se livrant à « l’interpellation des passants dans le but de faire appel à leur générosité ». Comble du sordide, la commune de Mende171 interdit « les déjections humaines sur la voie publique ». Rattachant ces interdictions à des considérations hygiénistes, J.-C. Froment détecte un souci « d’empêcher la mise en scène publique d’un corps socialement dévalorisé (...) le corps “sale” ou “malade” du clochard-ivrogne » et conclut à la similitude de fondements entre l’interdiction de la mendicité et celle du lancer de nain : « c’est finalement une certaine représentation du corps qu’on cherche à écarter »172.

124. Enfin, une dernière justification est omniprésente dans ces arrêtés : celle tirée des exigences de la tranquillité publique. Ainsi, l’arrêté de Carpentras173

souligne « la situation actuelle (mettant) en évidence la multiplication des actions de mendicité qui troublent la sérénité et le fonctionnement (sic) de l’ordre public » et que « le comportement sur le domaine public de certaines personnes porte atteinte à l’ordre et à la tranquillité publics » et relève « qu’il appartient à l’autorité municipale de garantir la quiétude des personnes fréquentant les jardins et parcs publics ainsi que les chalands ». L’idée d’une « sérénité » troublée par des actions de mendicité est reprise tant à Cannes174, Pau175, Avignon176 qu’à Tarbes177, que les atteintes à la tranquillité publique soient imputées aux aboiements des animaux (Millau178), à l’agressivité des SDF (Sète179), à la consommation d’alcool (Mende180), ou aux deux à la fois (Saint-Brieuc181).

Dangereux, menaçants, sales et fauteurs de troubles. Les éternels qualificatifs appliqués aux “bélîtres et gueux” resurgissent, et leurs comportements sont constitutifs d’autant d’atteintes à l’ordre public qu’il convient de prévenir. Pourtant, d’autres fondements sont invoqués ci et là, dont la justesse peut être mise en cause182.

169 Arrêté municipal du 28 août 1995.

170 Arrêté municipal du 14 septembre 1995.

171 Arrêté municipal du 11 juillet 1997.

172 J.-C. FROMENT, note sous CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, Ville d’Aix en Provence, RDP, 1996, p. 557.

173 Arrêté municipal du 23 mai 1997.

174 Arrêté municipal du 30 septembre 1993.

175 Arrêté municipal du 29 mai 1996.

176 Arrêté municipal du 29 mai 1997.

177 Arrêté municipal du 14 septembre 1995.

178 Arrêté municipal du 25 juin 1996.

179 Arrêté municipal du 21 juin 1996.

180 Arrêté municipal du 11 juillet 1997.

181 Arrêté municipal du 17 juin 1997.

182 Même si, parmi les fondements avancés, il est également permis de douter de la possibilité pour certains maires d’invoquer les atteintes à la tranquillité publique. En effet, pour les villes où la police est étatisée, régime dont relèvent bon nombre de ces communes, il appartient à la compétence exclusive du préfet de réprimer les atteinte à la tranquillité publique telles qu’elles sont définies à l’article L.2212-2-2° du CGCT (article L.2214-3 du CGCT).

2- Des fondements plus douteux

125. Certains arrêtés font, plus ou moins explicitement, référence à des

considérations tirées d’un souci de préserver la moralité. Ainsi Béziers183 interdit « la mendicité, le vagabondage, le colportage et le stationnement de groupes dont le comportement serait outrageant aux bonnes mœurs » et Tarbes184 « toutes attitudes contraires aux règles habituelles de bonnes mœurs notamment le maintien prolongé en position allongée, l’épanchement d’urine, les exhibitions ». Cette commune, ajoute dans un arrêté ultérieur185, que les mendiants ont « une tenue contrevenant aux bonnes mœurs et aux règles élémentaires de la bienséance » et que leurs comportements « constituent une incitation à la débauche ». Le Code des communes ne donne pourtant pas compétence aux maires pour régler de comportements susceptibles d’attenter à la morale publique186. Il est vrai que la jurisprudence a admis la légitimité pour la police municipale de viser la moralité publique ou l’hygiène publique187, mais il revient alors aux maires de prouver en quoi le spectacle de la mendicité est attentatoire à la morale publique188, et surtout en quoi les circonstances locales sont susceptibles d’attacher à cette “immoralité” des conséquences matérielles de troubles à l’ordre public189. Sauf, évidemment, à se placer sur le terrain mouvant de la dignité humaine...

Or, il semble que l’idée d’une mendicité contraire à la dignité humaine et, à ce titre, à l’ordre public dont elle est une composante190 soit évoquée. Elle apparaît implicitement dans les arrêtés de Toulon et de Gap, où la mendicité agressive de certains SDF serait « de nature à porter préjudice aux formes normales et tolérées de mendicité »191 ou contribuerait « à jeter l’opprobre sur ceux de nos concitoyens les plus exclus de notre société et qui font appel à la charité publique dans des conditions honorables et acceptables »192. Dans cette optique, il y aurait une dignité

183 Arrêté municipal du 14 juin 1996.

184 Arrêté municipal du 14 juin 1995.

185 Arrêté municipal de Tarbes du 14 septembre 1995.

186 Sauf lorsqu’ils émanent d’aliénés, selon l’article L. 131-2-8°, ce qui n’a jamais été évoqué en l’espèce.

187 Voir, outre la jurisprudence Lutétia (CE, 18 décembre 1959, Rec. p. 693), CE, 7 novembre 1924, Club indépendant sportif chalonnais, Rec., p. 863 ; J.-P. TAUGOURDEAU, La moralité publique et la police administrative, thèse Poitiers, 1964.

188 V. en ce sens P. FRYDMAN dans ses conclusions sur l’affaire Commune de Morsang-sur-Orge (CE, Ass., 27 octobre 1995): « il ne suffit évidemment pas de quelques témoignages d’indignation isolés pour autoriser un maire à interdire un spectacle, faute de quoi l’exercice du pouvoir de police ne manquerait d’ailleurs pas de devenir le terrain d’intervention privilégié des groupes de pression de tous bords » (RFDA, 1995, p. 1207). La remarque qui, en l’espèce, s’appliquait au lancer de nain peut valoir pour le “spectacle” offert par la présence de SDF dans les rues …

189 La jurisprudence du CE se refusant en effet, jusqu’à l’affaire du lancer de nain, à prendre en compte la seule immoralité abstraction faite des circonstances locales. Or, en ce qui concerne la mendicité, il semble que ce soit bien plus un certain ordre moral qui a prévalu, tendant à voir dans la personne du SDF un être dégradé et menaçant. A preuve, les panneaux d’information de La Rochelle, avisant le grand public : « N’encourageons pas la mendicité, nous risquerons de favoriser l’ivresse et l’agressivité sur la voie publique » (cité par J. SAYAH, « La mendicité et le vagabondage, une question d’ordre public », Les cahiers du CNFPT, 1996, n°48, p. 200).

190 CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang sur Orge, Ville d’Aix en Provence, RFDA, 1995, pp. 1204 et s., concl. P. FRYDMAN ; RDP, 1996, pp. 436 et s., notes M. GROS et J.-C. FROMENT.

191 Arrêté municipal de Toulon du 28 août 1995.

de “bons pauvres” à laquelle certaines formes de mendicité porteraient atteinte193, voire une dignité du passant heurtée par la vue d’un spectacle dégradant194 ou encore une dignité du SDF se livrant à de telles formes de mendicité, qu’il faudrait protéger malgré lui. On peut, après tout, voir de la dignité partout…

126. D’autres fondements douteux peuvent être décelés derrière des

préoccupations esthétiques sous-jacentes aux interdictions : l’arrêté pris par la ville de Cannes195 est particulièrement explicite : « la ville doit conserver son image de ville d’accueil de qualité pour les touristes qui viennent y séjourner en nombre très important, ainsi que pour la population locale ». Une motivation identique se retrouve dans de nombreuses villes qui organisent des festivals ou sont des lieux estivaliers : ainsi Banyuls196 interdit la mendicité en « considérant que le centre ville et le front de mer sont des lieux touristiques ». Le souci de préserver « des lieux agréables et animés » est relevé à Millau197 alors que Tarbes198, moins touristique, se place sur le terrain des « difficultés d’accès au commerce et au libre exercice de celui-ci »199. Ces dispositions semblent s’inscrire dans le cadre de l’article L.2213-4 alinéa 2 du Code général des collectivités territoriales200, lequel permet au maire d’instituer des secteurs protégés dans certaines parties de la commune considérées comme sensibles. La possibilité d’utiliser ce cadre légal a été relevée par le Ministre de l’Intérieur : dans certains quartiers « particulièrement dignes d’intérêt, par exemple du point de vue de la tranquillité publique, de leur mise en valeur esthétique ou de leur attrait touristique (...) les maires peuvent (...) soumettre à de strictes conditions d’accès et d’horaires l’ensemble des activités s’exerçant sur la voie publique : colportage, commerce ambulant, quêtes et mendicité. »201. Il est également vrai, indépendamment de cette base textuelle, que la notion d’esthétique peut être regardée par la jurisprudence comme une composante de l’ordre public202. Il n’empêche qu’appliquer de tels critères esthétiques à la vision d’individus détruits par la pauvreté et l’errance serait pour le moins indécent. Des déchus aux déchets, il y a une marge que le droit ne saurait franchir. Quant à l’argument tiré de ce que des commerçants perdraient une partie de leur clientèle, dissuadée de venir dans leurs

193 Impression confirmée par un courrier en date du 26 février 1998 qui nous fut adressé par l’adjoint au maire de Carpentras : « les « pauvres » n’ont pas que des droits, ils ont aussi des devoirs ne serait-ce que le respect d’autrui ce qui n’est pas toujours le cas ; d’ailleurs les « pauvres » ont de la dignité et ne mendient pas sur la voie publique, ils ne sont pas marginaux. ».

194 Hypothèse relevée puis rejetée par le commissaire du gouvernement FOUCHET, dans ses conclusions sur le jugement relatif à l’arrêté de Nice (« invoquer le respect de la personne humaine pour protéger le promeneur du mendiant relève de la cécité intellectuelle »), cité par J.-P. LABORDE, Le Monde, 18 avril 1997.

195 Arrêté municipal du 30 septembre 1993.

196 Arrêté municipal du 7 juillet 1995 ; V., dans le même sens, l’arrêté municipal de Perpignan du 24 août 1995 qui souligne que « la période estivale est marquée par un afflux de touristes lié notamment aux multiples manifestations culturelles et spectacles de rues en Centre ville ».

197 Arrêté municipal du 25 juin 1996.

198 Arrêté municipal du 14 septembre 1995 ; Béziers interdit également la mendicité « dans les lieux de grande attraction commerciale » (arrêté du 14 juin 1996), Avignon relève la « vocation commerciale et touristique » des espaces publics où s’exercent des actions de mendicité (arrêté du 29 mai 1997).

199 Dans le même sens, l’arrêté municipal de Perpignan du 31 mai 1995 souligne la « vocation commerciale » des espaces dans lesquels la mendicité est pratiquée.

200 Article L. 131-4-1, alinéa 2 du Code des communes.

201 Circulaire du ministre de l’Intérieur en date du 20 juillet 1995.

boutiques du fait de la présence de SDF à proximité, il frôle le détournement de pouvoir, tout comme le fondement d’un coût financier que cette présence ferait peser sur les finances communales. Un tel motif a pourtant été soulevé, notamment à Tarbes203, dont un arrêté affirme que « l’attitude des personnes se livrant à ces actes (de mendicité) entraîne des déprédations importantes des espaces publics dont la remise en état est à la charge de la collectivité locale ».

La conclusion est logique : de ce que son exercice entraîne la commissions d’autant d’atteintes à l’ordre public, la mendicité doit être interdite. Elle devient elle-même attentatoire à l’ordre public.

Dans le document Le droit public face à la pauvreté (Page 161-167)