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1. LE SYNDICALISME ÉTUDIANT : UNE CULTURE POLITIQUE DE LA CONTESTATION ?

1.2. Pouvoir contre-hégémonique ou pouvoir de « dé-totalisation » ?

1.2.2. La thèse des « tactiques de dé-totalisation »

Les mobilisations étudiantes sont, de notre point de vue, plus porteuses d’une demande d’insertion dans les mécanismes de domination de l’ordre établi que d’une remise en cause de ceux-ci. Ainsi, en reprenant la distinction opérée par Michel de Certeau1, nous pouvons nous interroger sur la portée politique de ce mouvement en nous demandant s’il s’agit d’une « stratégie » ou d’une simple

« tactique », c'est-à-dire si les mouvement étudiants entretiennent on non une

relation d’extériorité avec les cibles visées ou identifiées comme menace. Autrement dit, les contestations de la jeunesse étudiante sont-elles des stratégies porteuses d’un projet global proposant un ordre alternatif déterminé ou constituent- elles plus des tactiques de réappropriation et de détournement des dispositifs du pouvoir établi ? Voyant que ces mobilisations ne sont pas porteuses de transformations radicales mais bien plus de négociations d’une place et de certains aménagements au sein de l’ordre établi, nous pouvons conclure qu’il s’agit plus de

« tactiques », ce qui remet en cause la thèse du pouvoir contre-hégémonique. En

effet, selon J-F. Bayart, l’émergence d’une contre-hégémonie suppose l’intervention d’une contre-élite alors même que ces étudiants revendiquent essentiellement leur droit à intégrer la sphère des élites actuelles.2 De plus, ces différentes mobilisations étudiantes ponctuelles ne semblent pas faire l’objet d’une unification réelle qui permettrait leur mutation en un véritable mouvement social contre-hégémonique. Les divisions entre les mouvements sont manifestes comme nous l’ont montré nos enquêtes sur le campus ouagalais. Par exemple, l’UNEF comme l’ANEB dénoncent le MEFA comme étant acquis à la cause du pouvoir et les velléités hégémoniques de l’ANEB sont créatrices de nombreuses tensions avec les autres organisations.3

Au regard de l’ensemble des éléments précédemment cités, nous pensons qu’il est plus réaliste de qualifier le pouvoir des mouvements étudiants de « tactiques de dé-

1

BAYART Jean-François, Questions de méthode. In BAYART Jean-François, MBEMBE Joseph-Achille et TOULABOR Comi (dir.), Le politique par le bas… Op. cit., p. 59-60.

2 Ibid., p. 60. 3

Entretiens avec :

- Adama BELEMKOABGA (Secrétaire Général) et Jean-Baptiste KABORE (Responsable du CODE), Op. cit. - Mahamadou FAYAMA (Secrétaire Général) et Arouna SALLE (Vice-président aux sports), Op. cit. - Victor TAPSOBA, Chargé à l’organisation et à la mobilisation, MEFA. Ouagadougou : 27 juillet 2009.

totalisation » de l’ordre établi. Nous désignons sous cette terminologie le développement de tactiques de dispersion et de fragmentation de l’ordre politique, via des techniques de remise en cause des frontières du politique, qui empêchent le pouvoir en place d’imposer une vision totalisante de la société dont il doit reconnaître la diversité. Les étudiants s’imposent alors comme des acteurs légitimes pour intervenir au sein de l’espace public. C’est dans cette tension permanente entre la recherche hégémonique des groupes dominants et la multiplication des pratiques de dé-totalisation de l’État par les groupes subordonnés que la nature et la portée des mobilisations étudiantes au Burkina Faso doivent nous semblent devoir être pensées.

Cependant, cette thèse de dé-totalisation de l’ordre établi ne vient pas simplifier l’analyse car de nombreuses nuances doivent lui être apportées afin de ne pas surestimer ou sous-estimer la portée politique de ces mouvements.

Tout d’abord, ces processus ne doivent pas être vus comme des formes de pouvoir générées par les groupes subordonnés de façon autonome et indépendante. Si ceux-ci résultent des multiples actions de contestation mises en œuvre dans les divers espaces de liberté découlant des interstices sociaux propres au milieu urbain, nous devons également reconnaître la dimension consensuelle de ces acquis. Ainsi, le développement de ces tactiques de remises en cause n’est pas totalement indépendant des stratégies du pouvoir en place qui en surveille voire en contrôle largement la portée. Nous pouvons penser que, dans la mesure où les approches totalisantes de la société ne semblent plus à même de garantir la stabilité de l’ordre établi et comportent même un important risque d’implosion du système, laisser une certaine marge de liberté à ces tactiques constitue dès lors une stratégie possible pour éviter une remise en cause profonde et unifiée de l’ordre social. Laisser libre court à une certaine forme d’expression contestataire joue en quelque sorte le rôle de soupape de sécurité pour le pouvoir en place. Si la dé-totalisation fragilise les bases du système de domination établi en remettant en cause l’image unifiante de la société, celle-ci rend également plus difficile une critique unifiante de la société dans son ensemble et donc l’émergence de réels projets contre- hégémoniques. Ainsi, derrière l’apparente libéralisation du syndicalisme étudiant et les concessions démocratiques du pouvoir en place, se cache un objectif

permanent de canalisation de la jeunesse qui devient manifeste dès lors que les étudiants sortent du « cadre de liberté consenti » par les autorités. Quand un mouvement étudiant demande une audience auprès des autorités administratives de l’université suite au dépôt d’une plateforme revendicative, ses représentants sont reçus et le dialogue facilement établi.

« Si on fait une demande d’audience, les autorités de l’université nous reçoivent dans les deux semaines car ils savent que nous venons pour comprendre, demander des explications et faire des propositions. Ils félicitent souvent les propositions. Ils les approuvent mais avancent le manque de moyens. »1

Par contre, lorsque ce dialogue est rompu ou que les étudiants, confrontés à la non- satisfaction de leurs revendications réclament plus que ce droit au dialogue en investissant l’espace public par des manifestations de rue, le bras de fer prend une toute autre tournure : son habituelle dimension discursive « en coulisse » s’efface au profit d’un conflit rendu manifeste et visible aux yeux de tous par l’investissement de l’espace public par ces jeunes.2 La règle sous-entendue de médiation discrète des conflits ayant été violée, la répression et la contestation se radicalisent comme en attestent les évènements de juin 2008. Le 17 juin 2008, face au refus des responsables de l’université de recevoir les étudiants concernant une plateforme revendicative déposée plusieurs semaines plus tôt, l’ANEB organisa une marche non-autorisée au sein de l’université de Ouagadougou. La manifestation a fait l’objet d’une forte répression orchestrée par la gendarmerie, la Police et des membres de la Garde Présidentielle qui ont utilisé des gaz lacrymogènes et tiré à balles blanches et à balles réelles sur les étudiants qui ont largement réagi par des jets de pierre et autres projectiles artisanaux.

« "On ne s'attendait pas à ce que la situation dégénère ainsi", s'époumone un étudiant sur le boulevard Charles de Gaulle, un gros caillou

1

Entretien avec Adama BELEMKOABGA (Secrétaire Général) et Jean-Baptiste KABORE (Responsable du CODE), Op. cit. 2 FAVRE Pierre, Les manifestations de rue entre espace privé et espaces publics. In FRANCOIS Bastien et NEVEU Erik,

dans la main droite. Ceux qui tentent de circuler à hauteur de l'université sont refoulés par les manifestants. Que s'est-il passé ? […] "Les étudiants des UFR Sciences de la vie et de la terre (SVT) et Sciences exactes et appliquées (SEA) ont tenté d'organiser une marche pacifique sur la présidence de l'université. Mais ils ont été bloqués par les gendarmes" […]. D'autres informations alarmantes circulent : les gendarmes seraient appuyés par le "conseil" et ils tireraient à balles réelles sur les manifestants. Bien sûr, l'air est pollué par les gaz lacrymogènes sur l'avenue Charles de Gaulle. Nos décidons de nous rendre à la présidence de l'université en contournant le théâtre des opérations, c'est-à-dire le boulevard. A quelques mètres de notre destination, nous sommes stoppés par des militaires. L'un d'eux, visiblement jeune, tient un fusil. […] Des gendarmes visiblement débordés tentent d'empêcher les étudiants d'entrer par la porte principale. Ceux-ci résistent en lançant des cailloux. Une situation irréelle. Des gendarmes leur retournent aussi des pierres. Visiblement, ils sont impuissants puisqu'ils semblent n'avoir plus de grenades lacrymogènes. […] Hors de la présidence de l'université, l'affrontement se poursuit : les gendarmes recommencent à attaquer les étudiants avec l'appui d'un véhicule dans lequel se trouvent des éléments qui chargent avec les gaz lacrymogènes. Les étudiants se dispersent alors que leurs vis-à-vis prennent leur courage pour avancer. »1

Ces affrontements ont fait une trentaine de blessés, dont quatre graves, parmi les étudiants et quatorze blessés du côté des forces de l’ordre dont deux graves. Trente-cinq étudiants ont été arrêtés et placés en détention provisoire à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO). Les 25 et 26 juin 2008, ils ont été jugés pour dégradation de biens publics et privés et coups et blessures sur des agents des forces de l’ordre. Lors des audiences, la tension était très forte et les étudiants ont opéré massivement le déplacement jusqu’au palais de justice pour exprimer leur mécontentement. A l’issue des deux jours de procès, quatre étudiants

1

SILGA Dayang, Université de Ouaga. Journées d’affrontements entre étudiants et gendarmes. In Le Pays. Ouagadougou : n° 4142, 19/06/2008. (Disponible sur www.lepays.bf)

ont écopé d’une peine de six mois de prison avec sursis, d’une amende de 100.000 F. CFA et de l’obligation de verser un franc symbolique à l’État.1 Mais les tensions n’étaient pas totalement retombées et les autorités répliquèrent par la fermeture de l’université dès le 29 juin, alors même que les étudiants déploraient le retard pris dans les enseignements au sein des différents UFR. Ils ont été chassés des citées universitaires et les restaurants fermés ; le campus fût totalement évacué au détriment d’environ trois mille étudiants qui se retrouvèrent livrés à eux- mêmes.2

« Les étudiants sont dépendants des œuvres universitaires et, en fermant l’université, l’État a crée des enfants de la rue. Surtout chez ceux qui viennent de l’extérieur, qui n’ont pas de parents directs ici et qui n’ont donc aucune assurance de soutien. »3

Des mesures très coercitives ont également été prises par le pouvoir, ce qui reflète l’inquiétude quand à ces mobilisations étudiantes. La première est l’instauration d’une Police Spéciale des Universités (PSU), effective dès la reprise de septembre et présente en permanence à l’université. Cette idée avait été avancée dès 2000 par le recteur de l’université comme réponse à l’insécurité sur le campus. Cette force devait être armée et équipée de motos de patrouille et de chiens ce qui fait dire à des membres de l’ANEB que l’insécurité n’était qu’un prétexte pour contrôler l’université et que les évènements de 2008 ont constitué une opportunité pour installer cette force sur le campus.4 La deuxième est la construction d’un mur de deux mètres de hauteur pour clôturer l’ensemble de l’université ouagalaise. Celui- ci est d’ailleurs fréquemment appelé « le mur de la répression » par les étudiants.5 De même, il fut décidé de rénover la cité universitaire en vue de sa transformation en bureaux affectés à la direction de l’université alors même que l’une des raisons de la contestation étudiante était le manque de chambres pour les étudiants et l’état

1

TAO Abdoulaye, Procès des étudiants. In Le Pays. Ouagadougou : n° 4149, 30/06/2008. (Disponible sur www.lepays.bf)

2 SANOU Fabrice et ZONGO Albert, Crise à l’UO : la galère des étudiants. In Le Pays. Ouagadougou : n 4157, 10/07/2008. Disponible sur www.lepays.bf.

3

Entretien avec Victor TAPSOBA, Chargé à l’organisation et à la mobilisation, Op. cit.

4 Entretien avec Mahamadou FAYAMA (Secrétaire Général) et Arouna SALLE (Vice-président aux sports), Op. cit. 5

de délabrement des bâtiments existants. Autant de mesures qui marquent clairement la volonté de l’État de réaffirmer son pouvoir et de limiter celui des étudiants à une « dé-totalisation consentie » et non à une opposition manifeste dans l’espace public. D’ailleurs, les évènements de juin et la répression opérée ont largement étouffé les velléités contestatrices des étudiants. Le calme semble revenu à l’université depuis sa réouverture alors même que cette crise n’a permis aucun acquis concernant la plateforme revendicative qui en était à l’origine, ayant même plutôt provoqué un certain recul et une occasion pour le pouvoir politique de réaffirmer son contrôle sur le campus et le milieu étudiant.

« La lutte étudiante c’est un vrai bras de fer et ce que tu ne peux pas terminer, il ne faut pas le commencer. Dans la FESCI, on était violents car on avait les moyens d’aller au bout. Au Burkina, dès qu’on tire sur nous, dès le lendemain il n’y a plus personne sur le campus. Le burkinabè ne peut pas sacrifier sa vie, sauf s’il est dépouillé de tout. Il vit tant qu’il a de l’espoir. Quand il sait qu’il peut manger son haricot, il ne veut pas chawarma. Il n’a pas l’habitude de souffrir pour une cause. L’université est la photocopie de ce qui se passe au gouvernement. »1

La deuxième nuance à apporter à la thèse du « pouvoir de dé-totalisation » concerne l’existence d’une sorte de « consentement des dominés à leur

domination »2 qui n’élude pas les contestations de l’ordre établi mais explique en

partie l’absence de remise en cause radicale de celui-ci. Ce phénomène est particulièrement notable concernant les étudiants qui, comme nous l’avons largement souligné, aspirent plus à négocier leur place au sein de cet ordre qu’à le remettre en cause.

« […] Le grand rêve de milliers d’étudiants aujourd’hui n’est pas de « faire la révolution ». C’est avant tout d’échapper à leurs conditions

1

Entretien avec Victor TAPSOBA, Chargé à l’organisation et à la mobilisation, Op. cit.

2 M. GODELIER cité par BAYART Jean-François, La revanche des sociétés africaines. In BAYART Jean-François, MBEMBE Joseph-Achille et TOULABOR Comi (dir.), Le politique par le bas…, Op. cit. , p. 79.

d’origine, lesquelles sont en majorité paysanne. L’ambition ouvertement confessée sur les campus est de faire partie de ceux qui gouvernent. »1

L’analyse des pratiques corporelles développées par les jeunes étudiants vient confirmer cette idée. Sous cette terminologie, nous réunissons l’ensemble des pratiques liées au corps qui permettent à la jeunesse étudiante de s’affirmer en tant que catégorie sociale à part entière et de d’inscrire dans l’espace public. Ces pratiques corporelles qui nous intéressent peuvent être qualifiées de « techniques

du corps », selon la terminologie propre à Marcel Mauss2 même si, à l’instar de Jean Pierre Warnier3, nous élargissons notre conception aux « cultures

matérielles » développées par cette catégorie de jeunesse en dépassant la division

opérée par Marcel Mauss entre « techniques du corps » et « techniques

instrumentales ».4 En effet, il ne nous semble pas fécond de cloisonner ces deux

dimensions dans l’analyse car celles-ci constituent toutes deux des « techniques de

soi »5 intéressantes à analyser conjointement pour comprendre les modes de subjectivation de la jeunesse. Ces jeunes font du corps « une composante majeure

de l’identité et de l’image personnelle »6, un outil de construction de soi en tant qu’individu mais également en tant que membre d’un groupe. Pour comprendre les pratiques corporelles des jeunes étudiants, il convient de rappeler que la réduction des opportunités d’emploi et l’augmentation du chômage des jeunes diplômés a fait naître d’importantes déceptions au sein de la jeunesse étudiante qui a développé un sentiment d’inutilité sociale. Voyant leurs chances d’intégrer la sphère des élites qu’ils espéraient rejoindre se réduire, ces jeunes ont du inventer des mécanismes sociaux pour faire face à « un système qui, en même temps qu’il

autorise tous les rêves, détruit par d’autres dispositions les espoirs qu’il agite, mais est inapte à satisfaire. ».7 N’ayant aucune garantie quant à leur intégration effective dans la sphère des élites, les étudiants en adoptent malgré tout les

1

MBEMBE Joseph-Achille, Les jeunes et l’ordre politique… Op. cit., p. 54. 2

MAUSS Marcel, Les techniques du corps. In Journal de psychologie, n° 32, 1935, p. 271-293.

3

WARNIER Jean-Pierre, Construire la culture matérielle. L’homme qui pensait avec ses doigts. Paris : PUF, 1999. 4

Marcel Mauss distinguait en effet les techniques n’ayant que le corps comme outil et celles qui faisaient appel à des instruments en choisissant, dans un premier temps, de n’analyser que les premières.

5

FOUCAULT Michel, Dits et écrits, 1967-1988. Paris : Gallimard, 2001, tome 2, p. 1602-1632. 6

LE POGAM Yves, Corps et métissages dans l’anthropologie générative critique de Georges Balandier. In Corps et

culture, n°6/7, 2004, p. 44.

7

apparences et le corps joue un rôle central à ce niveau. La gestion des apparences constitue donc une stratégie de présentation de soi permettant à ces jeunes d’évoquer leur appartenance au groupe qu’ils aspirent à rejoindre ou leur légitimité à en faire partie. Joseph Achille Mbembé s’est d’ailleurs penché sur cette question notant que « toute une éthique du corps »1 se développe chez les étudiants qui cherchent à reproduire la « culture matérielle » exhibée par les élites dirigeantes au quotidien par un mode de consommation et d’habillement visible lors des manifestations publiques, à la télévision ou dans les journaux. Ainsi, les étudiants reproduisent à leur échelle ces pratiques : les filles amassent les paires de chaussures, les tenues vestimentaires et les parfums venus d’Europe alors que les garçons se procurent costumes et cravates. Lors des fêtes, une sorte de course à l’apparat se développe et des dépenses démesurées par rapport à leurs moyens financiers sont réalisées. Chez les jeunes étudiants, la gestion de l’apparence joue donc un rôle central dans les processus de subjectivation qui participent à la construction de la personnalité de l’individu et de son mode d’existence. Le corps est alors un outil efficace de définition identitaire et de présentation de soi, un moyen délibéré de diffusion d’une information sur soi. Le jeune étudiant se distingue par ses apparences en tant qu’individu au sein de sa communauté d’origine en marquant une sorte de distance par rapport à celle-ci mais également au sein de la communauté étudiante où une sorte de hiérarchie selon ces critères se met en place. Le corps est en effet un réservoir de représentations et d’imaginaires sociaux et, dans l’interaction, celui-ci constitue un repère de classement et de hiérarchisation. L’impératif est dans le paraître et le faire-valoir et le corps est une sorte de vitrine de présentation de l’individu. Si les jeunes étudiants utilisent leur corps pour organiser leur relation au monde et se distinguer au sein de leur communauté d’origine et de celle de leurs pairs, ils cherchent aussi à se classer dans la catégorie des élites à laquelle ils espèrent appartenir. Le corps est donc mobilisé comme signifiant d’un statut social espéré ou peut-être désormais inespéré et non pas d’un statut social contesté et rejeté.

1

« Les capacités protestataires sont émoussées sous le poids du vide des alternatives, du contrôle des appareils étatiques et des calculs individuels. Ce qui importe aujourd’hui, c’est de négocier son insertion individuelle dans les mécanismes de régentement des sociétés. Il ne s’agit plus guère, pour les étudiants, de s’organiser dans des luttes visant à « casser » l’ordre établi au profit d’un autre, nouveau et hypothétique, dont nul ne parvient à définir pour aujourd’hui les contours et les conditions de réalisation. »1

Finalement, il est intéressant de nous interroger sur les enseignements que cette analyse de l’inscription de la jeunesse dans l’espace public burkinabè est à même de nous apporter concernant notre questionnement général sur les mécanismes de la domination et de la contestation dans ce pays.

Bien que le mouvement étudiant burkinabè soit porteur d’une forme de contestation, il ne vise manifestement pas la remise en cause radicale de l’ordre établi et n’en a d’ailleurs pas les moyens nécessaires. Les pratiques de ces jeunes reflètent une aspiration à intégrer la sphère de l’élite dominante mais au regard des