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2. LA PARTICIPATION DE LA JEUNESSE AUX PROCESSUS DE CHANGEMENT

2.2. Une jeunesse désengagée ou dépolitisée ?

3.1.1. Le rôle historique de la jeunesse éduquée

Les luttes anticoloniales en Afrique ont laissé dans les esprits l’image d’étudiants engagés dans les combats politiques et culturels pour la liberté des peuples et le Burkina Faso ne fait pas exception en la matière. Au moment des indépendances, ces étudiants jouissant d’un statut privilégié ont investi les positions de pouvoir laissées vacantes suite au retrait de l’administration coloniale

1

Ibid., p.6-7. 2 Ibid. 3

et ont donc occupé des positions privilégiées au sein des nouvelles instances de direction administratives, politiques, économiques et sociales, constituant ainsi

« l’ossature de la bureaucratie en gestation ».1

« Le savoir inédit appris en Occident leur confère désormais statut et autorité sur leurs concitoyens. Nantis du prestige des diplômes ramassés au cours de leurs études, ils se posent en élites nouvelles de leurs sociétés, et accumulent le pouvoir sur la masse de leurs compatriotes. »2

Ce passage de l’opposition au pouvoir et les déceptions qui l’ont accompagné expliquent en partie que la figure des « jeunes évolués »3 ait été reléguée au second plan dans les hiérarchies du prestige. En effet, l’écart entre les changements revendiqués au cours des luttes anticoloniales et les changements effectifs mis en œuvre par les élites postcoloniales ont fait naître une certaine déception et ces nouvelles élites furent considérées comme néo-impérialistes. La domination de ces « évolués » sur le reste de la société qui a découlé de l’acquisition de ce « capital

scolaire » est allée de paire avec une « accumulation du capital au sens propre du terme ».4 Les déceptions actuelles quant aux titres scolaires doivent donc être

analysées au regard de ce « fond historique »5.

« Principaux rentiers indigènes des décolonisations africaines, cette élite s’est placée en dehors de son peuple et a fait preuve de son incapacité à se constituer en porte-parole des siens, à renaître aux préoccupations quotidiennes des hommes de sa société, se mettant à l’écoute de celle-ci, lisant et traduisant ses angoisses, se situant par rapport à eux dans une sorte de lien organique. Les jeunes générations n’ont pas fini d’assumer les retombées de ce qui apparaît aujourd’hui comme la faillite des intellectuels africains vis-à-vis de leurs peuples. Ce qui est résulté des années

1

BIANCHINI Pascal, École et politique en Afrique noire. Sociologie des crises et des réformes du système

d’enseignement au Sénégal et au Burkina Faso (1960-2000). Paris : Karthala, 2004, p. 39.

2 MBEMBE Joseph-Achille, Les jeunes et l’ordre politique… Op. cit., p. 49. 3

Cette terminologie était celle employée par l’administration coloniale. 4

BIANCHINI Pascal, École et politique en Afrique noire. Op. cit., p. 40. 5 MBEMBE Joseph-Achille, Les jeunes et l’ordre politique, Op. cit., p. 50.

d’engagement anticolonial participe encore à décrédibiliser toute tentative faîte aujourd’hui par les jeunes de remettre en question les pouvoirs africains. Les contestations étudiantes sont jugées par référence aux expériences de leurs aînés et perçues comme des agitations puériles qui disparaissent une fois qu’ils sont au pouvoir. »1

De plus, dans les esprits, si les générations étudiantes des indépendances et des années qui suivirent se battaient pour des idéaux de liberté et d’épanouissement d’un peuple jusque-là asservi puis pour le multipartisme et la démocratie, les générations actuelles luttent essentiellement pour des conditions de vie meilleures et leur intégration au système de domination. Les mobilisations des jeunes éduqués se basent plus sur la négociation de leur insertion individuelle que sur la remise en cause de l’ordre établi.

« Les utopies qui, hier, mobilisaient les jeunes (socialisme, unité africaine, indépendance nationale …) s’effondrent et se brisent. L’on se trouve face à une génération sans mémoire ni références historiques. »2

Ainsi, les thématiques actuelles sont liées aux conditions de vie et d’étude des étudiants et à la réduction des opportunités d’embauche qui s’offrent à eux3, suite au « dégraissage » de la fonction publique découlant notamment des PAS, au faible développement du secteur privé et aux dévaluations successives du franc CFA. Cette évolution dans les thématiques mobilisatrices des étudiants débute dès les années quatre-vingt-dix où les mouvements étudiants ont souvent pour point de départ des revendications matérielles sur lesquelles vient ensuite se greffer l’exigence démocratique afin de donner de l’ampleur et une certaine visibilité au mouvement. Les populations qui considéraient souvent la jeunesse éduquée comme un véritable espoir pour les sociétés africaines ont globalement revu leur jugement vis-à-vis de celle-ci, considérant désormais souvent les luttes étudiantes comme

1 Ibid., p. 49-50. 2

Ibid., p. 55-56. 3

MOTHES Patrice, Enseignement supérieur et élites en Afrique noire francophone. Bordeaux : Institut d’Études Politiques, 1992, p. 38.

puériles et superficielles, voire comme déplacées au regard de la nature matérielle des revendications, alors même que le statut des étudiants en fait des débiteurs vis- à-vis de la société. Cependant, il convient de noter que les autorités ont largement participé à ce travail de décrédibilisation de la jeunesse éduquée en développant des stratégies de stigmatisation de celle-ci. Ainsi, dans les années ayant suivi les indépendances, alors que les mouvements étudiants dénonçaient la nature impérialiste des pouvoirs en place, les autorités veillaient à présenter cette même jeunesse comme néo-impérialiste. La majorité des jeunes africains qui portèrent les revendications des années soixante étant étudiants en France, cela a permis aux dirigeants de critiquer leurs revendications. Cet extrait d’une réponse adressée par le Président de la Haute-Volta de l’époque, Maurice Yaméogo1, à l’Union Générale des Étudiants Voltaïques (UGEV) concernant l’organisation d’un congrès en juillet 1964 en est représentatif.

« Dans votre cas particulier, à vous et à vos collègues de sang à tout prix, cette inconscience politique se double d’une déviation mentale qui ne peut-être pardonnée ; vous avouez être les colonialistes les plus éhontés. […] Un État conscient ne peut se permettre de continuer à nourrir ceux qui ne rêvent que de le détruire. […] Par votre faute, la pratique du colonialisme entraînant des conséquences colonialistes, nous serons obligés de recourir encore plus longtemps à des étrangers, alors que le Gouvernement avait le droit de supposer qu’il avait des étudiants en cours de formation pour l’indispensable relève. […] Je n’ai aucun compte à vous rendre car, en tant qu’étudiants vous occupez encore la situation de débiteurs au regard de la société voltaïque. »2

De même, le Capitaine Thomas Sankara, dans un discours de politique générale portant sur l’indépendance économique et culturelle au Burkina Faso et prononcé au moment de son installation à la tête de l’État, en 1984, décrivait l’école en ces termes :

1

Maurice Yaméogo, premier Président de la Haute-Volta a été en poste de 1959 à 1966.

2 YAMEOGO Maurice, Lettre à Monsieur le Président de l’AEVF. Ouagadougou : Secrétariat Permanent de la Présidence, 10 juin 1964, p. 1-3.

« C’est l’appareil privilégié de pénétration idéologique de la colonisation. Sous couvert d’humanisme et de progrès, elle permet l’acculturation directe au profit de la culture dominante. »1

L’histoire ne peut expliquer à elle seule les déceptions liées à la figure du « jeune éduqué » et la prise en compte de la situation actuelle du pays constitue également un élément de compréhension fondamental. Si cette crise est en partie liée aux déceptions concernant le « rôle historique joué par le capital scolaire

délivré par l’école occidentale »2 elle ne peut être réduite à cette seule dimension. La crise générale des systèmes d’enseignement au Burkina Faso explique également la réduction des espérances placées dans l’éducation de la jeunesse et la détérioration de l’image des étudiants burkinabè.