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2. LA PARTICIPATION DE LA JEUNESSE AUX PROCESSUS DE CHANGEMENT

2.2. Une jeunesse désengagée ou dépolitisée ?

3.1.2. La crise du système d’enseignement

Les principaux analystes du système d’enseignement burkinabè considèrent que celui-ci est confronté à une crise majeure au regard de deux éléments essentiels : la baisse du « rendement social du diplôme » et les inégalités sous- jacentes au système.

3.1.2.1. La baisse du « rendement social » du diplôme

La réduction des opportunités d’emploi pour ces jeunes et le chômage croissant des diplômés ont participé à ternir quelque peu l’image des « jeunes éduqués ». Le processus de dévalorisation des diplômes est le résultat de la baisse constante de la capacité de recrutement de l’État central et de ses prolongements institutionnels.3

1

SANKARA Thomas, Indépendance économique et lutte contre l’agression culturelle. Ouagadougou : 1984 « ca », p. 4. 2

BIANCHINI Pascal, Les crises des systèmes d’enseignement en Afrique noire. Un essai d’analyse à travers le cas du Burkina Faso. Canadian Journal of African Studies, Vol. 38, n°1, 2004, p. 24.

3

L’espace promotionnel permis par la scolarisation a été relativement tardif en Haute-Volta, territoire longtemps négligé par l’administration coloniale et ayant donc connu une construction étatique plus tardive. Ainsi, les probabilités de promotion sociale liée au capital scolaire sont restées relativement ouvertes en Haute-Volta jusque dans les années soixante-dix. Le titre scolaire a cependant ensuite connu le même processus de remise en cause que dans le reste du continent africain.

« Contrastant avec l’extraordinaire valeur promotionnelle que le diplôme a pu avoir durant la fin de la période coloniale – lorsque le départ des fonctionnaires coloniaux a libéré des places pour les bureaucraties locales – on a assisté à sa rapide dévalorisation, touchant progressivement tous les cycles, du primaire jusqu’au supérieur. »1

Le chômage croissant des jeunes diplômés a largement participé à démythifier l’image du « jeune éduqué » et un sentiment d’inutilité sociale des étudiants s’est développé au sein de la jeunesse éduquée elle-même et de la population prise dans son ensemble. Le nombre de jeunes diplômés sans emploi ou travaillant dans le secteur informel ne cesse de croître même si très peu de chiffres fiables permettent d’appuyer ce propos. Par exemple, en 2008, la fonction publique a enregistré plus de 30.000 demandes de candidature pour seulement 9.929 places disponibles.2 Le problème du chômage des jeunes diplômés n’est pas nouveau et il a d’ailleurs inquiété les différents gouvernements depuis plusieurs années. Ainsi, depuis les années soixante-dix, les plans quinquennaux de développement économique et social élaborés par les gouvernements successifs reflètent l’inquiétude des autorités burkinabè quant à la tendance du système d’enseignement à produire plus de diplômés que le secteur économique (public et privé) ne peut en accueillir.Au moment des indépendances et dans les années qui ont suivies, les hiérarchies sociales tendaient à se calquer sur les hiérarchies scolaires et le diplôme attribuait une légitimité pour accéder à des postes de pouvoir. Aujourd’hui, celui-ci est

1 BIANCHINI Pascal, Les crises des systèmes d’enseignement en Afrique noire. Op. cit., p. 25. 2

devenu une condition nécessaire mais non suffisante d’accès au sommet de la hiérarchie sociale.1

« Le diplôme n’est plus aujourd’hui une garantie, une sorte d’assurance-travail, pour l’étudiant. […] En conséquence, on assiste donc parallèlement à une démocratisation des études et à une dévalorisation des diplômes trouvant sa source dans le chômage de plus en plus prononcé des jeunes. Le diplôme perd donc de sa valeur intrinsèque. »2

Cependant, cette explication par la variation du rendement social du diplôme ne suffit pas à rendre compte des causes profondes de la crise des systèmes d’enseignement au Burkina Faso. Il faut également chercher des éléments explicatifs dans les caractéristiques propres au système d’enseignement burkinabè qui viennent contrarier sa capacité à faire naître une réelle dynamique de mobilité sociale.

3.1.2.2. Une dynamique de mobilité sociale contrariée

par les caractéristiques intrinsèques du système d’enseignement

La première origine de cette dynamique contrariée réside dans le type de politique éducative mise en œuvre au Burkina Faso depuis les années quatre-vingt- dix. En effet, la stratégie adoptée est celle d’une « scolarisation de masse » qui se fait souvent au détriment de sa qualité et qui est surtout déconnectée des réalités du marché du travail. De plus en plus d’enfants puis de jeunes passent sur les bancs de l’école puis de l’université alors même que les opportunités du marché du travail n’augmentent pas ou très peu.

Face à cette réalité, les jeunes adoptent des solutions alternatives en vue de pallier à ces nouvelles tendances. Par exemple, des comportements « escapistes »3 se développent chez les jeunes scolarisés provoquant alors une augmentation des taux

1

MOTHES Patrice, Enseignement supérieur et élites…, Op. cit., p. 67. 2 Ibid.

3

de déscolarisation. Il est d’ailleurs intéressant à ce niveau de noter que plus de 30 % des « enfants de la rue » recensés dans le pays en 2002 par le Ministère de l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale (MASSN) étaient des enfants déscolarisés.1 L’abandon scolaire n’est cependant pas la seule stratégie alternative développée par les jeunes. La tricherie et la corruption prennent également de plus en plus d’ampleur dans le système éducatif. Ce phénomène, largement répandu sur le continent africain constitue une réponse des élèves et étudiants face à la rigidité du système éducatif dont le taux d’admission au baccalauréat n’était que de 25,75 % en 2006 et de 41,86 % en 2007. Comme le note J.A. Mbembé, la tricherie devient alors un « mécanisme social inventé par les jeunes », une « réponse

politique à un système qui, en même temps qu’il autorise tous les rêves, détruit par d’autres dispositions les espoirs qu’il agite, mais est inapte à satisfaire. ».2

Cette tricherie se développe en quelque sorte pour compenser les inégalités structurelles des systèmes d’enseignement burkinabè qui, selon les origines, le sexe et la nature des établissements fréquentés ne parviennent pas à offrir à chacun des chances égales de réussite.

Le fonctionnement du système est vecteur de nombreuses disparités géographiques (entre les villes et le monde rural), de genre (garçons et filles) et d’origine sociale (enfants de cultivateurs et enfants de fonctionnaires et militaires).

Ainsi, l’on constate d’abord des écarts importants dans les taux de scolarisation entre les zones urbaines et rurales, à tous les niveaux du système. Cette carte est représentative de cette tendance au niveau primaire.

1 MASSN, Programme National d’Action Educative en Milieu Ouvert. Ouagadougou : DPEA, juillet 2002, 144 p. 2

Taux brut de scolarisation dans l’enseignement primaire en 2002-2003 1

Cette inégalité persiste au niveau de l’enseignement secondaire où le taux brut de scolarisation est beaucoup plus élevé en milieu urbain (48,8 %) qu’en milieu rural (4,5 %). Notons que ces chiffres sont faussés par la part des élèves scolarisés en ville qui sont originaires de la campagne, donnée qui vient aussi renforcer le constat d’une inégalité entre les zones rurales et urbaines puisque les campagnes sont plus affectées par le manque de personnel éducatif et de structures d’accueil et d’hébergement. En effet, l’offre scolaire connaît une inégale répartition géographique sur le territoire national qui s’accentue avec le niveau d’enseignement. Si selon le recensement de la population datant de 1996, un peu plus de 80 % des élèves du primaire sont ceux du chef de ménage du foyer dans lequel ils vivent, ce pourcentage n’est plus que de 65 % dans le premier cycle du secondaire, de 48 % dans le second cycle du secondaire et de 31 % dans l’enseignement supérieur.1 A partir du collège, la localisation des établissements scolaires dans les centres urbains oblige les élèves et les étudiants des zones rurales à se déplacer vers les villes, ce qui provoque d’importantes migrations

scolaires des jeunes ruraux et une tendance à confier les enfants à une tierce personne. Mais les disparités géographiques ne concernent pas uniquement l’opposition villes/campagnes puisqu’elles existent également au sein des villes, notamment à Ouagadougou.

Effectif des 7-12 ans par secteur, à Ouagadougou en 1996 2

Pourcentage d’enfants de 7-12 ans « jamais scolarisés », par secteur (Ouagadougou, 1996)3

1 KABORE Idrissa et PILON Marc, La mesure des inégalités d’accès à l’éducation au Burkina Faso. L’apport des

données non-scolaires. Ouagadougou : 2001, p. 8. (multigr.)

2

PILON Marc et YARO Yacouba, Famille et scolarisation en Afrique. Johannesburg : colloque international du 10-14 juin 2002, avril 2002, p. 16. (Version provisoire)

3 Ibid.

La comparaison de ces deux schémas nous montre que les quartiers périphériques de Ouagadougou sont ceux où se concentre la majorité des enfants ayant l’âge d’être scolarisés dans le primaire, alors même que ces quartiers sont ceux où l’on retrouve souvent les plus forts pourcentages d’enfants de cette même tranche d’âge n’ayant jamais été scolarisés.

La deuxième disparité a pour dimension le sexe et se fait au détriment des filles. La principale raison en est la tendance structurelle des familles à opérer un choix en faveur des garçons dès lors que des contraintes liées aux ressources l’imposent.1 La fille, vouée à appartenir à la famille de son futur mari ne constitue en quelque sorte pas un « investissement » aussi rentable que le garçon qui assurera la subsistance future de ses parents dès lors qu’il sera adulte. Ainsi, pendant les trente dernières années, la sous-scolarisation des filles n’a été que faiblement diminuée dans l’ensemble du système scolaire. Le taux brut de scolarisation féminine dans l’enseignement primaire en 2002 s’élevait à 37,2 % contre 49,3 % pour les garçons.2 Dans le second cycle, la proportion de filles diminue nettement et cette tendance s’accentue d’autant plus que l’on monte dans le niveau d’enseignement. Par exemple, en 1997-98, le pourcentage de filles dans l’enseignement supérieur n’était que de 24 %.3 Certaines provinces ont des taux de scolarisation féminine bien inférieurs à la moyenne nationale. Dans les provinces sahéliennes par exemple, à peine 20 % sont scolarisées.4 De plus, les filles sont également plus exposées aux redoublements, aux abandons scolaires et aux échecs aux examens. Par exemple, pour la période allant de 1992 à 1996, le taux moyen de succès au Certificat d’Études Primaires (CEP) était de 50 % pour les filles contre 58 % pour les garçons. La principale cause est alors l’ampleur des tâches domestiques qui leur sont confiées au sein des foyers et qui ne leur permettent pas souvent de dégager un temps suffisant pour leurs études.

1 SANOU Fernand, Étude de la sous-scolarisation des filles au Burkina Faso. Ouagadougou : MEBAM/BPE, août 1995, p. 49-52. 2

PARE KABORE Afsata, La problématique de l’éducation des filles au Burkina Faso. Ouagadougou : février 2003, p. 3. 3

Ibid., p. 3-5.

4 De BONNEVAL Emilie, La construction d’une catégorie d’action publique : « l’enfance en difficulté » au Burkina

Enfin, comme le montrent Marc Pilon et Madeleine Wayack,1 il existe des disparités de scolarisation selon l’origine sociale, le système favorisant les enfants de fonctionnaires et militaires par rapport aux enfants de cultivateurs.

En effet, même s’ils notent une augmentation de la part des enfants de cultivateurs dans le système d’enseignement primaire, ces auteurs pensent que celle-ci est due à l’augmentation de l’offre scolaire en milieu rural. Ils soulignent d’ailleurs que la part des ces enfants dans le système scolaire diminue au fur et à mesure que l’on monte dans les niveaux d’enseignement, expliquant ce phénomène par les abandons plus élevés en milieu rural qu’en milieu urbain. Ainsi, en 1996, il y aurait eu un rapport de 1 à 9 entre la part des enfants de cultivateurs et celle des enfants de fonctionnaires et militaires dans l’enseignement primaire, pour un rapport de 1 à 23 entre ces deux catégories dans la population active. Cela nous amène à conclure à une surreprésentation des enfants de fonctionnaires et de militaires dans l’enseignement primaire.

Dans le système secondaire, les parts respectives des enfants de cultivateurs et de fonctionnaires et militaires ont toutes deux diminué. Toutefois, la baisse de la part des enfants de fonctionnaires et militaires est minime alors que celle des enfants de cultivateurs est très importante. De plus, si la part des enfants de cultivateurs a diminué à la fois dans le système public et surtout privé, celle des enfants de fonctionnaires et militaires a diminué dans le secteur public mais fortement augmenté dans le secteur privé, au point de devenir le groupe le plus important.

1 PILON Marc et WAYACK Madeleine, La démocratisation de l’enseignement au Burkina Faso : que peut-on en dire aujourd’hui ? In Cahiers d'Etudes africaines. Volume 43, n° 169-170, 2003, p. 69-82.

Répartition des élèves de l’enseignement secondaire selon l’origine sociale des parents en 1970 et 1999 pour les secteurs public et privé (en %)1

Secteur public Secteur privé Ensemble Origine sociale des élèves

1970 1999 1970 1999 1970 1999 Cultivateur, éleveur 62,4 58,1 53 30,3 58,8 49,7 Artisan 1,2 0,7 2,1 1,5 1,6 0,9 Commerçant 3,4 4,9 3,3 1,5 3,4 6,1 Fonctionnaire, militaire 22,4 18,2 28,9 35,4 24,9 23,4 Profession libérale 0,9 1,6 0,9 5,8 0,9 2,9 Retraité 4,7 5,3 2,2 7,3 3,7 5,9 Autres 5 11,1 9,6 10,8 6,7 11 Total 100 100 100 100 100 100

Le constat général issu de cette analyse du système d’enseignement burkinabè est celui d’une sélectivité croissante depuis les trente dernières années, celle-ci se faisant essentiellement au profit des catégories socioprofessionnelles urbaines et relevant pour une large part du salariat.

Un dernier point mérite d’être développé, celui de l’impact des concours d’entrée et des bourses.2 Le système de bourse hérité de la colonisation était sensé jouer le rôle de palliatif au manque d’infrastructures scolaires de certaines localités, permettant l’hébergement des élèves éloignés de leur domicile dans des internats. Les élèves enfants de cultivateurs et d’éleveurs en ont été les principaux bénéficiaires pendant un certain temps. Par exemple, en 1970-71, ils recevaient les ¾ des bourses dont bénéficiaient 83 % d’entre eux. Cependant, dans le contexte actuel de crise économique, les critères de performance scolaire pour l’entrée en sixième et en seconde ont été durcis et le nombre de bourses octroyées par l’État a diminué. Les élèves doivent obtenir des meilleures notes et avoir 14 ans au maximum lors de leur entrée en sixième et 18 ans au maximum lors de leur entrée en seconde pour pouvoir prétendre bénéficier d’une bourse. Ce système défavorise dès lors les enfants ruraux qui entrent plus tardivement à l’école et redoublent

1

Ibid., p. 79.

2 PILON Marc, L’évolution du champ scolaire au Burkina Faso : entre diversification et privatisation. Strasbourg : Université Marc Bloch, 2002, 21 p. (Version provisoire)

fréquemment alors qu’il favorise les enfants urbains scolarisés dans le privé qui ont plus de chances de réussite scolaire car ils suivent en général un enseignement de meilleure qualité.

La proportion d’élèves boursiers dans l’enseignement secondaire a très fortement diminuée, passant de 71,3 % en 1969-70 à 1,7 % en 2000-2001. Depuis 1996, sur demande de la Banque mondiale, les bourses sont réservées aux filles mais cela n’a pas réellement permis d’augmenter leur proportion dans le système d’enseignement puisque l’effet de cette mesure a été neutralisé par la baisse importante du nombre de bourses octroyées.

Ce sont donc toutes ces caractéristiques structurelles du système d’enseignement burkinabè qui amènent la majorité des observateurs à le considérer en crise, ce qui participe très largement à la baisse des espérances le concernant et à la dévalorisation globale de la « jeunesse éduquée ».

3.2. Éduquer le jeune: un investissement