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1. LE SYNDICALISME ÉTUDIANT : UNE CULTURE POLITIQUE DE LA CONTESTATION ?

1.2. Pouvoir contre-hégémonique ou pouvoir de « dé-totalisation » ?

1.2.1. La thèse du pouvoir « contre-hégémonique »

Certains des éléments qui ont constitué les justificatifs d’une qualification du mouvement étudiant burkinabè comme étant contre-hégémonique méritent d’être repassés au crible d’une analyse critique.

S’il est clair que l’UGEV a constitué un puissant vecteur d’idées révolutionnaires en Haute-Volta de par les documents produits lors des congrès notamment, son influence resta limitée aux couches sociales urbaines alphabétisées et la très grande

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majorité de la population n’en ressentit pas l’influence malgré l’objectif « d’intégration des masses » qui avait été adopté.

« L’influence de l’UGEV va concerner surtout les élèves, les étudiants, les fonctionnaires et les militaires. Toutefois, à notre connaissance, peu de syndicats ouvriers et aucune organisation paysanne n’adoptent ce discours. C’est dire que contrairement aux exigences « d’intégration aux masses », les idées de l’UGEV n’ont pas d’impact sensible au sein des « masses fondamentales » ouvrières et paysannes. Le discours anti-impérialiste se cantonne à une frange de la petite bourgeoisie. »1

La diffusion restreinte des idées véhiculées par le mouvement nous semble constituer un premier élément de remise en cause de cette nature contre- hégémonique.

Celle-ci peut également être interrogée au regard des motivations originelles des mouvements et de la nature de ses membres actifs. Cette citation de Patrice Mothes est révélatrice de la tendance à la matérialisation des demandes des mouvements étudiants dont nous parlions un peu plus tôt.

« Ces manifestations doivent nuancer la position quelque peu idéaliste qui tendrait à percevoir les étudiants comme des modèles dans la lutte contre le pouvoir en place, le parti unique et la sclérose des institutions. Bien des mouvements qui se sont transformés en de véritables revendications pour la démocratisation, n’étaient au départ que des requêtes purement matérialistes dans le but d’obtenir des logements plus confortables, des bourses mieux garnies ou des examens moins difficiles. En fait, l’exigence démocratique s’est greffée lorsque les revendications des

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DIALLO Hamidou, Le rôle du mouvement étudiant dans l’évolution politique du Burkina Faso de 1960 à 1983. In D’ALMEIDA-TOPOR Hélène, COQUERY-VIDROVITCH Catherine, GOERG Odile (eds), Les Jeunes en Afrique : la

étudiants n’avaient pas eu d’écho ou lorsqu’elles s’étaient soldées par une répression de la part des autorités gouvernementales. »1

Ce point ayant été développé dans notre chapitre portant sur l’évolution des « figures jeunes de la réussite », nous n’allons opérer ici qu’une précision à ce sujet. Les recherches menées par P. Bianchini et G. Korbéogo2 ont permis de relever que l’origine des étudiants engagés dans l’action syndicale était majoritairement rurale et modeste. Leur confrontation majeure à des difficultés de financement de leurs études et de leur vie sur les campus constitue un important facteur explicatif de leur engagement militant et de cette matérialisation des revendications. D’ailleurs, les jeunes issus de milieux aisés ou proches du pouvoir se révèlent en général moins enclins à l’engagement dans des actions revendicatives. Les facteurs explicatifs de l’engagement syndical chez les étudiants ne se limitent cependant pas uniquement à l’origine sociale des élèves car la géographie joue également un rôle manifeste en la matière. Les jeunes dits « diaspos », c'est-à-dire ceux qui ont vécu en Côte d’Ivoire, sont plus enclins à des modes d’action radicaux qui s’expliquent en partie par leur socialisation à l’engagement syndical dans les luttes scolaires et étudiantes en Côte d’Ivoire dont la violence a été croissante à partir des années quatre-vingt-dix.3

« Je suis le responsable du CODE pour l’UNEF. J’étais en amitié avec la FESCI [Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire] à Abidjan. Quand je suis rentré au pays après le bac, je ne connaissais personne à l’Université de Ouagadougou. Je ne savais rien de ce qui s’y passait. J’ai aussi suivi les présentations des différents syndicats et, face à mon expérience à la FESCI, je croyais que la base c’était la force et je ne voulais donc plus militer dans un mouvement ici. J’habitais dans la même cour qu’un membre de l’UNEF et comme il m’a appelé pour soutenir des

1 MOTHES Patrice, Enseignement supérieur et élites… Op. cit., p. 39. 2

BIANCHINI Pascal et KORBEOGO Gabin, Le syndicalisme étudiant… Op. cit., p. 50. 3

KONATE Yacouba, Les enfants de la balle. De la FESCI aux mouvements de patriotes. In MARSHALL-FRATANI Ruth, BANEGAS Richard, La Côte d’Ivoire en guerre : dynamiques du dedans et du dehors. Paris : Karthala, 2003, 224 p. (Politique Africaine n° 89)

camarades, je l’ai suivi et peu à peu je suis devenu le représentant désigné de l’UNEF au CODE. C’était en 2005. »1

Il convient également de noter que les filles sont très largement sous-représentées dans le militantisme étudiant comme nous l’a confirmé notre enquête sur le terrain au sein de ce milieu. Dans les locaux du CODE à Ouagadougou, nous n’avons croisé que très peu de filles et celles-ci étaient en général de simples visiteuses. Si les filles sont moins engagées pour des raisons culturelles liées à leur mode d’éducation et aux libertés plus réduites dont elles disposent, elles le sont aussi du fait de leur plus faible confrontation aux difficultés matérielles liées aux sollicitations économiques familiales et des « possibilités de recours nées des

formes de conjugalité dans lesquelles elles sont engagées (relations de copinage, fiançailles, mariages, etc.) ».2

Quant à l’influence des origines sociales, celle-ci semble inversée puisque les principaux acteurs des mouvements sont les jeunes défavorisés de par leur origine sociale ou géographique. Si cela pourrait suggérer un renversement de l’ordre établi via la promotion de groupes défavorisés nous pensons que cela est bien plus révélateur de l’importance des difficultés et de l’isolement rencontrés par ces jeunes pour qui l’engagement est un mode de survie. De plus, au sein même de ces mouvements, P. Bianchini et G. Korbéogo notent l’existence d’une sorte de « (ré)-

invention du politique »3 en milieu étudiant. En effet, on y retrouve une opposition entre les « élites » dirigeantes et les adhérents de la « base ». L’élite dirigeante est composée d’étudiants ayant fait leur armes pour résister aux tentations des éventuelles sollicitations matérielles de la part des adversaires. Cette condition d’accès repose sur le niveau d’étude et l’ancienneté de la socialisation passée au sein d’instances syndicales diverses. La masse étudiante qui se situe à la base du mouvement a quant à elle des motivations et des attentes très diverses qui rendent difficiles les débats. Ainsi, ces auteurs estiment que des procédures d’ouverture de la prise de parole et de relâchement des tensions sont mises en œuvre pour masquer

1 Entretien avec Adama BELEMKOABGA (Secrétaire Général) et Jean-Baptiste KABORE (Responsable du CODE), UNEF. Ouagadougou : 17 juillet 2009.

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BIANCHINI Pascal et KORBEOGO Gabin, Le syndicalisme étudiant… Op. cit., p. 53-54. 3 Ibid., p. 54-55.

les divisions internes, éviter d’éventuels déchirements et fabriquer une sorte de consensus. L’élaboration des plateformes revendicatives constitue un enjeu majeur de ce travail de collectivisation des intérêts. Cette culture de la « fabrication du

consensus » est selon nous caractéristique du champ politique burkinabè qui,

depuis les années quatre-vingt-dix a travaillé à l’instauration de cette apparence de stabilité, de calme et de communion des intérêts. L’opposition directe et violente ne fait pas partie du jeu politique habituel et les procédures ont préférentiellement pour base les arrangements afin d’afficher dans l’espace public un consensus qui est finalement fabriqué en coulisses. Au regard de ces éléments, il semble que le qualificatif adéquat soit plus « la réinvention du politique » dans la mesure où les mouvements reposent sur une gestion des divisions dont le mode de fonctionnement est très proche des modalités propres à l’ordre établi auquel ils s’opposent. De plus, si les mouvements étudiants se sont manifestement posés comme formes de « contre-pouvoir » dans le cadre de luttes précises telle que l’affaire Zongo et la lutte plus large contre l’impunité qu’elle a déclenchée, ces oppositions sont contextuelles et ces mouvements ont constitué et constituent toujours le premier lieu de socialisation politique des futures élites dirigeantes. Cela explique notamment pourquoi les luttes étudiantes font souvent l’objet d’une forte décrédibilisation étant donné que les acteurs visés par celles-ci sont en général des anciens membres actifs de la FEANF et de l’UGEV. L’ouverture du militantisme au domaine des Droits de l’Homme, à partir des années quatre-vingt dix, a constitué un nouveau débouché pour les syndicalistes étudiants. Halidou Ouédraogo, personnalité à la tête du Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP), en constitue un exemple emblématique. P. Bianchini et G. Korbéogo en parlent comme d’un exemple de reconversion militante réussie. La figure du journaliste engagé dont le modèle est Norbert Zongo constitue également pour les militants étudiants actuels un bon exemple d’action contre-hégémonique extérieure au champ politicien.

Finalement, l’analyse des motivations, des origines et du profil des jeunes engagés ne nous semble pas constituer des arguments allant dans le sens d’une validation de la nature contre-hégémonique des mouvements étudiants au Burkina Faso. Ils semblent plus devoir être abordés comme des lieux de socialisation politique de la jeunesse dont l’aboutissement n’est pas nécessairement l’action contre-

hégémonique. Les véritables projets subversifs devant reposer sur une volonté profonde de remise en cause de l’ordre établi via une opposition à ses règles et pratiques mais également aux croyances qui en assurent la persistance et cette volonté devant être traduite en véritables stratégies de subversion pour déstabiliser l’ordre établi en rendant inopérantes ses bases de fonctionnement et de légitimation, nous n’adhérons pas à l’idée « d’enracinement de l’attitude contre-

hégémonique »1 parmi les couches étudiantes au Burkina Faso. En effet, l’analyse des éléments précédents nous a au contraire prouvé la dépendance des mouvements étudiants vis-à-vis de la culture politique dominante, de ses pratiques, règles et représentations sous-jacentes.2 Le rôle des mouvements étudiants burkinabè ne peut être comparé à celui de la FESCI en Côte d’Ivoire. Celle-ci a en effet constitué un important facteur de déstabilisation du pouvoir qui, confronté à sa culture de la violence portée par des leaders visibles et influents, fut contraint de prendre en compte et d’intégrer le mouvement étudiant dans ses stratégies politiques.3

Enfin, s’il est indéniable que le syndicalisme étudiant est porteur d’une politisation de la jeunesse nous ne pensons pas réellement que celle-ci puisse être qualifiée de nouvelle au regard de sa permanence historique et de la dépendance vis-à-vis des modalités de fonctionnement et des représentations sous-jacentes à l’ordre établi. Celui-ci connaît cependant un certain renouvellement via l’évolution de ses moteurs et débouchés. L’ouverture à de nouveaux espaces d’opposition et de revendications tels que la presse ou la lutte pour les droits de l’homme constitue un signe de renouvellement des modalités de cette politisation propre à la « jeunesse éduquée ». La thèse du pouvoir contre-hégémonique nous semble trop tranchée et nous lui préférons donc celle de « pouvoir de dé-totalisation » comme nous allons désormais le voir.

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Ibid., p. 58.

2 LAGROYE Jacques, Sociologie politique. Op. cit., p. 220-223. 3