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Des indicateurs de crise ou de subordination de la jeunesse ?

1. CHANGEMENTS ET PROCESSUS DE MARGINALISATION DE LA JEUNESSE

1.2. Signification et portée des processus de marginalisation de la jeunesse

1.2.2. Des indicateurs de crise ou de subordination de la jeunesse ?

de la jeunesse ?

La qualification des processus de marginalisation de la jeunesse comme indicateurs d’une crise ou d’une subordination de celle-ci ne peut-être considérée de prime-abord comme évidente et valide. En effet, l’usage du concept de marginalisation dans les villes du sud où la pauvreté est majoritaire est sujet à caution puisque les espaces de prospérité qui sont aussi ceux identifiés comme la norme sont minoritaires. Les catégories qualifiées de marginales étant au final numériquement majoritaires, cela nous amène à nous interroger sur la portée et la signification réelle des processus de marginalisation à l’œuvre en milieu urbain burkinabè. Cette idée trouve sa déclinaison concernant la jeunesse urbaine au sein de laquelle les individus identifiés comme appartenant à la marge (car ne répondant pas aux critères de centralité) sont largement majoritaires d’un point de vue numérique.

Nous voyons bien finalement qu’il est très difficile de conclure à la validité ou à la non-validité d’une qualification des processus de marginalisation de la jeunesse comme des indicateurs d’une crise ou d’une subordination de celle-ci sans mener une réflexion profonde sur ces questions.

Si certains processus de marginalisation de la jeunesse urbaine burkinabè tels que l’augmentation du nombre de jeunes criminels ou de jeunes vivant dans la rue constituent, au moins partiellement, des indicateurs d’une crise, il est difficile de conclure que celle-ci est spécifiquement jeune. Il s’agit bien plus à priori d’une crise générale des mécanismes de socialisation et d’intégration en milieu urbain comme en atteste cette citation extraite d’un entretien mené en 2006 avec le

Directeur en poste de la Maison de l’Enfance André Dupont d’Orodara1 (MEADO).

« La délinquance juvénile est en augmentation constante du fait de l’effritement de certaines valeurs culturelles d’encadrement comme l’éducation communautaire de l’enfant qui était celui de tous ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, surtout en ville. »2

De plus, une étude approfondie de ces phénomènes précis ainsi que de certains autres processus de marginalisation de la jeunesse à l’œuvre en milieu urbain burkinabè peut nous amener à les aborder souvent comme le résultat de stratégies et non comme des situations subies.

La prise en compte des stratégies d’étiquetage développées par les groupes dominants remet en cause la validité d’une qualification de ces processus de marginalisation de la jeunesse en tant qu’indicateurs d’une crise de celle-ci révélant bien plus l’existence de rapports de force qui placent les jeunes dans une position généralement défavorable. Cependant, l’étude des multiples stratégies d’inscription des jeunes dans l’espace public via une appropriation de celui-ci et une prise de parole en son sein remet également en cause la validité d’une qualification de ces processus de marginalisation comme indicateurs d’une subordination de la jeunesse comme nous le verrons plus en détail par la suite. Ainsi, si l’augmentation du nombre de jeunes délinquants ou vivant dans la rue est la preuve d’un dysfonctionnement des mécanismes de socialisation et d’intégration, nous pouvons également les aborder comme le résultat de stratégies de résistance développées par des jeunes et leur donnant une place centrale dans l’espace public urbain, même si celle-ci ne répond pas aux critères de la normalité identifiée. Ceci est d’autant plus visible lorsqu’il s’agit de groupes de jeunes développant des formes de contre-cultures tels que les rappeurs ou adeptes de hip- hop qui ont longtemps été et sont même encore souvent perçus comme des voyous.

1 Ville du Burkina Faso située au sud-ouest du pays. 2

Ces propos, recueillis auprès de Souleymane Bargo, jeune rappeur amateur, en attestent :

« Le groupe Yeleen, aujourd’hui très célèbre a été très longtemps perçu comme un groupe de voyous. Même si certains conservent cette opinion, la très grande majorité des gens, y compris des adultes respectent désormais ces deux jeunes et leur travail. L’impopularité du rap ne vient pas tant de sa musique que du look des rappeurs qui adoptent le style hip- hop (gros pantalons, boucles d’oreille, tresses, etc.) qui est associé à l’image du voyou. C’est à cause de cette image négative qui lui colle à la peau que le rap n’a évolué que doucement. »1

Si cette forme de contre-culture a longtemps été présentée, dans les discours publics, politiques et médiatiques comme la preuve d’une crise de la jeunesse urbaine burkinabè, nous la considérons plus comme la preuve de l’existence de stratégies d’étiquetage mises en œuvre par les groupes dominants à l’égard de ces jeunes ainsi que du développement de nouvelles formes d’inscription dans l’espace public propres à la jeunesse.

Finalement, bien plus que des indicateurs d’une crise de la jeunesse ou d’une subordination de celle-ci, les processus de marginalisation de la jeunesse constituent, à notre avis, un signe de l’importance des changements à l’œuvre dans cette société et surtout des rapports de force qui s’y nouent. Ainsi, nous postulons la non-validité de l’idée de crise de la jeunesse telle qu’elle est décrite dans les principaux discours produits dans l’espace public ainsi que de celle d’atomisation de la jeunesse et postulons au contraire son rôle central en tant qu’actrice des processus de changements et non en tant qu’objet de ceux-ci. Alors que les jeunes se situent globalement dans une position de « cadets sociaux » qui peut finalement nous amener à conclure à leur subordination, l’existence de tels processus de marginalisation de la jeunesse et notamment le développement de contre-cultures nous permet de remettre en cause l’idée d’une atomisation de la jeunesse. Dans une

1

société où domine le principe de séniorité, bien que placée dans une situation que nous pourrions globalement qualifier de subordonnée, la jeunesse développe une multitude de stratégies d’inscription dans l’espace public se positionnant dès lors dans les rapports de force à l’œuvre dans la société burkinabè.

« The power of the young derives from these spaces of confrontation, mutation and movement in which different cultural itineraries meet and mix. Relegated to non-places and resorting to borderlands, young people, as bearers and producers of these mutant messages, constantly remake their composite identity and lived world and redeploy long standing local moralities in the intersection with more global forces in now and often surprising ways. »1

Ce que l’on qualifie de processus de marginalisation de la jeunesse peut finalement souvent être associé à des détournements par les jeunes de l’usage de l’espace public, c’est à dire son utilisation sous des formes non prévues et/ou non reconnues par les groupes dominants.2 La marginalisation ne reflète donc pas la crise de la jeunesse mais une catégorisation et une stratification de la société qui place les jeunes dans une position défavorable. Si les processus de marginalisation peuvent être interprétés, selon nous, comme des indicateurs d’une subordination de la jeunesse dans la société burkinabè, ils ne nous semblent pas constituer le reflet d’une crise de la jeunesse ni d’une atomisation de celle-ci. Il s’agit bien plus souvent, à notre avis, de stratégies portées par les jeunes et provoquant une remise en cause des bases de la différenciation et de la stratification sociale, une lutte, fût- elle faible et peut-être même inconsciente, pour une imposition de la jeunesse dans l’espace public et une reconnaissance de sa place et de son rôle. Nous retrouvons alors notre vision de l’individu comme acteur autonome, évoluant dans des espaces sociaux différenciés et développant de nouvelles formes de sociabilité mobilisées sur la base des intérêts individuels ou collectifs. Ceci nous permet de mettre en avant la capacité des jeunes à investir les interstices existant entre les différents

1

HONWANA Alcinda, De BOECK Filip, Makers et Breakers… Op. cit., p. 11.

espaces sociaux qui composent la ville pour en faire des espaces de liberté et des lieux d’affirmation individuelle et collective. Les jeunes émergent alors en tant qu’individus autonomes mais également en tant qu’acteur collectif.

Pour tester cette nouvelle idée, nous allons désormais nous attacher à analyser la participation de la jeunesse burkinabè aux principaux processus de changement à l’œuvre en milieu urbain.