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Une explication par les caractéristiques propres de la jeunesse

2. LA PARTICIPATION DE LA JEUNESSE AUX PROCESSUS DE CHANGEMENT

2.1. Les jeunes: acteurs des processus de changement

2.1.1. Une explication par les caractéristiques propres de la jeunesse

propres de la jeunesse

Comme le souligne Abdoulaye Niang1, la jeunesse constitue un double enjeu pour les processus de changement. Elle est tout d’abord un acteur collectif des changements immédiats étant donné qu’elle est dotée d’une prédisposition à l’engagement dans des actions innovantes. Elle est également un acteur majeur des changements plus généraux et durables car, du fait des mécanismes générationnels, tout changement qui affecte cette catégorie précise du cycle de vie finit toujours par avoir des retombées sur les autres générations et provoquer ainsi des changements majeurs. Ces deux éléments constituent des sources d’explication des liens faisant des jeunes des acteurs majeurs des processus de changement.

A chaque stade du cycle de vie correspondent des types particuliers de changements physiologiques, de préoccupations socio-affectives, de rôles, de besoins et d’objectifs. Comme le notent Richard et Margaret Braungart2, la jeunesse est le moment où, chez l’individu, l’énergie et le désir d’indépendance et de découverte sont à leur apogée. L’étape de la jeunesse est celle de la construction d’une identité différenciée par laquelle les individus élaborent leur rapport au moi et à la société qui les entoure en faisant alors le moment majeur d’émergence du changement. Cette approche basée sur le cycle de vie et les caractéristiques propres à la jeunesse permet d’expliquer pourquoi les jeunes entreprennent des actions politiques allant à l’encontre de leur aînés et sont le plus souvent les

1

NIANG Abdoulaye, La jeunesse africaine et le changement social. In ASSOGBA Yao (dir.), La jeunesse en Afrique

subsaharienne. Laval : Les Presses de l’Université Laval, 2007, p. 8-9.

2 BRAUNGART Richard et Margaret, Les générations politiques In CRÊTE Jean et FAVRE Pierre (dir), Générations et

acteurs majeurs des mouvements d’agitation sociale et politique, comme l’histoire le démontre.

« L’approche par le cycle de vie explique la participation élevée des jeunes à des mouvements politiques orientés vers le changement par les transformations liées au développement qui surviennent pendant la jeunesse et qui se combinent aux tendances et aux besoins spécifiques à ce stade particulier du cycle de vie affectant profondément les valeurs, les perceptions et les réactions politiques des jeunes. »1

En effet, la jeunesse est le moment de profonds changements cognitifs et socio- affectifs chez l’individu qui augmentent la probabilité de tensions avec les générations aînées, fournissant ainsi les bases des changements politiques et sociaux. De plus, comme le notent également R. et M. Braungart, il y a un lien étroit entre le contexte culturel et la formation de générations politiques qui nécessitent, selon eux, la cristallisation d’une culture affirmée propre à la jeunesse et d’une socialisation se faisant plus par les pairs du même âge que par les adultes.2 Ainsi, nous pouvons supposer que les jeunes burkinabè constituent des acteurs majeurs des processus de changements à l’œuvre dans cette société.

Cette idée est confirmée par les recherches du sociologue A. Niang selon qui la jeunesse se caractérise par une triple dimension : ses aspects physiobiologiques et

morphologiques, sociaux et psychologiques.3 Les premiers nous intéressent peu à ce niveau car ils désignent les caractéristiques physiques de la jeunesse qui n’ont pas de réelle implication concernant les processus de changement. Par contre, les aspects sociaux et psychologiques de celle-ci méritent toute notre attention car ils constituent une source d’explication pertinente. La dimension sociale désigne les comportements et les pratiques propres aux jeunes qui se caractérisent en général par une certaine opposition à la majorité, un « anticonformisme » qui est

1 Ibid., p. 17. 2

Ibid., p. 29. 3

NIANG Abdoulaye, La jeunesse africaine et le changement social. In ASSOGBA Yao (dir.), La jeunesse en Afrique…,

socialement toléré car perçu comme la marque de la transition inachevée entre le monde de l’enfance et l’âge adulte. La jeunesse contient donc intrinsèquement une tendance à développer des comportements et des pratiques nouvelles, opposées à la majorité. La psychologie de la jeunesse est, quant à elle très portée sur l’innovation et les changements puisqu’elle repose sur une affirmation de soi consistant à s’octroyer un maximum de liberté pour mieux exprimer son identité propre, son originalité. Elle est à l’origine de nombreux processus d’individualisation particulièrement marqués chez les jeunes vivant en milieu urbain et dont nous étudierons par la suite quelques exemples.

« Cette psychologie collective « jeune », particulièrement ouverte à l’innovation et au changement, contribue à faire de la jeunesse un atout potentiel quand il s’agit d’entreprendre des changements au niveau de toute une société. »1

Abdoulaye Niang explique ces liens entre jeunesse et changements par la position de centralité stratégique2 qui la caractérise. De par son poids démographique et sa

présence active dans de nombreux secteurs d’activité ayant une utilité pour la société, la jeunesse jouit, selon lui, d’une influence déterminante dans les principaux processus de changements en cours. Conformément à ce modèle, la jeunesse burkinabè ne ferait pas exception à la règle et cela nous amène à penser qu’elle se trouve dans une position faisant d’elle un acteur potentiel des processus de changement. Un bref panorama de la position de la jeunesse burkinabè dans différents secteurs de la société vient d’ailleurs confirmer cette idée.

Si l’importance du rôle joué par la jeunesse dans les processus de changement est une réalité communément admise parmi les spécialistes des questions de jeunesse, la nature de ce rôle fait quant à lui débat. En effet, comme le soulignent Alcinda Honwana et Filip de Boeck3, les jeunes sont à la fois makers

and breakers of society car ils construisent et déconstruisent la société mais sont

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Ibid., p. 8. 2 Ibid., p. 8-9. 3

aussi faits et défaits par elle. Ils la construisent en tant que participants à l’élaboration des structures, normes, rituels et orientations de la société mais également en tant que forces politiques, sources de résistance et de souplesse, générateurs de valeurs, etc. Au contraire, ils déconstruisent ou détruisent la société car ils constituent des facteurs de risque du fait de certaines de leurs pratiques (drogue, alcool, sexualité non protégée, criminalité, etc.) ou de leur effet destructeur sur les normes, conventions et règles de vie en société. Dans les sphères publique comme privée, les jeunes ont un statut fort ambigu car ils sont à la fois perçus comme une ressource, le fer de lance de la Nation, la garantie la

plus sûre pour l’avenir, l’avenir au présent et comme une crainte, un danger pour la société1.

Ces débats ont pour mérite de mettre en évidence la très forte diversité des statuts, positions et rôles occupés par la jeunesse au sein d’une société.

« Ils présentent de multiples facettes: on peut aussi bien les percevoir comme une « influence émergente » que les considérer comme « submergés par le pouvoir » ; ils peuvent être cibles et victimes, exploités et abusés, mais ils peuvent tout aussi bien être combattants, activistes et entrepreneurs, ou encore rebelles, hors-la-loi et criminels. Souvent, ils combinent et occupent plusieurs de ces positions à la fois. Point de rencontre de multiples statuts, leur vie est complexe et ils parviennent à naviguer dans de nombreuses arènes sociales grâce à la variété de leurs comportements et de leurs statuts. »2

Cependant, nous considérons que ceux-ci entrent dans le domaine des approches normatives de la jeunesse étant donné que l’intérêt n’est pas, à notre avis, de juger de la nature positive ou négative du rôle de la jeunesse dans les processus de changement mais bien plus de la portée de celui-ci. En effet, porter un jugement en la matière suppose de pouvoir apprécier la finalité d’un processus dont la complexité nous semble rendre impossible un tel objectif.

1 MBEMBE Joseph-Achille, Les jeunes et l’ordre politique..., Op. cit., p. 17. 2

Ces débats sur la nature du rôle de la jeunesse dans les processus de changement sont également au cœur des discours politiques.

Ainsi, au Burkina Faso l’on peut noter une tendance récurrente à remettre en cause la légitimité du rôle joué par la jeunesse dans les processus de changement. Cet extrait d’un message de la Jeunesse Étudiante Chrétienne (JEC) de Haute-Volta1 lors de sa journée nationale du 13 mai 1962 vient confirmer cette idée puisque la description du rôle des jeunes dans les processus de changement y est faite de façon ambiguë alors même que ce message a été rédigé par une organisation de jeunesse, prouvant ainsi la force de cette ambigüité qui a même été intériorisée par les jeunes.

« La JEC Voltaïque proclame derechef sa foi en la Jeunesse voltaïque. […] Notre pays étant jeune, il s’ensuit que l’actuelle génération est une génération-clé qui donnera au pays une orientation nouvelle, et peut-être définitive, car elle constitue, qu’elle le veuille ou non, les « briques de base » de l’édifice national. […] La JEC Voltaïque cependant connaît ses difficultés: difficultés internes venant du peu de conviction qui est le lot de la jeunesse actuelle, trop encline à sacrifier l’efficacité au bruit. Il faut le dire, les hommes agissent très souvent selon leurs intérêts. Et nous pouvons dire de nos militants qu’ils sont pleins de vie et pleins de langueur, généreux et égoïstes, ardents et paresseux, réalistes et rêveurs. Ils se contentent trop souvent de vivre du Mouvement sans le faire vivre. »2

Cette tendance est ancienne et récurrente dans l’histoire burkinabè mais elle l’est aussi dans d’autres contextes. Dans les sociétés occidentales, par exemple, cette ambigüité se construit progressivement et l’on passe d’une image de la jeunesse immature à celle d’une catégorie représentant à la fois une ressource et une menace pour l’avenir.

1 Le pays qui constitue le cadre géographique de cette analyse s’appelait la Haute-Volta avant de devenir le Burkina Faso en 1984.

2

SAWADO Jean-Marie (responsable National de la JEC Voltaïque), Message de la JEC pour la journée nationale. Ouagadougou : 13 mai 1962.

Comme toute représentation en vigueur à un moment donné s’inspire toujours des conceptions précédentes, nous comprenons bien que les contradictions actuelles concernant la légitimité du rôle de la jeunesse dans les processus de changement se soient structurées autour de ces différentes étapes et qu’elles persistent encore aujourd’hui. Les discours récurrents au Burkina Faso sur la « dépravation de la jeunesse » ne sont pas sans rappeler les grandes dissertations développées au 19ème siècle, en Occident, par les détenteurs de la morale bourgeoise (hommes politiques, notables, religieux et médecins) sur la démoralisation de la jeunesse soumise aux ravages du matérialisme, à la disparition de l’esprit d’obéissance et du respect de la politesse ainsi qu’au dilettantisme croissant.1 Il y a également de nombreux points de concordance avec des débats contemporains portant notamment sur la délinquance juvénile. C’est précisément de ces réflexions normatives que découlèrent, dans les sociétés occidentales comme au Burkina Faso, ces analyses ambigües présentant la jeunesse comme un personnage collectif incarnant conjointement les craintes et les espoirs de la société, le signe d’une menace pour l’ordre social et sa nécessaire force de renouvellement. Dans ces deux contextes, c’est l’obligation d’adaptation de la société au contexte changeant qui a fait de la jeunesse un acteur majeur des processus de changement. Toutefois, l’évolution des mentalités ne suppose pas de faire table rase du passé et une ambiguïté quant à la capacité et à la légitimité de la jeunesse à participer aux processus de renouvellement de la société perdure donc.

Quoi qu’il en soit, en dehors des effets du cycle de vie et des caractéristiques propres à la jeunesse, un recours au concept scientifique de génération est à même de nous renseigner de façon plus précise sur ces liens qui font de la jeunesse un acteur majeur des processus de changement en cours dans la société burkinabè.

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