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1. LA JEUNESSE URBAINE AU BURKINA FASO

1.2. Le contexte de la recherche: le milieu urbain burkinabè

1.2.2. Une étude en et du milieu urbain

Nous allons désormais expliciter les raisons qui nous ont poussés à concentrer notre analyse sur le milieu urbain uniquement alors même qu’une étude

1 INSD, Tableau 03.14 : Population des principales villes. Sources : INSD, RGPH 1985, 1996 et 2006. Disponible sur

comparative avec le milieu rural revêtirait un grand intérêt puis nous verrons quels sont les enjeux et la portée d’une recherche de ce type.

1.2.2.1. Le choix d’une étude en et du milieu urbain

La première raison d’une telle restriction du champ de recherche est d’ordre pratique. Une étude de la jeunesse en milieu rural nécessite certaines compétences ou caractéristiques que nous étions difficilement en mesure de réunir. La première est une compétence linguistique puisque bien que la langue officielle au Burkina Faso soit le français, en milieu rural, rares sont les personnes qui le maîtrisent. Cela suppose de parler au minimum le mooré, la langue locale dominante du fait du poids de l’ethnie mossi. Pour une étude extérieure au plateau mossi, il aurait fallu maitriser d’autres langues locales, notamment le dioula, le peul ou le fulfuldé. Le recours à un interprète reste toutefois une solution possible mais cela nécessite de très nombreuses précautions car la traduction expose le chercheur à un biais de modification et/ou d’interprétation subjective de la part de son traducteur.

Deuxièmement, obtenir des résultats sur la jeunesse au Burkina Faso par le biais d’une enquête en milieu rural nous semble beaucoup plus complexe et long qu’une enquête en milieu urbain. En effet, les jeunes burkinabè se trouvent globalement dans une position de « cadets sociaux » et sont donc exclus des principaux lieux de prise de parole et de décision. Si en ville, malgré ce principe de séniorité, les jeunes investissent l’espace public sous de multiples formes, ces processus semblent très limités en milieu rural ou, tout du moins, difficilement décelables. Il n’y a que peu d’initiatives faisant penser à une prise de parole ou de pouvoir, même symbolique de leur part, si ce n’est la création de certaines associations de jeunes. Seule une étude sur le long terme nous aurait permis de saisir la finesse de ces processus peu perceptibles en milieu rural. De plus, l’écart est tel entre villes et campagnes qu’une étude parallèle des deux milieux nous semble fort difficile.

Au contraire, le milieu urbain constitue une sorte de laboratoire des changements divers que connaît le pays, « le laboratoire de l’avenir » comme le

disait J-M. Ela.1 La ville est par bien des aspects l’espace par excellence des processus d’individuation et d’autonomisation des personnes. Le milieu urbain et tout particulièrement les capitales se caractérisent par la cohabitation d’une pluralité des systèmes de référence, des croyances et des savoirs qui se combinent et/ou s’affrontent, permettant ainsi aux individus d’investir les failles et interstices créés par cette pluralité pour en faire des espaces de liberté d’où émergent de nouvelles formes de sociabilité, de représentation et d’action. Les conditions de vie propres au milieu urbain permettent donc ces processus d’individuation et d’autonomisation des personnes qui voient l’émergence d’invidus-acteurs conférant une certaine unité aux pratiques et stratégies qu’ils déploient dans des espaces sociaux différents, selon la logique qui y domine.2 Mais cette pluralité permet également, dans un espace géographique donné, d’étudier la différenciation sociale et spatiale qui connaît une expression exacerbée.

Pour toutes ces raisons, nous avons opté pour une enquête sur et dans le milieu urbain, écartant ainsi volontairement le milieu rural de nos recherches. Nos résultats n’ont donc prétention qu’à refléter des réalités urbaines et non nationales car il ne faut pas perdre de vue que la population burkinabè est à près de 80 % rurale.

1.2.2.2. La ville comme cadre et objet d’analyse

Comme le note Odile Goerg, les réflexions sur les développements urbains contemporains placent le continent africain au cœur des recherches actuelles sur la ville alors même que jusque dans les années quatre-vingt des interrogations subsistaient concernant la validité même de la notion de ville en Afrique.

« La diversité et le dynamisme des formes urbaines qui s’y créent permettent de proposer de nouveaux paradigmes, féconds hors du continent. Alors que l’Afrique était fréquemment observée en tant que réceptacle de

1

ELA Jean-Marc, La ville en Afrique Noire. Paris : Karthala, p. 213. 2

MARIE Alain et VUARIN Robert (dir.), L’Afrique des individus. Itinéraires citadins dans l’Afrique contemporaine

modèles d’inspiration occidentale (coloniaux puis internationaux), la perspective est désormais changée dans un mouvement de décentralisation du regard et de provincialisation de l’Occident. De ce continent surgirait un paradigme insistant sur la mobilité, l’éphémère, l’entre-deux et même le difficilement saisissable, dans un univers de flux et de reflux, de bifurcations et de recentrage, entre ancrage local et ouverture mondialisée. »1

Alors que dans les pays anglo-saxons les recherches sur les villes sont réunies sous la terminologie de urban studies, en France celles-ci mobilisent une multitude de disciplines (géographie, histoire, sociologie, anthropologie, etc.). Les recherches sur la ville en Afrique ont longtemps été essentiellement le fait de la géographie urbaine même si dès les années quatre-vingt ce champ de recherche fut investi par des sociologues et des anthropologues. L’anthropologie britannique a focalisé son attention sur les villes d’Afrique Australe et Centrale dès la fin des années 1930. Bien que plus tardives, des analyses similaires ont été menées en France sous l’égide de la sociologie, comme en témoignent les analyses de George Balandier et notamment son ouvrage Sociologie des Brazzavilles noires publié en 1955.2 Dans le champ français, les historiens se sont également intéressés au continent africain et notamment au Burkina Faso.3

Après ces précisions concernant le cadre géographique de cette recherche, il convient de préciser son cadre théorique et méthodologique.

1 GOERG Odile, Villes, circulations et expressions culturelles. In Afrique et Histoire, Revue internationale n°5, avril 2006, p. 9-14.

2

BALANDIER George, Sociologie des Brazzavilles noire. Paris : Armand Colin, 1955, 274 p.

3 Il existe de nombreux ouvrages de référence sur le milieu urbain burkinabè parmi lesquels nous pouvons citer: - FOURCHARD Laurent, De la ville coloniale à la cour africaine : espaces, pouvoirs et sociétés à

Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, Haute-Volta : fin 19ème siècle-1960. Paris, Budapest, Torino :

L’Harmattan, 2001, 427 p.

- MEUNIER-NIKIEMA Aude, SALEM Gérard, COQUERY-VIDROVITCH Catherine, FOURNET Florence, Ouagadougou (1850-2004) : une urbanisation différenciée. Marseille : IRD, 2008, 143 p. - JAGLIN Sylvie, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : Pouvoirs et Périphéries (1983-1991). Paris :

2.

Le cadre méthodologique et théorique de la