• Aucun résultat trouvé

La Restauration monarchique : le souci de morale

Dans le document Le droit public face à la pauvreté (Page 52-60)

DE LA MORALE AU DROIT SOCIAL

B- La Restauration monarchique : le souci de morale

47. Malgré de sensibles divergences politiques entre les différentes monarchies,

la politique sociale menée jusqu’à la IIème République présente de notables similitudes. Inspirée par l’analyse des économistes libéraux et des spécialistes de la bienfaisance, elle se caractérise par… son indigence ! Hormis quelques textes prolongeant et restreignant l’assistance aux enfants abandonnés instaurée par le Directoire et Napoléon129 et une loi de 1838 relative à l’internement des aliénés130,

122 Reprenant celui du 25 vendémiaire an X, Duvergier, T. 13, p. 20.

123 V. en ce sens, M. BORGETTO, précit., p. 226; J.-M. de GERANDO, De la bienfaisance publique, 1839, T. 1, pp. 54-55; T. II, pp. 225-226.

124 Arrêté du ministre de l’Intérieur Chaptal du 8 pluviose an VIII, cité par WATTEVILLE, La législation charitable, 2e éd., 1847, T. 1, p. 72.

125 Discours du ministre Cretet devant le Corps législatif sur le décret du 5 juillet 1908, cité par A. de LAUBADERE, précit., p. 443.

126 Sur ce point, V. infra, 1ère partie, titre 2, chapitre 1, § 117 et s.

127 J. ELLUL, précit., p. 204.

128 J. TOUCHARD, Histoire des idées politiques, PUF, 1981, T. 2, pp. 470-471.

129 Lois des 18 juillet 1837 et 10 mai 1838, qui furent nettement inspirées par des considérations de police et d’intérêt public (M. BORGETTO, précit., pp. 227-228).

aucun texte d’assistance aux indigents n’est adopté. Pourtant, cette époque est dominée, sur le plan social, par l’apparition d’un phénomène inédit : le paupérisme. Le terme, emprunté à l’anglais, se généralise à partir des années 1820, et tend à supplanter, dans l’analyse politique, celui de pauvreté131, en témoignant d’une nouvelle approche de la misère, comprise désormais comme un phénomène de grande ampleur, lié au développement industriel de la société. La distinction opérée par A. de Villeneuve-Bargemont en atteste, en énonçant que la première est une situation personnelle « isolée, circonscrite et passagère », tandis que le paupérisme « n’est plus un accident, mais la condition forcée d’une grande partie de la population »132. Or, ce paupérisme est bien réel : « on meurt de faim dans le Paris du XIXe siècle » note L. Chevalier133, et les rapports se succèdent pour dresser un constat froid et accablant de la condition ouvrière134.

L’explication de ce silence textuel est à trouver dans la philosophie libérale qui domine le discours politique de l’époque, laquelle récuse tout système d’assistance légale et prône les mérites de la charité morale (1). Instaurant le principe d’une « politique sociale sans Etat »135, les libéraux du début du XIXe

siècle proposent un modèle d’ordre social cohérent, fondé sur l’idée de tutelle (2).

1- La bienfaisance, une charité morale

48. Se fondant sur une analyse particulière des origines de la pauvreté, les libéraux rejettent unanimement toute obligation légale d’assistance. Pour certains, la pauvreté des masses est une conséquence inévitable de l’organisation sociale. Ainsi, selon Malthus136, la famine apparaît inéluctable, car elle est la conséquence logique et mathématique d’une loi naturelle voulant que l’augmentation des moyens de subsistance soit toujours inférieure à celle de la population. Pour d’autres, comme Naville, si des coups du sort peuvent occasionner la misère, celle-ci trouve son origine principale dans la faute du pauvre, et seule l’instauration d’un ordre réellement libéral peut réduire la pauvreté137. En effet, chez ces penseurs, le libéralisme intégral, en garantissant l’égalité devant la loi, est le seul système permettant de surmonter la misère. On connaît la phrase célèbre de Guizot : « Enrichissez-vous » ; le principe se retrouve sous la plume du grand spécialiste des questions de charité de l’époque, le baron de Gérando : « la liberté politique bien entendue garantit la justice, encourage le travail, développe dans les âmes, avec le

130 Les considérations d’ordre public ayant présidé à son édiction sont relevées par PORTALIS : « nous ne faisons pas une loi sur la guérison des personnes menacées ou atteintes d’aliénation mentale : nous faisons une loi d’administration de police et de sûreté », discours à la Chambre des Pairs, A.P. 2e série, séance du 8 février 1838, T. 115, p. 299.

131 Ph. SASSIER , précit., pp. 201 et s., spé. p. 202 ; l’auteur remarque, parallèlement, le recul du terme de “pauvre” en faveur de ceux d’ “ouvrier”, “prolétaire”, “travailleur”, “masses laborieuses”, traduisant en cela l’inscription nouvelle de la misère dans des rapports de production.

132 A. de VILLENEUVE-BARGEMONT, Economie politique et chrétienne, 1834, T.1, pp. 27-28.

133 L. CHEVALIER, Classes laborieuses, classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, Plon, 1958, spéc. pp. 318-325.

134 Par exemple, celui, fameux, de L. de VILLERME, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, J. Renouard, 1840, 2 vol.

135 R. CASTEL, Les métamorphoses…, précit., pp. 217 et s.

136 MALTHUS, Essai sur le principe de population, 1798.

137 F. NAVILLE, De la charité légale, de ses effets, de ses causes, et spécialement des maisons de travail, et de la proscription de la mendicité, 2 T., Dufart, Paris, 1836, spéc. T. 1, p. 27.

sentiment de la dignité humaine, l’énergie qui lutte contre les obstacles, la fermeté qui supporte le malheur, le respect pour les droits de chacun, l’esprit de communauté et la bienveillance mutuelle. Il suffit donc aux institutions politiques d’être fidèles à leur propre mission, pour favoriser la destinée de la classe malaisée; elles ne la servent jamais mieux qu’en assurant le règne des lois, l’ordre général, la paix publique » 138.

Dans cette optique, tout système d’assistance organisée par les pouvoirs publics est honni. Outre le fait qu’elle « ne respecte pas (...) les sentiments de la nature et la dignité de l’homme »139, l’assistance est paradoxalement présentée comme génératrice de misère. Ainsi, pour Duchatel, ministre sous Guizot et éminence grise de Charles X pour les questions sociales, « garantir l’assistance, c’est encourager le vice, la dissipation, le désordre » car « l’action malfaisante de la charité légale répand partout la misère »140. Tocqueville le confirme : « toute mesure qui fonde la charité légale sur une base permanente et qui lui donne une forme administrative crée (...) une classe oisive et paresseuse, vivant aux dépens de la classe industrielle et travaillante »141, détruit le goût du travail et de l’effort, encourage l’immoralité, humilie le pauvre et s’avère destructrice du lien social. Naville abonde dans le sens de Duchatel : pour lui, la misère est préférable à toute charité légale, car celle-ci est assortie de contreparties, qui nuisent à la liberté de l’homme : « la Providence a voulu que l’homme fût libre. (...) Au mépris de cette vérité, maintenant si généralement reconnue, si hautement proclamée, la charité légale, dans les pays même où l’on exalte le plus le droit à la liberté, fait des

indigents autant d’esclaves qu’elle emprisonne dans les cachots

philanthropiques »142. Bref, dans ce refus de la charité légale réside le refus de l’assistance. Il ne saurait être question de transformer en obligation juridique ce qui relève du seul devoir moral. La charité est une vertu morale, et ne saurait être imposée par le droit.

49. Car, sur ce point, tous les auteurs de l’époque sont unanimes : la

bienfaisance privée est nécessaire et les « célestes origines de la charité » sont exaltées143. En effet, contrairement à l’assistance légale, la charité privée « ne saurait produire que des effets utiles. Sa faiblesse même garantit contre ses dangers ; elle soulage beaucoup de misères et n’en fait point naître »144. Une

circulaire de Rémusat145 démontre l’adhésion du gouvernement à l’école

économiste. L’assistance légale y est présentée comme dangereuse, car elle

138 J.-M. GERANDO, De la bienfaisance publique, Renouard & Cie, 1839, T. 1, p. 353.

139 F. NAVILLE, précit., T. 1, p. 100.

140 Ch. DUCHATEL, De la charité dans ses rapports avec l’état moral et le bien être des classes inférieures de la société, éd. Mesnier, 1829, pp. 170 et 173. V. également, pour un tableau de la pensée libérale, F. SCHALLER, De la charité privée aux droits économiques et sociaux des citoyens, La Baconnière, Neuchatel, 1950.

141 A. de TOCQUEVILLE, Mémoire sur le paupérisme, 1835, réed. Revue Commentaire, n° 24, 1983, pp. 883-885.

142 F. NAVILLE, précit., T. 2, p. 35.

143 Ch. DUCHATEL, précit., p. 307, J.-M. GERANDO, précit., T. 1, p. 446, F. NAVILLE, précit., pp. 67 et s.

144 A. de TOCQUEVILLE, précit., p. 888.

145 F.-M. de REMUSAT, Du paupérisme et de la charité légale; lettre adressée à tous les Préfets du Royaume, Renouard & Cie, 1840, p. 25 et 57.

« encourage et accroît le paupérisme au lieu de le diminuer et de le détruire » et ne tarde pas à apparaître aux classes pauvres « comme une espèce de prélèvement légitime, auquel elles ont droit sur la fortune sociale. Alors, plus de prévoyance ni d’économie, et bientôt aussi plus de travail ». En revanche, l’avantage que présente la charité privée est certain : dans ce système d’entraide, « le pauvre n’a jamais la pensée qu’il peut la réclamer comme un droit ».

Cet éloge de la bienfaisance individuelle ne signifie pas pour autant, dans la pensée libérale, une abstention totale des pouvoirs publics ; Tocqueville le reconnaît : devant la montée du paupérisme, « la charité individuelle paraît bien faible ». « Suffisante au Moyen Age », elle est, dans une société industrielle, « un agent puissant que la société ne doit point mépriser mais auquel il serait imprudent de se confier : elle est un des moyens et ne saurait être le seul »146. Si une assistance publique peut être justifiée, c’est à la condition qu’elle repose sur les mêmes fondements moraux que la charité privée, qu’il s’agisse d’une « obligation sacrée »147, d’un devoir moral de la société et non d’une rigoureuse obligation juridique pour la collectivité. L’assistance publique est « une espérance légitime », « une recommandation puissante »148 purement morale que le droit ne saurait établir. D’où l’absence de devoir d’intervention des collectivités, et celle, corrélative, de droit pour les indigents à bénéficier de secours. Charité privée et bienfaisance publique relèvent donc de la même essence morale, et Marbeau, en les mettant sur le même plan, résume parfaitement la situation en matière d’assistance aux indigents : « la charité française est purement volontaire et libérale ; donne qui veut. Elle se divise dans son action en deux parties. Charité administrative, charité privée »149. L’assistance, publique ou privée, étant purement morale, elle est, dans son principe, facultative et, dans ses effets, d’application limitée : elle ne saurait être que locale et individualisée, selon les formes qui conviennent à chaque cas particulier, afin d’instaurer une relation individuelle entre l’indigent et son bienfaiteur.

50. De surcroît, la charité morale présente un avantage social incontestable : elle assure « la concorde entre les riches et les pauvres », une « harmonie sentimentale entre les deux classes opposées »150. Par le sentiment de reconnaissance qu’elle entraîne chez l’indigent, elle contribue à fonder un ordre social homogène, une cohésion151. « Qu’est-ce que la charité? », s’interroge Gérando, « une relation de bienfaisance d’un côté, de reconnaissance de l’autre », facteur éminent d’harmonie : charitable, « le riche cesse de mépriser la pauvreté, et le pauvre apprend à pardonner à la richesse »152. « Secourir les pauvres », poursuit Marbeau, « c’est un moyen de gouverner, un moyen puissant de contenir la partie la plus

146 A. de TOCQUEVILLE, précit., p. 888.

147 J.-M. GERANDO, précit., p. 2.

148 J.-M. GERANDO, précit., pp. 468-469.

149 F. MARBEAU, Du paupérisme en France et des moyens d’y remédier, ou principes d’économie charitable, Comptoir des Imprimeurs, 1847, p. 137.

150 Ph. SASSIER, précit., pp. 258-259.

151 V. en ce sens J.-M. GERANDO, précit, p. 469 : seule compte la charité facultative, car elle instaure ce qu’il y a « de plus honorable, et par conséquent de plus précieux, le commerce entre la reconnaissance et le bienfait »; V., dans le même sens, F. NAVILLE : dans un système d’assistance légale, « quelle reconnaissance (le pauvre) aurait-il d’un bienfait qui n’est à ses yeux que le paiement d’une dette? » (précit, T. 1, p. 66).

difficile de la population, et de rendre meilleures toutes les autres parties »153. En un mot, la charité devient instrument politique. Là réside la grande nouveauté introduite par les libéraux du début du XIXe siècle, et qui s’avérera fondamentale : avoir fondé, par une nette distinction entre le droit et la morale, une « politique sociale sans Etat »154.

2- Tutelles et patronage, une politique sociale sans Etat

51. Les libéraux n’ont de cesse de rejeter le traitement de la pauvreté hors de la sphère du droit. Gérando le martèle, « il n’est pas plus au pouvoir de la constitution politique la plus parfaite, de prévenir tous les cas de dénuement, que de prévenir les maladies, les épidémies, les tempêtes. Ces institutions, en effet, n’exercent aucune influence directe sur le sort des indigens (sic). On décréterait en vain comme loi du pays, que le pays n’aura point d’indigens ; la loi resterait tracée sur le marbre ou l’airain ; elle ne sécherait pas les larmes de l’orphelin, ne calmerait pas les douleurs de l’infirme. (...) Il n’est au pouvoir des institutions politiques, ni de créer le travail lorsque les circonstances économiques du pays s’y refusent, ni de donner la faculté du travail à ceux que l’âge ou les infirmités en rendent incapables, ni de commander la charité privée, ni de la remplacer »155. Pourtant, devant le froid constat des graves troubles occasionnés par le paupérisme (a), les libéraux instaurent une prise en charge de la misère fondée sur des mécanismes juridiques de tutelle (b). a- Le constat libéral des désordres induits par le paupérisme

52. Les premières dénonciations de la condition catastrophique du prolétariat naissant ne sont pas le fait des “pré-socialistes” athées ou chrétiens, mais des conservateurs et des modérés. Les très nombreux enquêtes et rapports qu’ils diligentent soulignent la « menace à l’ordre politique et moral »156 que constitue le paupérisme. Un paupérisme entendu par ailleurs très largement : les historiens relèvent la confusion introduite à cette époque par les débuts de l’industrialisation dans la représentation sociale de la pauvreté. « Dans la populace, on voit autant les classes laborieuses que ce prolétariat en haillons dont parlera bientôt Marx »157, réunis en une vaste entité mal définie mais perçue comme profondément à l’écart de cet ensemble de valeurs morales et sociales sur lesquelles s’épanouit la société bourgeoise, et, de ce fait, dangereuse. Dangereuses, les “sinistres légions de la misère et de l’ignorance” évoquées par Eugène Sue le sont en effet : politiquement, d’abord, car toujours prêtes à se révolter contre leur état158 ; sanitairement, ensuite, car dégradées physiquement et vivant dans des taudis infects d’où naissent les épidémies159 ; moralement, enfin : les écrits de l’époque dépeignent des prolétaires

153 F. MARBEAU, précit., p. 88.

154 R. CASTEL, Les métamorphoses..., précit., p. 217.

155 J.-M. GERANDO, précit., p. 350.

156 A. de VILLENEUVE-BARGEMONT, Economie politique chrétienne ou recherches sur le

paupérisme, 1834, p. 25.

157 A. GUESLIN, Gens pauvres, pauvres gens dans la France du XIXe siècle, Aubier, 1998, p. 99.

158 Sur ce point, V. les comptes rendus de police cités par L. CHEVALIER, précit., pp. 318 à 323 ou les recherches de A. GUESLIN (précit.) mettant en évidence de nombreux témoignages de cette angoisse “physique” et le climat général de réaction sécuritaire qui en découle.

159 L’époque marque le début des préoccupations hygiénistes comme en témoigne la réflexion de Johan Peter FRANCK, La misère du peuple est la mère des maladies, 1790, insistant sur le lien entre le progrès

débauchés, alcooliques, paresseux, irresponsables et dépensiers160, des individus « qui pourrissent dans la saleté », « retombés à force d’abrutissement dans la vie sauvage », dignes « plus de dégoût que de pitié », bref de « barbares »161 selon Buret, qui, effrayé par son propre constat, ajoute : « il faut ou trouver un remède efficace à la plaie du paupérisme, ou se préparer au bouleversement du monde »162. Ce remède est tout trouvé pour les libéraux : il réside dans la nécessaire tâche de moralisation du prolétariat naissant.

b- La moralisation par la tutelle

53. Dans l’ordre libéral, la bienfaisance a une fonction bien définie : moraliser

le pauvre, cet individu débauché et irresponsable. Ainsi, un auteur de 1805 rappelle qu’il n’est pas question de procurer au pauvre « ce que l’on appelle l’aisance, si vous lui ôtez tous les maux de l’indigence, ainsi que la honte de la mendicité, il ne retournera que trop à sa première indolence. L’indigent doit être traité comme les enfans (sic) par des privations, il doit être surveillé, dirigé dans ses principales actions »163. Dans cette conception paternaliste de l’assistance, au sens plein du terme puisque le pauvre est assimilé à un enfant164, la relation instaurée par la bienfaisance est un rapport de « subordination réglée »165 fondateur de l’ordre social. Ainsi, Guizot peut-il affirmer : « la supériorité sentie et acceptée, c’est le lien primitif et légitime des sociétés humaines ; c’est en même temps le fait et le droit ; c’est le véritable, le seul contrat social »166. Or, ce lien cherché par les libéraux pour conjurer le risque de dissociation de l’ordre social occasionné par le paupérisme est offert par la bienfaisance. Duchâtel l’affirme expressément, celle-ci est avant tout « une sorte de tutelle »167 qui se traduit par des mesures de surveillance et de moralisation.

Surveillance, tout d’abord. Elle est expressément prônée par Doe, selon qui la bourgeoisie doit être pour l’indigent tout à la fois « un censeur et un bienfaiteur »168. Outre l’établissement de forces de police structurées, dont l’efficacité dans la surveillance des milieux populaires se vérifie au très faible nombre de situations où elle fut surprise par des émeutes de la faim169, deux dispositions juridiques

de l’hygiène, la prospérité générale et la lutte contre la misère. Sur les interventions de l’Etat en matière d’hygiène publique, V. infra, § 63.

160 Ph. SASSIER, précit., pp. 222-228.

161 E. BURET, De la misère des classes laborieuses en France et en Angleterre, 1840, T. 1, p. 70.

162 E. BURET, précit., p. 98.

163 M. DOE, Traité sur l’indigence, Renard, 1805, p. 42.

164 J.M. GERANDO reprend la même idée : « la Providence a voulu (...) que le malheur fût placé sous le patronage, sous la tutelle de la prospérité; mais elle a voulu que la société fût constituée moralement comme la famille : que, dans l’une comme dans l’autre, le faible appartint (sic) au fort à titre d’adoption

(...) La pauvretéest dans la première ce que l’enfance est dans la seconde » (Le visiteur du pauvre, L. Colas, 1820, p. 9).

165 R. CASTEL, L’ordre psychiatrique, l’âge d’or de l’aliénisme, Ed. de Minuit, 1978, p. 49.

166 F. GUIZOT, Des moyens de gouvernement et d’opposition dans l’Etat actuel de la France, 1821, p. 164.

167 Ch. DUCHATEL, précit., p. 29.

168 M. DOE, précit., p. 42.

169 V. sur ce point : L. CHEVALIER, précit., et J.-C. CARON, La Nation, l’Etat et la démocratie en France de 1789 à 1914, A. Colin, pp. 166-167.

permettent le contrôle du prolétariat170 : le livret d’ouvrier et le règlement d’atelier. Le premier, créé sous Napoléon171, avait, jusqu’à son abolition en 1890, pour objectif de contrôler la mobilité ouvrière. Nécessaire à l’embauche, portant mention des dettes contractées auprès de l’employeur, c’est non seulement un instrument de contrôle pour le patronat, mais aussi pour les forces de l’ordre172. Quant au règlement d’atelier, R. Castel souligne combien, par la dérogation qu’il instaure au droit commun du Code Civil, « il exprime clairement cette volonté d’absorption du public dans le privé en quoi consiste la tutelle patronale », notamment lorsqu’il contient, outre des dispositions techniques d’hygiène et de sécurité, des prescriptions à caractère moral et policier173.

L’ouvrier et le pauvre, ainsi contrôlés et surveillés, font également l’objet de tentatives de moralisation. En effet, la bienfaisance ne doit pas, dans l’esprit de l’époque, se contenter d’assister l’indigence : « ce qu’elle doit produire, c’est une conversion »174. Ce souci de rendre vertueuse cette classe présentée comme débauchée et immorale se manifeste à travers les thèmes de l’éducation et de la prévoyance. La première est perçue non seulement, dans un souci disciplinaire, comme un moyen de diminuer « les frais de police et de journées de prison à payer »175, mais aussi, dans une perspective moralisatrice, comme « un des moyens les plus propres à relever les classes inférieures de l’abjection où elles sont plongées ; c’est à elle que revient la mission d’effacer les souillures de l’âme humaine »176. Aussi n’est-il pas étonnant de trouver une mesure de la Convention restée lettre morte réalisée par un homme politique tel que Guizot177. La perspective est toute différente : il ne s’agit plus d’assurer, comme en 1793, le droit à une instruction primaire gratuite et obligatoire comme un droit de l’homme, mais bien

Dans le document Le droit public face à la pauvreté (Page 52-60)