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1. CHANGEMENTS ET PROCESSUS DE MARGINALISATION DE LA JEUNESSE

1.1. Les jeunes: objets des processus de changement

1.1.2. L’allongement de la jeunesse

L’allongement de la jeunesse, processus mis en avant dans de nombreuses études portant sur la jeunesse dans des contextes variés, découle de la tendance au recul des principales étapes marquant l’entrée dans la vie adulte. Comme nous l’avons déjà dit, il s’agit essentiellement du mariage et de l’accession à l’indépendance économique. Nous allons donc détailler successivement les évolutions propres à chacune de ces deux étapes dans le contexte burkinabè.

1.1.2.1. Le recul de l’âge du mariage

La tendance au recul de l’âge du mariage est manifeste, comme le prouvent ces chiffres tirés du dernier recensement général de la population qui date de 2006.

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Courbe d’évolution de l’âge moyen au premier mariage (1975-2006)1

Si l’âge du premier mariage se révèle relativement constant pour les hommes selon ces statistiques, nous notons bien le retardement de celui-ci pour les femmes comme le confirme également le tableau récapitulatif ci-dessous.

Évolution de l’âge moyen du premier mariage au Burkina Faso2

1960 1975 1985 1991 1996 2006 Hommes (en années) 26,0 27,2 26,9 27,9 26,7 26,9 Femmes (en années) 16,9 17,3 18 18,8 18,7 19,6

Ce recul de l’âge du mariage trouve précisément ses racines dans les changements à l’œuvre en milieu urbain burkinabè.

La première cause majeure de cette tendance est l’augmentation du nombre de jeunes fréquentant le système d’enseignement ainsi que l’allongement de la durée moyenne des études.

La scolarisation constitue l’un des facteurs essentiels de modification des modalités de passage de la jeunesse à l’âge adulte et elle a contribué à l’émergence récente de la catégorie jeune au Burkina Faso en participant à la transformation du schéma classique du cycle de vie.

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INSD, Femmes et Hommes au Burkina Faso. Ouagadougou, INSD, avril 2010, p.17.

2 INSD, Tableau 03.07 : Evolution des indicateurs de nuptialité. Sources : INSD, Enquêtes démographiques (1960/61 et 1991), Recensements (1975, 1985, 1996 et 2006) et Enquêtes démographiques et de santé (1993). (Disponible sur www.insd.bf )

L’augmentation des taux de scolarisation est allée de paire avec une prolongation de la scolarité puisque les élèves inscrits dans l’enseignement primaire sont de plus en plus nombreux à atteindre le niveau secondaire et même l’enseignement supérieur comme en attestent ces chiffres.

Taux de scolarisation dans l’enseignement burkinabè1

Enseignement primaire Enseignement secondaire Enseignement supérieur 1960 6,7 n.c n.c 1975 35,7 n.c n.c 1994 n.c 11,2 n.c 2000 n.c n.c 0,8 2003 47,5 15,6 2,1 2006 57,82 17,73 2,54 n.c: non communiqué

Même si un fort taux d’abandon scolaire semble ressortir de ces données, la proportion de jeunes inscrits au primaire qui atteignent les niveaux secondaire puis supérieur ne cesse d’augmenter. Cet allongement de la durée des études produit mécaniquement un retardement des principaux événements marquant l’entrée dans la vie adulte à savoir le mariage et l’indépendance économique et donc un allongement de la jeunesse.

Le retardement de l’âge du mariage est aussi le fait d’une émancipation des jeunes et notamment des jeunes femmes vivant en milieu urbain qui remettent en cause le schéma traditionnel du mariage.

Elles prennent de plus en plus possession de leur corps en nouant des relations choisies selon leurs propres critères. Ainsi, le schéma du mariage arrangé par l’entourage familial des jeunes époux a fortement perdu de sa validité en milieu urbain. D’ailleurs, comme le note Isabelle Sévédé-Bardem,5 les jeunes hommes issus

1 BEN YAHMED Danielle, Atlas du Burkina Faso. 1ère éd. Paris : Editions du Jaguar, 2005, p. 106-107. 2

OUEDRAOGO Mathieu, RIPAMA Toubou, Etat et structure de la population. Op. cit., p. 18. 3

INSD, Tableau 05.36 : Evolution du taux brut de scolarisation dans l’ensemble du secondaire (en %). Disponible sur www.insd.bf

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INSD, Tableau 05.55 : Evolution du taux brut de scolarisation dans l’enseignement supérieur (en %). Disponible sur www.insd.bf

5 SEVEDE-BARDEM Isabelle, Précarités juvéniles en milieu urbain africain à Ouagadougou. Paris : L’Harmattan, 1997, 255 p.

des classes populaires se plaignent souvent de la tournure prise à ce niveau en dénonçant la vénalité des jeunes femmes qui nouent de plus en plus souvent des relations avec la garantie de recevoir une contrepartie matérielle leur revenant directement. Lors de nos observations au sein des grins, nous avons fait le même constat. La majorité des jeunes hommes évoquaient avec amertume la dégradation des relations avec les femmes et les difficultés à trouver une épouse lorsque l’on ne dispose pas d’un minimum de moyens financiers. Les femmes disposent donc de plus en plus librement de leur corps, le mettant au service de leurs intérêts et non plus forcément de celui de leur entourage et repoussant au maximum l’âge où elles deviendront épouses et mères. Au-delà de l’attitude des femmes, le mariage est de plus en plus difficilement accessible pour les jeunes hommes ne disposant pas d’une certaine base économique car fonder un foyer suppose en général d’assumer les dépenses pour le couple et les enfants qui naîtront, les épouses devenant le plus souvent femmes au foyer ou ne menant des activités générant que très peu de ressources. Beaucoup de jeunes hommes choisissent donc d’eux-mêmes de ne pas se lancer dans un mariage en milieu urbain sans un minimum de garanties ce qui a de lourdes conséquences sur la place occupée par ces jeunes dans la société.

« En milieu urbain, un des éléments clés d’intégration sociale des jeunes adultes que constitue le mariage devient fortement problématique, apparaît de plus en plus comme inaccessible. Dans de telles conditions, il est clair qu’une partie du célibat qui touche les jeunes des villes est subi. Il ne résulte pas d’aspirations mais provient de la précarité économique qui marginalise les jeunes en les empêchant d’accéder grâce au mariage, au statut de chef de famille ou à celui d’épouse. Car ne pas pouvoir se marier, c’est se voir refuser une véritable intégration sociale, être victime d’une individualisation dictée par les contraintes économiques, ne pas être reconnu comme un véritable adulte et subir une certaine marginalisation de la part de l’entourage familial. »1

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Cet extrait d’un entretien mené par Isabelle Sévédé-Bardem avec un jeune homme illustre bien l’ensemble de ces difficultés liées au mariage en milieu urbain burkinabè.

I: « Et si un jour tu gagnes beaucoup d’argent, que vas-tu faire ? B: Je vais me marier.

I: Tu as déjà quelqu’un en vue ?

B: Non, puisque je n’ai pas d’argent. (…)

I: Et si toi tu avais de l’argent, tu serais marié actuellement ? B: Oui, je serais marié.

I: Avec qui ?

B: Avec celle qui allait m’aimer. Quand l’argent vient, tu trouves celle que tu vas marier. En ce moment, elles viennent hein, elles viennent ! ».1

Le recul de l’âge du mariage en milieu urbain burkinabè doit également être analysé au regard d’autres éléments ayant trait à l’évolution des choix matrimoniaux. En effet, le contrôle de ceux-ci par les aînés semble souvent céder la place, sans disparaître totalement pour autant, à des formes d’union prise à l’initiative des jeunes. Ainsi, mariages arrangés et mariages forcés semblent perdre du poids face aux mariages de choix, aux mariages imposés par les jeunes à leurs parents et aux unions libres.2 Tout comme sa nature, le moment du mariage fait également plus souvent l’objet d’un choix de la part des jeunes et, indépendamment des difficultés d’ordre économique, ceux-ci développent une tendance au mariage plus tardif.

Le deuxième indicateur et facteur d’allongement de la jeunesse est le recul de l’âge d’accession à l’indépendance économique qui est lié à l’allongement de la durée des études, comme nous l’avons souligné un peu plus tôt mais également et surtout à la précarisation générale du contexte économique burkinabè.

1

SEVEDE-BARDEM Isabelle, Précarités juvéniles en milieu urbain…, Op. cit., p. 62-63.

2 ATTANÉ Anne, Choix matrimoniaux : le poids des générations. L’exemple du Burkina Faso. In ANTOINE Philippe (éd.), Les relations intergénérationnelles… Op. cit., p. 13.

1.1.2.2. Une indépendance économique de plus en plus difficile à atteindre

Comme nous venons de le voir, mariage et indépendance économique constituent par bien des aspects les deux faces d’une même pièce. En effet, en milieu urbain burkinabè, pour un jeune homme, accéder au mariage suppose bien souvent de jouir d’une certaine situation économique minimum pour subvenir aux besoins de la famille nouvellement fondée ou trouver une partenaire. Or, cette indépendance économique semble de plus en plus difficile à acquérir du fait d’une précarisation générale de la population burkinabè comme en atteste l’évolution de l’incidence de la pauvreté dans ce pays.

Évolution de l’incidence de la pauvreté au Burkina Faso (1994-2003)1

Seuil de pauvreté (En F. CFA)

Incidence de la pauvreté (% de la population vivant sous le

seuil de pauvreté)

1994 41.099 44,5

1998 72.690 45,3

2003 82.672 46,4

Les résultats des trois enquêtes prioritaires, effectuées en 1994, 1998 et 2003 mettent en évidence une aggravation de l’incidence de la pauvreté. Sur la base d’un seuil absolu de pauvreté estimé à 82.672 F. CFA en 2003 contre 72 690 F. CFA par adulte et par an en 1998, la proportion des pauvres est passée de 45,3 % à 46,4 % soit une aggravation de 1,1 point. Comparativement à 1994, la pauvreté s’est globalement accentuée de 2 points étant donné qu’en 1994, son incidence était estimée à 44,5 % pour un seuil de 41.099 F. CFA par adulte et par an.

L’étroitesse du marché du travail burkinabè constitue un élément central provoquant tant le recul de l’âge du mariage que celui de l’indépendance économique.

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L’adoption par le Burkina Faso d’un Plan d’Ajustement Structurel (PAS) au début des années quatre-vingt-dix est venu aggraver la pauvreté qui touche le pays. La politique budgétaire mise en œuvre reposait notamment sur la restriction des dépenses publiques qui a diminué les perspectives d’emploi des jeunes ayant achevé leurs études notamment au sein de la fonction publique qui constituait pourtant la principale source de débouchés pour ces jeunes diplômés. De plus, la privatisation des entreprises publiques a eu un effet social négatif puisqu’elle s’est soldée par la liquidation de nombre d’entre elles et donc la perte de postes à pourvoir qui n’a pas été compensée en nombre par les emplois créés au sein des entreprises ayant résisté à la privatisation.

« Les entreprises cédées ont non seulement conservé leur niveau de main-d’œuvre, mais ont créé des emplois supplémentaires. En rapprochant leurs effectifs à leur date de privatisation et au 31 décembre 1999, il apparaît un solde positif de 200 emplois. Par contre, les liquidations ont entraîné une perte de 500 emplois même si les entreprises liquidées étaient pour la plupart, en arrêt d'activité et les employés mis au chômage technique ou ayant même perçu leurs droits avant la décision de liquidation. Cet aspect social des privatisations constitue de ce fait, une de ses conséquences négatives. »1

Il découle de cette réduction des possibilités d’insertion économique finales une confrontation certaine et particulière de la jeunesse au chômage et au sous-emploi.

Le chômage au Burkina Faso2

Taux de chômage (définition BIT)3 15,4 % Taux de chômage au sens large 22,4 % Taux de chômage des 15-29 ans (BIT) 23,1 % Proportion de chômeurs de longue durée 73,5 %

Taux de sous-emploi global 75,1%

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SOME S-A., Eléments d’évaluation des programmes d’ajustement structurel (PAS) au Burkina Faso. Ouagadougou : CAPES, Nov. 2003, p. 35. Disponible sur : http://www.rgcb.org/IMG/pdf/Evaluation-PAS-2.pdf

2 INSD, Enquête 1-2-3, 2001. Disponible sur http://www.insd.bf/ 3

« Si l’on veut être actif, mieux vaut ne pas être jeune, ne pas être une femme et sans qualification. En ville, 8,9% de la population active est sans emploi, les plus touchés étant les 15-24 ans (14,4%) et les 25-35 ans (9,6%), ainsi que les femmes (11,6%, contre 6,2% pour les hommes). »1

Le retardement de l’âge du mariage des jeunes hommes doit également être abordé sous un angle différent. Bien souvent, celle-ci ne repose pas sur la dépendance économique des jeunes mais sur celle des adultes et des familles en règle générale. Ainsi, de nombreux jeunes hommes actifs sont confrontés à la nécessité de faire face à la dégradation des conditions de vie des foyers en mobilisant les ressources qu’ils génèrent pour la famille d’origine et non pour une éventuelle famille fondée par ses soins. Le prolongement de la cohabitation familiale est alors le résultat de la dégradation générale des conditions de vie des familles urbaines.2

Finalement, non seulement les jeunes sont confrontés à un retardement subi de l’entrée dans l’âge adulte mais ils sont aussi confrontés à la désynchronisation des étapes classiques du cycle de vie dont la principale division est l’opposition jeunesse – âge adulte. En Afrique et au Burkina Faso, du fait des changements profonds affectant le milieu urbain, les jeunes opèrent des sortes d’allers-retours entre ces deux catégories.

« Young people constantly cross the frontier between childhood and adulthood. As they actively create and recreate their roles in the face of changing conditions, they blur that social divide. »3

Contrairement à la construction romantique de la jeunesse en Occident4, cette désynchronisation des étapes du cycle de vie classique n’est pas, au Burkina Faso, le résultat d’un choix parmi diverses opportunités mais bien plus la conséquence

1 DEVEY Muriel, Aide-toi, l’Etat t’aidera. In Jeune Afrique, n° 2554, 2009, p.64. 2

ANTOINE Philippe (éd.), Introduction. In Les relations intergénérationnelles…, Op. cit., p. 13. 3

HONWANA Alcinda, DE BOECK Filip, Makers et Breakers…, Op. cit., p. 4. 4 GALLAND Olivier, Sociologie de la jeunesse, Op. cit., p. 25 à 27.

des processus de marginalisation croissants auxquels sont confrontés les jeunes et que nous allons désormais analyser.

1.2. Signification et portée des processus de