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Le processus de conception de scénarios pédagogiques

Chapitre 4. L A QUESTION DE LA MOTIVATION

5.2. La conception de scénarios pédagogiques

5.2.2. Le processus de conception de scénarios pédagogiques

Processus de conception pédagogique défini dans la littérature

Selon la définition du scénario pédagogique présentée précédemment, la conception pédagogique consiste à produire la description du déroulement de l’activité d’apprentissage, c’est-à-dire du scénario qui sera suivi par les apprenants afin d’atteindre les buts de formation visés. En nous basant sur les propos d’Henri et al. (2007), nous considérons que l’activité de scénarisation ne porte pas uniquement sur les contenus, mais qu’elle englobe l’activité de l’apprenant et de l’ensemble des acteurs de la formation. Nous retenons par conséquent la définition de Hotteet al. (2007) qui voient l’activité de scénarisation comme :

« l’orchestration d’un ensemble d’activités d’apprentissage auxquelles s’ajoutent, d’une part, la description des ressources utiles à leur réalisation et, d’autre part, les productions de l’apprenant qui en découlent. »

Dans la continuité de cette approche, Pernin (2007) décompose le processus de conception de scénarios pédagogiques en sept étapes (cf. figure 22) :

La conception initiale qui porte sur la définition générale d’un scénario abstrait, non contextualisé. Elle est prise en charge par un ingénieur pédagogique qui possède des compétences en conception pédagogique. A cette étape, les scénarios sont soit totalement nouveaux, c’est-à-dire créés de toute pièce, soit élaborés à partir de scénarios ou morceaux de scénarios existants (réutilisation d’éléments d’une bibliothèque) qui

peuvent être adaptés au nouveau contexte d’utilisation ou aux nouveaux objectifs de formation.

La contextualisation pédagogique vise la définition d’un scénario spécifiquement adapté au contexte particulier auquel il est destiné. A cette étape, un formateur ou un tuteur apporte des précisions sur les paramètres liés à l’exploitation concrète du scénario, notamment les acteurs, ressources et outils qui seront utilisés.

L’implémentation technique concerne le développement des ressources médiatiques et outils nécessaires à l’exécution. Elle porte également sur l’intégration éventuelle du scénario dans un environnement d’exécution spécifique tel qu’une plateforme LMS. Selon les besoins, elle fait intervenir des développeurs en informatique, des graphistes, des intégrateurs et des administrateurs de plateforme.

L’exécution ou exploitation correspond à l’utilisation du scénario dans la situation réelle de formation par les acteurs à qui il est destiné. Dans cette phase interviennent donc un formateur et/ou un tuteur, ainsi que les apprenants concernés par le dispositif.

La phase d’exploitation amène à une évaluation du scénario et à son adaptation si les retours d’usage en indiquent la nécessité éventuelle.

La décontextualisation permet de définir un scénario type à partir du scénario contextualisé qui a été éventuellement adapté. Ce scénario type est stocké dans une bibliothèque et vise à être réutilisé comme point de départ d’un nouveau cycle de conception afin de répondre à un nouveau besoin de formation.

Ces étapes font apparaître les différents niveaux de réification d’un scénario pédagogique (du scénario abstrait au scénario contextualisé). Comme précisé à travers les rôles impliqués à chaque étape, dans le contexte de l’ingénierie de formation où nous nous situons (sociétés prestataires spécialisées en ingénierie de formation ou services de formation de grandes entreprises), ce n’est généralement pas la même personne qui prend en charge toutes les étapes du cycle de vie d’un scénario. Dans nos travaux, nous nous focalisons plus spécifiquement sur la phase de conception proprement dite des scénarios, prise en charge par les ingénieurs pédagogiques. C’est pourquoi nous n’approfondissons pas les étapes d’implémentation et d’exécution du scénario.

Pernin et Lejeune (2004a) considèrent la conception pédagogique comme un processus créatif. A travers ces propos et comme le souligne par ailleurs Paquette (2002), la conception pédagogique s’apparente aux activités de conception telles qu’elles sont étudiées par les sciences cognitives, c’est-à-dire qu’elles peuvent être considérées comme des processus de résolution de problèmes complexes. La conception pédagogique correspond en effet à une activité de résolution de problème de conception dans un domaine spécifique, la pédagogie, faisant appel à un concepteur au profil spécifique, le plus souvent un enseignant ou, dans le cas qui nous intéresse, un expert en pédagogie ou en formation professionnelle. La solution ou l’artefact visé par cette activité de conception est lui aussi spécifique : dans notre cas, il s’agit d’un scénario pédagogique utilisant le jeu et des activités collectives. Comme dans toute activité de conception, le concepteur d’un scénario pédagogique, confronté à un nouveau problème, va s’appuyer sur ses connaissances, sur son expérience et faire appel à un «répertoire implicite de situations qu’il maîtrise » (Emin 2010) en prenant en compte les contraintes spécifiques du nouveau problème. Pernin et Lejeune (2004a) mettent en avant que la conception d’un scénario

pédagogique doit s’appuyer sur des «usages préexistants et proposer des systèmes

flexibles » que chaque concepteur puisse adapter à ses besoins.

Emin (2010) a mené des travaux en vue de définir le processus-métier de conception de scénarios pédagogiques mis en œuvre par des enseignants du secondaire (cf.

figure 23). Ce processus fait notamment apparaître un premier niveau de définition du scénario pédagogique visant à répondre au problème de conception spécifié. Cette première étape aboutit à la définition d’une esquisse de scénario qui sera ensuite affinée et précisée avec la prise en compte des différentes contraintes du contexte. De plus, le processus-métier défini met en évidence le recours à une banque de composants (démarches, situations, scénarios existants) à plusieurs moments du processus de conception : dès la phase initiale de définition de l’esquisse d’un scénario et lors de la contextualisation plus précise du scénario. Dans un processus de conception spontané, non assisté, cette banque d’idées n’est pas concrètement formalisée et correspond à des schémas intériorisés par les concepteurs experts, à des routines ou à des situations analogues qu’ils ont en mémoire et sur lesquels ils s’appuient (Dessuset al. 2007).

Un autre principe intéressant mis en évidence est le caractère itératif et progressif de certaines étapes du processus de conception. Ce principe confirme les similarités de ce processus avec les activités de conception telles que définies par les sciences cognitives et que nous avons abordées dans la section 2.1.

Figure 23 - Processus-métier de conception pédagogique (Emin 2010)

Il existe une différence entre la démarche de concepteurs experts et celle de novices (Emin 2010, Dessuset al. 2007) : si le processus de conception décrit précédemment comme faisant appel à des schèmes connus (banque de scénarios) est naturel pour des concepteurs experts, il nécessite d’être davantage explicité pour accompagner des concepteurs novices dans l’apprentissage de leur nouvelle fonction. Dans ce cas précis, la nécessité de formaliser les répertoires de situations existantes afin de les partager est particulièrement importante.

Processus de conception pédagogique : un exemple appliqué sur le terrain

Afin que les propositions issues de notre recherche soient adaptées au contexte d’application dans lesquelles elles s’inscrivent, nous nous intéressons ici au processus de conception de dispositifs pédagogiques tel qu’il est mis en œuvre sur le terrain, par des concepteurs pédagogiques spécialisés dans la formation professionnelle en entreprise. Nous présentons plus spécifiquement le processus appliqué au sein de la société Symetrix, partenaire de cette thèse CIFRE (cf. présentation § 1.1.2).

Ce processus concerne plus spécifiquement la conception et le développement de modules e-learning sur-mesure, activité principale de la société Symetrix1. La dénomination module e-learning désigne dans ce cas une ressource numérique de formation (contenus et activités pédagogiques médiatisées) utilisée en autoformation (cf. figure 24). On se trouve donc ici davantage dans un contexte de scénarisation de contenus pédagogiques que de scénarisation

1

des activités des apprenants. Plus d’explications sur la définition du e-learning et une mise en perspective avec d’autres dénominations du domaine sont proposées dans la section 5.4.1.

Figure 24 - Ecran d'un module e-learning réalisé par Symetrix pour la société Team Up

Le processus appliqué au sein de la société Symetrix est organisé autour de 6 phases (cf. figure 25).

Figure 25 - Processus de conception et de réalisation de modules e-learning de la société Symetrix

Phase 1 : spécifications et architecture pédagogique

Le processus de conception débute par une étape de spécifications fonctionnelles, techniques et graphiques. Il s’agit de définir avec le client commanditaire du projet, selon les besoins et contraintes exprimées, les spécifications du module qui définiront un cadre et guideront les étapes suivantes de conception et de réalisation.

Dans cette première phase, une architecture pédagogique du module e-learning est élaborée : le concepteur définit la structure du module e-learning et les grandes lignes des activités qui le composeront. Il s’appuie sur le référentiel de compétences qui fait l’objet de la formation et les objectifs pédagogiques visés. A ce stade le concepteur pédagogique travaille également en collaboration avec des experts métiers afin de s’approprier le référentiel, de cerner le public cible et d’avoir une vision claire de la situation métier de référence dans laquelle s’inscrivent les compétences ciblées par la formation. Pour concevoir l’architecture pédagogique, le concepteur

peut se référer à un répertoire de scénarios ou d’activités préalablement conçus par lui-même ou par des pairs. Ces scénarios réutilisés sont éventuellement modifiés pour être adaptés aux nouveaux besoins. Selon les projets, le concepteur peut être amené à créer des scénarios ou des activités pédagogiques totalement nouvelles. L’architecture pédagogique élaborée dans cette phase fait l’objet d’une présentation et d’une discussion avec le client commanditaire. Une fois validée, elle sert de support à la conception plus détaillée du module.

Phase 2 : rédaction des cahiers de conception

Dans cette phase, il s’agit de concevoir de manière détaillée chaque activité composant le module de formation. Cette conception détaillée vise notamment à ce que les personnes chargées de la réalisation aient toutes les informations à leur disposition : dans le cas d’un module e-learning le concepteur rédige donc l’ensemble des textes qui apparaissent à l’écran, il décrit les médias qui seront utilisés (images, vidéos, etc.), il spécifie l’interactivité de l’écran (fonctionnement de l’activité), etc. Les cahiers de conception visent également à présenter de façon détaillée les propositions définies afin que le client commanditaire juge de leur adéquation avec sa demande. Tout comme l’architecture pédagogique, les cahiers de conception font donc l’objet d’une discussion avec le client commanditaire. Ce n’est qu’une fois leur validation actée par le client que la phase suivante débute.

Phase 3 : médiatisation d’un prototype

Cette phase marque le passage de la conception pure au développement plus technique de la solution. Il s’agit ici de développer un prototype de l’application implémentant une partie du scénario proposé (quelques activités). Le but du prototype est de rendre plus concret et opérationnel ce qui a été conçu et présenté à l’aide des cahiers de conception. Des ajustements éventuels de la solution conçue sont effectués en fonction des commentaires effectués par le commanditaire sur le prototype réalisé.

Phase 4 : médiatisation finale

Une fois que le prototype est validé, qu’il reflète la solution finale souhaitée par le client, l’ensemble du scénario est réalisé. Une phase de recette interne et de test par le client est menée. Les commentaires éventuels sont pris en compte et les modifications effectuées afin de finaliser le module de formation.

Phase 5 : enregistrement des voix comédien

Les voix comédien finales éventuellement utilisées sont enregistrées et intégrées dans le module.

Phase 6 : implémentation sur une plateforme

Une fois le module finalisé, il est implémenté dans son environnement de diffusion final, le plus souvent une plateforme LMS (Learning Management System).

Dans ce processus, la communication avec d’autres membres du projet, autour de la solution en cours de conception, tient une place centrale. Il s’agit d’une part d’échanger avec le client

commanditaire à chaque étape de la conception et du développement du module afin de s’assurer que la solution est en accord avec sa demande. Une autre particularité du travail des concepteurs pédagogiques concerne les échanges avec des experts métier : en effet, à la différence d’un enseignant, le concepteur pédagogique n’est pas expert dans le domaine qui fait l’objet de la formation qu’il doit concevoir.

Tout comme le processus métier présenté par Emin (2010) (cf. figure 23), le processus de conception de modules e-learning fait apparaître différents niveaux de conception : tout d’abord une esquisse du scénario avec l’architecture pédagogique, puis le scénario détaillé du module avec les cahiers de conception. De plus à travers les échanges avec les autres membres du

projet, des ajustements de la solution sont effectués : le scénario se construit donc

progressivement au sein d’un processus itératif.

A la différence du processus défini par Pernin (2007 – cf. figure 22), ici la contextualisation du scénario pédagogique est assez marginale, elle intervient éventuellement au niveau de l’implémentation du module e-learning sur la plateforme, c'est-à-dire dans la phase finale du processus. Ceci s’explique par la nature particulière des solutions conçues : les modules d’autoformation sont généralement identiques d’une session de formation à une autre et ne nécessitent donc pas de contextualisation particulière.