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L’émergence de représentations et de comportements nuancés

2. LA PARTICIPATION DE LA JEUNESSE AUX PROCESSUS DE CHANGEMENT

3.2. Éduquer le jeune: un investissement nécessaire « malgré tout »

3.2.2. L’émergence de représentations et de comportements nuancés

comportements nuancés

Il ressort finalement que l’on ne peut parler d’image de la jeunesse éduquée au singulier car au regard de la multiplicité des représentations liées à cette catégorie de jeunesse, l’usage du pluriel s’avère indispensable pour rendre compte de la réalité.

La « jeunesse éduquée » constitue donc une « figure jeune de la réussite » très ambiguë et si sa place de choix dans les hiérarchies du prestige semble remise en cause par d’autres « figures jeunes » elle n’a pas totalement perdu son statut privilégié. Les représentations positives et négatives de la jeunesse éduquée, les espoirs qu’elle suscite et les déceptions qu’elle a fait naître se chevauchent.

« L’image de la réussite, associée à la figure prométhéenne du lettré, s’est altérée, mais la langue française comme le diplôme restent objets de

prestige. Et les opinons positives sur l’école ne s’accompagnent pas toujours d’une scolarisation correspondante. Dans l’ordre des besoins et des priorités, celle-ci est souvent reléguée à un niveau secondaire dès lors qu’interviennent certaines contraintes (d’ordre financier notamment). Cependant, des représentations issues de la mythification de l’école et de l’instruction subsistent ; en partie perçue comme sources d’échecs, l’école a généré des représentations moins catégoriques et une scolarisation relative, mais elle n’a aucunement dévalorisé l’instruction elle-même. »1

Pour François Dubet,2 l’expérience scolaire revêt trois dimensions correspondant aux trois fonctions majeures du système d’enseignement : la fonction culturelle qui consiste à transmettre un ensemble d’objectifs, de valeurs et d’idéaux ; la fonction de sélection qui permet d’établir un classement des compétences et la fonction d’intégration ou fonction socialisatrice qui consiste à inculquer aux jeunes un ensemble de droits et de devoirs. Si l’école3 n’a pas réussi à s’imposer comme une garantie d’accès à une certaine forme de promotion sociale, elle s’est cependant imposée comme un outil de socialisation nécessaire pour permettre à la jeunesse de s’adapter au monde actuel. C’est donc en tant que moteur de socialisation adapté que l’école possèderait toute sa légitimité dans la société burkinabè. Au niveau des jeunes, la fonction socialisatrice du système d’enseignement participe aussi largement à sa légitimité car c’est au sein de cet univers que ceux-ci développent de nouvelles formes de sociabilité qui leur sont propres, reposant sur une façon de consommer et de se distraire qui leur est propre et qu’il ne leur est pas permis d’exprimer aussi librement au sein de la sphère familiale.

La mise en avant des échecs de l’école via la stigmatisation de certaines de ses figures types telles que le jeune diplômé au chômage ou le jeune délinquant non scolarisé ou déscolarisé décrédibilise l’institution scolaire tout autant qu’elle vient confirmer que celle-ci est en proie à un processus de normalisation.

1 GERARD Etienne, Etre instruit, en tout cas. Op. cit., p. 108. 2

Cité par GALLAND Olivier, Sociologie de la jeunesse. Op. cit., p. 97-98. 3

L’usage de la majuscule vise ici à désigner l’institution scolaire dans son ensemble, incluant tous les niveaux d’enseignement.

D’ailleurs, les jeunes déscolarisés « de force », c'est-à-dire ceux qui ne l’ont pas décidé d’eux-mêmes, vivent leur échec scolaire comme une injustice et considèrent en général que les difficultés auxquelles ils sont confrontés des années après sont directement liées à cet arrêt de l’école. Ils identifient cette interruption de scolarisation comme un empêchement à leur réussite matérielle et à leur épanouissement personnel.1 Le témoignage suivant en est un bon exemple. Wendida Compaoré, jeune fille de 15 ans a progressivement quitté le système scolaire puis son environnement suite à des difficultés familiales et financières. Elle traine désormais avec une bande de jeunes de la rue qu’elle avait commencé à fréquenter auparavant dans les vidéoclubs et « gagne sa vie » en les aidant à voler. Elle est hébergée chez une prostituée, Aminata, et affirme ne pas se prostituer elle- même. Dans son récit de vie, elle établit un lien clair entre sa déscolarisation, ses difficultés actuelles et la problématique de son avenir.

« Je suis allée à l’école, jusqu’à la sixième mais j’ai laissé ça vaut deux mois, comme ça, car on m’a chassée parce qu’on n’a pas pu payer. Je n’aimais pas trop l’école mais aujourd’hui je donnerais beaucoup pour y retourner car c’est important. Plus tard je veux seulement un bon travail mais sans école c’est difficile. »2

Finalement, la destruction des espérances liées à la jeunesse éduquée est le résultat de la construction de représentations plus réalistes de celle-ci et de son imprégnation sociale bien plus que de son rejet. Les stratégies scolaires des familles sont alors plus modérées ; ne se résumant pas en une opposition entre deux trajectoires : la scolarisation à tout prix ou la non-scolarisation. Si la majorité des foyers burkinabè scolarisent leurs enfants ou une partie d’entre eux, les impératifs vitaux restent prioritaires.

1

SEVEDE-BARDEM Isabelle, Précarités juvéniles en milieu urbain africain. Op. cit., p. 143. 2 Récit de vie de Wendida COMPAORE, jeune fille dans la rue. Ouagadougou : 02 août 2007.

Le mythe de la jeunesse éduquée semble bien avoir été endommagé mais cela reflète finalement surtout une transformation profonde des représentations du savoir et des comportements qui en découlent.

3.3. Les figures nouvelles des « jeunes débrouillards »

Comme nous l’annoncions préalablement, les imaginaires de la réussite et du pouvoir ont connu de profonds réaménagements. Tshikala K. Biaya estime que chaque société a vu se développer des figures différentes du « jeune citadin

postcolonial » ayant contribué à l’émergence de nouvelles identités urbaines qui

témoignent de « la capacité d’assimilation, d’autonomie, d’individualisation et de

recomposition des sociabilités de la jeunesse ».1 C’est en effet suite à la conjonction de multiples facteurs tels que le rajeunissement de la population, la crise économique, l’émergence de processus d’individuation croissants en milieu urbain, la baisse des espérances concernant les élites postcoloniales et la libéralisation des espaces publics que ces nouvelles figures ont émergé, provoquant ce « remue-ménage au panthéon de la réputation » dont nous parlent très justement Richard Banégas et Jean Pierre Warnier.2 Ces « figures de la réussite et

du pouvoir »3 remettent en cause celles qui occupaient jusque-là une place centrale

dans les imaginaires populaires du succès et qui voient progressivement leur image se dégrader. Si elles n’ont pas remplacé les anciennes, elles les ont tout de même repoussées au second plan.

1

BIAYA K. Tshikala, Jeunes et culture de la rue en Afrique urbaine (Addis-Abeba, Dakar et Kinshasa). In HONWANA Alcinda et De BOECK Philip, Enfants, jeunes et politique. Op. cit., p. 14-15.

2 BANEGAS Richard et WARNIER Jean-Pierre (coord.), Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir. Op. cit., p. 6. 3

3.3.1. La valorisation de la ruse et de l’art de la