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B. LES INTERPRÉTATIONS DES GÈNES : DU DISCOURS BIOLOGIQUE AU

III. Les interprétations idéologiques des gènes

3. Du transgénisme au transhumanisme

3.1. Le transgénisme

Des découvertes inouïes et inédites ne cessent de révolutionner de jour au jour les différents champs de connaissances. Les scientifiques ne lésinent pas sur les moyens forçant ainsi les verrous pour ouvrir les perspectives scientifiques sur des espaces éloignés de notre quotidien. Ils ne se donnent pas de répit pour accélérer le processus de

177Peter Sloterdijk, La domestication de l’être, Trad. de O. Mannoni, Paris, Mille et une nuit, 2000, p. 99. 178 Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Trad., de O. Mannoni, Paris, Mille et une nuit, 2000, p.40 179 Voir, Supra, p.11.

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transformation, de déconstruction et de reconstruction afin de couper le cordon ombilical avec l’ordre existant et en place. Ainsi, après les plantes et les animaux transgéniques, les biosciences sont en voie de créer des hommes et des femmes qui porteront dans leur patrimoine héréditaire des gènes introduits par des biologistes et qui seront transmis aux générations futures. Des gènes « à haute valeur ajoutée », protégeant contre des pathologies tout en accordant à l’homme des habiletés intellectuelles et physiques sont désormais disponibles dans les laboratoires. Cette ambition, démesurée, disons démiurgique n’était pas du goût de tout le monde. Des généticiens de renom ont brisé le tabou de la manipulation de l’espèce humaine. Pour la première fois, French Anderson, James Watson et d’autres figures de la génétique américaine sont favorables à la thérapie génique dite « germinale », une méthode qui consiste à améliorer la constitution génétique de la lignée du patient. Dans le cas de la thérapie génique dite « somatique » dont nous avons parlé plus haut, on tente de traiter le patient comme on le ferait avec un médicament180. La méthode consiste à introduire un gène dans certaines cellules (peau, muqueuses, muscle, sang), pour produire une substance thérapeutique. L’objectif de la thérapie vise à réparer un déficit dû à une pathologie génétique ou de consolider les aptitudes de certaines cellules à détruire les agents pathogènes, à anéantir certains virus, etc.

De toutes les manières, la technique de cette thérapie est moins équivoque que ne l’est la thérapie germinale car les cellules cibles de cette manipulation sont « somatiques » et ne seront pas transmises à la génération à venir mais elles sont destinées à mourir en même temps que l’individu. Le devenir de l’espèce humaine avec cette thérapie n’est donc pas essentiellement en danger et altéré. Par contre, la thérapie génique germinale en faveur de laquelle plaident les généticiens américains reste problématique. Là, le but n’est pas de traiter un malade, mais un embryon atteint, par exemple, d’une maladie génétique. La technique de cette thérapie consiste à adopter celle utilisée dans la fabrication des bovins, des porcs, des moutons et les poissons transgéniques pour obtenir un embryon par fécondation in vitro après avoir injecté dans chacune des cellules malades un exemplaire du gène réparateur. Le résultat obtenu de cette technique est un bébé transgénique dont toutes les cellules portent ce gène « ajouté », y compris les spermatozoïdes ou ovules qui seront

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transmis aux générations futures. Les arguments ne font pas défaut quand il s’agit de plaider pour la génothérapie germinale. Aux dires des chercheurs américains, cette manipulation aurait de nombreux avantages. Primo, elle reste plus efficace que la thérapie génique somatique d’autant qu’elle n’arrive pas à toucher un nombre suffisant de cellules. Toutes les cellules du futur individu sont modifiées à partir de la manipulation du jeune embryon. Mieux encore, la génothérapie germinale permet d’insérer des centaines de gènes dans l’ADN d’un embryon à partir de la greffe de chromosomes artificiels humains, construits de toutes pièces. Secundo, elle va plus loin que le simple désir de guérir une maladie génétique mais de doter les individus de gènes de résistance à toutes sortes de pathologies (maladies infectieuses, cancers). La voie est ainsi ouverte aux manipulations destinées non à guérir, mais à améliorer les performances physiques, intellectuelles de la lignée. Le pionnier de la thérapie génique, French Anderson a été le seul, selon la revue scientifique Nature, à mettre en garde contre une future confusion entre thérapie et amélioration génétique181. En dépit de cet avertissement, les tentations demeurent. Mais, reste à savoir si l’homme peut devenir l’objet de sa propre technique pour se programmer lui-même ? A-t-il le droit d’agir sur l’évolution des espèces en l’occurrence la sienne propre, l’espèce humaine ? Les progrès en matière d’amélioration de ses conditions de vie, de lutte contre les maladies ou de développement de ses performances peuvent-ils justifier de transformer la nature de façon irréversible, en ignorant les lois de la sélection naturelle et les barrières inter-espèces182, se demandait Jean-François Mattei ?

Certes, la transgenèse de l’homme défendue par ces éminents généticiens américains parait salutaire dans la mesure où elle permettait « soit de pallier des déficiences dues à des

maladies, soit d’améliorer les performances et les qualités humaines »183. Toutefois, les perspectives envisagées par une telle technique peuvent faire craindre que les espoirs suscités ne répondent pas en fait, « qu’à un souci de normalisation et d’aseptisation de

l’espèce »184.Qui choisira les qualités à promouvoir et les comportements à bannir, qui décidera des déficiences pathologiques et des défauts acceptables, bref, qui sera

181Corinne Bensimon, « La tentation de l’homme transgénique. D’éminents généticiens américains envisagent de manipuler l'embryon humain », in Libération, Mars 1998.

182Jean-François Mattei, Questions d’éthiques biomédicales, Paris, Flammarion, 2008, p. 352-353. 183Idem, p.353.

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responsable des actes de l’homme transgénique ? Sera-t-il un homme libre, par conséquent responsable ? Pis encore, que les décideurs soient les individus pour leur propre descendance ou les États pour des questions d’ordre social, un tel pouvoir n’exclut pas la possibilité d’en faire usage à des fins eugéniques et discriminatoires.

Ces questions suscitent d’autres interrogations. L’être humain a-t-il le devoir de protéger son propre génome ? Doit-il veiller à le transmettre inaltéré aux générations futures dans la mesure où la molécule d’ADN étant par essence instable, multiple, évolutive et soumise à des mutations ? Nous voulons nous abstenir de savoir si l’homme a le droit ou le devoir de pallier les déficiences génétiques infligées par la nature en luttant contre les maladies. Mais, il est à souligner au passage qu’une possible reprogrammation de l’être humain par les manipulations de son génome consisterait à faire abstraction de sa complexité biologique, psychique et sociale.