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2. LA PARTICIPATION DE LA JEUNESSE AUX PROCESSUS DE CHANGEMENT

2.2. Une jeunesse désengagée ou dépolitisée ?

2.2.2. Les jeunes et le politique

Comme nous le rappelions précédemment, cet aspect des liens entre jeunes et politique est le plus difficile à saisir et à analyser. En effet, cela suppose, selon Anne Muxel2, de répondre à trois questions sous-jacentes : définir les éléments pouvant fonder l’intérêt pour le politique, juger de l’intensité et de l’authenticité de cet intérêt et interroger les éléments circonstanciels et biographiques qui peuvent l’expliquer.

Il ne s’agira pas de répondre de façon successive à ces trois questions mais bien plus de chercher à les inscrire de façon latente dans notre raisonnement. Pour parvenir à traiter ces différentes dimensions, nous aurons donc recours, parallèlement aux résultats de l’enquête menée par nos soins, à ceux issus d’enquêtes qualitatives menées en milieu urbain burkinabè par Julien Kieffer3 et Jacinthe Mazzocchetti4.

Si ces deux recherches portent sur un même contexte géographique et temporel (la ville de Ouagadougou lors de l’élection présidentielle de 2005) elles concernent deux groupes de jeunes différents : ceux des grins pour la première et les étudiants pour la seconde. Toutes deux visent cependant à examiner les représentations et les pratiques politiques de ces jeunes dans le cadre de ce moment clé de la vie politique burkinabè. Malgré des « cibles » différentes, toutes deux arrivent à une conclusion similaire : bien qu’ayant une vision très négative de

1

MAURER Sophie, La socialisation politique des jeunes. In PUGEAULT-CICCHELLI Catherine, CICHELLI Vicenzo, RAGI Tariq, Ce que nous savons des jeunes. Paris : PUF, 2004, p. 53-67.

2 MUXEL Anne et PERRINEAU Pascal, Les jeunes et la politique…, Op. cit., p. 73-74. 3

KIEFFER Julien, « Si tu as les feuilles, tu fais la loi ! » Représentations et pratiques des jeunes ouagalais pendant la

campagne présidentielle de 2005 (Burkina Faso). Ouagadougou : Laboratoire citoyenneté et Institut Universitaire

d’Etudes du Développement, 2006, 19 p. (Etude RECIT n°13) 4

MAZZOCCHETTI Jacinthe, « Quand les poussins se réunissent, ils font peur à l’épervier… ». Les étudiants burkinabè en politique. In MAZZOCHETTI Jacinthe et HILGERS Mathieu, In Burkina Faso : l’alternance impossible. Paris : Karthala, 2006, p. 83-101. (Politique Africaine, n° 101)

la politique, les jeunes ne s’excluent pas de la vie politique nationale à laquelle ils

participent de diverses façons.

2.2.2.1. Méfiance et désillusion des jeunes vis-à-vis de

la politique

Les jeunes semblent avoir globalement une image assez négative de la politique reflétant une perte de confiance et une perte de crédibilité au niveau de ses principes, de ses modes de fonctionnement, de ses acteurs et de ses institutions.

Dans son étude sur les jeunes des grins, J. Kieffer a noté que ceux-ci apparentent la politique à un « business ». Les jeunes perçoivent le travail d’un homme politique comme un usage de la ruse afin de servir ses intérêts personnels et ceux de ses proches.

« La politique c’est devenu un business. Dans un petit pays comme le Burkina Faso, on a 118 partis répertoriés au niveau du ministère de l’administration territoriale. C’est la merde ! » [Johnny, 5 novembre 2005,

Dassasgho]1

« Il a su profiter de la politique […]. Aujourd’hui il est bien, il a construit chez lui, il a payé sa voiture. Il s’est un peu retiré de la politique. »

[Hyacinthe, 9 novembre 2005, Dassasgho]2

Au sein du milieu étudiant, J. Mazzocchetti a réuni des témoignages révélant cette même thématique de l’intérêt des hommes politiques et de la méfiance développée par les jeunes à leur égard.

« Il y a antinomie entre politique et morale. Il est possible d’être honnête avant de rentrer dans le monde politique, mais une fois de l’autre

1 KIEFFER Julien, « Si tu as les feuilles, tu fais la loi ! » Représentations et pratiques des jeunes ouagalais pendant la

campagne présidentielle de 2005 (Burkina Faso). Ouagadougou : Laboratoire citoyenneté et Institut Universitaire

d’Etudes du Développement, 2006, p. 16. (Etude RECIT n°13) 2 Ibid.

côté, c’est pratiquement impossible. On dit que le pouvoir révèle la nature de l’homme et que le luxe rend aveugle. » [Soma, 25 ans, licence de droit, 2005]1

Très critique vis-à-vis de la moralité des hommes politiques, la majorité des jeunes s’accorde également sur l’inutilité des outils classiques de participation politique. Les données issues de notre questionnaire portant sur l’utilité du vote montrent, comme nous l’avons vu, le peu de crédit que les jeunes lui accordent en tant qu’outil de changement.2 L’engagement dans un parti politique est quant à lui jugé inutile par 83,2 % des jeunes ayant répondu à cette question.3

Enfin, la perception par les jeunes de l’action publique menée à leur égard se révèle très négative et une sorte de désillusion semble de mise quant à la capacité d’action de l’État et à l’intérêt qu’il porte aux jeunes. Le jugement opéré par les jeunes interrogés concernant la politique des dirigeants actuels illustre bien cette vision négative. 51 % d’entre eux se sont déclarés insatisfaits contre seulement 3,6 % de totalement satisfaits. Les deux évaluations les plus négatives réunissent à elles seules environ 88,7 % des répondants.

Satisfaction des jeunes vis-à-vis de la politique des dirigeants actuels4

Totalement satisfait Satisfait Moyennement satisfait Pas satisfait Niveau de satisfaction 100 80 60 40 20 0 F re q u e n c y 1

MAZZOCCHETTI Jacinthe, « Quand les poussins se réunissent, ils font peur à l’épervier… ». Les étudiants burkinabè en politique. In MAZZOCHETTI Jacinthe et HILGERS Mathieu, In Burkina Faso…. Op. cit., p. 87.

2

Pour rappel, 71,1 % des jeunes ayant répondu à une question portant sur les outils efficaces pour provoquer des changements ont jugé le vote inutile.

3 149 jeunes ont répondu correctement à cette question soit 21 réponses manquantes. 4

Concernant l’intérêt de l’État pour les jeunes, les réponses sont aussi révélatrices de cette désillusion car la majorité des jeunes considère que l’État fait semblant de s’intéresser à eux et de faire quelque chose pour eux (46,1 %). Autre preuve, les deux évaluations négatives à savoir celle précédemment citée et celle consistant à dire que l’État ne s’intéresse pas aux jeunes et qu’il ne fait rien pour eux cumulent à elles seules 71,9 % des répondants.

Évaluation par les jeunes du degré d’attention et d’action de l’État à leur égard1

Pourcentage (%) Pourcentage cumulé (%)

Pas intéressé et ne fait rien 25,7 25,7

Fait semblant d’être intéressé et de faire

quelque chose 46,1 71,9

Intéressé mais ne peut rien faire 15,6 87,4 Intéressé et fait tout ce qu’il peut 12,6 100

Au regard de cette désillusion des jeunes vis-à-vis de la politique, c'est-à-dire de ses outils, institutions et acteurs, il nous semble intéressant d’analyser plus en profondeur les comportements politiques développés par les jeunes afin de juger de la validité de l’idée de crise de la jeunesse.

2.2.2.2. Le développement de nouveaux comportements

politiques chez les jeunes

Il ressort des études de J. Kieffer et de J. Mazzocchetti trois types de comportements développés par les jeunes dans le domaine politique : le ralliement à la mouvance dominante, l’opposition et la résignation. Julien Kieffer comme J. Mazzocchetti s’accordent à dire que la dernière est la plus répandue chez les jeunes, essentiellement car il s’agit de la stratégie la plus facile et immédiate.

1

Cependant, il convient de s’interroger sur la signification de la persistance de stratégies d’inscription des jeunes dans l’espace politique malgré la désillusion qui semble les frapper.

En dehors des jeunes qui adhèrent à la mouvance dominante par conviction politique, pour une bonne partie des jeunes urbains burkinabè, suivre la tendance dominante constitue un bon outil pour servir ses intérêts et ceux de ses proches.

« Avancer dans la politique, je suis d’accord si on me donne des responsabilités qui me permettent de bouffer. Bouffer, c’est faire profiter mes gars. » [Z., 8 août 2005, Ouidi]1

Cette citation est révélatrice de l’idée avancée par J. Kieffer selon qui les discours et pratiques de ce type, développés par les jeunes autour de la campagne présidentielle de 2005, participent d’une économie morale de la corruption2 qui se caractérise par une logique de négociation et de marchandage. Ainsi, comme l’a bien décrit l’auteur, lors de la campagne électorale mais également dans la vie politique locale quotidienne, des jeunes se spécialisent dans ce rôle d’intermédiaire qui consiste à marchander son engagement partisan et celui de ses proches contre un ensemble de revenus et/ou de services. Cela pousse souvent les jeunes dans les partis les plus importants qui sont ceux ayant le plus à offrir, essentiellement le parti de la mouvance présidentielle, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) comme en attestent ces propos recueillis auprès de Sandpawendé Ouédraogo, Président d’une association œuvrant en direction de la jeunesse et acteur politique engagé dans un parti sankariste à l’échelle du département de Kaya.

« Surtout en ville mais aussi en campagne, les jeunes matérialisent leurs échanges et il s’agit désormais d’acheter leur confiance. Un paquet de thé suffit souvent à obtenir le soutien d’un jeune à une élection. […] La différence d’engagement des jeunes au sein du CDP et des partis politiques

1

KIEFFER Julien, « Si tu as les feuilles, tu fais la loi ! », Op. cit., p. 16.

2 MEDARD Jean-François, Le rapport de clientèle : du phénomène social à l’analyse politique. In Revue française de

d’opposition s’explique par cette matérialisation des échanges entre jeunes et partis politiques. Les jeunes sont fortement engagés au sein du CDP car ce parti a les moyens de les attirer par un système de dons et d’aides allant de l’offre d’un paquet de thé à celle d’un travail. Comme les jeunes ne veulent pas se battre, adhérer au CDP leur permet d’améliorer leur situation relativement facilement. »1

Il s’agit alors d’un calcul rationnel qui n’est donc pas contradictoire avec les discours majoritairement critiques développés par les jeunes à l’égard du pouvoir. Ceux-ci s’inscrivent finalement dans la tendance à la mutation de la politique en véritable « business », adoptant ainsi les mêmes principes et objectifs que les hommes politiques qu’ils critiquent, afin de tirer profit de leur investissement. Le marchandage de leur engagement partisan ne détermine d’ailleurs pas forcément leur vote comme le montre ce témoignage d’un étudiant interrogé par J. Mazzocchetti:

« Je suis au CDP, mais une fois dans l’urne, personne ne sait [pour] qui je vais voter. » [Firmin, 23 ans, deuxième année de sociologie, 2005]2

La deuxième possibilité qui s’offre aux jeunes est la lutte engagée contre la mouvance dominante via le militantisme dans un parti ou un syndicat d’opposition ou encore la participation à des marches de protestation et à des manifestations. Cette deuxième possibilité est la plus révélatrice d’un intérêt et d’un engagement profond des jeunes concernés car il suppose une disponibilité et une prise de risque importante. Le risque désigne la possible répression, notamment lors des marches de protestation organisées par les mouvements étudiants dits d’opposition mais aussi le risque de représailles quant à une éventuelle carrière universitaire ou administrative. Si le militantisme au sein de la mouvance majoritaire s’avère être une porte d’entrée pour l’occupation de postes stables, le militantisme d’opposition constitue un handicap certain ou est tout du moins perçu comme tel.

1

Entretien avec Sandpawendé OUEDRAOGO, Coordonnateur local du RAPPED, Président de l’APV/CN. Kaya : 27 juin 2007.

2

« Les gens se disent que s’ils pratiquent une activité syndicale, ils seront réprimés. Ils ont peur d’être arrêtés, de ne pas pouvoir bosser. »

[François, 23 ans]1

Finalement, bien que très critiques et victimes d’une certaine forme de désillusion, les jeunes n’optent pas nécessairement pour une mise à l’écart du système politique. Dès lors, peut-on conclure à la validité du paradigme de crise des liens unissant jeunesse et changement ou convient-il de chercher ailleurs la signification de ces nouvelles pratiques et des contradictions apparentes qui y semblent sous-jacentes ?

2.2.2.3. Jeunesse et politique: une relation en crise ?

Cette apparente contradiction entre pratiques de marchandage et discours dénonciateurs révèle finalement le développement chez les jeunes d’un nouveau rapport à la politique, plus instrumental2 et reposant sur un imaginaire politique

qui valorise la ruse et la force3 et qui est étroitement lié avec le développement de nouvelles figures jeunes de la réussite comme nous allons le voir par la suite et de leur façon qu’ils ont de « franchir et de reconceptualiser les frontières entre des

éléments apparemment contradictoires ».4

Mais cette désillusion et les comportements qui en découlent ne doivent pas nous amener pour autant à conclure à une dépolitisation de la jeunesse. En effet, le désengagement de la majorité des jeunes et le développement de stratégies de marchandage par d’autres ne nous paraît pas être le reflet d’un désintérêt pour le politique mais pour la politique. Si comme nous venons de le voir, les jeunes ont un regard négatif sur la première, ils sont intéressés par la seconde comme en atteste la fréquence des discussions ayant trait à la vie politique ou à la vie publique au sens large tant au sein du milieu étudiant que chez les jeunes des grins. Lors de nos

1

MAZZOCCHETTI Jacinthe, « Quand les poussins se réunissent, ils font peur à l’épervier… ». Op. cit., p. 98. 2

MUXEL Anne, L’expérience politique des jeunes. Paris : Presses de Sciences Po, 2001, p. 41. 3 KIEFFER Julien, « Si tu as les feuilles, tu fais la loi ! », Op. cit., p. 16-17.

4

nombreuses séances d’observation dans ces lieux, nous avons constaté la fréquence des débats portant sur ces thématiques et surtout leur vivacité. Le ton monte, les points de vue s’affrontent et chacun affine ses arguments pour se faire comprendre. Ainsi, les pratiques de rejet et de détournement des modes de participation politique conventionnels et non-conventionnels ne reflètent pas, selon nous, un désintérêt pour le politique mais le passage à de nouveaux modes de participation et de mobilisation ne relevant plus des grilles d’analyse propres à la conception behavioriste de participation politique.

Ainsi, si des mobilisations d’intensité comparable à celles des jeunes pour l’accès à l’indépendance ne semblent plus d’actualité, nous pensons que le rapport des jeunes au politique n’est pas pour autant en crise.

L’idée d’un âge d’or de l’engagement politique des jeunes au moment des luttes pour l’indépendance doit être démythifiée. En effet, celui-ci ne concernait qu’une frange très restreinte de jeunes dits « éduqués »1 et s’il s’agit d’une sorte d’âge d’or de la mobilisation étudiante, l’on ne peut pas l’élargir à l’ensemble de la jeunesse. Ainsi, les liens entre les jeunes et le politique ne peuvent-être considérés comme en crise étant donné que celui-ci s’étend plutôt à des franges de jeunesse de plus en plus vastes, évoluant dès lors vers des formes de mobilisation nouvelles dont il nous reste à étudier la véritable nature.

Une telle analyse ne peut-être faite de façon approfondie à l’échelle de cette recherche mais nous pouvons cependant d’ores et déjà donner quelques caractéristiques générales qui nous semblent représentatives des liens actuels existant entre jeunesse urbaine et politique au Burkina Faso.

Premièrement, les mobilisations protestataires ayant pour cadre des actions collectives semblent plus circonstanciées et portent essentiellement sur la négociation de la place des jeunes, dans une société où celle-ci semble de moins en moins claire et facile, et sur la mobilisation en faveur de « grandes causes morales ». Ainsi, en dehors des luttes étudiantes, l’un des exemples les plus importants de mobilisation de la jeunesse dans son ensemble est la lutte menée

1

dans le cadre du Collectif de lutte contre l’impunité. Celui-ci a été constitué en vue de forcer le pouvoir en place à rendre justice concernant les crimes politiques impunis dont les plus connus sont les assassinats du Capitaine Thomas Sankara en 1987 et du journaliste engagé Norbert Zongo en 1998. Ces objectifs parallèles de défense d’intérêts personnels et de causes collectives semblent à première vue contradictoires mais, comme le notait Anne Muxel1 concernant le contexte français, ils sont en fait le reflet de l’évolution actuelle qui a pour tendance l’élargissement des échelles d’appartenance des individus et tout particulièrement des jeunes qui sont conjointement confrontés à des problèmes ayant trait à leur environnement direct et à des enjeux collectifs et internationaux dont ils ont connaissance via leur forte consultation des médias.2 Ainsi, ces objectifs et mobilisations parallèles ne sont pas aussi contradictoires qu’ils n’y paraissent étant donné que les jeunes doivent désormais construire avec des référents multiples et complexes afin d’en dégager des choix politiques personnalisés. Cette nouvelle dimension confirme la nécessité de renouveler les modèles d’analyse des liens unissant les jeunes à la politique.

Deuxièmement, à l’engagement dans des partis politiques, les jeunes préfèrent aujourd’hui l’engagement dans des structures apolitiques dont l’association est le principal modèle. L’engagement des jeunes répond alors à des valeurs morales renvoyant à la défense de droits élémentaires bien plus qu’à des affiliations relevant du champ politique ou partisan. La dimension protestataire n’en est pas moins présente dans ces modes d’action qui véhiculent une sorte d’idéal de « démocratie directe » visant à régir des questions de la vie quotidienne autant que des enjeux collectifs plus généraux. Ces nouvelles formes d’engagement des jeunes sont donc porteuses d’une morale animée par des valeurs fondamentales (altruisme, tolérance, solidarité) dont on déplore l’absence dans le domaine politique et ne leur demandent qu’une forme d’engagement relativement souple et donc accessible à un plus grand nombre d’entre eux.

Il n’en demeure pas moins que des formes de protestation plus radicales et visibles perdurent, constituant contradictoirement des outils pour les franges de jeunesse

1

MUXEL Anne, L’expérience politique des jeunes. Paris : Presses de Sciences Po, 2001, p. 57-59

2 Notre enquête par questionnaire a révélé l’importante consultation des médias par les jeunes interrogés (94,1 % déclarent consulter souvent les médias).

les plus intégrées à la vie politique (les étudiants) et celles qui sont les plus exposées aux processus de marginalisation à l’œuvre en milieu urbain burkinabè (jeunes de la rue, jeunes délinquants, rappeurs, etc.).

Avant d’étudier certaines de ces formes d’inscription de la jeunesse dans l’espace public, nous allons compléter notre étude des liens entre jeunesse et changement par une analyse de l’évolution des « figures jeunes de la réussite » qui, comme nous l’annoncions un peu plus tôt dans notre étude des liens entre jeunes et politique, suivent cette émergence de représentations et de valeurs nouvelles.

3.

« Les figures jeunes de la réussite » : entre

constance et renouvellement

Sous l’appellation « figures jeunes de la réussite » nous désignons donc ces catégories de la jeunesse qui, dans le contexte changeant qui caractérise la société burkinabè, se sont progressivement illustrées comme des modèles de réussite, ce qui leur a dès lors conféré une certaine forme de pouvoir. Nous allons voir que nous pouvons noter un certain « remue-ménage au panthéon de la réputation »1 chez les jeunes. Ceux que l’on a appelé « les éduqués », c'est-à-dire les jeunes diplômés, ont vu leur place de choix bousculée dans les hiérarchies du prestige au bénéfice d’autres catégories valorisées pour leur ruse, leur malice et leur « art de la débrouillardise ».

« La figure de l’intellectuel diplômé, par exemple, ou de « l’évolué » pour reprendre une terminologie coloniale qui a la vie dure, a vu sa valeur sociale se dégrader à mesure que se fermaient les opportunités d’embauche dans la fonction publique et que s’aggravait la crise des filières universitaires. […] Certes, les « évolués » ont reconquis une partie de leur pouvoir avec le processus de démocratisation mais, au Bénin comme

1 BANEGAS Richard et WARNIER Jean-Pierre (coord.), Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir. In Figures de la

ailleurs, ils ne sont plus au fait des hiérarchies du prestige. […] Depuis