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1. LA JEUNESSE URBAINE AU BURKINA FASO

1.1. La jeunesse comme objet d’étude

1.1.3. La jeunesse: débats autour d’une définition

Avant d’affiner cette définition, nous pouvons aborder la jeunesse comme une étape du cycle de vie se situant entre l’enfance et l’âge adulte. Apparaissant comme une étape intermédiaire, la définition de la catégorie de jeunesse peut-être clarifiée en analysant les deux notions qui l’entourent et qui vont nous permettre, à défaut de définir la jeunesse, d’en circonscrire le champ.

La limite entre enfance et jeunesse n’est pas toujours très nette: si la fin de l’enfance a été fixée à 18 ans par le droit international1, la pratique est relativement plus floue. Si le critère d’âge est relativement aléatoire, il est par contre clair que l’enfance constitue les prémisses de la jeunesse. Cette période s’étend globalement de l’enfance à l’adolescence2, mais le contenu et les limites de celle-ci varient fortement selon les individus et les contextes socioculturels.

La catégorie « adulte » définit l’ensemble des personnes ayant achevé leur processus de croissance et renvoie à l’idée de maturité, de stade où l’on a atteint son plein développement et où l’on assume totalement ses responsabilités.3

Ainsi, par rapport aux deux catégories qui l’entourent, il est clair que la jeunesse se termine lorsque l’individu assume pleinement ses responsabilités, devenant ainsi adulte. Par contre, son commencement n’est pas aussi net puisqu’il est difficile de définir à quel étape du cycle de vie se rattache l’adolescence. En effet, celle-ci revêt des attributs propres à l’enfance et à la jeunesse et semble en fait se situer à cheval entre ces deux catégories, constituant une sorte de phase transitoire nettement identifiable. Pendant longtemps, jeunesse et adolescence semblent d’ailleurs avoir été confondues. Quoi qu’il en soit, si la distinction enfance/âge adulte semble avoir toujours existé, la distinction d’une phase spécifique identifiée comme jeunesse est une idée beaucoup plus récente, née d’une conception occidentale de l’éducation comme n’étant plus l’apanage de la sphère familiale. La jeunesse est alors profondément liée à l’individualité en tant que moment clé de mobilisation des potentialités propres à la personne. C’est l’imposition de l’école

1 Les principaux textes ayant fixé cette limite dans le droit international sont la Convention de Genève, la Convention des Droits de l’Enfant et la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant.

2

REY-DEBOVE Josette et REY Alain (dir.), Le nouveau Petit robert de la langue française. Paris : Le Robert, 2008, p. 869.

3

qui a donné tout son sens à cette conception du cycle de vie selon laquelle la jeunesse constitue une phase spécifique de préparation à l’exercice des rôles adultes. Cette définition s’est imposée dès les années 1940 aux États-Unis et un peu plus tard en Europe mais l’idée de jeunesse comme groupe constituant une force sociale et collective ne s’est renforcée qu’avec les mouvements culturels et politiques associés à la jeunesse dans les années 1960. Concernant la jeunesse d’aujourd’hui, le principal constat commun est le rallongement de celle-ci lié à l’augmentation de la durée des études, au chômage, au retardement de l’âge où l’on fonde un foyer, etc.1

Il est primordial de noter que la jeunesse, selon la conception que nous venons de détailler, ne constitue pas une catégorie transculturelle et transhistorique. Au contraire, la jeunesse est une donnée historiquement, culturellement et idéologiquement située et elle désigne donc des réalités variées dans l’espace et dans le temps. Ainsi, dans les sociétés africaines, au Burkina Faso notamment, la jeunesse n’a traditionnellement aucune existence pratique ni signification sociale, un passage direct s’effectuant du monde de l’enfance à l’âge adulte via une brève cérémonie initiatique ou le mariage. L’élément principal marquant l’entrée dans l’âge adulte est la construction d’un foyer et la jeunesse ne constitue traditionnellement qu’une phase transitoire extrêmement courte. D’ailleurs, l’âge précoce du mariage en milieu rural africain amène Boniface Bahi à conclure qu’il n’y existe traditionnellement pas de jeunesse, surtout pour les filles.2 Cependant, l’ensemble des analystes s’entendent à dire qu’une catégorie « jeune » bien distincte de l’enfance et de l’âge adulte et ayant plus qu’une simple signification démographique a émergée en milieu urbain africain. En effet, au Burkina Faso, nombreux sont les citadins ayant franchi les rites initiatiques marquant la fin de l’enfance mais n’ayant pas pour autant accédé au statut d’adulte. Selon B. Bahi, la jeunesse, en tant que catégorie distincte du cycle de vie, a été créée par le retardement de l’âge du mariage.3 Ainsi, la jeunesse en tant que phase distincte du cycle de vie est une réalité bien visible en milieu urbain. Cette étude va nous permettre, via l’analyse de la jeunesse en milieu urbain burkinabè de nous

1

MESURE Sylvie et SAVIDAN Patrick (dir.), Le dictionnaire des sciences humaines. Paris : PUF, 2006, p. 648-651. 2 BAHI Boniface, Dérives et réussite sociale en Afrique. Des stratégies juvéniles à Abidjan. Paris : L’Harmattan, 2007, 234 p. 3

interroger sur la nature de cette étape du cycle de vie. Nous chercherons essentiellement à voir si, conformément aux apparences et comme l’avance B. Bahi, celle-ci constitue essentiellement une phase d’attente pour l’entrée dans l’âge adulte ou si sa signification et sa portée est plus profonde et complexe, c'est- à-dire si les fondements de ce groupe ne se limitent pas uniquement à une situation commune et imposée d’attente.

Nous pouvons cependant d’ores et déjà nous pencher sur la nature de ce groupe en revenant sur la question de sa définition qui a elle seule a fait couler beaucoup d’encre dans les différents champs académiques.

La très grande majorité des chercheurs ont eu une interrogation commune: la jeunesse a-t-elle des caractéristiques biologiques qui lui sont propres et peut-elle être qualifiée par l’âge ? Il ressort finalement de l’ensemble de ces recherches qu’une définition de la jeunesse ne peut se baser uniquement sur des considérations biologiques ou sur l’âge, les variables à inclure étant bien plus vastes et complexes comme nous le verrons au fil de cette analyse. Cette citation constitue une bonne illustration de la complexité des fondements de cette étape du cycle de vie qu’est la jeunesse.

« When is one young in Africa? Certainly below the age of 14, the largest group in Africa. But what about people in their thirties or early forties? Several authors include groups, advanced in biological age, in their definition of youth. Obviously, “youth” is partly a socially constructed or constituted category, like most social phenomena. Some people who are well into their thirties have not completed their education, have no job, are not in position to raise a family, etc. indeed sociologically resemble the biological younger people with whom they share a way of life define by poverty and deprivation.»1

Cette idée de non-concordance systématique entre l’âge et le statut de jeune est centrale étant donné que, selon les situations (individuelles et contextuelles), des individus de moins de dix-huit ans qui appartiennent légalement2 au champ de

1

KESSEL Ineke Van et ABBINK Gerrit Jan (eds.), Vanguard or vanduals: youth, politics and conflict in Africa. Leiden, Boston: Brill Academic Publishers, 2005, p. 5-6.

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l’enfance peuvent avoir été propulsés prématurément vers celui de la jeunesse. Tel peut-être notamment le cas des enfants de la rue, réalité en expansion dans les villes burkinabè les plus importantes, essentiellement à Ouagadougou. Inversement, des individus de trente ou quarante ans qui, démographiquement parlant sont en général classés dans le groupe des adultes, peuvent en être exclus de par leur situation qui ne leur permet pas d’accéder au statut d’adulte. Il en est par exemple ainsi des hommes burkinabè qui, faute de moyens financiers essentiellement ne peuvent se marier et fonder une famille alors même que cette étape constitue l’évènement marquant principal de l’entrée dans la vie adulte. De même, une femme de cette tranche d’âge n’ayant ni mari ni enfant n’est pas totalement assimilée à une adulte. Ainsi, ces hommes et ces femmes qui n’ont pu achever pleinement leur transition vers l’âge adule seront, lors des manifestations ou réunions de familles classés dans le groupe des jeunes alors qu’un jeune homme ou une jeune femme ayant fondé un foyer se positionneront dans le groupe des adultes. Contrairement à ce qu’avance B. Bahi, nous pensons que la jeunesse ne serait pas née directement du retardement de l’âge du mariage. En effet, celui-ci est également la conséquence d’éléments tels que le prolongement de la durée des études et la croissance du chômage par exemple. Ceci-dit, dans une société où l’espérance de vie atteint difficilement les cinquante ans, les personnes de plus de quarante ans ne peuvent être considérées comme « jeunes » dans la mesure où elles ne constituent plus les acteurs de demain. Ainsi, si l’on ne peut définir la jeunesse par l’âge, ce critère permet de poser des bornes générales relativement souples pour cette analyse. Les principales recherches portant sur la jeunesse ont fixé des tranches d’âge allant de 15 à 25 ans pour les plus restreintes et de 10 à 40 ans pour les plus souples. Les fondements de la jeunesse ne pouvant être réduits, selon nous, à des considérations biologiques ou à l’âge, nous n’avons pas déterminé de tranche d’âge en amont de nos recherches sur le terrain. Nous avons cherché à travailler auprès de groupes se considérant comme jeunes et dont l’âge a finalement varié entre 12 et 37 ans.

Nous adhérons pleinement à l’idée développée par Alcinda Honwana et Filip de Boeck1 qui estiment que la naissance récente de la catégorie « jeune » en Afrique est allée de paire avec le développement de sous-cultures qui lui sont propres. Pourtant, si ces auteurs voient l’émergence de ces sous-cultures comme la conséquence d’une crise générale de la société et notamment des mécanismes de transformation des enfants en adultes, nous pensons que celle-ci ne peut être réduite à cette simple dimension. Nous ne nions pas le rôle joué par le contexte de crise dans l’émergence de la jeunesse en milieu urbain burkinabè mais nous revendiquons le nécessaire dépassement de cette idée qui n’est pas à même de rendre compte des fondements et de la portée réelle de cette catégorie dont la signification n’est pas démographique mais bien sociale.

1.2. Le contexte de la recherche: le milieu urbain